Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 27 mai, 6 11 et 17 juin 2002 sur l'absence d'intérêt des électeurs pour le 1er tour des élections législatives, la poursuite des annonces de plans sociaux dans les entreprises et sur le bilan des deux tours des législatives.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral


Lutte ouvrière (27/05/2002)
VOTEZ POUR LE CAMP DES TRAVAILLEURS
Les commentateurs se plaignent de ce que la campagne pour les élections législatives, qui décideront de la couleur politique de la future Assemblée nationale, ne semble pas passionner les foules. Mais comment s'étonner de cela ? Avant le premier tour de l'élection présidentielle, il était déjà bien difficile de voir une différence entre la politique qu'avait menée Juppé de 1995 à 1997, et celle qu'avait appliquée Jospin de 1997 à 2002 et qui était dans la continuité de la précédente. Ce n'est pas l'appel du Parti socialiste et du Parti communiste à voter Chirac au deuxième tour de la présidentielle, en le présentant comme l'unique rempart possible contre le Front National, qui pouvait démontrer le contraire.
Que la population laborieuse ne se passionne pas pour savoir si le futur occupant de Matignon sera de droite (comme c'est le plus probable, après l'acte d'allégeance de la gauche à Chirac), ou s'il sera malgré tout issu du Parti socialiste, n'est donc pas surprenant.
Les travailleurs n'ont rien à attendre de la future majorité gouvernementale, ni pour lutter contre le chômage ou la précarité de l'emploi, ni pour s'opposer aux nouveaux plans de licenciements qu'on nous annonce régulièrement sous le nom hypocrite de "plans sociaux", ni pour revaloriser les bas salaires, les pensions et retraites des plus démunis et les minima sociaux, ni pour améliorer les services publics.
Quelle que soit la couleur du futur gouvernement, il permettra aux plus riches de s'enrichir encore un peu plus aux dépens des plus pauvres, il fera passer les intérêts des gros actionnaires avant ceux des salariés, comme cela s'est fait au cours des années précédentes. Quelle que soit la couleur du futur gouvernement, il accordera des exonérations de charges sociales au patronat, sous le prétexte fallacieux (et vingt fois démenti par les faits) d'aider à la création d'emplois. Il diminuera les impôts sur les revenus, ce qui intéresse surtout les plus riches, sans toucher à la TVA, cet impôt inique qui taxe les plus pauvres de 20% de leurs revenus. Quelle que soit la couleur du futur gouvernement, il continuera à sacrifier les services publics : l'école, les hôpitaux, les transports en commun, la Poste, le logement social, parce qu'on ne peut pas à la fois multiplier les cadeaux aux entreprises privées, et faire fonctionner correctement les services publics indispensables à la population. Il continuera à les privatiser, à brader ce qui est censé appartenir à la collectivité, pour offrir aux capitaux privés des placements rentables et sans risques.
La seule chose d'utile que nous puissions faire dans ces élections, ce n'est pas de participer au choix de celui qui à Matignon prendra les futures mesures dirigées contre la classe ouvrière. C'est au contraire de dire que nous ne sommes pas dupes, que nous exigeons une autre politique : l'interdiction des licenciements collectifs, la suppression du secret bancaire, du secret industriel et commercial, l'ouverture de la comptabilité des grandes entreprises aux travailleurs et aux consommateurs, afin que le patronat ne puisse plus décider de la vie de milliers de gens, de l'avenir d'une ville ou d'une région, sans avoir de comptes à rendre à la population.
