Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Chacun s'accorde à dire que l'Europe est l'enjeu essentiel de cette élection présidentielle et dans le même temps chacun mesure la frustration des électeurs devant l'absence du débat européen et notamment devant les propositions convenus quelquefois artificiels de ceux que l'on présente comme les deux candidats principaux à cette élection.
Evidemment leurs difficultés s'expliquent aisément parce que sur les questions européennes, ils ont échoué et ils ont échoué ensemble.
Inutile de démêler les responsabilités des uns et des autres, de l'un et de l'autre. D'Amsterdam à Nice, ils ont siégé ensemble au Conseil européen, élaboré ensemble les compromis et les traités, et ce sont leurs fidèles qui, au Parlement, ont ratifié ensemble les textes définitifs.
C'est la même chose sur le plan militaire, puisque cette conférence de presse traitera de l'Europe et notamment de l'Europe en matière de défense, sur le plan militaire rien n'aurait été possible sans l'accord du chef de l'État, rien ne pouvait être fait hors des choix budgétaires du gouvernement et des votes de la majorité plurielle, ils sont donc responsables de la situation créée.
Le bilan de cette politique en matière politique tient en trois points :
- D'abord, la relation franco-allemande s'est profondément dégradée privant l'Europe de son moteur politique traditionnel ;
- Deuxièmement, la réforme des institutions qui a abouti au traité de Nice s'est faite au détriment à la fois de la France et des institutions communautaires, rendant plus qu'aléatoire le succès d'un élargissement désormais imminent ;
- Et enfin, en matière de défense, notre effort militaire s'est relâché au plan national sans que la défense européenne ait fait les pas nécessaires pour prendre le relais : et le 11 septembre l'a cruellement montré.
Je voudrais revenir d'abord sur la relation franco-allemande : nous avons me semble-t-il commis trois fautes.
D'abord nous avons opposé une fin de non-recevoir dédaigneuse aux préoccupations budgétaires des Allemands, alors même que ceux-ci devaient assumer les lourdes charges de la réunification de leur pays. Ne croyons pas que ce manque de solidarité ait été habile. À Nice l'addition politique de notre indifférence a été payée au prix fort.
Deuxième erreur, nous avons, en revanche, cédé, sans justification aucune, à des revendications institutionnelles remettant en cause symboliquement l'égalité de la France et de l'Allemagne au Conseil, et très sérieusement les équilibres entre les deux pays au Parlement européen.
Enfin, troisièmement erreur, nous avons fait la sourde oreille aux propositions allemandes de relance par le haut de l'Union européenne, qui avait été proposée tant par M. Fischer que par le chancelier fédéral. Résultat : nous sommes aujourd'hui seuls, coupés des pays qu'on dit à tort " petits ". Des deux côtés du Rhin, la presse se fait justement l'écho de l'isolement de la France. Alors que nos partenaires multiplient les initiatives bi-latérales, on assiste à Blair-Schroeder, Aznar-Berlusconi, qui n'ont qu'un point commun, notre absence et notre exclusion.
Depuis cinquante ans, l'entente de la France et de l'Allemagne a été le moteur politique de l'Europe. Schuman-Adenauer, Adenauer-de Gaulle, Giscard-Schmidt, Kolh-Mitterrand, ce sont ces couples qui ont fait avancer l'Europe. Rien ne permet en réalité de remplacer la relation franco-allemande. Celle-ci s'est gravement distendue. L'Europe est en panne.
Deuxième grand chapitre, les institutions.
À quelques mois de la conclusion des accords d'élargissement, les institutions de l'Union européenne n'ont pas été réformées. Pire, sur des points essentiels, à Nice, on a reculé.
Il n'est personne au sein de l'Union européenne qui ne sache que l'Europe élargie sera, sur la base du Traité de Nice, proprement ingérable. La présidence française a une responsabilité énorme dans cet échec, car nos dirigeants ont mené ces négociations sans vision, sans stratégie, sans savoir-faire et sans courage. Ils n'avaient rien à proposer. Ils n'ont su rien obtenir. Ils n'ont rien osé refuser, a dit un des observateurs les plus critiques de cet accord.
Ou plutôt, une seule crainte les animait et les a réunis : celle de voir un pouvoir exécutif européen à la fois plus démocratique, plus efficace et plus indépendant de chacune des administrations nationales.
Si l'on fait le bilan du traité de Nice, il tient en deux points : la Commission, par l'introduction du principe " un commissaire par État membre ", voit sa légitimité gravement menacée dans l'opinion publique des États les plus peuplés ; ce phénomène aura de très lourdes conséquences car l'Europe élargie ne pourra pas fonctionner avec ses inégalités et ses fragilités, sans un exécutif fort et respecté. Au Conseil, les procédures de décision ont été rendues plus complexes, plus difficiles et plus opaques.
La gravité de la situation a été si fortement ressentie dans l'ensemble de l'Union européenne que les quinze ont dû reconnaître à Laeken leur échec de Nice et confier à une Convention, heureusement largement dominée par des élus et heureusement présidée par un homme qui a dénoncé sur le fond le traité de Nice, Valéry Giscard d'Estaing, on a dû leur confier le soin de reprendre toute l'affaire.
La Convention représente un immense espoir, le seul disponible.
Mais cet espoir est hypothéqué par les contraintes du calendrier. À tous ceux qui l'ignoreraient, il est urgent de dire " il est plus tard que tu ne penses ! "
En effet, pour que les nouveaux états membres puissent participer, comme il a été décidé, aux élections européennes de juin 2004, les traités d'adhésion devront être ratifiés plusieurs mois avant cette date, ce qui suppose qu'ils soient signés au plus tard en juin 2003.
