Interviews de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à RFI et à "Ouest France" le 15 février 2002, sur l'introduction des thèmes du développement et de la coopération dans la campagne électorale française, la révision de la liste des pays bénéficiaires de la Zone de solidarité prioritaire et les critères d'allocation de l'aide publique au développement, la situation de Madagascar et du Zimbabwe.

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Média : Ouest France - Radio France Internationale

Texte intégral

(Interview à RFI à Paris, le 15 février 2002) :

Q - Bonjour Charles Josselin. Une semaine après Jacques Chirac qui a reçu à l'Elysée treize chefs d'Etat africains, Lionel Jospin, hier, a pris la parole, en clôturant les travaux du Comité interministériel de la Coopération internationale sur les problèmes de développement et de coopération. Est-ce que ces questions d'aide aux pays du Sud sont en train de devenir les otages de la campagne électorale ?
R - Ce qui est sûr, et c'est une bonne nouvelle, c'est que ces questions internationales vont occuper une place bien plus importante que jamais dans le débat politique. C'est la résultante de l'éruption, comme on a dit, de la société civile dans l'international. Voyons-y le prolongement des Porto Alegre, celui de l'an dernier et encore plus, celui de cette année. Et moi, je suis heureux de voir que les responsables politiques, quels qu'ils soient, reconnaissent aujourd'hui que s'intéresser à l'autre, n'est pas se desservir ici. En clair, l'opposition "Corrèze-Zambeze" me semble aujourd'hui datée.
Q - Il n'y a pas de risque d'une surenchère, à l'occasion de la campagne, sur ces thèmes ?
R - Le ministre de la Coopération serait presque tenté de dire : pourquoi pas ? Encore faut-il annoncer des intentions qui soient un peu réalistes. Il ne faudrait pas non plus promettre tout et ne tenir rien.
Q - Voyons justement ce qui a été acté hier par le Comité interministériel de la Coopération internationale. Une reprise de l'augmentation de l'aide française publique au développement qui devrait passer, si ma mémoire est bonne, à 0,36 % en 2002 du produit intérieur brut, ce n'est pas beaucoup ?
R - Sauf que c'est appliqué à un PIB en augmentation, ce qui veut dire que cela fait plusieurs centaines de millions d'euros en plus d'une année sur l'autre. Et en réalité, puisque nous étions à 0,32 % en 2000, se retrouver à 0,36 % à la fin de cette année, veut dire que nous sommes sur une pente qui devrait pouvoir nous permettre de nous hisser à l'horizon de 4-5 ans à un niveau sensiblement plus élevé et nettement plus élevé que, malheureusement, celui de la plupart de nos partenaires.
Q - C'est un peu flou, Charles Josselin, si vous me permettez. Sensiblement plus élevé, qu'est-ce que cela pourrait dire à l'horizon de 4-5 ans ?
R - L'objectif politique affiché est de 0,70 %.
Q - Celui de l'ONU ?
R - Il a été réaffirmé par les socialistes et il a été réaffirmé dans les conclusions de ce CICID dont vous parliez à l'instant. Reste à l'atteindre. Passer à 0,70 % en 5 ans, ce qui serait évidemment l'idéal, veut dire tout de même une augmentation d'à peu près un milliard d'euros chaque année, ce qui est important et dépend d'un certain nombre de circonstances.
Q - Est-ce que la France serait prête à faire cet effort-là ?
R - L'aide publique au développement se constate à la fin de l'année. Elle ne se décrète pas véritablement car il faut que les projets puissent se développer. Il faut que les partenaires soient en situation de pouvoir accueillir les projets de développement. Or beaucoup d'entre eux sont dans une situation, y compris du point de vue de la paix ou de la guerre, préoccupante.
Ce qui me rend optimiste désormais, et ce qui explique l'augmentation de l'aide telle que nous l'avons constatée, c'est précisément que nous touchons les dividendes de la réforme du Fonds européen de développement que nous avons engagée sous présidence française. Je m'en souviens, je présidais le Conseil européen chargé du développement. Cela se manifeste déjà, car les décaissements du fameux "FED" sont en train de s'accélérer. Or la France a une part très importante. Il y a les fonds mondiaux pour l'environnement. Il y a le fonds mondial Sida. Et puis, il y a cette dette que nous avons commencé d'effacer. Le principe, très fort, décidé au CICID d'hier, est que l'effacement de la dette s'ajouterait à l'aide publique au développement et ne viendrait pas, en quelque sorte, s'y soustraire. Cela est tout à fait essentiel.
