Texte intégral
Première partie - 7h45
J.-L. Hees : Bienvenue sur France Inter. Bonjour et merci d'avoir répondu à notre invitation. On a essayé depuis le début, avec les différents candidats, d'aller un petit peu plus loin dans leurs projets, dans leurs idées - ce qui n'a pas toujours été évident d'ailleurs. On compte donc sur vous pour nous aider. Mais j'aimerais bien qu'on commence par le Proche-Orient. On sait à peu près ce qu'en pensent les deux "grands candidats", on va dire, J. Chirac et L. Jospin. Mais j'aimerais bien savoir ce qui distinguerait le président Hue, dans son analyse, pour essayer de ramener la paix au Proche-Orient.
- "Ce qui distinguerait au niveau de l'analyse ? Peut-être qu'il y aurait peu de choses. J'entends ce que disent aujourd'hui le président de la République et le Premier ministre. Je me suis adressé aux deux pour leur dire que nous étions en campagne électorale, qu'il y avait la France naturellement comme thème principal. Mais peut-on, aujourd'hui, rester sans rien dire et rien faire à propos du Proche-Orient ? J'estime que la meilleure leçon de politique, [la meilleure façon de] redonner ses lettres de noblesse à la politique, aujourd'hui, alors que les Français s'interrogent beaucoup sur la politique, serait d'avoir le courage, quand on est encore à la direction du pays et à la tête de l'exécutif, de dire : "Je fais une parenthèse, et je mets en oeuvre tout ce qui est possible pour essayer que la France et l'Europe jouent leur rôle". Qu'est-ce que je veux dire par là ? J'entends des déclarations très générales tout à fait importantes, intéressantes : "Il faut respecter la résolution des Nations unies qui vient d'être votée ; il faut absolument que la violence s'arrête...". Il y a des déclarations, mais concrètement ? Par exemple, j'aurais aimé que le président de la République - hier, il a fait des émissions de télévision et de radio - dise : "Voilà ce que j'ai fait aujourd'hui, concrètement, moi, président de la République française pour, par exemple, avoir un entretien avec monsieur Bush et avec mes partenaires européens, parce que la situation est gravissime". Je pense qu'il y a beaucoup de paroles mais peu d'actes concrets. Or, la France a ses responsabilités à prendre. Moi, personnellement, je pense qu'immédiatement, il faudrait prendre toutes les dispositions visant à convaincre qu'il est nécessaire de retrouver la voie de la négociation. Pour cela, je pense de plus en plus [qu'il est] évident qu'on ne pourra pas y arriver s'il n'y a pas une force d'interposition de paix, qui permette effectivement l'application concrète des résolutions des Nations unies votées par tout le monde, y compris d'ailleurs les Américains, dans la toute dernière période. S'il n'y a pas cette disposition-là, je crois qu'on aura des difficultés. On me dit : aujourd'hui, Sharon ne veut pas, qu'il est dans une sorte de fuite en avant folle qui entraîne des attentats qu'il faut autant condamner que la démarche de Sharon elle-même. Mais concrètement, qu'est-ce que l'on fait ? Il y a une situation où la France peut peser. Un président de la République française, voire un Premier ministre français, peut peser dans la situation actuelle. Je pense qu'actuellement - pour des raisons liées peut-être à la campagne électorale, ce [qui] serait gravissime à mes yeux au nom de la politique telle qu'elle doit être comprise dans un pays comme la France -, il faudrait prendre des dispositions. Il y a urgence. Et la meilleure démonstration, [la meilleure façon] de montrer qu'on est un homme d'Etat capable de présider aux destinées d'un grand pays comme la France, c'est de prendre des mesures immédiates. Il faut que cesse cette violence, cette tuerie dans cette partie du monde, cela me semble évident."
S. Paoli : En attendant, les civils font plus que les politiques ?
- "Les civils font, les politiques font..."