Or la conférence intergouvernementale chargée d'exploiter les travaux de la Convention n'est prévue que pour 2004 !
Il est clair, dans ces conditions, que la constitution qui devrait être proposée, si tout va bien, par la Convention risque de ne jamais voir le jour. Comment imaginer, en effet, qu'on puisse demander à des peuples de ratifier à quelques mois d'intervalle deux systèmes institutionnels profondément différents ?
Si rien n'est fait pour lier le calendrier de l'élargissement et celui de la future constitution, celle-ci risque fort de rester lettre morte et l'Union Européenne d'être vouée à l'impuissance.
Et je viens maintenant au troisième point de ce bilan. C'est ce qui s'est passé en matière de défense et en matière de politique étrangère. Au cours des sept dernières années, les enjeux internationaux n'ont cessé de solliciter la France et l'Europe.
La guerre du Kosovo, le 11 septembre, la guerre d'Afghanistan, l'embrasement du Proche-Orient, ont montré la tragique incapacité de la France et de l'Europe à jouer le rôle que leur place dans le monde devrait leur réserver.
Sur le plan politique, rien n'a été fait pour que l'Europe parle d'une seule voix, définisse clairement et engage une authentique et ambitieuse politique commune.
Comme vous savez, je rentre d'un voyage en Israël et Palestine. J'ai rencontré tous les dirigeant d'Israël et d'autorité palestinienne. J'ai écrit au Président de la République pour lui dire qu'une initiative européenne me paraissait d'une urgence absolue. Je peux si vous souhaitez lire cette lettre. (La lettre)
Cette lettre traduit les sentiment qui a été le nôtre puisque Alain Lamassoure en particulier et Marielle de Sarnez m'ont accompagné pendant ce voyage avec Rudy Salle. La conviction qui est la nôtre que seule une intervention extérieure et l'Europe doit être partie prenante de cette intervention extérieure peut aujourd'hui dégager une solution nouvelle face à processus hélas désespéré.
Sur le plan militaire, la France est, de l'avis général des experts militaires internationaux et nationaux, plusieurs sont d'ailleurs présents dans cette salle, aussi bien Général Morion que Général Roux, sur le plan militaire la France est de l'avis général des experts militaires internationaux et nationaux de moins en moins capable de déployer des moyens comparables à ceux dont disposent, par exemple, les Britanniques, sous l'effet conjugué d'une réduction constante de notre effort budgétaire de défense, et des choix d'équipement franco-français, sans débouchés extérieurs suffisants.
Il est proprement inimaginable que les Européens dépensent ensemble près de 60 % de ce que dépensent les Américains, placent sous les drapeaux un million d'hommes de plus que ceux-ci, et disposent au bout du compte de capacités de recherche, de moyens de détection et d'information et de projection, inférieures à 10 % de celles de nos alliés ! 60 % de dépenses, un million d'hommes de plus et au bout du compte 10 % de capacité des Etats-Unis.
C'est une faute contre le devoir de puissance de nations comme les nôtres et contre le contribuable, lourdement ponctionné pour un résultat plus que médiocre.
Sur chacun de ces trois grands chapitres, franco-allemand, institutions et défense, sur chacun de ces grandes chapitres je souhaite que l'action de la France s'inscrive en rupture avec ce qui a été fait au cours des dernières années.
La priorité, car c'est elle qui conditionne le reste, c'est le rétablissement du lien entre la France et l'Allemagne.
Dans un an nous allons célébrer le quarantième anniversaire du traité de l'Elysée. Il faut redonner vie à la coopération entre la France et l'Allemagne sur tous les plans.
Sur le plan économique, la coordination de nos politiques budgétaires et fiscales doit être systématique et ne doit pas se limiter au seul gouvernement. Je propose que les commissions des finances de nos assemblées parlementaires examinent ensemble les projets de budgets des deux pays.
Sur le plan culturel, il est aberrant que l'apprentissage du français recule en Allemagne et l'apprentissage de l'allemand recule en France. Il faut que les élèves français et allemands apprennent davantage à parler la langue de l'autre peuple.
Sur le plan militaire, il faut rompre avec l'unilatéralisme que nous reprochons quelquefois aux américains mais que nous avons nous-mêmes pratiqué pour notre compte. Essais nucléaires, et réforme du service militaire. On montrait que nous décidions sans concertation et sans consultation avec notre partenaire. Je propose qu'aucune grande décision de programmation ou de stratégie militaire ne soit être prise en France ou en Allemagne sans une concertation étroite et préalable avec le partenaire.
La relation franco-allemande, autant qu'une question de contenu, c'est une question de méthode et d'état d'esprit.
Sur un plan plus communautaire, il faut aborder la réforme de la politique agricole commune avec le double souci de préserver l'unité et l'organisation du marché commun agricole, sérieusement menacé par les libéraux de l'intérieur et de l'extérieur de l'Europe, et prendre en compte, dans des proportions réalistes, le souci allemand de voir modérer sa contribution budgétaire.
Je pense que l'un est lié à l'autre. La politique agricole commune va entrer dans une zone de turbulences et que nous ne la sauverons que si nous savons éviter le piège de l'isolement.
Enfin, et c'est l'essentiel, il faut que Français et Allemands se rassemblent sur une proposition commune et ambitieuse de réforme des institutions de l'Union.
J'aborde là donc la deuxième réponse - les institutions, clé de l'Europe.
Les Français, comme d'ailleurs une partie des Européens souhaitent une Europe puissante et imaginative capable de conduire à côté de la politique monétaire une politique budgétaire, fiscale et sociale, de défendre les intérêts et de faire entendre la voix de l'Europe à l'extérieur, d'assurer une lutte efficace contre le banditisme et le terrorisme internationaux.