Q - Charles Josselin, la liste des pays bénéficiaires évolue, c'est ce qui se passe depuis quelques années. Les critères sont-ils uniquement économiques ?
R - C'est ce que nous appelons la "respiration" en quelque sorte de la Zone de solidarité prioritaire. Les critères sont d'abord économiques. La solidarité doit s'exercer en direction des pays les plus pauvres. Le PIB par habitant, comme nous le disons, est évidemment un critère important.
Q - Il y a aussi les critères de bonne gouvernance ?
R - Il y a les critères de bonne gouvernance. Il y a aussi des critères de fidélité. Mais il y aussi la volonté pour la France de pouvoir accompagner les évolutions observées dans certains pays. Ce qui explique, par exemple, que le Soudan et le Yémen ont été hier acceptés comme entrant dans cet esprit. Deux pays importants : le Soudan, parce qu'il est le plus grand pays en territoire d'Afrique ; parce qu'il borde ou est bordé par un certain nombre de pays francophones. Le Yémen, parce qu'il est le seul pays pauvre du monde arabe qui regarde beaucoup vers l'Afrique. Il regarde plus sûrement vers l'Afrique que vers la péninsule arabique.
Q - Il y a un autre pays dont vous avez parlé hier, Charles Josselin, c'est la Côte d'Ivoire. Vous avez annoncé que la France reprendrait son aide à hauteur de 120 milliards de francs CFA. Quand ces sommes seront-elles disponibles, sous quelle forme ?
R - Ce financement va se mettre en place dans les semaines qui viennent. J'en ai fait l'annonce dans le cadre d'une lettre co-signée avec Laurent Fabius, au ministre ivoirien des Finances, M. Bouabre Bohoun. Je suis heureux que nous ayons pu tenir cet engagement, dès lors que les négociations avec le Fonds monétaire international, qui étaient une étape importante, ont été heureusement conclues. Cela veut dire que la Côte d'Ivoire va être en mesure de se sortir - en tout cas c'est ce que nous espérons -, des difficultés profondes qu'elle a connues.
Q - De quel type d'aide s'agit-il ?
R - C'est une aide budgétaire.
Q - C'est une aide qui sera versée en une fois ou en plusieurs fois ?
R - En plusieurs fois.
Q - Sur combien de temps ?
R - Je ne peux pas vous préciser la durée ni le calendrier. Mais le total va être versé dans les quelques mois qui viennent. Et le premier versement va intervenir très rapidement.
Q - Cette reprise de ces versements, c'est un satisfecit à la gestion de Laurent Gbagbo ?
R - On peut le dire ainsi. En tout cas, c'est une reconnaissance d'une stabilisation de la situation intérieure ivoirienne, ce qui était important. Mais c'est aussi un "dont acte" aux efforts qui ont été entrepris pour redresser les finances publiques de ce pays.
Q - Charles Josselin, passons à Madagascar. Le dialogue s'est noué à Madagascar depuis 48 heures maintenant, entre le président sortant et son challenger. Qu'est-ce que vous en tirez, vous, comme leçon, dans la façon dont la crise est peut être en train de se dénouer ?
R - Que la discussion a prévalu sur la violence, ce qui est une bonne chose. Que l'OUA aura joué un rôle tout à fait important. Je crois qu'il faut en savoir gré à son Secrétaire général.
Q - Il vaut mieux que ce soit l'OUA qui joue ce rôle, plutôt qu'un pays comme la France ?
R - La France a joué son rôle depuis le début, en partenariat avec notamment les autres Européens et les bailleurs de fond. Mais il est vrai, nous l'avons toujours dit que le temps n'est plus où nous faisions ou défaisions les rois, si je puis dire, en Afrique. Nous avons, par contre, gardé un contact très serré aussi bien avec l'OUA qu'avec les Nations unies. J'observe que la procédure retenue est en train d'aboutir, puisque les deux parties sont en train de discuter. Nous allons très probablement vers un second tour. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ce second tour soit totalement transparent.
Q - C'est-à-dire qu'on peut aider à l'organisation, envoyer des observateurs ?
