Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le rôle de la communauté française pour le développement des relations avec la Chine, Pékin le 22 janvier 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de M. Védrine en Chine du 22 au 24 janvier 1998 -réception des Français à Pékin le 22

Texte intégral

Mes chers compatriotes, Lorsque j'ai été nommé dans ces fonctions, en juin dernier, une de mes premières conversations, une fois installé dans ce bureau, a été avec mon ami Pierre Morel. Nous avons tout de suite réfléchi au moment où je pourrais effectuer ce voyage en Chine, pour poursuivre la politique ambitieuse qui est celle de notre pays, qui a été clairement fixée lors du voyage du président de la République en mai dernier, politique à propos de laquelle il y a une parfaite entente entre le président et le gouvernement.
En regardant le calendrier, compte tenu des obligations considérables déjà fixées avant même que je sois là, sur le plan européen, sur le plan international, des sommets de toutes sortes, il nous avait semblé que ce n'était pas possible de le faire avant janvier, mais qu'il fallait le faire dès janvier. Et pour d'autres raisons, cela correspondait bien aux possibilités de nos interlocuteurs ici.
C'est pour vous dire que, dès le début, j'ai eu tout à fait la conviction que, dans la politique que nous devons mener aujourd'hui pour défendre partout, sur tous les terrains, sur tous les continents, nos positions, notre influence, défendre nos idées, faire prévaloir nos conceptions, notre vision de la façon dont le monde doit s'organiser demain, la Chine doit occuper de toute façon une place essentielle.
C'est dans cet esprit que je viens ici. C'est un pays que je connais peu, puisque je n'y suis venu qu'une fois, en 1983, mais qui, de loin, m'a toujours passionné. A l'époque, j'avais organisé la visite du président de la République de l'époque, puisque j'étais son conseiller diplomatique, donc j'avais vu d'assez près un certain nombre d'aspects, mais je ne sais même pas si je peux me référer à ce passé, étant donné que quelques visites, quelques déplacements dans Pékin aujourd'hui démontrent de façon éclatante à quel point la transformation de ce pays est phénoménale, et naturellement ne fait que commencer.
Je suis tout à fait convaincu que nous devons occuper la place la plus grande possible en accompagnant ce pays considérable dans cette transition, dans ce mouvement, et c'est une des raisons pour lesquelles je ne concevais pas de passer ici, même très rapidement, et ce programme est en effet très serré, parce que les obligations sont multiples... Je ne concevais pas de passer ici sans avoir un contact, même bref, avec vous.
Je reprends l'expression de l'ambassadeur, qui est excellente, vous êtes une communauté française aux avant postes, ici. Je crois que vous êtes à peu près 3000 dans ce pays. Je sais que c'est une communauté jeune, même s'il y a parmi vous des Français de Chine, de longue date, et quelques vieux Pékinois, naturellement. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui sont là pour quelques années et qui sont à la pointe de nos offensives, de nos tentatives, de nos propositions en matière industrielle, en matière bancaire, en matière hôtelière, en matière culturelle, sur tous les plans. C'est extrêmement important. Dans cette politique d'influence que nous devons avoir partout, - puisque ce monde global se traduit par une concurrence de plus en plus forte, sur tous les plans -, il faut bien à un moment donné que cette défense de nos positions, de nos idées, de notre façon d'être, de la façon dont nous concevons ce monde multipolaire qui est un beau sujet d'allocution, mais qui ne doit pas être que cela, il faut que ce soit incarné par des gens, c'est-à-dire des Françaises et des Français qui sont dans ces pays, qui doivent surmonter des difficultés inhérentes à l'expatriation - selon le terme que nous employons nous, qui montre bien que dans la tradition française, c'est une souffrance. Beaucoup d'autres pays n'emploient pas ce mot, pour leurs ressortissants de l'étranger. Il faut surmonter les difficultés de ce type de transfert, de déménagement, liés à la vie familiale, liés à l'enseignement - à cet égard, je sais à quel point il est important que l'on ait pu ajouter une nouvelle aile au lycée français, en attendant l'installation future de toutes nos implantations dans ce nouveau terrain que nous avons regardé ensemble. Cela forme un tout, et croyez bien que, depuis Paris, depuis le ministère des Affaires étrangères, depuis le Quai d'Orsay, mes collaborateurs, les grands directeurs du Quai d'Orsay et moi-même, nous sommes habités par la conviction qu'il faut rassembler les éléments, les moyens, les installations qui permettent à des gens comme vous, à des communautés comme vous, d'être si présentes et si dynamiques, et d'être là pour porter nos intérêts. Cela, je pourrais le dire dans un certain nombre d'endroits, je l'ai dit d'ailleurs à d'autres communautés françaises puisque j'essaie de les rencontrer systématiquement. Je crois que c'est encore plus important à propos de ce pays car ici, le monde de demain s'organise sous nos yeux. Nous sommes sortis du monde bipolaire en 1989-1991 à peu près. Nous sommes dans un monde global, dans lequel les concurrences, les regroupements, les affrontements, les coopérations ne sont pas encore clairs, tous ces phénomènes se développent en même temps.