Ceci passe par une redistribution des compétences entre l'Europe et les États qui aille dans les deux sens : les grandes affaires doivent être de la compétence de l'union. Toutes les autres doivent demeurer ou redevenir de la compétence des États et des collectivités territoriales.
Ceci passe également par des procédures de décision plus simples et plus efficaces au Conseil européen et au Conseil des ministres. Je m'étonne que ceux qui ont lutté becs et ongles pour le maintien de l'unanimité, donc de l'impuissance dans des domaines cruciaux, comme la fiscalité ou la politique étrangère, plaident aujourd'hui pour l'harmonisation fiscale et l'affirmation internationale de l'Europe. Les procédures de décision actuelles interdisent, pour notre part, les choses sont claires, il ne peut pas y avoir de vraie politique européenne sans décisions à la majorité qualifiée.
Et ceci passe enfin par l'affirmation d'un pouvoir exécutif européen à la fois plus efficace et plus démocratique qu'il ne l'est aujourd'hui.
C'est d'ailleurs là que le bât blesse, car il suffit de lire les propositions de Jacques Chirac ou de Lionel Jospin pour voir qu'en réalité ils n'acceptent pas cette idée.
Jacques Chirac propose par exemple " un président élu pour l'Europe ".
A la première impression, cela m'a fait plaisir, parce que voir Jacques Chirac rejoindre ainsi la proposition que j'avais faite dès la campagne européenne de 1999, ça paraissait aller dans le bon sens. Mais lorsqu'on regarde le détail de cette proposition, alors on constate qu'elle marque un recul et non pas une avancée par rapport à la situation actuelle.
Aujourd'hui le président de l'Europe existe. C'est le président de la commission. Il est désigné par le Conseil européen, il est démocratiquement investi par le parlement européen élu au suffrage universel au lendemain des élections européennes, et il dirige l'administration communautaire.
Dans la proposition de Jacques Chirac, le futur président, il sera toujours désigné par le conseil, mais il ne recevra plus d'investiture démocratique du Parlement. Il ne dirigera plus l'administration communautaire. Il n'assurera même pas la Présidence du Conseil des Ministres, curieusement confiée à un fonctionnaire. En fait, ce qui arriverait si cette orientation était adoptée, ce qu'on obtiendrait un doublon entre le Président ainsi désigné et le Président de la Commission, ce qui rendra comme on dit l'attelage institutionnel européen encore moins lisible et l'Europe moins gouvernable.
Je propose très exactement le contraire : un seul président pour l'Union européenne et non pas deux, présidant le conseil européen, ayant autorité sur l'administration communautaire, et tirant sa légitimité du suffrage universel.
Un jour, ce président sera élu directement par les peuples européens. En attendant, je souhaite qu'il soit élu tous les cinq ans par un congrès de parlementaires, réunissant à parité parlementaires européens et parlementaires nationaux.
Ainsi ce président aura face aux gouvernements l'autonomie et la force d'un fédérateur et face à l'opinion l'autorité d'un mandataire.
L'équilibre des institutions européennes ne serait pas altéré, mais au contraire conforté, par cette innovation : les décisions politiques de l'Union européenne continueront d'être prises par un conseil des ministres décidant, je le rappelle, à la majorité qualifiée.
Le pouvoir d'initiative et d'exécution continuerait d'appartenir à la Commission européenne, mais celle-ci serait formée par le Président, avant d'être investie par le Conseil et le Parlement européens.
Ainsi se trouverait conciliées les trois exigences de la réforme des institutions, simplicité, un seul président, démocratie, élection démocratique, et enfin efficacité.
Je veux insister sur l'impérative d'avoir le Conseil délibéré en public. Je rêve et j'attends de voir sur des sujets qui tiennent à l'environnement, à la santé, à la défense, à la politique étrangère, dans une enceinte solennelle, le président de la République française, ou le Premier Ministre britannique, ou le chef du gouvernement espagnol s'exprimer au nom de leurs pays pour traduire les exigences et les attentes qui sont les leurs. Et quand débat, c'est nous, entre les nations représentées par leurs chefs du gouvernement ou par leurs chefs d'Etat, ainsi la décision publique européenne deviendrait le bien commun de tous les citoyens européens et l'Europe au lieu d'être opaque et fermée deviendrait ouverte et proche.
Voilà une vision originale et forte des institutions européennes. Je souhaite que cette vision soit défendue au sein de la convention, elle le sera par les membres éminents qui sont là, Anne-Marie Idrac et Lamassoure en particulier, soit défendue au sein de la convention et assumée par la conférence intergouvernementale qui suivra.
Chacun voit bien que ces réformes constituent la condition indispensable d'un bon fonctionnement de l'Europe élargie. Il est donc essentiel que, je me permets d'attirer votre attention sur ce que je vais dire maintenant, il est donc essentiel que contrairement à ce qui est envisagé aujourd'hui, le traité constituant de la future Europe et les traités d'adhésion forment un acte juridique unique, le traité de refondation de l'Union européenne.
C'est à cette condition seulement que l'approfondissement et l'élargissement pourront aller de pair.
Si tel n'était pas le cas, si l'on voulait dissocier la signature et la ratification des traités d'adhésion de l'acte refondateur de nos institutions, si l'on distinguait et séparait élargissement et approfondissement, au risque d'obtenir l'élargissement sans l'approfondissement, alors je le dis tout net et solennellement : si tel est le cas, l'élargissement devra être soumis à l'approbation du peuple français. Je suis persuadé que les Français sont très favorables à l'unification de l'Europe, artificiellement divisée par la guerre froide et par l'histoire, mais ils ne sont pas prêts à voir disparaître dans cet élargissement le plus précieux de l'entreprise européenne. Donc je le répète : si l'on voulait obtenir l'élargissement sans l'approfondissement, ma proposition est que l'élargissement fasse l'objet dans référendum en France pour la ratification du traité.