C'est pour défendre ce programme que Lutte ouvrière présente des candidates ou des candidats dans toutes les circonscriptions. Ils ne se présentent pas dans l'espoir de faire une carrière politique. Ce sont des travailleurs, fidèles à leur classe, à leur camp. Voter pour eux, ce sera affirmer que la classe ouvrière doit se préparer à se défendre face aux attaques incessantes qu'elle subit de la part du patronat et des gouvernements à son service. Ce sera dire aussi qu'elle veut un nouveau parti, qui défende ses intérêts politiques et sociaux, comme le firent en leur temps le Parti socialiste et le Parti communiste, avant de devenir des partis de gouvernement au service de la bourgeoisie. Voter pour eux, ce sera le vote le plus utile que des travailleurs puissent faire dans ces élections.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 31 mai 2002)
Lutte ouvrière (03/06/2002)
ON NOUS PROMET LE PIRE, DONNONS-NOUS LES MOYENS DE NOUS DEFENDRE
Il n'y a pas de trêve électorale pour le patronat et les annonces de "plans sociaux". 1142 suppressions d'emplois chez Philips au Mans, 750 chez Mitsubishi à Rennes, 1300 chez Alcatel à Brest et Quimper, 500 chez Hewlett-Packard dans l'Isère. La disparition de centaines d'emplois est programmée dans la chaussure à Cholet, dans les pêcheries de Fécamp, dans la région de Soissons déjà sinistrée après la fermeture il y a quelques mois de Wolber-Michelin. Et le gouvernement Raffarin, si prompt à baisser les impôts des plus riches, n'a pas envisagé la moindre mesure pour s'opposer à ces licenciements de milliers de travailleurs, ruinant leurs villes et leurs régions.
Le programme de Raffarin est dans la continuité de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans et plus. D'un côté il dit : "enrichissez-vous" au patronat. De l'autre il dit aux chômeurs : "si le patronat s'enrichit et paie moins d'impôt, il pourra créer des emplois". De là une série de mesures dignes de Laurent Fabius, baisse des impôts sur les revenus, diminution des charges sociales patronales (c'est-à-dire réduction des ressources de la Sécurité sociale et des retraites).
Ce n'est pas, à vrai dire, une politique différente de celle du gouvernement Jospin. Celui-ci s'était déclaré impuissant lors de la fermeture de Renault-Vilvoorde, comme lors d'un plan social chez Michelin, venant d'annoncer des bénéfices en énorme progression. Jospin aussi avait multiplié les cadeaux au patronat, en affirmant que c'était la meilleure manière d'amener les patrons à créer des emplois. De gauche ou de droite, nos gouvernants sont au service du grand patronat pour lui permettre de faire le plus de profits possible sur le dos des travailleurs, pour lesquels rien ne change.
Les véritables dirigeants ne sont d'ailleurs pas les hommes politiques qui siègent au gouvernement. Ce sont les industriels et les banquiers, qui décident du sort de dizaines de milliers de travailleurs condamnés au chômage, voire à la misère. Ces gens-là se préoccupent uniquement de leur portefeuille. Quant aux hommes politiques à leur service, en plus de distribuer des cadeaux au patronat sur le budget de l'Etat ou des services publics, leur rôle est d'essayer de nous convaincre que ce système est le meilleur possible.
Le fait que le Parti Socialiste comme le Parti Communiste se soient couchés devant Chirac après le premier tour des présidentielles, et l'aient fait plébisciter, met évidemment celui-ci en meilleure situation pour appliquer une politique ouvertement favorable au grand patronat. Mais ce n'est qu'un avantage qui ne comptera vraiment que si la population laborieuse est dupe des discours de ceux qui gouverneront après le 16 juin.
Alors jusqu'à quand allons-nous accepter le petit jeu qu'ils nous proposent : cinq ans de droite puis, une fois écoeurés, cinq ans de gauche, laquelle ne vaut pas mieux ! La seule perspective étant de recommencer la partie de la même façon. Quand on en a assez des uns, on ne peut que prendre les autres, et vice versa.
Eh bien, nous devrons bien changer les règles de cette escroquerie, de ce choix truqué.
Le 9 juin, aidez-nous à reconstruire un parti pour faire ce que le Parti Communiste ne fait plus. Et en particulier, un parti qui lutte pour interdire les licenciements collectifs, pour que les travailleurs, les consommateurs, la population puissent contrôler la comptabilité des grandes entreprises, pour abolir le secret bancaire et le secret commercial afin que tout le monde puisse se rendre compte comment on prend dans la poche des plus pauvres pour distribuer aux riches.
Le 9 juin, chacun d'entre vous pourra, dans sa circonscription, voter pour une candidate ou un candidat de Lutte Ouvrière.
