Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à RTL le 10 juin 2002, sur la préparation du deuxième tour de l'élection législative, sur la méthode du gouvernement Raffarin et sur l'avenir de l'UMP (Union pour la majorité présidentielle).

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief - Je précise votre score : 49,7 % au premier tour, chez vous, en Saône-et-Loire. Comme L. Fabius, vous êtes très près d'une élection au premier tour. Selon les projections, vous pourriez obtenir près de 400 sièges. Les électeurs veulent la cohérence, on s'en rend compte, mais est-ce que ce n'est pas une véritable hégémonie qui se prépare ?
- "Hégémonie, je ne crois pas. Dans toutes les démocraties occidentales, on a un dispositif dans lequel l'exécutif est soutenu par une large majorité parlementaire. C'est donc ce qui est souhaitable si nous voulons engager les réformes tant attendues par les Français. Le message de la présidentielle était un message d'impatience. Certes, le premier message a été d'éliminer la gauche pour le second tour, mais le second message de la présidentielle était vraiment l'impatience d'un très grand nombre de Français par rapport à des nécessités de changement, d'actions, de courage de la part des dirigeants politiques. Pour faire cela, pour agir, nous avons besoin d'une majorité. De quel montant sera-t-elle ? On ne le sait pas aujourd'hui, on est encore au premier tour. Le premier tour est encourageant pour nous, incontestablement, mais le tour décisif, c'est le second. Nous attendons donc le second tour pour voir..."
Vous êtes inquiet, vous n'êtes pas sûr, vous avez l'impression qu'il y aura une démobilisation ?
- "Je ne suis pas inquiet, je ne voudrais pas que notre électorat se démobilise. Donc, je lui dit clairement que les choses ne sont pas faites. Certes, il a déjà voté trois dimanche, il y en a malheureusement, pour ceux qui aiment la tranquillité, un quatrième. Et c'est à ce quatrième dimanche que d'une manière claire et définitive, J. Chirac aura ou n'aura pas les moyens de sa politique. Il est donc important que tous ceux qui veulent donner ces moyens politiques à Chirac se mobilisent cette semaine."
Vous parliez du message de l'élection présidentielle ; il y a aussi un message du 5 mai 2002, qui est un large vote pour la République, ouvert pour J. Chirac et qui, peut être, fait aussi que vous avez une sorte d'obligation de ne pas gouverner seulement que pour votre électorat. N'y aura-t-il pas ce risque ? C'est ce que dénonce la gauche déjà.
- "Ce qui s'est passé le 5 mai, on le retrouve en partie avec le scrutin d'hier, dans la mesure où une partie de l'électorat extrême est manifestement revenu sur les partis républicains. C'est encourageant, parce que cela montre que le message du 5 mai a été entendu, y compris par des gens qui, par exaspération, avaient voté pour J.-M. Le Pen. Deuxièmement, cela montre que lorsqu'il y a manifestement une volonté d'action, d'aller vite et une capacité du Gouvernement de montrer qu'il a entendu, sur les questions de sécurité mais aussi sur les questions de dialogue social ou de libération de l'économie française, lorsqu'il a entendu le message des citoyens, ceux-ci reviennent vers un mode d'expression républicain et traditionnel."
Vous parlez de ceux qui avaient voté pour Le Pen au premier tour et dont une partie serait revenue à l'UMP - c'est ce que vous dites. Il y a aussi une partie, à gauche, qui pourrait se sentir totalement négligée et c'est ce que dit la gauche. Elle dit qu'on pourrait finalement voir un gouvernement de régression sociale, qui ne veut pas augmenter le Smic alors qu'il augmente les médecins et baisse les impôts des plus riches. Est-ce que le risque ne serait pas celui-là ? Est-ce qu'il n'y aura pas un peu d'arrogance, de triomphalisme, de clientélisme ?
