Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à RTL le 29 avril 2002, sur les raisons qui conduisent le parti socialiste à appeler à voter pour Jacques Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle, sur les manifestations en préparation pour le 1er mai et sur les leçons à tirer de l'échec de la gauche au premier tour de l'élection présidentielle.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief L. Jospin a fait un communiqué vendredi soir pour demander de faire barrage à l'extrême droite. Il n'a pas cité le nom de J. Chirac. Ce n'était pas un peu le service minimum ?
- "Il y a ce qu'a dit L. Jospin, qu'il devait dire, qui était conforme d'ailleurs à tout ce qui avait été son parcours politique depuis maintenant près de trente ans. Chaque fois qu'il y a une menace de l'extrême droite, il faut l'écarter. Et puis nous, nous sommes les socialistes devant ce choix du 5 mai..."
Il faut l'écarter, donc cela veut dire qu'il faut voter J. Chirac ou il faut l'écarter en votant blanc ou nul ?
- "Voter blanc ou nul, ce n'est pas suffisant. Si l'on veut qu'il y ait véritablement un référendum contre l'extrême droite, pour la République, il faut utiliser le bulletin "Jacques Chirac" et faire en sorte que J.-M. Le Pen fasse le moins de voix possibles, c'est-à-dire que l'autre candidat doit faire le plus de suffrages possibles. C'est très important pour notre pays, pour son image à l'extérieur. C'est très important aussi pour le sens que l'on va donner à l'élection du 5 mai. J. Chirac, dans une certaine mesure, qui doit avoir le plus de suffrages possible, ne sera pas élu sur sa personne - nous savons ce qu'il faut en penser les uns les autres, nous avons nos opinions -, ni même sur un programme, il sera élu sur un mandat qui sera simple : celui d'écarter toute dérive d'extrême droite. C'est la meilleure des façons pour mobiliser pour le 5 mai, d'en faire finalement un choix, un sursaut civiques, par rapport à la mise à l'écart du Front national et l'adhésion à nos valeurs républicaines."
On entend déjà un certain nombre de gens qui disent qu'ils se rendront dans l'isoloir avec une pince à linge, avec des gants en cuir, avec toutes sortes de protections, presque un scaphandrier... Est-ce que vous leur dites que ça suffit, c'est ridicule, il faut y aller ?
- "Je peux comprendre la difficulté pour beaucoup et il faut se mettre à la place de tous ces électeurs de gauche qui sont frustrés d'un second tour. Mais je leur dis aujourd'hui que nous ne sommes pas là, nous sommes floués, nous avons le sentiment d'un rendez-vous manqué, les Français aussi d'ailleurs. Mais dans les moments importants de notre vie publique, il faut prendre ses responsabilités, chaque chose en son temps. Le 5 mai, il faut écarter l'extrême droite et l'écarter fermement, clairement, fortement ; ensuite, à partir du 6 mai, une élection est en vue, les élections législatives, et là, le choix entre la gauche et la droite reprendra toute sa place. Le 5 mai, ce n'est pas un choix au sens partisan, c'est un choix au sens le plus noble : politique, civique."
L. Jospin réinterviendra d'ici là ?
- "Je ne sais pas, mais nous avons là suffisamment de positions des uns et des autres pour savoir ce que nous avons à faire à gauche. Et la gauche, reconnaissons-le, depuis maintenant le 21 avril - et ce fut dur et ce fut injuste et ce fut cruel -, n'a pas baragouiné par rapport au soutien qu'il fallait donner par rapport à la lutte conte l'extrême droite et donc au rempart qu'il fallait ériger."
Deux manifestations sont prévues le 1er mai : l'une du Front national, l'autre des syndicats et aussi de la gauche. Vous êtes inquiets pour la sécurité ce jour-là ?
- "D'abord, depuis une semaine, il y a un sursaut civique qui se manifeste de plein de façons : à la fois des messages qui nous sont adressés, des mobilisations citoyennes, des rassemblements comme hier d'hommes ou de femmes de culture, des gens beaucoup plus modestes qui s'inquiètent pour leur avenir. Et puis ces manifestations de jeunes : c'est quand même formidable de voir des jeunes dans la rue défiler calmement, pacifiquement - parce que ça, c'est l'essentiel. Ils disent que s'ils avaient pu voter, ils auraient voté. Beau message pour les adultes qui ne l'ont pas fait ou pour les jeunes qui ont oublié de le faire. Ils nous disent qu'il faut mettre de côté les idées extrémistes. Là aussi, belle leçon qu'il faut entendre. Donc, je suis plutôt fier de cette jeunesse, de nos enfants qui viennent nous livrer finalement un message d'espoir. Mais maintenant, c'est très important, notamment pour le 1er mai : nous savons qu'il y aura beaucoup de monde, nous savons qu'il y aura des provocations, je sais que le Gouvernement fait ce qu'il doit pour éviter les affrontements ; il faut que ce soit dans le calme, dans la paix civile. Si nous voulons écarter l'extrême droite, c'est précisément pour la paix civile, alors prenons garde. Mais en même temps, soyons nombreux !"
