Interviews de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération, dans "Ouest France" (intitulée "Gagner la paix à Brazzaville") et à LCI le 17 octobre 1997, sur les récentes crises politiques africaines et la situation au Congo.

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Circonstance : Prise de contrôle du Congo par les forces de l'ancien Président Sassou Nguesso, aidées de soldats angolais, à partir du 16 octobre 1997

Média : La Chaîne Info - Ouest France - Télévision

Texte intégral

ENTRETIEN DU SECRETAIRE D'ETAT A LA COOPERATION,
M. CHARLES JOSSELIN, AVEC "LCI"
(Paris, 17 octobre 1997)
Q - Charles Josselin, abordons d'abord des éléments factuels. Est-ce que l'ambassadeur de France au Congo-Brazzaville a pris contact ce soir avec Denis Sassou N'Guesso ?
R - Un contact a eu lieu. M. Sassou N'Guesso, à ma connaissance, n'était pas encore à Brazzaville mais se préparait seulement à y venir. Toutefois, un contact a eu lieu. Et des contacts ont lieu en ce moment entre notre ambassadeur et les représentants de M. Sassou N'Guesso.
Q - Est-ce que la reconnaissance de sa victoire équivaut à une reconnaissance officielle de son statut futur de nouveau chef d'Etat ?
R - Je crois que la vraie question est celle-ci : Sassou N'Guesso a gagné la guerre, comment compte-t-il s'y prendre pour gagner la paix ? Et c'est la question que nous lui posons. Puisque l'occasion nous en est offerte, nous aurions aimé la lui poser ce soir, mais peut-être puisque vous avez des relations privilégiées, au moins téléphoniques, avec lui, pourrez-vous les lui poser ?
Q - En l'occurrence, c'était un document de Radio France Internationale. Nous souhaiterions bien entendu être en ligne avec Denis Sassou N'Guesso. Est-ce que pour vous il s'agit d'un interlocuteur de qualité ou est-ce que vous êtes vraiment dans le flou encore sur ses intentions ?
R - Nous le connaissons, en tout cas, les responsables français le connaissent puisqu'il a occupé des responsabilités au Congo, il n'y a pas si longtemps. Nous nous préoccupons, bien sûr de la sécurité de nos ressortissants, qui pour l'instant ne semble pas menacée. D'après nos dernières informations, là encore, il semble que la situation aussi bien à Brazzaville qu'à Pointe-Noire soit calme, même si on n'a pas évité ici ou là un certain nombre de pillages. Mais il semble que les troupes de Sassou N'Guesso s'efforcent de les éviter, en tout cas de contrôler leurs effectifs. Au-delà de ces questions d'actualité, je le répète, la vraie question est de savoir si on peut enfin sortir le Congo de cette rivalité terrible qui a fait plusieurs milliers de morts. Puisque le discours africain utilise souvent l'expression "gouvernement d'union nationale", est-ce que Sassou N'Guesso envisage en effet de se donner les moyens d'arriver à une telle union pour mettre en place la démocratie que nous attendons. Quand ? Comment ? C'est toutes ces questions qu'il est important de lui poser.
Q - Est-ce que la diplomatie francaise est habitée, ce soir, par un sentiment de dépit parce que les tentatives de la communauté internationale, de la France aussi, pour, par exemple établir une force de médiation, ont échoué ?
R - La France avait fait le choix de ne pas s'ingérer mais elle avait aussi dès le début de ce conflit souhaité qu'il y ait une intervention internationale sous l'égide du Conseil de sécurité.
Q - Cela n'a pas marché.
R - Cela n'a pas marché. Nous n'avons pas réussi à convaincre nos partenaires au Conseil de sécurité de mettre en place cette force d'interposition multinationale africaine alors que les Africains eux-mêmes, plusieurs d'entre eux, y étaient déjà disposés. C'est le cas du Sénégal qui était prêt d'ailleurs à conduire l'opération. Mais il faut regretter en effet qu'il n'y ait pas eu de consensus au niveau du Conseil de sécurité pour mettre en place plus tôt, beaucoup plus tôt, cette force d'interposition qui aurait permis probablement d'éviter ces morts que je déplorais à l'instant.
Q - Est-ce que ce n'est pas un signe d'impuissance, pas seulement de la France, mais de la communauté internationale également ?
R - Je pense qu'il faut tirer la leçon de cette réalité, regretter aussi que finalement la force continue à payer. C'est le grand regret que nous pouvons avoir : déplorer cet enchaînement qui a conduit finalement à une ingérence étrangère.
Q - Vous parlez de l'Angola ?