J'aborde maintenant le troisième chapitre, celui de la défense européenne.
Il y a un traumatisme supplémentaire de l'après 11 septembre ! Les Français ont découvert que leur défense n'était pas à la hauteur des enjeux du siècle nouveau dans lequel nous entrons !
Que se serait-il passé si les avions suicides de Ben Laden avaient choisi comme cible non pas les tours jumelles du World Trade Center mais la tour Montparnasse ?
Il y a fort à parier que Ben Laden et le mollah Omar couleraient des jours tranquilles dans leurs refuges afghans, et pour encore de longs mois, sinon pour toujours.
À l'exception notable du Royaume-Uni, l'absence d'engagements financiers au niveau convenable, et l'absence de volonté communautaire européenne, nous maintiennent dans un état de dépendance loin du niveau de défense d'une puissance à l'échelle du monde.
Il n'y a qu'une option sérieuse si nous voulons rattraper notre retard, c'est l'édification d'une défense européenne !
La défense européenne, pourtant demandée par les deux tiers des citoyens européens n'existe pas, en dépit de multiples déclarations verbales. Là comme ailleurs, on vérifie la loi que Monnet avait génialement énoncée : " les systèmes intergouvernementaux, disait-il, déjà affaiblis par les compromis auxquels ont dû se livrer ceux qui les ont négociés sont bientôt paralysés par la règle de l'unanimité qui préside à leurs décisions. " l'intergouvernemental en matière de défense ne marche pas davantage que dans les autres secteurs.
Et chacun a gardé en mémoire le spectacle pitoyable de ce dîner au 10, Downing street dans lequel les uns étaient invités à l'apéritif, les autres aux hors-d'uvre, les troisièmes aux plats de résistance et les derniers n'étaient invités que pour prendre le café.
Et donc c'est de cela, de cet intergouvernemental qui n'avance pas qu'il faut sortir .
Mais parlant de défense européenne je veux répondre clairement à une question : la défense européenne fera-t-elle disparaître les armées nationales, et singulièrement la capacité de défense nationale française ?
La réponse est évidemment non !
Il est légitime qu'un pays comme la France conserve la capacité d'intervenir comme bon lui semble lorsque ses intérêts nationaux sont en jeu. La seule chose qu'elle s'interdit dès l'instant qu'elle adhère à l'Union et à la défense commune, c'est que son intervention la conduise de manière directe ou indirecte à une confrontation quelconque décidée unilatéralement avec d'autres membres de l'Union.
Quel est le rapport entre les défenses nationales et la défense européenne ?
Les défenses nationales sont les piliers et les corps d'intervention de la défense européenne. Les piliers soutiennent la charpente européenne, sont reliés par elle, et protégés par elle.
La part directement communautaire de la défense européenne est constituée de tous les équipements et les forces opérationnelles qui sont hors de portée d'un état national.
C'est ainsi que l'ensemble des systèmes d'armes et d'information que nous ne pouvons pas, pour des raisons budgétaires, acquérir seuls devront être acquis et développés par la défense commune.
Systèmes de satellites de renseignement, avions de transport, moyens sophistiqués de défense anti-aérienne, je le crois deuxième porte-avions, devront être mis en commun au sein d'une agence de moyens communs de la défense européenne.
Mais cela suppose un budget autonome. Je propose que 0,5 % du PIB soient dans un premier temps réservés par tous les États qui adhéreront à la défense européenne comme contribution à la défense commune. Un jour ce 0,5 % devra aller vers 1 %. Mais ce budget devra être mis en uvre par une procédure politique et budgétaire exercée en commun par tous les États qui adhéreront à cette première et majeure politique de coopération renforcée, en attendant que tous les États membres rejoignent la défense européenne.
Il y a un problème de l'OTAN. Le 11 septembre a montré que l'OTAN était devant une crise d'identité profonde. Qui pouvait prévoir que la première fois où l'Otan mettrait en uvre le fameux article 5 du traité de Washington, fondement presque mystique de l'Alliance, il n'en découlerait aucune conséquence militaire visible. C'est ainsi que l'avenir même de l'OTAN paraît en jeu : soit les Européens sont capables d'y assumer le partage du leadership avec les Etats-Unis, soit on court à une évanescence du lien transatlantique. Je me prononce pour que les Européens assument ce partage du leadership.
Les conséquences de cette défense commune sont claires. Une agence d'armement ayant le monopole des acquisitions et des équipements des forces armées européennes pour obtenir des prix et des compatibilités nécessaires.
Une instance de programmation stratégique qui définisse le format et les doctrines d'emploi des forces.
Un État-major commun pour apprendre à agir et à travailler ensemble, pour unifier les modes de commandement et les normes. Un exemple à la fois microscopique et très éclairant, sait-on par exemple qu'en cas d'évacuation aujourd'hui une civière française ne peut pas être branchée sur un circuit d'oxygène britannique, faute de compatibilité des circuits. L'Etat-major commun devra obéir à des objectifs de planification précis et vérifiables.
Voilà les chapitres que je voulais traiter, franco-allemand, institutions, défense commune, à propos de la politique européenne en exprimant comme conclusion une conviction "l'Europe est le seul horizon pour faire entendre dans ce sujet la voix de la France et faire respecter notamment en matière de défense les impératifs qui sont les nôtres, de défense de nos intérêts et de défense de nos valeurs".