Le monde multipolaire peut être un monde d'équilibre, de coopération. Ce peut être un monde de difficultés, également. Quand on pense au monde multipolaire, l'on pense aux cinq, six ou sept principales entités du monde actuel, mais il y a aussi les 185 pays qui composent ce monde et qui, eux aussi, coopèrent, s'affrontent, ou s'organisent dans quelque chose qui est encore extrêmement mobile. C'est pour cela que nous devons avoir, plus que jamais, une stratégie de mouvement, une diplomatie de mouvement, anticiper, réagir très vite, et se placer sur tous les terrains à la fois. Naturellement le terrain diplomatique, le terrain politique, et toutes les formes de l'action, de la présence et de l'influence. C'est pour cela que des gens comme vous, qui êtes là, dans cette action - la jeunesse de cette communauté en est une preuve, en plus - vous êtes dans une sorte de compétition, je ne vais pas dire bataille, cela durcirait le propos, mais c'est vraiment d'une importance considérable. Je veux vous dire mon admiration et mon estime, parce que ce n'est pas forcément la carrière la plus facile.
D'un autre côté, je suis convaincu que vous vivez ici des moments extrêmement intéressants. Intéressants, difficiles, excitants tout à la fois. Jamais plus vous ne verrez les problèmes de vos métiers, de vos professions respectives de la même façon après être passés dans ce pays. Un pays si puissant, si fort, qui a eu une si grande capacité, à travers toutes les époques de son histoire, à imposer sa marque à tout ce qui l'a approché. En même temps, ce pays est dans une phase tout à fait nouvelle, puisque l'on doit se poser maintenant, vraiment, peut-être pour la toute première fois, la question de son insertion dans un ensemble mondial. Je dirais "communauté mondiale", comme on dit "communauté internationale", mais le mot "communauté" est encore un tout petit peu optimiste...Il y a un ensemble international, dans lequel ce pays va entrer, veut entrer. En y ayant toute sa place, ce qui imposera et au reste du monde, et à lui, une série de mutations qui commencent à s'accomplir sous nos yeux. Il faut absolument que nous soyons dans cette partie.
Demain, j'aurai des entretiens avec le Président de la République, avec un vice-Premier ministre chargé des relations économiques extérieures, avec le ministre des Affaires étrangères, très longuement. Nous parlerons naturellement de toutes les questions bilatérales et, d'une façon ou d'une autre, de toutes les questions qui vous tiennent à coeur, celles pour lesquelles vous êtes là, le contexte dans lequel vous vivez ici et travaillez ici, seront abordées. Et naturellement, nous parlerons de toute une série d'autres questions régionales ou internationales puisqu'entre pays membres du Conseil de sécurité, il n'y a pas de sujet qui serait à exclure de nos entretiens. Nous parlerons de l'appréciation que portent les dirigeants chinois sur la crise financière en Asie, son explication, son développement, ses perspectives, ses conséquences, la façon dont il faut s'apprêter à y faire face. C'est une question importante sur laquelle on se penche à Paris et dans les autres capitales occidentales. L'on ne peut raisonner complètement sur ce sujet si l'on n'a pas de première main un avis autorisé, celui des principaux responsables de ce grand pays.
De toutes les communautés françaises qui sont aujourd'hui sur ces multiples avant-postes, dont parlait Pierre Morel il y a un instant, je pense que vous êtes dans une position toute particulière, que naturellement vous avez à attendre du Président, du gouvernement, qu'ils créent sans arrêt le contexte le plus favorable pour vous ; mais nous attendons beaucoup de vous ici. Ce que vous faites est extrêmement important. On le verra bien dans les années qui viennent. A travers vous, à travers ceux qui viendront après vous, qui se relaieront. Vous êtes en train de contribuer, avec nous, à déterminer la place que nous aurons dans ce pays. Et à travers cela, par des jeux d'influence, qui se regroupent, qui s'organisent, dans cette bataille que nous donnons sur tous les plans, que ce soit dans les grands pays, que ce soit au Conseil de sécurité, que ce soit au sein de l'OMC, que ce soit au sein de l'Europe, qui se transforme et doit selon nous se densifier, se renforcer et résister à chaque étape aux tentations de la dilution. Quant à l'Europe, qui va voir le lancement de l'euro, qui est un des autres grands changements de la géopolitique moderne, dont nous pourrons tirer un immense parti, si tous les dirigeants politiques de l'Europe, et tous les dirigeants principalement concernés, c'est-à-dire ceux des pays de l'euro le veulent aussi. Une grande partie se joue ici, en Chine, et une autre grande partie se joue en Europe.
En Europe, nous sommes un peu chez nous et avec nos amis européens, nous sommes un élément de la condition de cet exercice en commun de la souveraineté, qui va de plus en plus être la vie des pays européens. Il y a cet autre pôle majeur qui est l'Asie. Voilà deux des grands pôles du monde de demain. Nous sommes ici pour que, entre ces deux pôles-là, ce soit la coopération qui l'emporte, le dialogue, la compréhension et une coopération de plus en plus fructueuse. Votre rôle dans cette affaire est déterminant, et je vous remercie encore d'être là./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2001)