R - Oui, je pense à l'Angola qui, nous le savions, avait des relations personnelles, très étroites avec le président Sassou N'Guesso. Il y a une complicité entre le président Dos Santos et Sassou N'Guesso. Mais je pense qu'il faut que la communauté internationale tire la leçon de ces événements et voit comment elle pourrait intervenir plus vite, plus efficacement pour éviter ce genre de situation.
Q - En 1990, dans le discours de La Baule, François Mitterrand parlait de démocratie en Afrique. On vient de voir, coup sur coup, trois pays africains où la force l'a emporté dans les changements de régime. Est-ce qu'il y a un retour en arrière ? Est-ce qu'on est très loin des objectifs souhaités ?
R - Je veux croire que c'est seulement une mauvaise passe pour la démocratie en Afrique et que la marche en avant va reprendre. Mais il est vrai que le multipartisme, par exemple lorsqu'il croise les réalités tribales ou ethniques, est un peu difficile à mettre en oeuvre.
Q - Et de quels moyens dispose la communauté internationale, et peut-être la France, pour remettre ce processus en ordre de marche ?
R - Je pense qu'il y a les sanctions lorsque cela ne marche pas. Mais les embargos eux-mêmes montrent leurs limites, qu'il s'agisse des embargos sur les armes, si nombreuses et si libres d'accès en Afrique.
Q - Là, en l'occurrence il n'est pas du tout question de sanctions contre Denis Sassou N'Guesso ?
R - La question a été soulevée hier en Conseil de sécurité. Pour l'instant, aucune décision n'a été prise.
Q - Je voudrais vous lire ce qu'écrit Stephen Smith dans Libération de ce matin. Il dit : "l'Occident n'a plus d'autre intérêt qu'économique et de ce fait plus d'autre politique qu'humanitaire en Afrique, une fois dissipée de toute façon la fumée des canons, seules les compagnies occidentales à disposer de l'expertise et des capitaux nécessaires exploiteront les matières premières", en l'occurrence Elf pour le Congo.
R - Je crois que Stephen Smith va trop loin là dans son pessimisme. J'étais hier à Dakar pour une rencontre importante de l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique. Deux présidents, deux chefs d'Etat, et pas des moindres, Abou Diouf et Musseveni étaient là. Je peux vous dire, pour avoir rencontré l'un et l'autre, qu'ils ne sont pas forcément satisfaits, ni l'un, ni l'autre, du cours des événements au Congo et souhaitent que le processus démocratique reprenne, même si en Angola, en Ouganda aussi, on sait bien que ce processus démocratique fait l'objet d'une sorte d'adaptation locale, qui n'est pas complètement satisfaisante. Mais je crois que le processus est en marche.
Q - C'est vrai mais on a l'impression que depuis que la Guerre froide est terminée il n'y a plus d'enjeux stratégiques et qu'au Congo, j'ai l'impression que c'était un peu le cas. Quel que soit l'homme qui sort gagnant de la guerre civile, la France est assurée de continuer à exploiter les ressources pétrolières qui sont finalement un peu l'unique enjeu pour la France de sa présence au Congo.
R - Pas seulement la France. Si la France est très présente là-bas, je rappelle tout de même qu'il y a d'autres grandes compagnies pétrolières qui sont également partenaires et opérateurs sur ces gisements du Golfe de Guinée. Mais il est vrai aussi que si on peut continuer à exploiter, c'est que les belligérants, quels qu'ils soient, n'ont pas envie de tuer en quelque sorte "la poule aux oeufs d'or" et vous aurez observé que dans cette triste affaire congolaise, les installations pétrolières n'ont pratiquement à aucun moment été menacées.
Q - En conclusion, Charles Josselin, attentisme de la France pour l'instant ? Vous attendez que Denis Sassou N'Guesso affiche ses intentions ?
R - J'attends aussi que les Africains prennent un peu en charge la paix et la sécurité en Afrique. Je crois qu'ils s'y préparent et vous conviendrez avec moi que la bonne solution ne serait pas que l'Occident en quelque sorte fasse la police en Afrique mais que ce soit les Africains eux-mêmes qui se donnent les moyens de leur sécurité et de leur organisation démocratique.Je crois que les choses avancent aussi dans cette direction. Je crois qu'il faut cesser d'être pessimiste, quant à l'avenir du continent africain en tous cas. Responsable des relations avec l'Afrique, mais pas seulement, je m'inscris sur une démarche résolument volontaire et optimiste, quant à l'évolution malgré tout des choses. Je connais de nouveaux responsables africains qui, eux, sont conscients de leurs responsabilités./.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp, le 22 juillet 2002)