Déclaration de M. Robert Hue, président du PCF et candidat à l'élection présidentielle, sur la campagne électorale pour l'élection présidentielle, les orientations du projet socialiste et les propositions du parti communiste.

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Circonstance : Meeting à Reims (Marne) le 19 février 2002.

Texte intégral

Chères amies, cheres camarades,
Merci de votre accueil !
Merci aux communistes de Champagne-Ardenne qui m'ont fait l'amitié de m'inviter à Reims ce soir, pour cette rencontre régionale.
Deux mois nous séparent du premier tour de l'élection présidentielle. Je dis bien : du premier tour, le 21 avril.
Ce jour-là, il ne s'agit pas d'élire le Président de la République. Ce moment - et il est naturellement très important - ne viendra que deux semaines plus tard.
Mais en attendant, de quoi s'agit-il ? Ou, plus exactement, de quoi devrait-il s'agir ?
Eh bien de vous, de vos problèmes, de vos préoccupations, de vos attentes, de votre avenir.
Or, de tout cela, qui est pourtant l'essentiel dans la perspective du premier tour, il n'est pratiquement pas question.
Une seule question semble digne d'intérêt pour le petit monde "politico-médiatico-parisien". Qui, de Chirac ou de Jospin, exercera pendant 5 ans le pouvoir ? Qui, de l'actuel Président ou du Premier ministre va pouvoir réaliser ses ambitions personnelles ? Comment va se terminer le long feuilleton commencé en 1997, puisque c'est dès cette époque que les deux hommes ont été présentés comme les protagonistes du second tour de l'élection présidentielle.
Mais une fois l'un ou l'autre élu à l'Elysée, quelle politique conduira-t-il ? La question n'est pas posée. Circulez. Il n'y a rien à voir !
Je n'exagère pas, vous le savez bien, et toutes les enquêtes d'opinion montrent qu'une majorité de Françaises et de Français jugent très sévèrement ce véritable simulacre de campagne électorale.
L'entrée en lice de Jacques Chirac n'a pas contribué à relever le niveau.
On le savait obsédé par une seule chose : s'accrocher au pouvoir ; en reprendre pour 5 ans. C'est confirmé. Quant au reste, il est apparu égal à lui-même : l'actuel locataire de l'Elysée est un homme de droite, un ultra conservateur. A quoi j'ajoute qu'il se moque des Françaises et des Français.
Plus encore, il les méprise quand il veut leur refaire le coup de la fracture sociale. D'ailleurs, vous l'avez sans doute remarqué, il rend un hommage appuyé à Alain Juppé, c'est-à-dire à celui qu'il avait chargé d'être le fossoyeur des espoirs qu'avaient suscité ses promesses de 1995.
Leur maître à penser, c'est le baron Seillière
Quant au discours selon lequel la France n'aurait pas de marge de manuvre, il est doublement inquiétant. D'abord, c'est un mensonge : notre pays dispose des moyens - j'y reviendrai - d'engager une grande politique économique et sociale, conforme aux attentes de notre peuple.
Ensuite, c'est une menace : si, par malheur, Chirac reste au pouvoir, et si la droite y revient, alors ils reprendront et aggraveront considérablement la détestable politique qu'ils ont conduit de 1995 à 1997.
D'autant plus que leur maître à penser, leur inspirateur, c'est désormais ce grand bourgeois hautain et ultra réactionnaire qu'est le baron Seillière, patron du Medef.
La droite ne veut pas apporter les réponses que vous attendez. Son programme est connu : privatisation des services publics ; compression des dépenses publiques utiles - pour l'école et la formation ; pour la santé ; allongement de la période d'activité ouvrant droit à la retraite ; mise en pièces du système de solidarité fondé sur la répartition pour laisser le champ libre aux fonds de pension ; démantèlement des acquis, des droits des salariés, pour pouvoir les jeter au gré des exigences de profit financier des actionnaires.
De la droite, je n'en veux pas. Vous non plus !
Mais il faut être clair : je ne suis pas là pour proposer la simple continuation de ce qui se fait depuis 1997.
Est-ce que, en disant cela, je néglige ce qui a été fait de positif. Non. Comment le ferais-je, alors que ce bilan doit tant aux efforts des députés et des ministres communistes ! Et il a fallu en déployer, des efforts, face aux réticences du Parti socialiste et du gouvernement ; aux reculades devant les marchés financiers.
Je suis bien obligé de constater - et vous le faites tout comme moi - que cinq ans après l'arrivée de la gauche, la France reste profondément minée par les inégalités, les discriminations, les injustices. Un récent rapport officiel vient même de montrer qu'elles se sont notablement amplifiées.