(source http://www.bayrou.net, le 12 mars 2002)
Chacun s'accorde à dire que l'Europe est l'enjeu essentiel de cette élection présidentielle et dans le même temps chacun mesure la frustration des électeurs devant l'absence du débat européen et notamment devant les propositions convenus quelquefois artificiels de ceux que l'on présente comme les deux candidats principaux à cette élection.
Evidemment leurs difficultés s'expliquent aisément parce que sur les questions européennes, ils ont échoué et ils ont échoué ensemble.
Inutile de démêler les responsabilités des uns et des autres, de l'un et de l'autre. D'Amsterdam à Nice, ils ont siégé ensemble au Conseil européen, élaboré ensemble les compromis et les traités, et ce sont leurs fidèles qui, au Parlement, ont ratifié ensemble les textes définitifs.
C'est la même chose sur le plan militaire, puisque cette conférence de presse traitera de l'Europe et notamment de l'Europe en matière de défense, sur le plan militaire rien n'aurait été possible sans l'accord du chef de l'État, rien ne pouvait être fait hors des choix budgétaires du gouvernement et des votes de la majorité plurielle, ils sont donc responsables de la situation créée.
Le bilan de cette politique en matière politique tient en trois points :
- D'abord, la relation franco-allemande s'est profondément dégradée privant l'Europe de son moteur politique traditionnel ;
- Deuxièmement, la réforme des institutions qui a abouti au traité de Nice s'est faite au détriment à la fois de la France et des institutions communautaires, rendant plus qu'aléatoire le succès d'un élargissement désormais imminent ;
- Et enfin, en matière de défense, notre effort militaire s'est relâché au plan national sans que la défense européenne ait fait les pas nécessaires pour prendre le relais : et le 11 septembre l'a cruellement montré.
Je voudrais revenir d'abord sur la relation franco-allemande : nous avons me semble-t-il commis trois fautes.
D'abord nous avons opposé une fin de non-recevoir dédaigneuse aux préoccupations budgétaires des Allemands, alors même que ceux-ci devaient assumer les lourdes charges de la réunification de leur pays. Ne croyons pas que ce manque de solidarité ait été habile. À Nice l'addition politique de notre indifférence a été payée au prix fort.
Deuxième erreur, nous avons, en revanche, cédé, sans justification aucune, à des revendications institutionnelles remettant en cause symboliquement l'égalité de la France et de l'Allemagne au Conseil, et très sérieusement les équilibres entre les deux pays au Parlement européen.
Enfin, troisièmement erreur, nous avons fait la sourde oreille aux propositions allemandes de relance par le haut de l'Union européenne, qui avait été proposée tant par M. Fischer que par le chancelier fédéral. Résultat : nous sommes aujourd'hui seuls, coupés des pays qu'on dit à tort " petits ". Des deux côtés du Rhin, la presse se fait justement l'écho de l'isolement de la France. Alors que nos partenaires multiplient les initiatives bi-latérales, on assiste à Blair-Schroeder, Aznar-Berlusconi, qui n'ont qu'un point commun, notre absence et notre exclusion.
Depuis cinquante ans, l'entente de la France et de l'Allemagne a été le moteur politique de l'Europe. Schuman-Adenauer, Adenauer-de Gaulle, Giscard-Schmidt, Kolh-Mitterrand, ce sont ces couples qui ont fait avancer l'Europe. Rien ne permet en réalité de remplacer la relation franco-allemande. Celle-ci s'est gravement distendue. L'Europe est en panne.
Deuxième grand chapitre, les institutions.
À quelques mois de la conclusion des accords d'élargissement, les institutions de l'Union européenne n'ont pas été réformées. Pire, sur des points essentiels, à Nice, on a reculé.
Il n'est personne au sein de l'Union européenne qui ne sache que l'Europe élargie sera, sur la base du Traité de Nice, proprement ingérable. La présidence française a une responsabilité énorme dans cet échec, car nos dirigeants ont mené ces négociations sans vision, sans stratégie, sans savoir-faire et sans courage. Ils n'avaient rien à proposer. Ils n'ont su rien obtenir. Ils n'ont rien osé refuser, a dit un des observateurs les plus critiques de cet accord.
Ou plutôt, une seule crainte les animait et les a réunis : celle de voir un pouvoir exécutif européen à la fois plus démocratique, plus efficace et plus indépendant de chacune des administrations nationales.
Si l'on fait le bilan du traité de Nice, il tient en deux points : la Commission, par l'introduction du principe " un commissaire par État membre ", voit sa légitimité gravement menacée dans l'opinion publique des États les plus peuplés ; ce phénomène aura de très lourdes conséquences car l'Europe élargie ne pourra pas fonctionner avec ses inégalités et ses fragilités, sans un exécutif fort et respecté. Au Conseil, les procédures de décision ont été rendues plus complexes, plus difficiles et plus opaques.
La gravité de la situation a été si fortement ressentie dans l'ensemble de l'Union européenne que les quinze ont dû reconnaître à Laeken leur échec de Nice et confier à une Convention, heureusement largement dominée par des élus et heureusement présidée par un homme qui a dénoncé sur le fond le traité de Nice, Valéry Giscard d'Estaing, on a dû leur confier le soin de reprendre toute l'affaire.
La Convention représente un immense espoir, le seul disponible.
Mais cet espoir est hypothéqué par les contraintes du calendrier. À tous ceux qui l'ignoreraient, il est urgent de dire " il est plus tard que tu ne penses ! "
En effet, pour que les nouveaux états membres puissent participer, comme il a été décidé, aux élections européennes de juin 2004, les traités d'adhésion devront être ratifiés plusieurs mois avant cette date, ce qui suppose qu'ils soient signés au plus tard en juin 2003.
