Déclaration et conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-libanaises, le blocage du processus de paix entre Israël et les Palestiniens et la résolution du Conseil de sécurité concernant le retrait des forces israéliennes du Sud-Liban, Beyrouth le 11 janvier 1998 et Baabda le 12.

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Circonstance : Voyage de M. Védrine au Liban, en Jordanie et en Syrie du 11 au 13 janvier 1998-au Liban les 11 et 12

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, Je voudrais vous dire d'abord que c'est avec une joie profonde que je me retrouve sur le sol du Liban, qui est un pays dans lequel je suis venu à plusieurs reprises, à titre privé, mais où je me rends pour la première fois en tant que ministre, bien que les affaires du Liban occupent constamment le ministre des Affaires étrangères tant est grande et exceptionnelle la place que ce pays occupe. A la fois dans le coeur de tous les Français et d'autre part dans la politique étrangère de la France.
Je suis venu ici pour évoquer avec M. le ministre des Affaires étrangères et avec les autres autorités du Liban, tout ce que nous pouvons faire d'abord pour maintenir, dans cette relation bilatérale très dense, très forte et très profonde, sa vitalité pour l'avenir. Nous allons évoquer différents aspects de cette relations sous l'angle économique, culturel ou politique. C'est un objectif commun.
D'autre part, nous avons parlé évidemment de la situation dans la région et j'ai expliqué à M. le ministre tous les efforts qu'effectue la France, le président de la République française, le gouvernement français pour obtenir une relance du processus de paix israélo-palestinien qui est malheureusement depuis quelques temps dans l'impasse. Ces efforts qui se déploient à la fois sur le terrain, dans la région, en Europe, dans la concertation pour les Européens, à travers un dialogue soutenu avec les Etats-Unis. La France a cet égard fait constamment des propositions et rappelle les lignes directrices de ce que devrait être un processus de relance, et de la solution équitable qui devrait en résulter, qui seule pourrait garantir une stabilité dans la paix.
La France est également très engagée et très présente en ce qui concerne les relations entre le Liban et Israël, et la Syrie et Israël, et la Syrie et le Liban. Vous connaissez le rôle que joue la France dans les Accords de surveillance de la situation au Sud Liban. La France en est présidente en ce moment. M. Rapin, qui est le représentant de la France dans ce groupe, était avec nous au cours de cette séance. J'ai écoute avec extrêmement d'intérêt l'analyse qu'a faite le ministre libanais des Affaires étrangères à ce sujet. Vous connaissez donc et je le répète, l'engagement de la France, sa disponibilité et son désir ardent de contribuer non seulement à contenir les tensions, ce que nous faisons déjà dans toute la mesure du possible, mais au-delà, à pouvoir trouver un jour une véritable solution.
Q - Monsieur le Ministre, la politique israélienne catastrophique au Sud Liban ne fait que tuer et blesser des Libanais et détruire leurs maisons. Croyez-vous que le Groupe de surveillance peut faire face à cette politique israélienne au Sud Liban ?
R - La fonction du Groupe de surveillance, sa première fonction, est d'essayer de circonscrire les tensions et de contenir cette escalade, même si on peut considérer, notamment d'un point de vue libanais, que naturellement les choses ne sont pas acceptables telles qu'elles sont. Je crois qu'il faut rendre hommage au travail de ce groupe qui malgré tout, à plusieurs reprises déjà, a évité que les choses s'aggravent encore. Bien sûr, cela ne suffit pas. J'ai dit, à l'instant, que ce n'est qu'un premier objectif. L'objectif véritable, c'est d'arriver un jour à une véritable solution.
Q - Ne faut-il pas retourner au Conseil de sécurité ?
R - Le Conseil de sécurité a fixé des principes il y a un certain temps déjà. Mais cela reste tout à fait valable, car la résolution 425 et la résolution 426 sont une très bonne base pour arriver un jour à une solution.
Q - M. Védrine, vous avez exprimé à plusieurs reprises votre pessimisme quant à la paix au Proche-Orient, à cause justement de la politique israélienne. Avez-vous le sentiment aujourd'hui qu'une nouvelle dynamique se met en place ?
