Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, avec le quotidien slovène "Delo", sur les relations franco-slovènes, la situation économique et politique slovène, le prochain élargissement de l'Union européenne à la Slovénie, Ljubljana le 28 juin 1999.

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Circonstance : Voyage officiel de M. Moscovici en Slovénie le 28 juin 1999

Média : Delo

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, alors que vous vous rendez en Slovénie pour un séjour bref, avez-vous un message ou un conseil de la France aux autorités slovènes pour la préparation à l'entrée dans l'Union européenne ?
R - Je souhaite d'abord apporter un message d'amitié et de soutien aux autorités de Slovénie de la part du gouvernement français. La Slovénie est un pays dont nous nous sentons très proches. Nous avons admiré le courage et la maîtrise avec lesquels le peuple slovène et ses dirigeants ont mené votre pays à l'indépendance dans le contexte dramatique de l'éclatement de la Yougoslavie. La Slovénie est devenue en quelques années une démocratie moderne et exemplaire, avec une économie en plein développement et qui a tout naturellement vocation à rejoindre l'Union européenne.
La France souhaite donc donner une nouvelle dimension à ses relations avec Ljubljana et, notamment, intensifier le dialogue politique et renforcer la coopération économique et commerciale, car je pense que nos entreprises ne sont pas encore assez présentes en Slovénie.
S'agissant de la perspective de l'adhésion de la Slovénie à l'Union européenne, les négociations ont commencé depuis quelques mois, comme vous le savez. Elles se poursuivent avec sérieux. Mon conseil, comme à l'ensemble des pays candidats, sera de continuer à préparer au mieux, avec l'aide de la France et de l'ensemble de l'Union, l'adhésion en poursuivant les réformes nécessaires, afin de réussir l'entrée dans l'Union.
Je compte bien évoquer l'ensemble de ces sujets à l'occasion de ma visite qui, bien que trop brève, comme vous l'avez souligné, me permettra de m'entretenir avec le Président de la République, le Premier ministre, le Ministre des Affaires étrangères ainsi qu'avec mon homologue, Igor Bavcar.
Q - Nous avons parfois l'impression que les demandes de la Commission européenne à l'égard des pays candidats sont injustes, que les conditions sont plus sévères que celles imposées aux Etats déjà membres. Avons-nous tort ?
R - Je crois effectivement que vous avez tort ! Il faut voir la situation avec réalisme, sans démagogie. Les pays candidats ont aujourd'hui des structures économiques et sociales très différentes de celles de l'Union et un niveau de développement inférieur, dû aux impasses des politiques menées dans l'après-guerre. Si un travail très profond d'adaptation n'est pas réalisé avant l'entrée dans l'Union européenne, celle-ci pourrait occasionner à la fois un déséquilibre considérable pour les politiques et les finances de l'Union, mais aussi, je dirais surtout, un risque majeur pour la stabilité des pays candidats, sur le plan économique, social et même politique, un risque qui serait difficile à supporter par les populations.
Il est donc essentiel que les pays candidats accomplissent les réformes nécessaires pour adapter leurs structures aux exigences de l'Union européenne, de son marché unique, des politiques communes, cet ensemble de règles et d'obligations que nous appelons "l'acquis communautaire".
Pour autant, vous devez bien être sûrs que ces efforts ne vont pas au-delà de ce que les Etats membres ont eux même consenti depuis le début de la construction européenne. Ils sont seulement, dans l'intérêt de tous, la condition d'un élargissement réussi.
Q - Il semble que les Quinze soient désormais tous convaincus de la nécessité d'une réforme des institutions avant le prochain élargissement. Cela ne veut-il pas dire que l'adhésion sera retardée de plusieurs années ?
R - Il est vital, pour l'Union européenne, de réformer ses institutions avant que les prochains élargissements n'interviennent. La France le dit depuis longtemps et il est exact que ce point de vue fait aujourd'hui l'objet d'un consensus. L'Union fonctionne déjà mal aujourd'hui à Quinze, avec des institutions prévues au départ pour six pays. Il est évident que le blocage deviendrait total si les mêmes institutions devaient servir pour une Union à 25 ou 30 membres. Plus aucune décision ne pourrait être prise. Ce serait la paralysie.
La Conférence intergouvernementale qui a abouti au Traité d'Amsterdam avait pour but, notamment, de parvenir à cette réforme. Elle a échoué sur ce point. Lors du dernier Conseil européen, à Cologne, nous avons décidé de nous remettre au travail.