Alors, le 9 juin, votez Lutte Ouvrière.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 6 juin 2002)

Lutte ouvrière (11/06/2002)
L'IMPASSE DES URNES
La droite sort donc largement victorieuse de ce premier tour des élections législatives marquées par une abstention plus importante que jamais dans ce type d'élection. La droite parlementaire a très fortement progressé par rapport au premier tour de l'élection présidentielle comme au premier tour des élections législatives de 1997. Elle a bénéficié du recul de la gauche mais aussi de celui du Front national.
Une partie des électeurs du Front national a manifestement choisi de voter dès le premier tour pour les candidats de la droite afin de leur assurer une majorité. Mais cela ne signifie pas que l'électorat d'extrême droite s'est affaibli. Il continuera à peser sur le gouvernement et sur sa politique. Et les premiers gestes du gouvernement Raffarin montrent qu'il n'y a pas besoin de Le Pen pour mener une politique lepéniste.
Le parti chiraquien, l'UMP, aura sans doute à lui seul la majorité à l'Assemblée. La représentation parlementaire de la gauche sera laminée.
Il faut dire que la gauche a tout fait pour que ça soit le cas. La politique qui a été la sienne pendant les cinq ans qu'elle a passés au gouvernement était tellement ouvertement opposée aux intérêts des classes populaires que les deux principaux candidats de la gauche gouvernementale à l'élection présidentielle, Lionel Jospin et Robert Hue, ont perdu quatre millions de leurs électeurs par rapport à 1995. A son bilan gouvernemental désastreux, la gauche a ajouté la honte de faire plébisciter Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle. Il n'est pas étonnant qu'une bonne partie de l'électorat populaire, trompé et déçu, ait choisi de s'abstenir à ces élections législatives. Comme à l'élection présidentielle, c'est le Parti communiste qui paie le plus cher à cause de son alignement sur le Parti socialiste qui sauve sa mise au détriment du P.C.
La poussée à droite a encore été amplifiée par le mode de scrutin majoritaire -que la gauche n'a pas modifié-, fait pour favoriser les partis les plus forts.
Les candidats de Lutte ouvrière n'ont pas eu les résultats que nous espérions. Lutte ouvrière a subi les contre-coups de la poussée à droite, comme des réactions de "vote utile" en faveur du Parti socialiste.
La droite, assurée de sa victoire, ne cache pas qu'elle mènera une politique anti-ouvrière ouverte. Elle favorisera les plus riches. Elle cherchera à maintenir les bas salaires, à augmenter les cotisations sociales des salariés, à s'en prendre aux retraites. Et ce n'est pas un gouvernement de droite qui va s'opposer à la toute puissance patronale et, en particulier, aux licenciements collectifs. Mais si la gauche avait été élue, elle aurait fait pareil car, pendant les cinq ans qu'elle a passés au gouvernement, elle a fait pareil.
Les classes populaires n'avaient de toute façon rien à gagner dans ces élections faites pour que les électeurs aient l'illusion d'un changement malgré la permanence de la politique menée.
Gauche-droite, droite-gauche, on nous fait marcher au pas électoral qui n'offre pas d'autre choix que l'alternance des deux grands partis hégémoniques, dont l'un est ouvertement anti-ouvrier alors que l'autre l'est tout autant mais hypocritement.
Ce n'est jamais dans les urnes que les travailleurs ont réussi dans le passé à arrêter les coups qui leur sont portés par le grand patronat et le gouvernement. Mais ce que les urnes ne peuvent pas donner, la lutte peut l'imposer. Il faut se souvenir que la dernière grande lutte victorieuse dans ce pays a été menée contre un gouvernement de droite, celui de Juppé.
Ce qui est décisif pour le monde du travail, c'est le rapport de force entre le grand patronat et les travailleurs. Ce rapport de force ne se mesure pas par les représentations parlementaires respectives de la gauche et de la droite.
Alors, après les multiples tours électoraux qu'on nous a joués, ce qui comptera, c'est le troisième tour social. Et que les hommes de droite, qui se préparent à monopoliser tous les pouvoirs institutionnels, se méfient : comme en 1995, ce sera peutêtre leur propre arrogance qui déclenchera cette explosion sociale qui les fera reculer, eux et le grand patronat.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 14 juin 2002)
Lutte ouvrière (17 juin 2002)
LA DROITE N'AURA PAS FORCEMENT LES MAINS LIBRES
Ainsi, Chirac et son parti se félicitent d'avoir les mains libres pour gouverner sans contestation pendant cinq ans.
