Texte intégral
Q - On a beaucoup commenté l'accord commun entre le président français et le président américain sur la lutte contre le terrorisme, mais il y a une interrogation en France sur la nature même du personnage qui est Georges Bush. Certains le voient comme une sorte de simplificateur exalté par les valeurs religieuses. Vous avez été le chercher à l'aéroport. Vous avez dîné avec lui, vous avez conversé avec lui. Qui est-il ?
R - Je crois d'abord que c'est un homme de fidélité. Le fait qu'il soit en France ce jour du "Memorial Day" montre tout l'attachement qu'il porte à la mémoire. S'il a tenu à saluer le souvenir des soldats américains tombés en Normandie, c'est la marque d'une relation à l'histoire très forte. Fidélité donc, mais aussi détermination : depuis le 11 septembre, on le voit bien, il mène un combat très déterminé contre le terrorisme dans lequel il a engagé toute la force des Etats-Unis.
Je crois que l'on peut dire aussi que c'est un homme pragmatique. Il se détermine au vu de l'action, des exigences de l'action, et de ce point de vue nous nous retrouvons sur un terrain commun.
La France aussi défend ses intérêts, veut agir sur la scène internationale, considère que nous sommes dans un temps très particulier de l'histoire du monde où il s'agit de définir un esprit commun de responsabilité, de faire face à des exigences nouvelles, d'inventer un monde nouveau, des règles nouvelles. Et de ce point de vue, la relation entre les deux plus anciens alliés que sont la France et les Etats-Unis est donc tout à fait naturelle.
Q - Est-ce que c'est un homme qui connaît ses dossiers ? La question peut vous paraître absolument surréaliste, mais c'est vrai qu'il y a beaucoup de gens qui se sont interrogés comme cela a été le cas pour Ronald Reagan, par exemple.
R - Non seulement il connaît ses dossiers, mais il les connaît parfaitement de l'intérieur, avec cette volonté de déboucher sur des décisions et sur des actions concrètes. Donc, il a non seulement la connaissance du dossier mais surtout la mesure des enjeux, et c'est cela qui compte finalement sur la scène internationale.
Q - Alors dans le voyage d'aujourd'hui et les contacts du dîner d'hier, il y a à la fois une grande série d'accords et puis il y a quand même, on le voit d'une manière sous-jacente, un certain nombre de désaccords, notamment en matière commerciale et aussi sur l'écologie depuis le "pataquès" du Sommet de Kyoto. Quelle est la position de la France par rapport à l'Amérique dans ce domaine ?
R - C'est le privilège des relations entre alliés que de pouvoir tout se dire, d'avoir des relations directes et franches.
Q - Voire conflictuelles ?
R - Quand on peut éviter le conflit, on le fait. C'est pour cela que l'on se concerte régulièrement, c'est pour cela que le dialogue entre nous est intense. En l'occurrence, il y a vraiment la volonté de comprendre à la fois les intérêts des uns et des autres, mais aussi de faire évoluer, voire d'infléchir nos positions sur un certain nombre de sujets.
Vous avez raison, il y a aujourd'hui des divergences entre les intérêts européens et américains. C'est le cas des subventions agricoles ou de l'acier. Nous essayons par le dialogue de rapprocher les points de vue.
Il y a aussi des divergences de sensibilité sur un certain nombre de questions politiques. Mais je dois dire que nous avons une grande convergence sur les objectifs politiques entre les Etats-Unis, l'Europe et la France. C'est le cas sur un certain nombre des grandes crises, par exemple au Proche-Orient ou dans le cadre de la tension entre le Pakistan et l'Inde, qui nous préoccupe aujourd'hui.
Q - Est-ce qu'au Quai d'Orsay actuellement, on vit cette crise entre le Pakistan et l'Inde comme un danger majeur : la possibilité d'un déclenchement d'une guerre, de l'utilisation de missiles nucléaires, puisque le Pakistan fait des essais actuellement. On en est où exactement ?
R - C'est une situation, il ne faut pas se le cacher, qui est préoccupante. Elle est d'abord préoccupante parce qu'il s'agit de deux Etats, l'Inde et le Pakistan, qui se sont fait la guerre dans le passé, donc il y a là de nouveaux contentieux, un héritage ancien qui pèse. Il s'y ajoute une dimension terroriste qui envenime la relation. On l'a vu avec l'attentat contre le parlement indien ou avec celui qui est intervenu au Cachemire. Nous l'avons même récemment payé de la vie de nombreux Français, à Karachi. Il y a donc une dimension terroriste dont on doit tenir compte.
Ce sont enfin deux Etats qui ont une capacité nucléaire, ce qui donne évidemment une dimension particulière à la tension d'aujourd'hui. Les deux Etats font preuve néanmoins - ou essaient de faire preuve - d'une certaine retenue, de responsabilité et la communauté internationale se mobilise : c'est le cas des Etats-Unis comme de la France. Le président de la République a eu le Premier ministre indien plusieurs fois au téléphone, il a eu aussi le Président pakistanais. Nous essayons évidemment de peser de tout notre poids dans le sens de la mesure.