S. Paoli : Franchement pas beaucoup...
- "Pas assez à mon avis. Personnellement, je me pose la question pour moi-même : qu'est-ce que j'ai fait ces dernières 48 heures, en dehors de manifestations auxquelles mes amis ont participé ? Mais concrètement ? Je me suis adressé au président de la République par lettre - ce n'est pas une façon habituelle dans une période de campagne électorale - pour lui dire : "Prenons des dispositions". J'ai eu une réponse de J. Chirac qui, sur le fond, apporte des réponses assez intéressantes du point de vue de la nécessité de trouver le chemin de la paix. Mais concrètement ? On est impuissant ? Non. Je crois qu'il faut faire plus. Moi, dans mon rôle de responsable politique, il y a à pousser - ce que je fais en ce moment à votre antenne, et je vous en remercie - en disant : est-ce que cet après-midi, aujourd'hui, J. Chirac et L. Jospin vont dire quelque chose aux Françaises et aux Français sur ce qu'ils font par rapport à cette question majeure pour l'avenir du monde et de la paix ? C'est une grande question. Voilà une belle démonstration politique à faire, au delà des clivages."
P. Le Marc : Redoutez-vous les conséquences importées de ce conflit en France, le choc des communautés que l'on sent monter ?
- "Il y a des inquiétudes à avoir. Les actes qui ont été commis contre des synagogues, par exemple, non seulement me choquent profondément - je trouve cela inacceptable - mais il faut que l'on voie bien la nature de ces actes. Qui d'ailleurs les réalise ? Là encore, j'ai vu qu'il y avait eu une tentative d'attentat [contre] une synagogue et on n'a pas arrêté les gens qui effectivement, sont à l'origine. Je ne sais pas s'il faut pour le moment voir une exacerbation des communautés concernées dans cette affaire. Je suis assez prudent. Moi, je suis maire d'une ville de banlieue. Il y a des quartiers où pourraient s'exprimer ces difficultés. Je sens qu'il y a une grande tension. Regardez comment elle nous habite. Comment n'habiterait-elle pas des gens qui sont plus concernés encore, qui ont cette sensibilité personnelle, singulière et on comprend bien les choses. Mais je ne sens pas cette exacerbation. Il reste qu'il y a des actes concrets qui ont été commis et cela doit se traduire par des dispositions qui sont prises."
P. Le Marc : Les réactions du Président et du Premier ministre ont-elles été à la hauteur de ce phénomène, de ce fait, ou pas ?
- "Il me semble qu'il y a eu, là, une réaction forte, significative. Des dispositions, semble-t-il, ont été prises de protection concrète. Cela me semble aller dans le bon sens. Mais je veux dire, je ne suis pas de ceux qui disent que nous sommes dans un climat où grandit l'antisémitisme. Il y a de vrais problèmes qui se posent. Loin de moi de les minorer. Mais il reste que la France n'est pas dans ce fuite en avant antisémite qui serait dramatique, gravissime. Dans d'autres périodes de notre histoire, on sait que ce genre de phénomène peut vite se développer. Mais je ne le ressens pas comme un élément d'exacerbation aujourd'hui. Je crois que les élus locaux, que les responsables politiques - vous évoquiez à l'instant ce que peut faire effectivement un responsable politique et des gens dans la société -, je crois que participer du débat politique pour essayer de comprendre, pour trouver les cheminements nécessaires, me semble aller dans le bon sens. Je voudrais dire qu'il faut montrer ce que sont les réalités des forces politiques et des forces en présence dans cette partie du monde. Il y a certes cette folle politique de Sharon - l'autorité palestinienne mise à mal, en difficulté réelle, physique ; peut-être que l'intégrité physique même de Y. Arafat peut être aujourd'hui en cause. J'ai eu Y. Arafat au téléphone. Lorsqu'il y a eu les propositions saoudiennes, je l'ai appelé personnellement. Il m'a dit : "Dites surtout qu'il y a effectivement la nécessité de trouver le chemin de la négociation, qu'il y a en Israël des forces qui sont des forces pacifiques". D'emblée, il y avait l'idée que les choses n'étaient pas unilatérales. Donc, je crois qu'il faut se saisir de cela. Moi, j'ai rencontré des pacifistes israéliens qui mènent la bataille, qui ne sont pas d'accord avec la politique de Sharon, qui pensent qu'il faut une autre politique, qu'il faut encourager dans ce sens, tout ce qui va dans le sens de la paix. Nous avons un gros travail à faire dans les communautés. Au niveau de notre pays, il faut que nous apportions beaucoup d'aides, d'explications. Je sais bien que la période - mais c'est dur de le dire - n'est pas propice. Comme s'il y avait un moment propice, comme si on était le nombril du monde, parce qu'on est en élection, parce qu'il y a des élections en France ?! Je crois qu'il y a un travail de fond à faire, un travail citoyen, très important, et cela peut contribuer à apporter des réponses au moins à ce qu'il n'y ait pas exacerbation des tensions, comme vous l'évoquiez tout à l'heure."
