Interview de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, à RTL le 20 mars 2002, sur les grandes lignes du programme de Lionel Jospin à l'élection présidentielle 2002.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief On parle évidemment de la campagne électorale. Vous êtes aussi ministre de l'Economie et des Finances, mais vous accompagnez L. Jospin dans sa campagne. Hier, il a dit qu'il était désolé d'avoir utilisé les mots de "vieilli, usé" à propos de J. Chirac. C'est une nouvelle preuve de naïveté ou une nouvelle manière de faire de la politique ?
- "Je crois surtout qu'il a eu raison. A partir du moment où il s'est exprimé de façon telle qu'on a eu le sentiment que c'était une attaque personnelle - alors que dans son esprit cela ne l'était pas -, il a eu raison de rectifier le tir."
Il a mis huit jours ?
- "Il fallait rectifier le tir. Il l'a fait, très bien."
Il a aussi réagi à la baisse dans les sondages, puisque cette semaine, contrairement à la semaine précédente, il arrive tout juste en tête au deuxième tour, mais il a perdu des points au premier tour. Cela n'est pas inquiétant ?
- "J'ai pris connaissance des sondages comme chacun, et également l'analyse très pertinente d'A. Duhamel. Je vois deux ou trois choses qui, d'ailleurs, recoupent largement ce que disait A. Duhamel à l'instant. Au premier tour, il y a une dispersion très grande et un tassement de ce qu'on appelle les deux grands candidats. Commet expliquer cela ? Mon sentiment est qu'on est dans une situation un petit peu particulière. Tout le monde dit que Jospin et Chirac seront au deuxième tour. Du coup, psychologiquement - c'est l'interprétation que je donne -, il n'est même plus nécessaire de voter pour eux - en l'occurrence pour L. Jospin, car c'est lui que je soutiens. Du coup, il y a un éparpillement sur les autres candidats. Il va falloir recentrer un peu les choses. La deuxième observation est que les autres candidats - en tout cas beaucoup d'entre eux et je pense notamment à A. Laguiller - ne sont pas perçus comme pouvant être président de la République. J'ai été très frappé dans les derniers sondages, car si on demande aux partisans d'A. Laguiller s'ils pensent qu'elle a les compétences pour être présidente de la République, la réponse est zéro."
Justement, cela veut dire qu'on n'est pas content des autres et qu'on va se réfugier et protester ?
- "Comme on pense que de toutes les manières, le deuxième tour est acquis et qu'il faudra à ce moment-là faire le choix, au premier tour, c'est un vrai vote de protestation, de revendication, d'une autre nature. Je pense qu'il va falloir recentrer le débat sur l'essentiel. C'est-à-dire, au delà de tout ce qu'on raconte, on va choisir le président de la République, la personne qui va donner les grandes orientations aux pays pour la période 2002- 2007, où on sait que des problèmes majeurs vont se poser : l'élargissement de l'Europe, la solution au problème de la retraite, la question de la baisse du chômage, la question de la sécurité. Je ne cite que ces quatre là. Qui est le plus capable entre les grands candidats, si on peut dire, d'accompagner la France pour lui donner à la fois l'excellence nécessaire et l'égalité des chances pour chaque individu ? Je crois que c'est ce couple-là - excellence, égalité des chances. Par rapport à ce cahier des charges, je pense que Jospin est vraiment celui qui est le mieux placé. Encore faut-il qu'on arrive à l'exprimer."
J. Chirac a dit, hier, que ce sera un programme irréaliste, en tout cas très difficile à appliquer, parce qu'il y a une majorité plurielle éclatée. Je voudrais compléter quand même car, en lisant, le programme dans le détail, on nous avait annoncé peut-être un programme plus moderne que le précédent pour la gauche. Or, on voit un certain nombre de mesures qui sont peut-être là, plus pour faire plaisir justement à cette gauche plurielle. On voit, par exemple - et je m'adresse au ministre de l'Economie qui a souvent dénoncé la gauche dépensophile - les contrats d'autonomie des 18-25 ans, les contrats de retour au travail pour les plus de 50 ans, la Couverture logement universelle : ce sont d'abord des dépenses et est-ce que vous trouvez que c'est très moderne ?