R - J'ai à plusieurs reprises déploré que le processus de paix, comme tout le monde peut l'observer, soit dans l'impasse. Parce que nous pensons que la situation actuelle, le statut quo est mauvais et dangereux en dehors du fait qu'il est injuste. C'est pourquoi la France déploie tant d'efforts sur beaucoup de terrains que j'ai cités tout à l'heure, pour contribuer avec tous ses moyens d'influence à relancer ce processus. Mais je ne dis pas forcément que je suis pessimiste à terme, à long terme, pour le processus.
Non. Je crois qu'un jour le Proche-Orient finira pas sortir de cette impasse dans laquelle il se trouve aujourd'hui à propos des conflits dont nous avons parlé. Donc, je ne suis pas animé par une vision noire et désespérée de l'avenir de cette région. Bien au contraire. Mais quand nous prenons la situation telle qu'elle est aujourd'hui, nous voyons bien, qu'il y a des blocages multiples. La France emploie tous ses moyens, elle est vraiment très engagée. C'est un sujet très important pour elle, aussi bien pour ses dirigeants politiques que pour son opinion. Et pour agir le plus efficacement possible, il faut avoir une concertation étroite avec nos amis anciens et fidèles que sont les Libanais.
Q - Que pensez-vous de la dernière proposition israélienne à propos de la 425 ?
R - Il y a un point à relever c'est qu'elle est reconnue en quelque sorte par cette déclaration alors qu'elle ne l'était pas auparavant. C'est un point encourageant qu'il faut noter. Il faut noter également que pour le moment cette reconnaissance de la 425 est assortie de conditions multiples qui ne figurent pas dans le texte de cette résolution.
Q - Monsieur le Ministre, où se situent les blocages. Vous avez parlé de blocages et d'impasse dans le processus. Où est-ce qu'ils se situent ? Deuxièmement, la dernière visite en France du vice-président syrien et du ministre syrien des Affaires étrangères était-elle liée à la proposition israélienne ?
R - Sur le second point Madame, il faut demander aux responsables syriens quelle est la réponse exacte. C'était une visite en réalité qui s'inscrivait dans le cours normal et régulier des relations et des rencontres entre la France et la Syrie. Donc il y a bien eu un échange de vues général sur la situation dans la région. Je ne pense pas qu'il y ait une raison plus forte que d'autres. Donc c'était un tour d'horizon. Quant aux blocages auxquels je faisais allusion tout à l'heure, tout le monde les connaît.
Q - Monsieur le Ministre, la France a déclaré à plusieurs reprises qu'elle était prête à envoyer des troupes françaises au Sud Liban si jamais ils appliquaient la résolution 425. Avez-vous traité ce sujet avec le ministre Bouez ?
R - Non. A ma connaissance, la France n'a jamais fait cette déclaration. En revanche, c'est vrai qu'à plusieurs reprises des responsables israéliens, notamment le ministre de la Défense, ont fait cette proposition. Ils l'ont évoquée, à la fois directement ou par l'intermédiaire de la presse israélienne. La France n'a jamais pris ce type d'engagement, pour la bonne raison qu'on ne peut pas prendre des engagements en l'air comme cela, à propos d'une situation qu'on ne connaît pas, qui ne s'est pas produite.
En revanche, tout le monde sait qu'étant donné l'engagement de la France par rapport à cette région et le désir ardent qu'elle a de voir surmonter les problèmes dont nous parlons, elle sera toujours disponible pour traiter des demandes qui lui seront faites le moment venu, mais dans une situation réelle. Donc, il faudrait voir si un jour nous avons une situation qui correspond à celle que demandait la 425, qui soit un véritable retrait, et qui crée une situation dont tous les protagonistes saisissent la France. La France examinerait cette situation. Mais je ne peux pas anticiper sur une situation aujourd'hui qui n'existe pas et répondre à une demande qui n'a pas été formulée encore.
Q - Comment trouvez-vous la situation à Jezzine après la réouverture de Kfarfalous ?
R - Je voudrais avoir parlé plus en détail avec M. le ministre des Affaires étrangères sur un ensemble de points pour répondre à cette question.
