Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT à RTL le 7 septembre 1999, sur la croissance économique, la réduction de la durée du travail, la réforme du régime des retraites et la représentativité syndicale dans l'entreprise dans le cadre de la mise en place des référendums pour les accords sur les 35 heures.

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Texte intégral

Olivier Mazerolle. Lionel Jospin s'est fixé pour objectif une société de plein emploi, est-ce un objectif réaliste ?
C'est en tout cas un objectif hautement souhaitable. C'est possible si l'on est d'accord sur ce qu'est le plein emploi. Le plein emploi n'est jamais le chômage zéro mais un niveau nettement plus bas que celui que l'on a. En tout cas il faut au moins atteindre 4 à 5%. La question est de savoir si les 4 à 5% qui restent sont provisoirement, temporairement au chômage, le temps de passer d'un job à l'autre, d'un métier à l'autre, c'est supportable. Si c'est un noyau dur de chômeurs de longue durée qui sont définitivement exclus de la société et du marché du travail, alors il faut s'en préoccuper déjà maintenant et pas dans dix ans.
560 000 emplois ont été créés en France durant les deux dernières années dans le privé et le ministère de l'Economie et des Finances dit que "c'est surtout à la croissance qui a créé ces emplois". Vous êtes d'accord avec ce diagnostic ?
Il y a plusieurs raisons. La croissance est revenue et a des effets plus positifs que par le passé sur l'emploi. Mais cela est dû à la nature de l'activité qui se développe, comme les nouvelles technologies, mais aussi beaucoup de temps partiel, beaucoup de contrats précaires. En volume, c'est beaucoup. En qualité, ces emplois ne font pas toujours plaisir à ceux qui les ont. On oublie aussi de dire que l'Euro, la stabilisation des taux de change, a été un facteur de dynamisation de l'économie. Mais n'oublions pas le reste : les politiques de l'emploi dynamiques, l'Arpe réalisé par l'Unedic (plus de 130 000 personnes embauchées), la réduction de la durée du travail, les emplois jeunes. Ce sont des éléments qui pèsent dans la création d'emplois.
Que répondez-vous à ceux qui redoutent que la seconde loi sur les 35 heures avec ses complications, ses tracasseries administratives et ses nouvelles taxes pourraient casser cette dynamique ?
Je ne crois absolument pas à ça. On sait maintenant la manière dont il faut se servir de la réduction de la durée du travail, l'usage qu'il convient d'en faire pour qu'elle remplisse ses promesses. Or, une réduction de la durée du travail qui remplit ses promesses sert tout autant l'activité de l'entreprise que les salariés à temps complet qui travaillent moins. Il fait qu'ils y trouvent leur compte. Et puis, je pense aussi aux gens qui sont à temps partiel, en précarité. Nous avons l'occasion avec ces négociations de faire reculer les abus.
La question du financement n'est tout de même pas réglée. Vous protestez parce que l'Unedic, l'assurance-chômage, pourrait être mise en partie à contribution. Personne ne veut payer, les patrons ne veulent pas payer, vous, vous ne voulez pas payer... Qui va payer ?
Vous permettez, l'Etat décide d'une baisse des charges pour les entreprises, c'est quand même de sa responsabilité de savoir comment il va le financer. L'Unedic n'est pas une annexe au budget de l'Etat.
Qui va payer alors les 35 heures ?
J'ai entendu dire qu'il y avait des excédents budgétaires. S'il manque 10 milliards pour boucler le financement de la baisse des charges, que l'Etat regarde les conditions de son financement. Sur le fond il y a un vrai problème mais sur la forme c'est exécrable. L'Etat ne mesure pas aujourd'hui les conséquences d'un acte de droit divin sur l'Unedic...
Est-ce que vous redoutez que le retour de l'emploi reporte à plus tard l'analyse et les prises de mesures concernant les retraites ?
Ce serait un mauvais choix mais je n'ai pas de raison de penser aujourd'hui que ce sera le cas. Au contraire, comme de nouvelles marges de manuvre économiques existent, c'est justement le moment. Que veut-on en matière de retraite ? On veut une bonne réforme pour qu'à partir de 2005 le système des retraites français par répartition ne vole pas en éclats.
Donc il faut alimenter le fonds de réserve ?
Plus vite on alimente le fonds de réserve, plus vite on amortit ce choc démographique. Plus vite on prévient, plus les salariés français auront la sécurité que leur retraite ne seront pas menacées. Voilà un objectif possible pour des recettes budgétaires plus importantes dès aujourd'hui. Il y a d'autres éléments à discuter. Notre congrès nous a mandatés là-dessus, nous avons la possibilité de discuter tous les ingrédients d'une réforme qui va du niveau des cotisations, qui va de la durée de cotisations, qui va de la réduction des inégalités entre régimes, tout cela il faut en causer tranquillement.
Autre chose qui vous met en colère : la perspective annoncée par Martine Aubry de procéder par référendum dans les entreprises pour les accords sur les 35 heures. Les syndicats représentent moins de 10% des salariés en France, alors pourquoi ne pourrait-on pas consulter directement les salariés ?
Parce que, voyez-vous, l'action syndicale, la représentation des salariés, c'est l'affaire des syndicats. Moins de 10% de syndiqués ne se traduit pas forcément en termes électoraux. Avez-vous dans ce pays une organisation politique qui a plus de 750 000 adhérents, ce qui est le cas de la CFDT ? Nous voulons faire notre travail, nous voulons décider des conditions, des moyens dans lesquels dans les entreprises, dans les branches, nous représentons les salariés du mieux possible en décidant nous-mêmes du moment où on les consulte, en portant leurs aspirations, leurs refus, leurs attentes. Je crains qu'en décidant d'un référendum d'entreprise, ce soit purement et simplement dans cinq ou dix ans le coup de grâce donné aux relations sociales professionnelles françaises qui sont déjà assez fragiles. Je n'imagine pas que ce gouvernement puisse se fixer cette perspective.
(source http://www.cfdt.fr, le 7 septembre 1999)