Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à "LCI" le 31 mai 2002, sur les enjeux des élections législatives et les risques d'une nouvelle cohabitation, la fiscalité et la décentralisation.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Est-ce que le Gouvernement fera des pauses Coupe du monde ?
- "Je ne crois pas, non. L'action gouvernementale est très prégnante et on a besoin d'agir."
Aujourd'hui, vous ne regarderez pas le match ?
- "Non, je ne regarderai pas le match. Je n'ai pas le temps."
Et vous le ferez projeter, vous l'enregistrez, non ? Vous faites l'impasse ?
- "Je fais l'impasse, mais je regarderai quelques images d'actualité."
Regardez LCI, comme cela vous verrez...
- "Voilà !"
On va parler de la campagne électorale, puisqu'apparemment, c'est ça qui vous prend beaucoup de temps...
- "Non, non, c'est l'action gouvernementale qui nous prend beaucoup de temps."
On va y venir. J. Chirac s'est engagé personnellement. Hier, il a dit : "Je veux une majorité cohérente", au cours de son voyage à Châteauroux, ce qui lui a valu pas mal de répliques, notamment de la part de F. Hollande qui a dit "[qu'il] se comportait en chef de parti" ; J.-M. Le Pen crie à la manipulation ; L. Fabius demande "un droit de réponse". Compte tenu de la situation un peu particulière qui était celle du 5 mai, est-ce qu'il n'aurait pas dû rester en-dehors de la bataille ?
- "Ah oui, bien sûr, il doit couper les rubans et inaugurer les chrysanthèmes ! C'est ça la vocation des présidents de la République dans la conception de monsieur Hollande. Il n'a pas bien lu la Constitution. La cohabitation, c'est une exception dans le fonctionnement des institutions. La règle normale et pour agir, c'est que le Gouvernement soit impulsé par le président de la République. Donc, il est bien dans son rôle. Il demande les moyens d'accomplir le programme que les Français ont choisi massivement."
"Massivement" ?
- "Oui, massivement."
Vous mettez tout le monde, les 82 %...
- "Ecoutez, dans les urnes, je ne vais pas faire le tri de l'origine des bulletins. Le président de la République avait un projet qui était celui de défendre la République, de la fortifier en consolidant ses assises. Et c'est son projet évidemment qui est le moyen d'arriver à cela. Et il a besoin d'une majorité pour l'accomplir."
Que se passerait-il en cas de nouvelle cohabitation ? Parce qu'après tout, avec le jeu des triangulaires, on ne sait pas très bien ce qui peut se passer ?
- "Je pense que si nous avions une nouvelle cohabitation, ce serait très grave pour la France - pas pour la droite, [mais] pour la France. D'abord, cela aggraverait la montée des extrêmes, parce qu'on a oublié que l'extrême gauche avait fait aussi un score très impressionnant au premier tour de l'élection présidentielle ; l'extrême droite, on l'a vu. Cela l'aggraverait encore. Deuxièmement, cela montrerait que nos institutions sont fragiles et les Français auraient le sentiment qu'elles ne sont plus en mesure d'assurer la stabilité de la Vème République, ce qui a été leur vocation. Et par conséquent, nous entrerions dans une crise très grave, avec une montée des périls et franchement, on ne peut pas souhaiter ça à notre pays."
Qu'est-ce qui se passerait pour le Président, pour la fonction présidentielle ?
- "Le Président aurait le choix entre plusieurs stratégies. Ce serait à lui de choisir. Je fais confiance à J. Chirac. Mais je pense que cette situation ne se présentera pas, parce que les Français ont "soupé" de la cohabitation, en tout cas de la cohabitation de longue durée et en particulier la cohabitation avec les socialistes. Parce que la cohabitation avec les socialistes, elle a cette particularité par rapport aux autres cohabitation avec la droite : c'est qu'elle est inerte. Et qu'en définitive, dans les cinq ans..."
Elle n'a pas été inerte pendant cinq ans !
- "Si, parce que pendant cinq ans, pour la France..."
Vous critiquez l'action de L. Jospin, donc vous ne pouvez pas dire qu'il a été inerte pendant cinq ans !
- "Je critique son action, parce qu'il n'a fait que des choses faciles : dépenser l'argent de la croissance à des facilités, alors que les réformes indispensables - la réforme de l'Etat, la réforme fiscale, la réforme des retraites, la réforme des structures des collectivités - tout cela, Jospin l'a laissé en jachère. Le résultat évidemment, c'est que notre pays aujourd'hui est en grave difficulté, avec un endettement considérable, parce que Jospin a laissé passer la chance."
Mais la situation était à peu près la même en 1995 et au lieu de baisser les impôts...