J.-L. Hees : Je voudrais vous ramener à la campagne électorale en France. Je vous ai trouvé sévère il y a deux ou trois jours avec votre partenaire de la gauche plurielle, L. Jospin. Vous disiez : "Oh, là, là, il est très euphorique alors qu'il n'y a aucune raison d'être euphorique quant aux chances de la victoires de la gauche au deuxième tour, en ce moment. Que cela ne correspond pas vraiment à la réalité". J'aimerais bien - je ne vais pas vous demander votre diagnostic pour le second tour - mais tout de même, trouvez-vous que le rapport des forces n'est pas favorable ?
- "Je trouve que le rapport des forces est très instable. Je trouve que peut-être jamais, on a senti les Français aussi interrogatifs sur les enjeux. Ce n'est pas un lieu commun. J'ai entendu cela déjà ..."
J.-L. Hees : Dix-sept candidats, cela prouve quelque chose...
- "Mais dix-sept candidats, c'est quelque chose. Quand la dernière enquête d'opinion, ce matin, publiée par BVA, montre qu'il y a un affaissement à nouveau des deux têtes de l'exécutif, dont l'un des deux sera président de la République, cela me semble évident. Mais cela, dans la tête d'un Français moyen, qu'est-ce que cela signifie ? Quels enjeux ? Les jeux sont faits, puisqu'on sait déjà que ce sera un de ces deux-là. Mais en plus, il n'y a pas clarté. On ne voit pas très bien de différences dans les programmes. Qu'est-ce que cela traduit ? Des choses que vous connaissez parfaitement et qui me laissent sceptique [quant à] ceux qui disent que sur le rapport des forces tout est presque réglé. Non, pas du tout, Il y a une montée effectivement ... Moi, je rencontre beaucoup de gens qui sont interrogatifs au point de dire : je vais peut-être m'abstenir. C'est gravissime. On est dans une situation à l'américaine, en quelque sorte. Avec combien de suffrages des inscrits le président de la République sera-t-il élu ?"
P. Le Marc : C'est un signe d'affaiblissement de la fonction et de l'institution présidentielles ?
- "Je le pense. C'est un signe d'affaiblissement général de la démocratie et des institutions, d'une façon générale. Il y a cette abstention qui nous guette, il y a une montée des extrêmes - je ne confonds pas, mais nous voyons monter Le Pen et Laguiller des deux côtés - avec en fait de plus en plus le réceptacle de prises de position qui ne sont pas cohérentes au plan politique dans les deux partis. Quand je vois que si Le Pen - il semble qu'il ait ses signatures - n'avait pas été candidat, Laguiller montait de 2 à 3 points dans les enquêtes ! Cela veut dire qu'il y a un transfert immédiat vers le FN. Cela veut dire qu'il y a en fait une sorte de vote protestataire qui n'est pas cohérent, qui est très impuissant et qui, probablement d'ailleurs - c'est ce qui fait sa volatilité - sent son impuissance : on sait très bien que ce vote ne va pas déboucher sur quelque chose. Dans les deux cas, Le Pen ne sera pas dans l'exécutif futur. Quant à Laguiller, elle ne veut surtout pas choisir entre la gauche et la droite. Cela veut dire que nous sommes dans une situation où les Français sont dans une grande incertitude. Je termine mon propos sur la question de fond que vous me posez. On a tort, aujourd'hui - je le dis vis-à-vis de L. Jospin - d'imaginer que les rapports de force sont définitivement établis. Regardez ! Moi, je suis ce matin, dans l'enquête d'opinion BVA, à 6 %. On me dit que ce n'est pas un très bon niveau. Volontiers, j'aimerais mieux être à 8 %, ce que j'avais à la dernière présidentielle. Mais on ne dit pas que L. Jospin est à 20 %, c'est-à-dire 3,5 points en dessous de ce qu'il a fait au premier tour de la dernière présidentielle. Donc, il y a des incertitudes et je crois qu'il faut les prendre en compte."