Or la conférence intergouvernementale chargée d'exploiter les travaux de la Convention n'est prévue que pour 2004 !
Il est clair, dans ces conditions, que la constitution qui devrait être proposée, si tout va bien, par la Convention risque de ne jamais voir le jour. Comment imaginer, en effet, qu'on puisse demander à des peuples de ratifier à quelques mois d'intervalle deux systèmes institutionnels profondément différents ?
Si rien n'est fait pour lier le calendrier de l'élargissement et celui de la future constitution, celle-ci risque fort de rester lettre morte et l'Union Européenne d'être vouée à l'impuissance.
Et je viens maintenant au troisième point de ce bilan. C'est ce qui s'est passé en matière de défense et en matière de politique étrangère. Au cours des sept dernières années, les enjeux internationaux n'ont cessé de solliciter la France et l'Europe.
La guerre du Kosovo, le 11 septembre, la guerre d'Afghanistan, l'embrasement du Proche-Orient, ont montré la tragique incapacité de la France et de l'Europe à jouer le rôle que leur place dans le monde devrait leur réserver.
Sur le plan politique, rien n'a été fait pour que l'Europe parle d'une seule voix, définisse clairement et engage une authentique et ambitieuse politique commune.
Comme vous savez, je rentre d'un voyage en Israël et Palestine. J'ai rencontré tous les dirigeant d'Israël et d'autorité palestinienne. J'ai écrit au Président de la République pour lui dire qu'une initiative européenne me paraissait d'une urgence absolue. Je peux si vous souhaitez lire cette lettre. (La lettre)
Cette lettre traduit les sentiment qui a été le nôtre puisque Alain Lamassoure en particulier et Marielle de Sarnez m'ont accompagné pendant ce voyage avec Rudy Salle. La conviction qui est la nôtre que seule une intervention extérieure et l'Europe doit être partie prenante de cette intervention extérieure peut aujourd'hui dégager une solution nouvelle face à processus hélas désespéré.
Sur le plan militaire, la France est, de l'avis général des experts militaires internationaux et nationaux, plusieurs sont d'ailleurs présents dans cette salle, aussi bien Général Morion que Général Roux, sur le plan militaire la France est de l'avis général des experts militaires internationaux et nationaux de moins en moins capable de déployer des moyens comparables à ceux dont disposent, par exemple, les Britanniques, sous l'effet conjugué d'une réduction constante de notre effort budgétaire de défense, et des choix d'équipement franco-français, sans débouchés extérieurs suffisants.
Il est proprement inimaginable que les Européens dépensent ensemble près de 60 % de ce que dépensent les Américains, placent sous les drapeaux un million d'hommes de plus que ceux-ci, et disposent au bout du compte de capacités de recherche, de moyens de détection et d'information et de projection, inférieures à 10 % de celles de nos alliés ! 60 % de dépenses, un million d'hommes de plus et au bout du compte 10 % de capacité des Etats-Unis.
C'est une faute contre le devoir de puissance de nations comme les nôtres et contre le contribuable, lourdement ponctionné pour un résultat plus que médiocre.
Sur chacun de ces trois grands chapitres, franco-allemand, institutions et défense, sur chacun de ces grandes chapitres je souhaite que l'action de la France s'inscrive en rupture avec ce qui a été fait au cours des dernières années.
La priorité, car c'est elle qui conditionne le reste, c'est le rétablissement du lien entre la France et l'Allemagne.
Dans un an nous allons célébrer le quarantième anniversaire du traité de l'Elysée. Il faut redonner vie à la coopération entre la France et l'Allemagne sur tous les plans.
Sur le plan économique, la coordination de nos politiques budgétaires et fiscales doit être systématique et ne doit pas se limiter au seul gouvernement. Je propose que les commissions des finances de nos assemblées parlementaires examinent ensemble les projets de budgets des deux pays.
Sur le plan culturel, il est aberrant que l'apprentissage du français recule en Allemagne et l'apprentissage de l'allemand recule en France. Il faut que les élèves français et allemands apprennent davantage à parler la langue de l'autre peuple.
Sur le plan militaire, il faut rompre avec l'unilatéralisme que nous reprochons quelquefois aux américains mais que nous avons nous-mêmes pratiqué pour notre compte. Essais nucléaires, et réforme du service militaire. On montrait que nous décidions sans concertation et sans consultation avec notre partenaire. Je propose qu'aucune grande décision de programmation ou de stratégie militaire ne soit être prise en France ou en Allemagne sans une concertation étroite et préalable avec le partenaire.
La relation franco-allemande, autant qu'une question de contenu, c'est une question de méthode et d'état d'esprit.
Sur un plan plus communautaire, il faut aborder la réforme de la politique agricole commune avec le double souci de préserver l'unité et l'organisation du marché commun agricole, sérieusement menacé par les libéraux de l'intérieur et de l'extérieur de l'Europe, et prendre en compte, dans des proportions réalistes, le souci allemand de voir modérer sa contribution budgétaire.
Je pense que l'un est lié à l'autre. La politique agricole commune va entrer dans une zone de turbulences et que nous ne la sauverons que si nous savons éviter le piège de l'isolement.
Enfin, et c'est l'essentiel, il faut que Français et Allemands se rassemblent sur une proposition commune et ambitieuse de réforme des institutions de l'Union.
J'aborde là donc la deuxième réponse - les institutions, clé de l'Europe.
Les Français, comme d'ailleurs une partie des Européens souhaitent une Europe puissante et imaginative capable de conduire à côté de la politique monétaire une politique budgétaire, fiscale et sociale, de défendre les intérêts et de faire entendre la voix de l'Europe à l'extérieur, d'assurer une lutte efficace contre le banditisme et le terrorisme internationaux.