La France n'irait pas assez loin dans le démantèlement
Nous sommes bien obligés de constater, aussi, que vos attentes en matière de lutte contre le chômage et la précarité ; en faveur du relèvement des salaires, des minima sociaux, des retraites ; pour une solidarité plus active avec les plus démunis sont pour beaucoup déçues.
Il y a donc de très sérieuses limites à la politique suivie depuis 1997.
Et je ne vous le cache pas : je suis très préoccupé de voir comment se dessine le projet du candidat socialiste, Lionel Jospin.
J'entends ce que disent celles et ceux qui sont présentés comme les inspirateurs de ce projet.
J'entends Martine Aubry dire beaucoup de bien de nos services publics, pour ajouter aussitôt qu'il faut les faire évoluer dans le sens des exigences de l'actuelle construction européenne. C'est-à-dire, soyons clairs, les ouvrir largement aux capitaux privés.
J'entends Laurent Fabius justifier la véritable agression politique du Conseil constitutionnel contre la loi de modernisation sociale, et donc contre les salariés et la majorité à laquelle il appartient. En revanche, il ne dit pas un mot, il file doux quand les ministres de l'économie de l'Union européenne lui passent un savon à propos des retraites. Selon eux, la France ne va ni assez vite, ni assez loin dans le démantèlement de notre système fondé sur la répartition et la solidarité, pour laisser la place aux fonds de pension.
J'entends Dominique Strauss-Kahn avancer les recettes éculées de l'allègement des charges patronales, de la réduction de l'impôt sur la fortune, des privatisations, de l'introduction des fonds de pension tandis qu'en même temps, et parce qu'il y a les règles de fer du pacte de stabilité de Maastricht, il faudrait toujours contraindre la dépense publique, à vos frais bien entendu !
Je vous le dis, cher-e-s ami-e-s et camarades, cette politique-là n'a rien à voir avec une politique de gauche.
Et j'ajoute : je n'en suis pas ; je n'en serai jamais !
Les communistes ne sont pas en campagne pour que Lionel Jospin soit élu et mène ensuite une politique à la mode de Tony Blair en Angleterre. Ce même Tony Blair qui vient de lancer un nouvel axe Rome-Londres avec Silvio Berlusconi qui confond l'Italie et ses intérêts personnels.
Je leur conviendrais si je n'étais pas communiste
La presse dit que ces deux-là sont "unis pour promouvoir une Europe libérale". Eh bien, cet axe-là, je le dénonce de toutes mes forces et je refuse que la France en fasse partie !
Ce langage de vérité du candidat communiste dérange visiblement beaucoup de monde. En témoignent les articles publiés samedi dernier par Le Figaro et Le Monde et lundi par Le Parisien.
Vous ne croyez pas au hasard, moi non plus ! Le thème est le même : celui de ma défaite annoncée.
Des dirigeants socialistes m'y prodiguent leurs conseils "éclairés". En réalité, ils ne cachent pas que je leur conviendrais parfaitement si je renonçais à être communiste. Si je mettais une sourdine à mes critiques de la politique gouvernementale.
Oui, je leur conviendrais si je cessais de dénoncer les projets de Laurent Fabius et de Dominique Strauss-Kahn. Si je servais de simple rabatteur de voix pour Lionel Jospin et si j'abandonnais cette exigence qu'ils ne supportent pas qui me pousse à mettre ma candidature au service de celles et ceux qui veulent une autre, une vraie politique de gauche.
Oui, je leur conviendrais si j'acceptais de discuter avec eux aujourd'hui d'un contrat de gouvernement pour la prochaine législature avant même que nos concitoyens ne se soient exprimés, le 21 avril prochain, en faveur des choix politiques qu'ils souhaitent.
Je ne mange pas, je ne mangerai pas de ce pain. Ce que je ferai demain, après les élections, ce que feront les communistes dépendra de la force des exigences transformatrices qui se seront exprimées dans les urnes au premier sur de l'élection présidentielle. J'y consacre toute mon énergie.
Je dérange aussi beaucoup la droite parce que je ne me contente pas de dire que je la combats. Je le fais en mettant à nu le fond de son projet de société éclatée au service de la seule accumulation des capitaux.
Elle ne me fera pas taire pas plus que le Medef qui a bien compris que le candidat communiste ne lui ferait aucun cadeau dans sa campagne.
J'en veux pour preuve supplémentaire la lettre que vient de m'adresser la direction de Danone me menaçant d'un procès pour une affiche sur laquelle on me voit aux côtés des salariés de LU.