Les directions à suivre pour une Union plus efficace sont connues. Elle doivent s'orienter, d'une part, vers une Commission resserrée, retrouvant son rôle d'organe collégial de proposition, rendant mieux compte de ses actions aux opinions publiques et, d'autre part, vers un Conseil des ministres réorganisé, prenant l'essentiel de ses décisions à la majorité qualifiée, au lieu de l'unanimité paralysante, avec une répartition des voix entre les Etats plus conforme à leur poids économique et démographique réel.
Nous espérons bien pouvoir aboutir l'année prochaine, lors de la Présidence française, afin que l'élargissement ne subisse aucun retard.
Q - La France a-t-elle une idée claire du rythme de l'élargissement ? Les pays candidats peuvent-ils être sûrs que seuls les critères objectifs compteront, et non pas d'autres considérations ?
R - Sur le rythme de l'élargissement, je crois qu'il faut se méfier des faux problèmes. L'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale est une tâche historique. Il s'agira d'une véritable réunification de notre continent. La France est totalement engagée à sa réussite. C'est justement pour cette raison que l'Union ne doit pas se focaliser sur une échéance précise qui risquerait de retarder ceux des candidats qui seront prêts les premiers. Je crois donc que le pragmatisme doit l'emporter.
En revanche, il peut être utile que les pays candidats se fixent à eux-mêmes des objectifs en termes de dates, afin d'encourager chez eux le maintien d'un rythme soutenu pour la poursuite des réformes et des adaptations nécessaires à l'adhésion.
S'agissant des critères, je veux être également rassurant. Les conditions de l'adhésion sont claires. Elles sont "sur la table" depuis l'origine et se justifient seulement par la nécessité de satisfaire aux règles qui unissent déjà les Etats membres. Il n'y aura pas de surprise, ni de décision qui ne serait pas fondée sur le respect des ces critères objectifs qui sont, bien sûr, les mêmes pour tous les candidats.
Q - Trouvez-vous normal que les pays candidats aient été exclus des négociations sur la réforme des finances et des politiques de l'Union européenne ? Quel est le point de vue de la France sur la réforme de l'Agenda 2000 ?
R - Sur le premier point de votre question, il est tout à fait normal que seuls les Etats membres aient participé aux négociations sur l'Agenda 2000, qui ont abouti à un accord lors du Conseil européen extraordinaire de Berlin, en mars dernier. Il s'agissait, en effet, avant même l'entrée de nouveaux pays, du financement et des politiques qui seront menées dès l'année prochaine par l'Union européenne, dans ses frontières actuelles. C'est une situation logique. En revanche, nous avons informé régulièrement les pays candidats des progressions des discussions et de leur résultat.
Sur le dispositif adopté, je dirai qu'il assure la pérennité et l'efficacité des politiques européennes pour les prochaines années, dans la perspective des futures adhésions, qui représenteront un effort budgétaire considérable pour les Etats membres et qui exigeront le maintien de la solidarité financière à l'intérieur de l'Union. Je souligne qu'un effort tout à fait substantiel est prévu de la part des membres actuels de l'Union en faveur des pays candidats, avec un montant de 45 milliards d'euros, en plus des 22 milliards prévus pour la poursuite des stratégies de pré-adhésion.
L'Agenda 2000 représente un réel effort de stabilité budgétaire, tout en respectant l'esprit communautaire et en préservant l'équité entre les Etats membres.
Q - Après la fin des frappes aériennes au Kosovo, l'Union européenne prépare un projet de stabilisation et de pacification des Balkans. Comment voyez-vous la place de la Slovénie dans ce projet ?
R - Il est clair, pour nous, que la Slovénie se place entièrement dans la perspective de sa prochaine adhésion à l'Union. Cela étant, en tant qu'ancienne République yougoslave, votre pays dispose d'une expérience et d'une expertise qui seront très précieuses pour l'ensemble de l'Union européenne, alors qu'effectivement, comme vous le dîtes, la stabilisation durable de la région d'Europe la plus proche de vos frontières, les Balkans, après le terrible conflit du Kosovo, est une priorité pour tout le continent. L'ensemble de ces pays auront vocation à trouver leur place au sein de l'Union européenne, une fois que la démocratie et la stabilité y seront garanties.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 06 juillet 1999)