R - Y compris peut-être fournir les matériels. J'ai vu que M. Marc Ravalomanana demande, en particulier, des urnes transparentes. Il n'y en a pas partout en France. Mais on va essayer de répondre au mieux aux demandes qui vont nous être présentées.
Q - Un mot sur une autre élection qui se passe au Zimbabwe. Est-ce que la France enverra des observateurs à ces élections qui ont lieu début mars, si des observateurs européens sont "retoqués" ?
R - Il est encore un peu tôt pour préjuger du nombre d'observateurs. Les derniers chiffres seraient que 30 observateurs européens devraient être acceptés.
Q - Mais le gouvernement d'Harare ne veut pas de Suédois, de Britanniques. La France irait quand même si ce choix est fait ?
R - Il est fort probable que la France sera parmi les observateurs, en effet.
Q - Quelles que soient les exclusions qui pourraient être prononcées ?
R - La discussion n'est pas encore conclue.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2002)
(Interview à Ouest France à Paris, le 15 février 2002) :
Q - Pourquoi le nombre de pays appartenant à la Zone de solidarité prioritaire (ZSP) a-t-il été réduit ?
R - Soixante et un pays, pour un groupe de concentration prioritaire, c'était trop. Cela brouillait les critères. Nous avons préféré inscrire une dizaine d'Etats, essentiellement des Caraïbes et de l'océan indien, dans d'autres catégories. C'est le signe qu'ils vont plutôt mieux. Mais ils pourront toujours bénéficier de nos autres outils de coopération. Si nous faisons entrer le Soudan et le Yémen dans la zone, c'est par souci de cohérence régionale et parce que ces pays, malheureusement, restent très à la traîne. Alors que l'Union européenne a levé ses sanctions contre le Soudan, nous voulons aussi contribuer à rompre l'isolement de ce pays.
Q - Pourquoi l'Afghanistan fait-il l'objet d'un traitement à part ?
R- Parce qu'il est dans une situation particulière. Il devient le premier bénéficiaire d'un dispositif de gestion des sorties de crise qui nous manquait entre l'aide humanitaire d'urgence et les actions de développement. La participation de la France à la reconstruction de l'Afghanistan fait appel à des ressources distinctes de celles de la ZSP.
Q - Pourquoi l'aide publique française au développement a-t-elle tant baissé au cours de la dernière décennie ?
R - Elle a baissé dans le monde entier. Peut-être de moitié pendant cette période. La fin de la guerre froide a cessé de faire des pays en développement des enjeux géopolitiques. Parallèlement, il y a eu une crise de crédibilité dans l'efficacité de l'aide. Enfin, un nombre important de bénéficiaires de l'aide a subi des crises graves, des guerres, préjudiciables au développement. Mais le besoin d'aide publique a été réaffirmé, en particulier par l'ONU, et il a été porté par une société civile de plus en plus attentive à l'international. Nous avons, à la demande de Lionel Jospin, réformé le dispositif français de coopération pour donner plus d'efficacité à l'aide publique au développement. Les conditions sont donc réunies pour que nous la réaugmentions.
Q- Quand et Comment ?
R - C'est reparti. Après être descendue à 0,32 % du Produit national brut en 2000, l'aide publique au développement a été de 0,34 % en 2001. La prévision est d'au moins 0,36 % pour 2002. La pente est inversée. Notre objectif demeure bien d'arriver au seuil de 0,70 % du PNB.
Sur le comment, nous nous sommes battus pour préserver l'aide liée à des projets, nous avons stabilisé à 2 000 le nombre des coopérants de l'aide technique, la France a participé à la mise en place des fonds mondiaux (Sida, environnement). En outre, les décaissements du Fonds européen de développement (Fed) ont été accélérés grâce aux réformes de fonctionnement réalisées pendant la présidence française de l'Union. La France y participe pour 24,3 %, alors que la Grande-Bretagne ne fait que 12,8 %.
Enfin, il y a l'effacement de la dette, qui entre dans sa phase active. Comme la France avait de grosses créances vis-à-vis des pays en développement, c'est elle qui doit payer le plus. L'effacement de la dette n'est pas soustrait de l'aide au développement, mais s'y ajoute. Cela représentante dix milliards d'euros dans les dix ans qui viennent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2002)