Le courage de dire non aux puissances de l'argent
Je reviens au premier tour de l'élection présidentielle. C'est à cela qu'il doit être utile : à un grand, un vrai débat cartes sur table sur la politique de gauche dont vous avez besoin, dont la France a besoin.
Et je veux le dire tout simplement, parce que c'est la réalité : je suis le seul dans cette campagne à porter l'exigence d'une politique solidement ancrée à gauche ; une autre politique à gauche, différente de celle menée ces cinq dernières années.
Je suis le seul à la porter alors qu'une large majorité d'électeurs de gauche de 1997 en exprime l'exigence dans les enquêtes d'opinion.
Lionel Jospin affiche une ambition : accompagner socialement la soumission aux marchés financiers. Dans ce cas son rôle et celui des autres responsables politiques se limitent à gérer les conséquences désastreuses de la toute puissance de l'argent-roi.
D'autres proposent aux Françaises et aux Français de se cantonner dans la protestation, ou de se rassembler dans un bric-à-brac politique où l'on trouve de tout : des hommes qui se revendiquent de l'extrême gauche, de la sociale démocratie, de la droite extrême et jusqu'à des monarchistes.
Tout cela n'a aucun avenir. Tout cela n'existe que pour servir de médiocres ambitions personnelles.
Tout cela tire à droite alors que c'est à gauche, véritablement à gauche qu'il faut être.
C'est là que je suis.
Et c'est de là que j'affirme, de toute la force de ma conviction, que pour mener une autre politique à gauche il faut avoir le courage de dire NON aux puissances d'argent !
On ne s'en sortira pas autrement !
On peut promettre monts et merveilles aux femmes, aux hommes, aux jeunes de notre pays, ça restera du baratin si l'on continue de se mettre au garde-à-vous devant le Medef et les actionnaires licencieurs !
Au garde à vous, comme ce fut le cas pour refuser le droit à une retraite bien méritée après 40 annuités de cotisations ou pour céder aux exigences des dirigeants des cliniques privées.
La France est malades des inégalités sociales
On nous dit : ce n'est pas possible de s'en prendre à la dictature de l'argent-roi sur la vie économique, sociale, culturelle.
Eh bien moi j'en ai assez de ces balivernes, de ce fatalisme, de ce renoncement.
Car enfin, tout le monde le sait, tout le monde le voit : des sommes colossales sont aujourd'hui gâchées dans la spéculation financière, dans les opérations boursières qui n'ont d'autre finalité que de faire de l'argent, et tant pis pour vous, tant pis pour la vie des femmes et des hommes, pour l'activité des entreprises, pour l'avenir de régions entières.
Je fais appel à votre expérience. Chaque mois vos salaires, vos indemnités de chômage ou vos retraites vous sont versés sur un compte bancaire ou à la poste.
C'est de milliers de milliards de francs qu'il s'agit. Et l'essentiel de ces sommes est investi, circule, se déplace, au gré des opportunités proposées par les marchés financiers. Vous le savez, au guichet de votre banque on ne vous parle que de ça. Ça fait du profit financier, mais ça ne crée pas un emploi, ni un euro de richesse nouvelle !
Si, par contre, ces sommes colossales étaient utilisées pour des prêts aux petites et moyennes entreprises afin de créer des emplois, développer des activités ; ou aux ménages pour accroître leur consommation : vous voyez bien à quel point ce pourrait être bénéfique pour vous, pour le pays.
Mais non ! C'est votre argent, et il est confisqué !
La France, je l'ai rappelé, est malade des inégalités sociales. Je propose une mesure concrète pour commencer à les faire reculer concrètement : un plan de rattrapage pour le SMIC et les minima sociaux.
Il faut les augmenter de 300 euros, soit environ 2 000 francs. De sorte qu'un salarié au Smic percevrait un peu plus de 7 000 francs net, et un bénéficiaire du RMI environ 5 000 francs.
Et qu'on ne vienne pas me dire que c'est irréaliste !
Je serai porteur des grandes urgences sociales
Pour le Smic, comme pour la généralisation des 35 heures, et afin que les petites et moyennes entreprises puissent en assurer la charge, il faut que par ailleurs l'Etat prenne l'initiative d'engager une réforme du crédit, avec des taux favorables pour toutes celles qui investissent et créent des emplois.
Et surtout, car c'est là que se trouve le problème essentiel, il faut une politique très active de lutte contre la précarité. C'est par le recours de plus en plus massif à ce moyen, que les patrons - ceux du Medef tout particulièrement - tirent les salaires vers le bas, et souvent en-dessous du Smic.