Q - Travaillez-vous pour débloquer le volet syro-israélien ?
R - Nous sommes en contact, comme vous le savez et comme vous le voyez donc, aussi bien avec les Israéliens, les Palestiniens, les Libanais, les Syriens, les Jordaniens sans parler des Européens, des Américains et des Russes. Donc tous ces éléments méritent d'être pris en considération, tous. Je ne dis pas qu'ils soient tous liés dans le détail mais on voit bien qu'il y a quand même une sorte de lien général à propos des différents aspects de la situation dans la région. Il y a le volet principal, israélo-palestinien. L'autre volet principal est la question israélo-syro-libanaise, en quelque sorte. Et bien sûr dans chacun de ces points, si la France peut être utile, elle le fera. Le plus vite sera le mieux./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2001)
Mesdames et Messieurs,
Je dois vous dire que je suis extrêmement content du moment que je viens de passer à Beyrouth. C'est un voyage qui avait beaucoup d'importance pour moi. Je l'avais déjà dit en arrivant, pour des raisons françaises, sentimentales et affectives, et en même temps pour des raisons politiques et diplomatiques en raison de l'importance de cette région, de la difficulté des problèmes qui s'y posent, du blocage du processus de paix et enfin pour toute une série de raisons.
J'ai eu avec le président de la République, le président de l'Assemblée, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, des entretiens très intéressants, très approfondis. Nous avons passé en revue ce que nous pouvions faire, de part et d'autre, pour donner aux relations bilatérales, qui sont déjà exceptionnelles, exceptionnellement bonnes, plus de densité, maintenir leur grand dynamisme à la lumière des perspectives d'avenir, surtout en se rappelant que le Liban a été choisi pour accueillir le Sommet de la Francophonie en 2001, ce qui a beaucoup de signification et doit avoir beaucoup de conséquences. Aussi, nous avons passé en revue tous les autres volets des relations bilatérales et nous avons longuement parlé de tous les aspects de la situation dans la région. J'en repars très satisfait car j'ai une appréciation, je crois, plus nette et plus précise, donc plus utile des conditions libanaises, des aspirations libanaises sur l'ensemble de ces points. C'est évidemment indispensable pour moi d'avoir cet élément à l'esprit constamment, aussi bien quand nous sommes au contact de l'ensemble des pays de la région, que lorsque nous sommes en train de travailler avec les autres Européens pour faire évoluer la position européenne, dans un sens plus net et plus clair, comme nous le faisons, ou lorsque nous parlons avec nos amis américains, afin que toutes ces données soient mieux prises en compte. Cela ne se conçoit pas sans une très bonne entente franco-libanaise, très naturellement.
Q - La mention par Israël de la résolution 425 est-elle sérieuse, en notant aussi que les responsables libanais ont exprimé des doutes, et surtout qu'Israël vise à séparer les volets libanais et syrien ?
R - Il y a eu une résolution 425 qui a demandé ce retrait sans condition et sans délai, et une résolution 426 qui organise les modalités de ce retrait s'il devait avoir lieu. A ce stade, ce que l'on peut dire, c'est que la mention par les dirigeants israéliens de la résolution 425, à laquelle ils ne faisaient jamais référence avant, est un progrès en soi. C'est un certain progrès. Maintenant, le fait de la mentionner en l'assortissant de nombreuses conditions qui ne sont pas dans le texte, naturellement, montre bien que nous ne sommes pas encore dans le cadre véritable de cette résolution. Sans doute la conclusion n'est-elle pas pour demain, mais ne négligeons pas le fait que c'est déjà une indication dans la bonne direction.
Q - On a compris que votre première tournée dans la région visait à entendre et à explorer. Peut-on s'attendre à une nouvelle tournée et à une nouvelle initiative de la part de la France afin de débloquer le processus de paix ?