Quelles leçons quand même - car il faut bien en venir là, et assez rapidement peut-être pour vous avant les législatives - tirez-vous de cet échec cinglant ? Qu'est-ce qui va changer au Parti socialiste ? Comment le Parti socialiste aborde-t-il maintenant l'avenir sur le fond ?
- "Il y a des leçons qui doivent être tirées quant à l'organisation de la gauche, et des leçons sur le fond par rapport à la politique..."
C'est peut-être accessoire pour l'électeur et pour les Français...
- Sans doute, mais c'est ce qui fait que nous n'avons pas été qualifiés néanmoins au second tour. Une gauche plus unie faisait que L. Jospin était largement en tête du premier tour. Cela, c'est une leçon politique pour ceux qui ont vocation à représenter la gauche. Et puis il y a les leçons sur le fond, les messages qui nous ont été adressés - ils sont nombreux. Je retire quatre conclusions. La première, c'est qu'il faut faire un effort sans précédent pour l'intégration républicaine. C'est cela l'enjeu aujourd'hui. Dans une vie collective comme la nôtre, est-ce que nous sommes capables de vivre ensemble ? Si oui, il faut y mettre tous les moyens."
C'est un peu le message de J.-P. Chevènement par exemple, à l'intérieur de la gauche ?
- "Je ne sais pas mais en tout cas, sur la République, il ne s'agit pas de prendre à tel ou tel, il ne s'agit pas de proclamer des mots d'ordre ou des principes, il s'agit de faire en sorte que quartier par quartier, ville par ville, nous puissions vivre ensemble à égalité de droits et de devoirs. La deuxième conclusion que je tire, c'est par rapport au fonctionnement des services publics : il faut que cela fonctionne mieux, il faut que cela soit plus efficace. C'est cela qu'il nous ont rappelé en disant : vous votez des lois, très bien, vous faites des avancées sociales, parfait, mais qu'est-ce qui change pour nous, concrètement, là où nous vivons ? Cela veut dire un formidable défi par rapport à l'efficacité des services publics. La troisième conclusion, c'est par rapport à la jeunesse : nous avons une jeunesse qui attend ses repères, qui attend ses marques, qui attend aussi un message d'espoir, qui le livre même. Et donc là, aussi, cela voudra dire un effort considérable sur l'éducation, la formation. Et puis enfin, il y a vraisemblablement à regarder ce qui doit être fait en matière de pouvoir d'achat, pour les couches les plus populaires."
Je n'entends pas parler de sécurité, de proximité...
- "Il ne s'agit pas de faire une surenchère sur l'insécurité. Si on a une intégration républicaine qui fonctionne mieux, avec des devoirs pour chacun - c'est-à-dire la sanction - ; si on a une jeunesse qui trouve mieux ses marques, si on a des services publics qui fonctionnent mieux - le service public de la justice, le service public de la police, le service public de l'éducation -, on a aussi des résultats en matière d'insécurité. Plutôt que d'avancer simplement des slogans dont on voit les effets, il vaut mieux maintenant - et c'est la leçon que je tire du scrutin -, travailler sur ce qui fait véritablement l'intervention de l'Etat et l'efficacité des services publics."
Et est-ce que vous ne vous êtes pas dit : "On a été un peu arrogants, un peu trop sûrs de nous, on n'a pas tout entendu, on n'a pas tout compris" ?
- "Sans doute. Il faut toujours être modeste et humble et en même temps, il ne faut pas oublier ce qui a été fait. Ce serait d'ailleurs injuste par rapport à ce qui a été l'action du gouvernement de L. Jospin depuis cinq ans et qui sera sans doute réhabilitée. Donc, regardons tout ce que nous avons fait qui a profondément changé le pays, mais changeons les méthodes, changeons aussi un certain nombre de priorités. Il y a une nouvelle situation qui est créée par le scrutin du 21 avril. Elle doit avoir ses traductions, et dans l'organisation de la gauche et dans sa politique."
On aura le temps d'en reparler pour la campagne législative... Un dernier mot : vous avez dénoncé la cohabitation depuis des mois. Vous nous avez expliqué que c'était le plus mauvais des régimes, que cela donnait un certain nombre de confusions...
- "Vous parlez de moi ?"
Je parle d'O. Schrameck, je parle de L. Jospin tout de même. Tout d'un coup, vous allez aux législatives et vous voulez prendre votre revanche. Il n'y a pas une contradiction ? On ne va pas se précipiter peut-être vers une nouvelle cohabitation ? Il n'y a pas un problème ?
- "La cohabitation n'est pas un souhait, ce n'est pas un voeu, c'est une situation institutionnelle. Et si vous nous dites maintenant qu'il ne faut pas appeler à un vrai choix entre la droite et la gauche aux élections législatives, alors il faut nous demander de ne pas nous présenter aux élections."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 avril 2002)