J'ai moi-même appelé aujourd'hui le ministre des Affaires étrangères pakistanais. Cette mobilisation, je crois, commence à être comprise par les différentes parties et on sent malgré tout une prise de conscience.
Q - Et une décélération de la tension ?
R - Absolument. C'est ce que j'espère.
Q - Ce soir dîner franco-allemand. Beaucoup de nos partenaires en Europe justement se plaignent de cette relation privilégiée qui existe entre Paris et Berlin depuis des années. C'est le cas des Italiens, d'Aznar, l'Espagnol : c'est bien gentil l'Europe à deux, mais nous aussi on existe. On en est où exactement ?
R - La relation franco-allemande est un élément moteur et historique de la construction européenne, c'est une force profonde d'impulsion qui a permis de grandes avancées dans l'histoire de l'Europe.
Je crois donc que personne ne peut être jaloux de cette relation, dès lors qu'elle ne se fait pas au détriment de nos partenaires mais bien au service de l'Europe. La concertation entre nos deux Etats, qui devient une concertation régulière, quasi-quotidienne, doit réellement permettre de relever les défis et de faire face aux difficultés qui peuvent se présenter. Nous avons d'ici les prochains mois deux grands défis à relever. Le premier, c'est évidemment la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui doit permettre de réaliser un certain nombre d'évolutions institutionnelles. Le deuxième, c'est le défi de l'élargissement, de l'ouverture de l'Europe à de nouveaux Etats. Il est très important que sur tous ces sujets, la concertation entre la France et l'Allemagne joue à plein.
Q - Un mot sur l'attentat qui vient d'avoir lieu près de Tel-Aviv. Il ne s'agit pas de le commenter à chaud, mais est-ce que la perspective aujourd'hui pour la diplomatie française d'une grande conférence sur le Proche-Orient avec l'espoir de la paix existe ou pas du tout ?
R - Je voudrais d'abord exprimer mon émotion et ma solidarité vis à vis du peuple israélien en ces circonstances. C'est une nouvelle épreuve. Nous devons tout mettre en oeuvre pour faire en sorte que la région puisse surmonter ces épreuves successives.
L'objectif est bien politique : c'est la paix qui doit nous hanter. Nous sommes habités par l'idée de faire avancer la paix, de lui donner corps. Seul un processus politique, seul le dialogue politique - et nous poussons, nous Français avec d'autres, l'idée d'une conférence internationale - qui doit permettre de réunir l'ensemble des parties.
Q - Avec Arafat ?
R - Oui , je dis bien la réunion de l'ensemble des parties afin de trouver, par le dialogue, une solution aux problèmes de la région.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mai 2002)
R - Je crois d'abord que c'est un homme de fidélité. Le fait qu'il soit en France ce jour du "Memorial Day" montre tout l'attachement qu'il porte à la mémoire. S'il a tenu à saluer le souvenir des soldats américains tombés en Normandie, c'est la marque d'une relation à l'histoire très forte. Fidélité donc, mais aussi détermination : depuis le 11 septembre, on le voit bien, il mène un combat très déterminé contre le terrorisme dans lequel il a engagé toute la force des Etats-Unis.
Je crois que l'on peut dire aussi que c'est un homme pragmatique. Il se détermine au vu de l'action, des exigences de l'action, et de ce point de vue nous nous retrouvons sur un terrain commun.
La France aussi défend ses intérêts, veut agir sur la scène internationale, considère que nous sommes dans un temps très particulier de l'histoire du monde où il s'agit de définir un esprit commun de responsabilité, de faire face à des exigences nouvelles, d'inventer un monde nouveau, des règles nouvelles. Et de ce point de vue, la relation entre les deux plus anciens alliés que sont la France et les Etats-Unis est donc tout à fait naturelle.
Q - Est-ce que c'est un homme qui connaît ses dossiers ? La question peut vous paraître absolument surréaliste, mais c'est vrai qu'il y a beaucoup de gens qui se sont interrogés comme cela a été le cas pour Ronald Reagan, par exemple.
R - Non seulement il connaît ses dossiers, mais il les connaît parfaitement de l'intérieur, avec cette volonté de déboucher sur des décisions et sur des actions concrètes. Donc, il a non seulement la connaissance du dossier mais surtout la mesure des enjeux, et c'est cela qui compte finalement sur la scène internationale.
Q - Alors dans le voyage d'aujourd'hui et les contacts du dîner d'hier, il y a à la fois une grande série d'accords et puis il y a quand même, on le voit d'une manière sous-jacente, un certain nombre de désaccords, notamment en matière commerciale et aussi sur l'écologie depuis le "pataquès" du Sommet de Kyoto. Quelle est la position de la France par rapport à l'Amérique dans ce domaine ?
R - C'est le privilège des relations entre alliés que de pouvoir tout se dire, d'avoir des relations directes et franches.
Q - Voire conflictuelles ?