Ceci passe par une redistribution des compétences entre l'Europe et les États qui aille dans les deux sens : les grandes affaires doivent être de la compétence de l'union. Toutes les autres doivent demeurer ou redevenir de la compétence des États et des collectivités territoriales.
Ceci passe également par des procédures de décision plus simples et plus efficaces au Conseil européen et au Conseil des ministres. Je m'étonne que ceux qui ont lutté becs et ongles pour le maintien de l'unanimité, donc de l'impuissance dans des domaines cruciaux, comme la fiscalité ou la politique étrangère, plaident aujourd'hui pour l'harmonisation fiscale et l'affirmation internationale de l'Europe. Les procédures de décision actuelles interdisent, pour notre part, les choses sont claires, il ne peut pas y avoir de vraie politique européenne sans décisions à la majorité qualifiée.
Et ceci passe enfin par l'affirmation d'un pouvoir exécutif européen à la fois plus efficace et plus démocratique qu'il ne l'est aujourd'hui.
C'est d'ailleurs là que le bât blesse, car il suffit de lire les propositions de Jacques Chirac ou de Lionel Jospin pour voir qu'en réalité ils n'acceptent pas cette idée.
Jacques Chirac propose par exemple " un président élu pour l'Europe ".
A la première impression, cela m'a fait plaisir, parce que voir Jacques Chirac rejoindre ainsi la proposition que j'avais faite dès la campagne européenne de 1999, ça paraissait aller dans le bon sens. Mais lorsqu'on regarde le détail de cette proposition, alors on constate qu'elle marque un recul et non pas une avancée par rapport à la situation actuelle.
Aujourd'hui le président de l'Europe existe. C'est le président de la commission. Il est désigné par le Conseil européen, il est démocratiquement investi par le parlement européen élu au suffrage universel au lendemain des élections européennes, et il dirige l'administration communautaire.
Dans la proposition de Jacques Chirac, le futur président, il sera toujours désigné par le conseil, mais il ne recevra plus d'investiture démocratique du Parlement. Il ne dirigera plus l'administration communautaire. Il n'assurera même pas la Présidence du Conseil des Ministres, curieusement confiée à un fonctionnaire. En fait, ce qui arriverait si cette orientation était adoptée, ce qu'on obtiendrait un doublon entre le Président ainsi désigné et le Président de la Commission, ce qui rendra comme on dit l'attelage institutionnel européen encore moins lisible et l'Europe moins gouvernable.
Je propose très exactement le contraire : un seul président pour l'Union européenne et non pas deux, présidant le conseil européen, ayant autorité sur l'administration communautaire, et tirant sa légitimité du suffrage universel.
Un jour, ce président sera élu directement par les peuples européens. En attendant, je souhaite qu'il soit élu tous les cinq ans par un congrès de parlementaires, réunissant à parité parlementaires européens et parlementaires nationaux.
Ainsi ce président aura face aux gouvernements l'autonomie et la force d'un fédérateur et face à l'opinion l'autorité d'un mandataire.
L'équilibre des institutions européennes ne serait pas altéré, mais au contraire conforté, par cette innovation : les décisions politiques de l'Union européenne continueront d'être prises par un conseil des ministres décidant, je le rappelle, à la majorité qualifiée.
Le pouvoir d'initiative et d'exécution continuerait d'appartenir à la Commission européenne, mais celle-ci serait formée par le Président, avant d'être investie par le Conseil et le Parlement européens.
Ainsi se trouverait conciliées les trois exigences de la réforme des institutions, simplicité, un seul président, démocratie, élection démocratique, et enfin efficacité.
Je veux insister sur l'impérative d'avoir le Conseil délibéré en public. Je rêve et j'attends de voir sur des sujets qui tiennent à l'environnement, à la santé, à la défense, à la politique étrangère, dans une enceinte solennelle, le président de la République française, ou le Premier Ministre britannique, ou le chef du gouvernement espagnol s'exprimer au nom de leurs pays pour traduire les exigences et les attentes qui sont les leurs. Et quand débat, c'est nous, entre les nations représentées par leurs chefs du gouvernement ou par leurs chefs d'Etat, ainsi la décision publique européenne deviendrait le bien commun de tous les citoyens européens et l'Europe au lieu d'être opaque et fermée deviendrait ouverte et proche.
Voilà une vision originale et forte des institutions européennes. Je souhaite que cette vision soit défendue au sein de la convention, elle le sera par les membres éminents qui sont là, Anne-Marie Idrac et Lamassoure en particulier, soit défendue au sein de la convention et assumée par la conférence intergouvernementale qui suivra.
Chacun voit bien que ces réformes constituent la condition indispensable d'un bon fonctionnement de l'Europe élargie. Il est donc essentiel que, je me permets d'attirer votre attention sur ce que je vais dire maintenant, il est donc essentiel que contrairement à ce qui est envisagé aujourd'hui, le traité constituant de la future Europe et les traités d'adhésion forment un acte juridique unique, le traité de refondation de l'Union européenne.
C'est à cette condition seulement que l'approfondissement et l'élargissement pourront aller de pair.
Si tel n'était pas le cas, si l'on voulait dissocier la signature et la ratification des traités d'adhésion de l'acte refondateur de nos institutions, si l'on distinguait et séparait élargissement et approfondissement, au risque d'obtenir l'élargissement sans l'approfondissement, alors je le dis tout net et solennellement : si tel est le cas, l'élargissement devra être soumis à l'approbation du peuple français. Je suis persuadé que les Français sont très favorables à l'unification de l'Europe, artificiellement divisée par la guerre froide et par l'histoire, mais ils ne sont pas prêts à voir disparaître dans cet élargissement le plus précieux de l'entreprise européenne. Donc je le répète : si l'on voulait obtenir l'élargissement sans l'approfondissement, ma proposition est que l'élargissement fasse l'objet dans référendum en France pour la ratification du traité.