- "Je ne pense pas que le style Raffarin soit le style de l'arrogance et du triomphalisme. Nous avons compris le message des Français, qui consiste à demander à leur gouvernement d'être à l'écoute, vraiment, c'est-à-dire d'écouter pour entendre, pas écouter pour faire semblant, de gouverner, avec une certaine modestie. Pas modestie dans les ambitions, mais modestie dans les moyens. Regardez la façon dont Raffarin, Fillon et Mattei ont géré ce dossier des médecins qui durait depuis des mois. Ils l'ont fait dans la négociation et dans le respect des partenaires. Ni la CFDT ni les médecins n'ont été humiliés, ils sont venus à la négociation et ont fini par se mettre d'accord. Notre société a besoin de se parler, les Français ont besoin d'être davantage réconciliés les uns avec les autres. Le Gouvernement doit donc être un gouvernement attentif à la manière de faire et donc travailler avec cette modestie et cette délicatesse, d'une certaine façon, pour que les Français se sentent mieux les uns par rapport aux autres. Ils se sont beaucoup opposés les uns aux autres ces derniers temps."
Certains smicards considéreront que si le Smic n'augmente pas en juillet qu'ils ne sont pas franchement traités avec délicatesse...
- "Mais comme vous le savez, le Smic augmentera en juillet ; qu'est-ce que c'est que ce procès ?"
Augmentera de façon normale, mais y aura-t-il un coup de pouce du Gouvernement ?
- "Regardons le coup de pouce de l'an dernier, celui de monsieur Fabius qui était de moins de 1 %. Donc, sortons de ce débat complètement théorique. Ce qui compte, c'est la capacité de création d'emplois dans ce pays, pour faire en sorte qu'il y ait davantage de jeunes qui puissent s'insérer sur le marché du travail. Ce qui compte, c'est le niveau réel des salaires. C'est la raison pour laquelle il faudra donner de la souplesse aux 35 heures, car ce sont elles qui ont bloqué les bas salaires et non pas les décisions que monsieur Raffarin n'a pas encore prises qui ont bloqué les bas salaires. C'est le gouvernement socialiste de Jospin qui, pendant cinq ans, avec cette erreur stratégique majeure, a fait que les bas salaires dans ce pays ont été bloqués. Donc, la rémunération des salariés a été bloquée."
Vous êtes un des partisans de l'UMP...
- "Et aujourd'hui, je suis très satisfait de cela."
Parce qu'il a un score intéressant. Que va-t-il se passer maintenant ? Est-ce que cela fonctionnera comme un parti de la droite plurielle ? Est-ce que les tendances vont s'organiser, est-ce que vous allez aboutir dans cinq ans à une élection primaire pour l'élection présidentielle ? Comment cela va-t-il fonctionner maintenant ?
- "Je le souhaite. J'ai été de ceux qui, depuis plusieurs années maintenant, ont travaillé concrètement, y compris sur le contenu des réflexions et des projets, pour faire en sorte que nous dépassions nos clivages traditionnels, tout en restant attentifs aux familles politiques dont nous sommes issus les uns et les autres. L'UMP doit maintenant se constituer d'abord en groupe parlementaire, relativement vaste. Il faudra donc le faire vivre, qu'il y ait des débats internes, un enrichissement au niveau de la réflexion. Le mouvement politique doit aussi s'organiser à partir de l'automne."
Ce ne sera pas un RPR masqué ?
- "Il faut que ce soit tout à fait autre chose, par exemple en termes de familles de pensée, de tendances à l'intérieur, il faut que ce soit beaucoup plus des familles de pensée qui s'organisent en fonction des enjeux d'aujourd'hui et non pas par rapport aux clivages d'hier. Ce n'est pas à l'ancien RPR, à l'ancienne UDF, à l'ancien DL de se structurer au sein de l'UMP. C'est beaucoup plus "les plus européens, les moins européens", les "plus sociaux, les plus libéraux", etc., sur des différenciations correspondant aux débats d'aujourd'hui et que l'on cesse de vouloir pérenniser les clivages d'hier."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2002)