Mais pourquoi donc l'électorat populaire se serait-il mobilisé pour sauver les responsables du gouvernement Jospin ? Pourquoi se serait-il mobilisé pour sauver, contre leurs concurrents chiraquiens, la place des députés du PS et du PC qui expliquaient un mois plus tôt que, pour sauver la République, il fallait plébisciter Chirac par plus de 80 % de l'électorat ?
L'élection triomphale de Chirac, grâce aux voix de la gauche, a naturellement remobilisé la droite qui se pavane aujourd'hui.
Les travailleurs n'ont cependant pas à être démoralisés par ce résultat même si, avec la droite, ce sont des adversaires ouverts qui sont au pouvoir. Des adversaires qui tenteront de s'en prendre aux retraites et, non seulement ne s'opposeront pas aux licenciements, mais accorderont des dégrèvements d'impôts supplémentaires au patronat, avec l'habituelle explication que c'est pour créer des emplois.
Mais disons-nous bien que la gauche en aurait fait autant même si, maintenant que les dirigeants de la gauche sont rejetés dans l'opposition, ils essaient de se faire passer pour des défenseurs incompris du monde du travail. Les travailleurs n'ont rien perdu dans ces élections parce qu'ils ne pouvaient rien y gagner.
Mais si la droite croit qu'elle a les mains libres de faire ce qu'elle veut pendant 5 ans, c'est peut-être une erreur. La classe ouvrière peut ne pas respecter le jeu électoral et parlementaire. Dans un passé pas si ancien, des luttes de la classe ouvrière ont fait reculer des gouvernements de droite (et de gauche aussi).
Oui, la classe ouvrière, les travailleurs en général, peuvent s'opposer à toutes les attaques prévues contre notre système de retraites et, bien entendu, contre leur montant. Ils peuvent s'opposer à ces impôts sélectifs qui frappent les plus pauvres au profit des plus riches et qui amputent les rentrées de l'Etat, ce qui diminue la qualité de tous les services publics, des hôpitaux aux transports en commun et à l'éducation, comme aussi la construction de logements populaires pour éviter la dégradation de ceux qui existent et la ghettoïsation de leurs habitants.
Oui, il est possible de s'opposer à tout cela par la lutte. Voyez comme les médecins ont obtenu satisfaction. Ce n'est pas simplement en discutant, c'est en discutant sur la base d'un rapport de forces.
Ce rapport de forces, il faut le créer en faveur des travailleurs. Il faut remobiliser peu à peu le monde du travail au travers de luttes de plus en plus larges et de plus en plus unitaires, toutes corporations confondues. Alors, le gouvernement n'aurait plus les mains aussi libres qu'il le croit.
Le Parti socialiste va sans doute gauchir son discours maintenant qu'il n'est plus au gouvernement mais, comme il se sent responsable vis-à-vis des classes possédantes, il ne le fera que modérément.
Le PC le radicalisera un peu plus car, de toute façon, il sait qu'il n'aurait à appliquer ces mesures que dans cinq ans. Alors, il pourra toujours nous dire, comme l'a dit Robert Hue : "moi je voulais, mais c'est Jospin qui ne voulait pas".
Aujourd'hui, il ne s'agit plus de promesses, il s'agit de créer les conditions nécessaires d'une lutte d'ensemble. Malgré ses échecs électoraux, le Parti communiste est le seul parti ayant la force et le poids pour faire pression sur les syndicats pour commencer cette mobilisation. La force de rendre peu à peu confiance aux travailleurs en leur propre politique. La force de commencer si besoin par des journées d'action, des manifestations, mais en annonçant à chaque fois l'action suivante afin que chacun sache que ce n'est pas une journée sans lendemain mais le début d'une lutte plus importante. C'est comme cela que les médecins ont agi.
Ou bien les militants du Parti communiste arriveront à convaincre leurs dirigeants de mener une telle politique, ou bien le Parti communiste ira vers sa disparition, voire sa dissolution dans le Parti socialiste, ce qui revient au même.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 20 juin 2002)