R - L'initiative, la France la prend tout le temps. Ce n'est pas une question dont on s'occupe uniquement quand on est en voyage dans la région. Je suis déjà venu, il y a quelques semaines, dans d'autres pays de cette région, mais dès la première minute où j'étais installé dans le bureau du ministre des Affaires étrangères à Paris, je me suis occupé de ces problèmes. Cela n'arrête jamais, que ce soit à Paris, lors des réunions à Bruxelles, au Luxembourg, à New York, ou ailleurs. Cette question du Proche-Orient est présente à l'esprit des responsables des grandes diplomaties. Elle est particulièrement présente dans l'esprit de la France. Vraiment je n'ai pas attendu le mois de novembre ou le mois de janvier pour m'en saisir. Donc il n'y a pas à chercher une initiative spéciale sortie de son contexte quand on mène une action quotidienne. Quotidienne, je le répète. Je ne veux pas trop me répéter. Mais je rappelle quand même ce que j'ai dit il y a quelques instants : dans le dialogue avec tous les protagonistes, tous les pays de la région, en insistant sans arrêt sur le fait que le statu quo n'est pas admissible tel quel, qu'il faut reprendre à tout prix un processus de paix, qu'un cadre avait été fixé. D'autre part, en rappelant sans arrêt que la France est naturellement disponible en ce qui concerne la question du Sud Liban, si les choses se concrétisent. Ce n'est pas à la France de le décider à la place des principaux intéressés. Mais le jour où les choses se concrétiseront, la France sera évidemment disponible et examinera avec beaucoup de sympathie ce qui lui serait demandé par les parties concernées si elles estimaient que la France peut jouer un rôle important pour compléter, consolider et garantir les processus. C'est ce que le président de la République française avait dit au Liban lors de son voyage et naturellement, je le confirme. Donc, c'est une action de tous les instants. Et de la même façon, je ne vais évidemment pas cesser de m'intéresser aux problèmes de cette région quand je serai rentré à Paris. Cela n'arrête pas. C'est tout à fait constant et je reviendrai dès qu'il sera utile de revenir.
Q - Avez-vous trouvé que les responsables libanais sont prêts à un retour à des négociations avec les Israéliens ?
R - Vous me parlez de la 425 ?
Q - Non, du processus de paix.
R - Sur le processus de paix, la préoccupation générale est qu'il reprenne. Aujourd'hui, il est enlisé. Cela ne se passe pas directement en ce qui concerne la reprise de ce processus avec le Liban, qui lui, naturellement, est très intéressé par les répercussions du processus quand il marche et des répercussions négatives de l'absence du processus quand il est bloqué. Mais ce n'est pas le Liban qui bloque quelque chose. Donc ce n'est pas là où le déblocage peut s'opérer. La question de la relance du processus est question de discussions entre les Israéliens et les Palestiniens puis autour d'eux, les Européens, les Américains, tous ceux qui estiment que c'est dans l'intérêt général que le processus reprenne. Les discussions avec les dirigeants libanais ont plus porté sur la question du Sud Liban et de la 425. Il m'a été répondu en général que la 425 ne prévoit pas de conditions, ne prévoit pas de négociations, qu'elle a sa force en elle-même, et qu'elle doit être tout simplement appliquée. Tous les responsables libanais que j'ai rencontrés ont noté que c'était en tous cas au stade des déclarations. C'est déjà un progrès qu'elle soit maintenant une référence admise par les Israéliens, alors qu'elle ne l'était pas.
Q - Monsieur le Ministre, à propos du gel du processus de paix, croyez-vous que Netanyahou est toujours derrière ce gel ? Et comment traitez-vous avec lui ?
R - Nous parlons avec lui en insistant sur le fait qu'à nos yeux il est indispensable de reprendre ce processus et que par conséquent Israël, qui est engagé par les Accords d'Oslo et tous les accords qui ont suivi, doit faire maintenant des propositions substantielles pour reprendre le fil des redéploiements, - donc des propositions substantielles et significatives -, et puis d'autre part s'abstenir de mesures unilatérales qui sont contraires à la lettre et à l'esprit du processus de paix. Tout cela est dit constamment dans notre dialogue avec les Israéliens, avec beaucoup de clarté et beaucoup d'insistance. Croyez-moi nos positions sont bien connues des dirigeants israéliens.
Voilà, je vous remercie encore de l'accueil qui m'a été réservé à Beyrouth comme à toute la délégation qui m'a accompagné. Cela nous a beaucoup touchés./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2001)