- "Non, en 1993 - vous vous trompez A. Hausser ! Quand nous sommes arrivés aux responsabilités en 1993 ..."
Oui, mais le déficit...
- "... la situation était dramatique. Nous l'avons remontée avec E. Balladur pendant deux ans de manière significative. En 1995, on n'avait pas fini de remettre à flot, c'est vrai."
Voilà. Et donc, à ce moment-là...
- "Et en 1997, on était presqu'au bout."
Laissez-moi poser ma question, s'il vous plaît !
- "Oui, mais partons d'un préalable juste..."
Et à ce moment-là, A. Juppé a augmenté les impôts. Or là, on va les baisser. Comment va-t-on se sortir de l'endettement, parce qu'on commence à dire que la situation financière n'est pas terrible ?
- "Nous baisserons les impôts non pas pour le plaisir de baisser les impôts, mais pour provoquer la croissance. C'est par la croissance que nous allons sortir de nos difficultés et cette politique de baisse des impôts n'est pas destinée à faire plaisir à telle ou telle catégorie sociale ; elle est destinée à relancer l'économie, à créer de la croissance pour tout le monde, dont tout le monde va profiter. C'est le seul moyen de sortir de nos difficultés."
Elle ne réduit pas forcément l'endettement.
- "La croissance amène des recettes nouvelles qui permettent de réduire l'endettement."
Vous parliez d'action gouvernementale. On reproche beaucoup au Gouvernement de se livrer à des effets d'annonces - c'est un peu compréhensible, puisqu'il n'est en place que depuis quelques semaines. Vous travaillez sur la décentralisation. Cette réforme qui doit entraîner celle de la Constitution, devrait se faire quand ?
- "En octobre-novembre."
C'est-à-dire dans les 200 jours que se donne J.-P. Raffarin ?
- "Oui, c'est une réforme très importante, parce que c'est une réforme qui est destinée à retrouver de l'énergie dans notre pays, en déconcentrant et en décentralisant des responsabilités vers ceux qui n'en ont pas, c'est-à-dire vers les collectivités territoriales, vers les communes, les départements, les régions qui ont une grande capacité d'initiative et d'énergie. Et lesquelles sont insuffisantes. Je voudrais vous dire, parce que je ne suis pas d'accord avec vous : ce n'est pas un Gouvernement qui fait des "effets d'annonces", c'est un Gouvernement qui fait déjà une autre politique. Nous avons mis en place, sans Parlement d'ailleurs, déjà les instruments d'une autre politique. Par exemple, en matière de sécurité, ce ne sont pas seulement des effets d'annonces, c'est un redéploiement des forces de sécurité ; c'est l'installation..."
Pas encore effectives...
- "Les GIR sont déjà effectifs - les Groupements d'Intervention Régionaux -, ils sont en place. Le redéploiement est en place. Ce n'est pas des effets d'annonces !"
Il est en cours, sinon, cela aurait été trop facile. On reparlera forcément de la Corse au moment de la décentralisation...
- "Bien sûr."
Est-ce qu'il y aura une spécificité corse ou non ?
- "Il y aura une spécificité corse, comme il peut y avoir une spécificité dans chaque région. Il n'y a pas "d'exception corse". Spécificité, ça veut dire quoi ? Que la loi générale, qui est la même pour tout le monde, peut, là ou ailleurs, s'adapter et tenir compte des particularités. En Corse, il y a l'insularité, c'est une particularité. Ce n'est pas comme l'Alsace. C'est une chose différente."
C'est un héritage, les particularités ?
- "Bien sûr. Il y a d'autres particularités en Alsace. Ce ne sont pas les mêmes. Il y en a d'autres en Corse. Mais la loi reste la même pour tout le monde. Mais elle peut s'appliquer et s'adapter aux situations différentes."
L'UMP : A. Juppé aujourd'hui, qui est le grand maître l'UMP, est un peu contesté...
- "Seuls ceux qui se battent, qui ont de l'énergie sont contestés. Ceux qui ne font rien ne craignent rien, ils n'ont aucune critique."
Vous votez N. Sarkozy...
- "Attendez, rien n'est engagé, rien n'est décidé. Mais je souhaite en tous les cas que l'UMP donne lieu à un grand débat démocratique et que ses responsables soient déterminés par l'élection, ça va de soi."
Y compris au prix d'une grande émulation ?
- "Au prix d'un vrai débat démocratique. L'UMP a une vocation à être démocratique. C'est comme cela qu'on peut rassembler. Pour rassembler, c'est ce que nous faisons, on ne peut le faire que dans la démocratie. Sinon, nous aurons de nouvelles divisions."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 mai 2002)