Faire ainsi est possible. C'est une question de volonté, d'audace politique.
Et ce n'est pas en bourse que ceux qui profiteraient de ces mesures mettraient leur argent, mais dans la consommation populaire. Ce serait donc bon pour les entreprises, bon pour l'emploi, bon pour la croissance !
Vous le voyez, cher-e-s ami-e-s et camarades, c'est de concret que je parle.
Ce sont les grandes urgences sociales qui vous préoccupent dont je veux être porteur. Dans la campagne électorale, bien sûr. Et aussi après, vous pouvez compter sur moi !
C'est cela, que j'appelle l'audace sociale, pour que la gauche soit véritablement à gauche, comme vous le souhaitez.
C'est pour cela que je me bats.
Ce n'est pas pour moi, ou pour les intérêts - ce serait alors étroitement partisan - du parti communiste.
Et du concret, toujours du concret, en matière de sécurité. C'est un droit, vous avez raison de le vouloir ; de l'exiger.
Car enfin : ce sont les salariés, les familles modestes, les jeunes qui subissent le plus durement et le plus régulièrement les effets et les angoisses de l'insécurité.
Je l'ai dit et je le répète : les questions de la sécurité, dans toutes leurs dimensions, doivent devenir une priorité nationale.
Et en ce qui concerne la sécurité des biens et des personnes, cela exige une politique ambitieuse avec des moyens réels consacrés à la prévention, à l'animation sociale, au développement de services publics de proximité, au logement, ainsi qu'à l'action de la justice et de la police. Le budget pour cela doit être doublé en cinq ans, sinon c'est du baratin ! Il faut faire de cette question une priorité nationale.
La jeunesse a droit à des lois bannissant les discriminations
L'audace sociale, c'est aussi de répondre de façon moderne aux besoins individuels et collectifs des usagers en matière de services publics.
Je ne plaide pas pour le statu-quo, mais pour la transformation en profondeur des services publics et leur démocratisation ; pour une meilleure définition de leurs missions de tous les jours, dans la société et le monde tels qu'ils sont aujourd'hui.
Et aussi pour l'élargissement de leurs missions : au respect de l'environnement ; à l'accès aux moyens de communication et aux technologies les plus modernes.
L'audace sociale, c'est aussi une véritable politique pour la jeunesse. Je le dis, je l'affirme : ce serait un drame si la France avait peur de sa jeunesse ! Si elle la montrait du doigt !
Il faut prévenir, et réprimer quand c'est nécessaire les délits. Mais il faut respecter notre jeunesse, et ce n'est pas le cas quand des millions de jeunes font leur entrée - ou plutôt ratent leur entrée - dans la vie adulte par la porte étroite de la précarité, des petits boulots, du mépris des formations acquises, de l'accès interdit aux loisirs et à la culture !
La jeunesse a droit à des lois qui garantissent son autonomie. La jeunesse, qui est la société de demain, a droit à des lois bannissant toutes les discriminations, toutes les inégalités, toutes les injustices !
Oui, cher-e-s ami-es, cher-e-s camarades : voilà pourquoi je me bats dans cette campagne. Voilà l'enjeu fondamental du premier tour.
Ce que je veux, de toutes mes forces, c'est que quel que soit le président élu, il ne puisse ignorer ces réalités qui vous préoccupent, qui vous inquiètent, et auxquelles vous voulez que l'on s'attaque vraiment.
Et si la droite est battue - comme je le souhaite - il faut que la gauche soit obligée de les prendre en compte et de faire des choix politiques neufs, et véritablement à gauche.
Le vote pour ma candidature aura cette signification. Il pourra avoir cette force, au service d'une autre politique à gauche.
C'est le premier tour qui est capital pour la suite
A vrai dire : il est le seul vote à avoir cette utilité.
Oui, le premier tour veut dire quelque chose, au-delà du bal dérisoire des ambitions personnelles.
De tout mon cur - vous l'avez senti - de toute ma force de conviction - et je voudrais la faire partager le plus largement possible - j'ai exposé devant vous les lignes de force de mes propositions. Nous pouvons y réfléchir, et en discuter ensemble.
Si le vote communiste pèse suffisamment lourd le 21 avril - c'est-à-dire, j'y insiste, au premier tour, qui est capital pour la suite - alors vous pourrez faire entendre votre voix, vos attentes, vos exigences.
Quant à moi, je vais mettre le meilleur de moi-même dans ce combat. Je suis disponible et déterminé. Et je le sens, vous l'êtes aussi !
Eh bien menons ensemble ce combat !
(Source http://www.roberthue2002.net, le 1e mars 2002)