S. Paoli : D'un mot - parce qu'on y reviendra juste après le journal de 8h00 - mais vous faites aussi un diagnostic assez sévère pour la gauche plurielle. Est-ce qu'elle existe encore, là ?
- "La gauche plurielle, elle a existé en fonction d'une situation inattendue. C'était celle d'une dissolution. Il y a eu un concept de mis au point avec des partenaires de la gauche, lesquels ont construit au pouvoir une stratégie qui a été, à mon avis, efficace à bien des égards. Je ne boude pas ce qu'a fait la gauche plurielle. Mais aujourd'hui, qu'est-ce que disent les Français ? Ils ne veulent pas - enfin une partie de ceux de gauche - de la droite, mais ils ne veulent pas non plus que continuent ce qui se fait ces derniers temps en matière de gauche plurielle, sinon ils ne voteraient pas protestataire, ils voteraient pour cette gauche plurielle. Il y a donc bien une autre politique à gauche à imaginer. C'est ce que je dis de ce point de vue à L. Jospin. Lui, il dit : "Il faut continuer en gros ce qui s'est fait jusqu'à maintenant". Moi, je dis "non". Il faut certainement une expérience de gauche citoyenne, progressiste, mais pas une expérience qui aujourd'hui, arrive à son terme, et qu'il faut imaginer autrement."
Deuxième partie - 8h15
S. Paoli : Vous entendiez dans le journal de 8h00, à l'instant, M. Gremetz [ndlr : cf RPA] vous donner un conseil : martelez, martelez sur le fond et dénoncer la domination du capital, disait-il...
- "Oui, M. Gremetz mène campagne, me soutient dans son département de la Somme, je pense qu'il est utile qu'il fasse comme cela. Moi, de mon côté naturellement je mène une campagne qui tient compte de ce que j'ai ressenti de profond ces derniers mois dans le tour de France que j'ai fait en rencontrant les militantes et les militants. C'est cette formidable émergence de l'urgence sociale avec des inégalités qui ont terriblement grandi et qui font de la précarité, surtout de la lutte contre les inégalités, une urgence pour tout candidat à la présidentielle qui se réclame des valeurs de gauche. Moi, je veux ancrer la gauche bien à gauche. Je pense qu'aujourd'hui ça ne peut pas se faire si on ne propose pas un plan d'urgence extrêmement précis visant à ce que des mesures, visant à dès les prochains mois à faire reculer les inégalités qui s'affirment dans le pays."
J.-L. Hees : Mais que disent les militants du Parti Communiste, quand vous les rencontrez. Déjà, ils doivent être un petit peu déçus par exemple de voir les résultats, dans les sondages d'A. Laguiller. Mais ils ne vous disent pas de temps en temps qu'il y a une ambiguïté quelque part ? Qu'il y a une ambiguïté sur ces choses-là, sur la vraie nature de la gauche par exemple, que devrait incarner le Parti communiste ?