- "Je pense que ce programme qu'a présenté L. Jospin est effectivement à la fois moderne et équitable. Ce sont les deux adjectifs qui conviennent. Moderne, parce qu'il se prononce sur ce que vont être les principaux problèmes de la période. J'ai parlé de la question de l'emploi, avec en particulier la question fondamentale de la formation tout au long de la vie - il n'y a pas une idée plus moderne que celle-là -, la question de la sécurité - c'est vrai qu'il y a, là, une inflexion mais je la crois positive - et puis la question de la globalisation. Or, la vraie réponse à la globalisation, c'est la construction européenne. Il n'y a pas plus moderne de ce point de vue-là."
Quels sont les moyens ?
- "Il y a la dimension équitable. C'est un des grands clivages avec le candidat J. Chirac : il met l'accent sur des baisses d'impôts - qu'il ne pourrait d'ailleurs pas réaliser parce qu'elles sont trop massives et qu'elles seraient injustes - ; Jospin, lui, met l'accent sur des réductions d'impôts qui restent raisonnables et qui, en même temps, concernent la totalité de la population et singulièrement les gens qui sont le moins fortunés. Là, vous avez un clivage. Au total, je pense que c'est à la fois moderne et équitable. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je crois qu'il faut quand même dire qu'on a tendance à mettre l'accent sur les éléments nouveaux mais, en tout état de cause, cela demandera des efforts. Ce n'est pas parce qu'on arrive à l'élection présidentielle ou qu'on entre dans une nouvelle période qu'il n'y aura pas d'efforts à faire. Tous les pays font des efforts. La France en fera aussi."
Précisément, concrètement dans votre esprit, qu'est-ce que cela veut dire "des efforts" ? Sur la retraite, par exemple, cela veut dire augmentation des cotisations ?
- "Cela veut dire que si on veut développer la croissance et l'emploi, il faut qu'il y ait un effort de travail massif de la part des entreprises et des salariés"
Il n'y donc plus les 35 heures ?
- "Si, bien sûr. Si on veut équilibrer les retraites cela veut dire évidemment, et tout le monde le sait, qu'il y aura un certain nombre de sacrifices à opérer."
Précisément, là-dessus, est-ce que cela veut dire que les fonctionnaires devront cotiser 40 ans comme le privé ?
- "A mon avis, il y aura une harmonisation entre le public et le privé."
Par le haut alors ?
- "Il y aura une harmonisation."
Précisez, c'est l'occasion...
- "Je vais vous prendre un exemple très précis : on sait que chaque année, l'espérance de vie augmente de 3 mois. C'est très bien, mais puisque l'espérance de vie augmente de trois mois, cela veut dire que les actifs doivent financer chaque année des retraités qui vivront trois mois de plus. Comment voulez-vous qu'il n'y ait pas un ajustement ? Bien sûr qu'il y aura un ajustement ! Mais nous, nous disons que cet ajustement doit se faire en liaison avec les partenaires sociaux."
Les fonctionnaires cotiseront sans doute plus longtemps ?
- "Le deuxième aspect que je voulais citer, c'est qu'il y aura des avancées mais qu'il y a des besoins d'efforts généraux. Le deuxième aspect - que L. Jospin a souligné d'ailleurs -, c'est que nous aurons probablement lors de la mandature deux périodes. Une où il faudra faire preuve d'une vigilance particulière, parce que nous avons cette exigence absolue de revenir à l'équilibre financier. Quand je vois le programme du RPR qui nie cet équilibre, cela veut dire qu'on sort de l'Europe. Nous, nous sommes européens. Donc, la première période, jusqu'en 2004 ou 2005, sera une période de vigilance. La deuxième période, nous aurons des masses plus importantes et là, nous pourrons avancer fortement. Et au cours de toute la période, il y aura des progrès et il y aura concertation avec l'ensemble des partenaires."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mars 2002)