R - Quand on peut éviter le conflit, on le fait. C'est pour cela que l'on se concerte régulièrement, c'est pour cela que le dialogue entre nous est intense. En l'occurrence, il y a vraiment la volonté de comprendre à la fois les intérêts des uns et des autres, mais aussi de faire évoluer, voire d'infléchir nos positions sur un certain nombre de sujets.
Vous avez raison, il y a aujourd'hui des divergences entre les intérêts européens et américains. C'est le cas des subventions agricoles ou de l'acier. Nous essayons par le dialogue de rapprocher les points de vue.
Il y a aussi des divergences de sensibilité sur un certain nombre de questions politiques. Mais je dois dire que nous avons une grande convergence sur les objectifs politiques entre les Etats-Unis, l'Europe et la France. C'est le cas sur un certain nombre des grandes crises, par exemple au Proche-Orient ou dans le cadre de la tension entre le Pakistan et l'Inde, qui nous préoccupe aujourd'hui.
Q - Est-ce qu'au Quai d'Orsay actuellement, on vit cette crise entre le Pakistan et l'Inde comme un danger majeur : la possibilité d'un déclenchement d'une guerre, de l'utilisation de missiles nucléaires, puisque le Pakistan fait des essais actuellement. On en est où exactement ?
R - C'est une situation, il ne faut pas se le cacher, qui est préoccupante. Elle est d'abord préoccupante parce qu'il s'agit de deux Etats, l'Inde et le Pakistan, qui se sont fait la guerre dans le passé, donc il y a là de nouveaux contentieux, un héritage ancien qui pèse. Il s'y ajoute une dimension terroriste qui envenime la relation. On l'a vu avec l'attentat contre le parlement indien ou avec celui qui est intervenu au Cachemire. Nous l'avons même récemment payé de la vie de nombreux Français, à Karachi. Il y a donc une dimension terroriste dont on doit tenir compte.
Ce sont enfin deux Etats qui ont une capacité nucléaire, ce qui donne évidemment une dimension particulière à la tension d'aujourd'hui. Les deux Etats font preuve néanmoins - ou essaient de faire preuve - d'une certaine retenue, de responsabilité et la communauté internationale se mobilise : c'est le cas des Etats-Unis comme de la France. Le président de la République a eu le Premier ministre indien plusieurs fois au téléphone, il a eu aussi le Président pakistanais. Nous essayons évidemment de peser de tout notre poids dans le sens de la mesure.
J'ai moi-même appelé aujourd'hui le ministre des Affaires étrangères pakistanais. Cette mobilisation, je crois, commence à être comprise par les différentes parties et on sent malgré tout une prise de conscience.
Q - Et une décélération de la tension ?
R - Absolument. C'est ce que j'espère.
Q - Ce soir dîner franco-allemand. Beaucoup de nos partenaires en Europe justement se plaignent de cette relation privilégiée qui existe entre Paris et Berlin depuis des années. C'est le cas des Italiens, d'Aznar, l'Espagnol : c'est bien gentil l'Europe à deux, mais nous aussi on existe. On en est où exactement ?
R - La relation franco-allemande est un élément moteur et historique de la construction européenne, c'est une force profonde d'impulsion qui a permis de grandes avancées dans l'histoire de l'Europe.
Je crois donc que personne ne peut être jaloux de cette relation, dès lors qu'elle ne se fait pas au détriment de nos partenaires mais bien au service de l'Europe. La concertation entre nos deux Etats, qui devient une concertation régulière, quasi-quotidienne, doit réellement permettre de relever les défis et de faire face aux difficultés qui peuvent se présenter. Nous avons d'ici les prochains mois deux grands défis à relever. Le premier, c'est évidemment la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui doit permettre de réaliser un certain nombre d'évolutions institutionnelles. Le deuxième, c'est le défi de l'élargissement, de l'ouverture de l'Europe à de nouveaux Etats. Il est très important que sur tous ces sujets, la concertation entre la France et l'Allemagne joue à plein.
Q - Un mot sur l'attentat qui vient d'avoir lieu près de Tel-Aviv. Il ne s'agit pas de le commenter à chaud, mais est-ce que la perspective aujourd'hui pour la diplomatie française d'une grande conférence sur le Proche-Orient avec l'espoir de la paix existe ou pas du tout ?
R - Je voudrais d'abord exprimer mon émotion et ma solidarité vis à vis du peuple israélien en ces circonstances. C'est une nouvelle épreuve. Nous devons tout mettre en oeuvre pour faire en sorte que la région puisse surmonter ces épreuves successives.
L'objectif est bien politique : c'est la paix qui doit nous hanter. Nous sommes habités par l'idée de faire avancer la paix, de lui donner corps. Seul un processus politique, seul le dialogue politique - et nous poussons, nous Français avec d'autres, l'idée d'une conférence internationale - qui doit permettre de réunir l'ensemble des parties.
Q - Avec Arafat ?
R - Oui , je dis bien la réunion de l'ensemble des parties afin de trouver, par le dialogue, une solution aux problèmes de la région.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mai 2002)