- "Non, ils ne disent pas ça, les militants communistes. Les militants communistes voient bien la situation dans laquelle nous sommes, ils ont les mêmes préoccupations que celles que j'ai sans détour évoquées tout à l'heure sur la réalité du rapport des forces. Mais en même temps, d'abord les militants communistes sont engagés dans une campagne très dynamique. Je multiplie les meetings, les réunions, vous avez un certain nombre de vos collègues journalistes qui sont présents y compris de France Inter, souvent. Donc, ils se rendent bien compte qu'il y a une présence importante, que les grandes questions sont posées. Les questions posées, ce n'est évidemment pas l'âge du capitaine, ni le lapsus de tel ou tel candidat ; ce sont les grandes questions politiques notamment celle que j'évoque à l'instant. Un : est-ce que oui ou non, la gauche sera en mesure dans les prochaines périodes de s'attaquer frontalement aux problèmes qu'elle n'a pas réussi à résoudre. Les militants ont décidé notre participation en 97 au gouvernement de la France ; ils ne le regrettent pas aujourd'hui et je ne le regrette pas non plus. Je pense que si les communistes n'avaient pas participé au gouvernement à partir de 97, au-delà du fait qu'il n'y avait pas de majorité sans eux, mais au-delà de cette question, nous serions aujourd'hui dans une politique de dérive terriblement sociale-libérale, à la Blair pour tout dire. Donc, on a évité cela. Est-ce qu'on a été assez fort, pour faire entendre mieux notre voix ? Pas suffisamment. Dans certains domaines, oui, une bonne partie de ce qu'on fait et les ministres communistes et ce que nous avons apporté dans cette bataille sur les mesures sociales : qui pense un seul instant que les grandes mesures sociales qui ont été prises, les 35 heures, les mesures contre l'exclusion, la CMU, autant d'éléments n'ont pas là, bénéficier de l'apport communiste ? Mais surtout, nous n'avons pas, sur un certain nombre de questions été entendus par L. Jospin, notamment dans la dernière période. Et c'est ça que je suis en train d'essayer de modifier avec le vote communiste le 21 avril. Il faut que l'on nous entende. J'évoquais l'autre jour l'idée que la gauche, elle n'est plurielle que si réellement toutes les forces qui la composent sont entendues dans cette gauche et que ce n'est pas une sorte de démarche très présidentielle déjà, autour du Premier ministre, de quelques technocrates, qui décident de choix qui sont souvent en rupture avec ce qu'attendent une partie de l'opinion de gauche et ce qu'attend une partie de l'opinion de gauche"
J.-L. Hees : Autrement dit, plus vous êtes à gauche, plus vous rendez service à L. Jospin C'est ça que vous dites ?
- "Rendre service à L. Jospin n'est pas mon problème aujourd'hui. Ce que je veux, c'est rendre service à la gauche et rendre service à la France. J'estime qu'aujourd'hui, il y a un certain nombre de mesures qui ne sont pas prises, qui coupent une partie de la France, des Françaises et des Français de la démarche de gauche. Je vois bien les clins d'il qui sont lancés par L. Jospin vers le centre, vers la droite, vers un certain nombre de thèses libérales, mais je dis attention du côté de l'électorat populaire, il y a beaucoup d'interrogations, il y a des frustrations. Ils ont vu qu'il y avait une croissance qui n'était pas négligeable à un moment mais, en même temps et ce n'est pas nous qui le disons, c'est l'observatoire de la pauvreté, il y a poursuite des inégalités, il y a quand même dans ce pays 4,3 millions personnes qui n'ont pas le minimum pour vivre chaque mois, qui n'ont pas 3.500 francs ou 600 euros par mois. Il y a donc des choses qu'il faut changer à gauche. Il ne faut pas continuer ce qui s'est fait avec la gauche plurielle ces derniers temps. Ca ne marchera pas, ça ne marchera plus. Il faut une autre politique à gauche, qui prenne en compte des mesures plus radicalement de gauche, qui fassent que les Françaises et les Français qui s'inscrivent dans ces valeurs nous entendent..."
P. Le Marc : Mais alors, vous parlez à la gauche, mais la gauche entend davantage A. Laguiller que vous ? Alors comment expliquez-vous ce succès ? Est-ce que vous partagez la mise en garde de L. Jospin, qui dit que ce n'est pas une "super syndicaliste", mais l'avocate d'une idéologie de régression. Est-ce que vous partagez cette analyse ?