J'aborde maintenant le troisième chapitre, celui de la défense européenne.
Il y a un traumatisme supplémentaire de l'après 11 septembre ! Les Français ont découvert que leur défense n'était pas à la hauteur des enjeux du siècle nouveau dans lequel nous entrons !
Que se serait-il passé si les avions suicides de Ben Laden avaient choisi comme cible non pas les tours jumelles du World Trade Center mais la tour Montparnasse ?
Il y a fort à parier que Ben Laden et le mollah Omar couleraient des jours tranquilles dans leurs refuges afghans, et pour encore de longs mois, sinon pour toujours.
À l'exception notable du Royaume-Uni, l'absence d'engagements financiers au niveau convenable, et l'absence de volonté communautaire européenne, nous maintiennent dans un état de dépendance loin du niveau de défense d'une puissance à l'échelle du monde.
Il n'y a qu'une option sérieuse si nous voulons rattraper notre retard, c'est l'édification d'une défense européenne !
La défense européenne, pourtant demandée par les deux tiers des citoyens européens n'existe pas, en dépit de multiples déclarations verbales. Là comme ailleurs, on vérifie la loi que Monnet avait génialement énoncée : " les systèmes intergouvernementaux, disait-il, déjà affaiblis par les compromis auxquels ont dû se livrer ceux qui les ont négociés sont bientôt paralysés par la règle de l'unanimité qui préside à leurs décisions. " l'intergouvernemental en matière de défense ne marche pas davantage que dans les autres secteurs.
Et chacun a gardé en mémoire le spectacle pitoyable de ce dîner au 10, Downing street dans lequel les uns étaient invités à l'apéritif, les autres aux hors-d'uvre, les troisièmes aux plats de résistance et les derniers n'étaient invités que pour prendre le café.
Et donc c'est de cela, de cet intergouvernemental qui n'avance pas qu'il faut sortir .
Mais parlant de défense européenne je veux répondre clairement à une question : la défense européenne fera-t-elle disparaître les armées nationales, et singulièrement la capacité de défense nationale française ?
La réponse est évidemment non !
Il est légitime qu'un pays comme la France conserve la capacité d'intervenir comme bon lui semble lorsque ses intérêts nationaux sont en jeu. La seule chose qu'elle s'interdit dès l'instant qu'elle adhère à l'Union et à la défense commune, c'est que son intervention la conduise de manière directe ou indirecte à une confrontation quelconque décidée unilatéralement avec d'autres membres de l'Union.
Quel est le rapport entre les défenses nationales et la défense européenne ?
Les défenses nationales sont les piliers et les corps d'intervention de la défense européenne. Les piliers soutiennent la charpente européenne, sont reliés par elle, et protégés par elle.
La part directement communautaire de la défense européenne est constituée de tous les équipements et les forces opérationnelles qui sont hors de portée d'un état national.
C'est ainsi que l'ensemble des systèmes d'armes et d'information que nous ne pouvons pas, pour des raisons budgétaires, acquérir seuls devront être acquis et développés par la défense commune.
Systèmes de satellites de renseignement, avions de transport, moyens sophistiqués de défense anti-aérienne, je le crois deuxième porte-avions, devront être mis en commun au sein d'une agence de moyens communs de la défense européenne.
Mais cela suppose un budget autonome. Je propose que 0,5 % du PIB soient dans un premier temps réservés par tous les États qui adhéreront à la défense européenne comme contribution à la défense commune. Un jour ce 0,5 % devra aller vers 1 %. Mais ce budget devra être mis en uvre par une procédure politique et budgétaire exercée en commun par tous les États qui adhéreront à cette première et majeure politique de coopération renforcée, en attendant que tous les États membres rejoignent la défense européenne.
Il y a un problème de l'OTAN. Le 11 septembre a montré que l'OTAN était devant une crise d'identité profonde. Qui pouvait prévoir que la première fois où l'Otan mettrait en uvre le fameux article 5 du traité de Washington, fondement presque mystique de l'Alliance, il n'en découlerait aucune conséquence militaire visible. C'est ainsi que l'avenir même de l'OTAN paraît en jeu : soit les Européens sont capables d'y assumer le partage du leadership avec les Etats-Unis, soit on court à une évanescence du lien transatlantique. Je me prononce pour que les Européens assument ce partage du leadership.
Les conséquences de cette défense commune sont claires. Une agence d'armement ayant le monopole des acquisitions et des équipements des forces armées européennes pour obtenir des prix et des compatibilités nécessaires.
Une instance de programmation stratégique qui définisse le format et les doctrines d'emploi des forces.
Un État-major commun pour apprendre à agir et à travailler ensemble, pour unifier les modes de commandement et les normes. Un exemple à la fois microscopique et très éclairant, sait-on par exemple qu'en cas d'évacuation aujourd'hui une civière française ne peut pas être branchée sur un circuit d'oxygène britannique, faute de compatibilité des circuits. L'Etat-major commun devra obéir à des objectifs de planification précis et vérifiables.
Voilà les chapitres que je voulais traiter, franco-allemand, institutions, défense commune, à propos de la politique européenne en exprimant comme conclusion une conviction "l'Europe est le seul horizon pour faire entendre dans ce sujet la voix de la France et faire respecter notamment en matière de défense les impératifs qui sont les nôtres, de défense de nos intérêts et de défense de nos valeurs".
(source http://www.bayrou.net, le 12 mars 2002)