- "Chacun voit bien qu'A. Laguiller a dans son électorat un noyau qui a toujours existé autour de 3, 4, 5 % peut-être de gens qui s'inscrivent dans une grande radicalité etc. Et puis aujourd'hui, il y a une progression de son électorat, effectivement - enfin les intentions de votes très volatiles par ailleurs, mais quand même une réalité des intentions - qui montre qu'elle est le réceptacle de gens qui veulent exprimer des colères parfois"
P. Le Marc : Mais comment qualifiez-vous son idéologie et la manière dont elle pratique la politique ?
- "Elle dit elle-même qu'elle ne se situe pas, qu'elle met dos à dos la gauche et la droite dans la prochaine période, elle dit "je ne choisirais pas au deuxième tour". Les propositions qu'elle fait, la plupart du temps, les Français ne les connaissent pas. S'ils les connaissaient, un certain nombre d'ailleurs ne voteraient pas ou n'auraient pas l'intention de voter pour elle. Ce sont des propositions complètement irréalistes. Elles sont les mêmes, on l'a dit souvent"
P. Le Marc : Celles que vous partagiez il y a quelques années ?
- "Non, non, je crois qu'en tout état de cause, aujourd'hui, il est évident que de proposer la dictature du prolétariat ne me semble pas quand même de nature à entraîner l'adhésion massive."
P. Le Marc : C'est ce que proposait le PC jadis ?
- "Oui, mais bien sûr, mais le Parti Communiste a beaucoup changé de ce point de vue et je crois que ce qui compte, ce n'est pas les déclarations des incantations, c'est qu'est-ce que concrètement on pourra mettre en uvre dès l'élection présidentielle et législative passées, pour les Françaises et les Français. Aujourd'hui, regardez A. Laguiller : au-delà de son programme qui effectivement n'est pas du tout crédible, c'est un vote d'impuissance, d'impasse que l'on peut faire quand on vote pour elle. Mais au niveau de la responsabilité politique... Regardez, je prends deux grands événements qui marquent l'opinion française depuis quelques jours. Le Proche-Orient - on en a parlé beaucoup tout à l'heure, c'est légitime - et la tragédie de Nanterre, où des élus du peuple sont assassinés. Vous l'avez entendu parler de ces deux questions fondamentales ?"
P. Le Marc : Sur le Proche-Orient, hier soir...
- "En tous les cas, moi, je ne l'ai pas entendu et je trouve que c'est tout à fait caractéristique de la position d'A. Laguiller aujourd'hui. Elle n'est pas en situation de responsabilité du tout, elle ne veut pas la responsabilité. Donc, si on a envie d'être efficace... Je comprends que des gens puissent avoir envie de protester. Mais il faut qu'ils puissent voter et protester avec leurs votes. Ils peuvent le faire avec le vote communiste. Mais avec un débouché constructif, pour que ça change le 22 avril, qu'on ne tourne pas la page, qu'A. Laguiller ne reparte pas pour cinq ans sans que rien ne soit fait. Aucune des mesures qu'elle préconise depuis 30 ans n'a jamais été mise en uvre. Donc, il faut bien être efficace dans la société telle qu'elle est aujourd'hui. Donc, je propose l'efficacité. Mon objectif est d'ancrer la gauche bien à gauche et je crois que c'est le vote le plus utile pour la gauche aujourd'hui."
S. Paoli : Justement, parlons de vous. Comment mesurez-vous, comment estimez-vous votre capacité d'influence aujourd'hui ? Vous êtes, dans les derniers sondages, crédités de 4,5 à 5 % des intentions de vote. Alors ce sont les sondages. Mais comment estimez-vous votre capacité d'influence alors que tout va se jouer - les observateurs mais vous-même le disiez tout à l'heure -, tout va se jouer au centre ?
- "Non, tout va se jouer au centre, mais je pense qu'au plan électoral - c'est ce que j'évoquais tout à l'heure à propos du rapport des forces politiques -, je ne vois pas le candidat socialiste aujourd'hui qui pourrait devenir le candidat d'un rassemblement au deuxième tour, l'emporter, sans les suffrages du Parti communiste. Il est évident que ceux qui imaginent un seul instant qu'il peut y avoir une solution à gauche en France, sans le Parti communiste, se trompent complètement. Et le problème, ce n'est pas une question de désistement de R. Hue ou de reports des voix de R. Hue. C'est est-ce qu'il y aura des propositions à gauche, suffisamment ancrées et prenant en compte ce que j'essaie d'avancer au plan social, au plan économique, aujourd'hui, par la gauche française, pour qu'elle soit vraiment crédible et qu'elle gagne l'élection ? Mais je crois que rien n'est joué de ce point de vue"
J.-L. Hees : Est-ce que l'on peut préciser les choses ? Puisqu'on va faire un petit peu comme tout le monde, vous allez nous le reprocher, on va se mettre dans une optique de second tour. Pardonnez-nous, mais c'est bien ce don on parle tout de suite autour de cette table. Qu'est-ce qui va se dire le lendemain du premier tour, entre R. Hue et L. Jospin ? C'est : "Voilà, j'ai 25 points de programme du Parti communiste que j'ai défendus pendant ma campagne, voilà les cinq points qui me semblent essentiels pour que l'on puisse aller à la bataille du second tour ensemble ?"
- "Je ne pense pas qu'il y aura ce type de négociation entre les deux tours. Nous sommes dans une campagne présidentielle, qui n'a pas cette caractéristique-là. Enfin en tous les cas ce n'est pas ce genre de choses"
J.-L. Hees : Alors, cela ne sert à rien ?
- "Non, ça va servir beaucoup. Ca va servir beaucoup. Vous savez tout le monde sent bien que si les forces de la gauche française ne se rassemblent pas, celles qui composent la gauche plurielle notamment, ne se rassemblent pas au deuxième tour, il n'y aura pas cette réussite de la gauche. Il y a un danger qu'effectivement J. Chirac en reprenne pour cinq ans et je ne veux pas de cela. Je suis clairement inscrit à gauche et je ne veux pas de cela. L. Jospin ne gagnera pas si il ne prend lui-même en compte ce qu'aura été porté au premier tour, sur ma candidature par exemple. L'électorat communiste, qui est un électorat qui est franchement bien ancré à gauche aujourd'hui, à la différence des électorats que l'on évoquait tout à l'heure - A. Laguiller, une partie de son électorat votera Chirac au deuxième tour, les enquêtes le montrent ce matin... "
J.-L. Hees : Elle commence à vous agacer, A. Laguiller !
- "Non, ce n'est pas ça le problème. Vous savez, ce matin, dans les enquêtes je progresse et elle aussi progresse ; cela veut dire qu'elle ne prend pas sur mon électorat maintenant, elle prend sur un autre type d'électorat. Ce n'est pas ça le problème. C'est est-ce que son électorat - ou en tous les cas ce qu'elle aurait capitalisé au premier tour -, bloquera toute possibilité à la gauche de l'emporter ? C'est ça la question. Est-ce que cet électorat va neutraliser en quelque sorte dans une impasse, va empêcher effectivement la gauche de gagner et surtout va permettre à la droite de continuer ? C'est une grande question quand même. Donc, ce n'est pas moi que ça agace ; c'est l'opinion publique en général, aujourd'hui, qui doit s'interroger sur qui va l'emporter dans ce deuxième tour. Donc, moi, je pense qu'on ne pourra pas ne pas prendre en compte les propositions qui sont faites par moi en matière de plan d'urgence social, recul des inégalités... Si on ne les prend pas en compte, il y aura défection et il y aura effectivement un risque très grand que la gauche ne l'emporte pas. Donc, je suis aujourd'hui dans la situation suivante. Vous me posiez une question : quel moyen aujourd'hui pour moi de faire avancer un certain nombre de choses ? Je crois que c'est en portant sur ces idées-là, des idées franchement à gauche, radicalement à gauche, le plus haut possible, dans ce premier tour, que je rendrai le meilleur service à la gauche et au pays, parce que c'est dans ce sens que doivent aller les choses voilà. Sinon c'est l'impasse."
Troisième partie - 8h45
S. Paoli : Nous en étions à ce qui est peut-être votre différence, justement aussi par rapport à A. Laguiller dans votre programme. Dans la hiérarchie des importances, qu'est-ce que vous mettriez en priorité ? On a beaucoup parlé de l'insécurité, des retraites...
- "Naturellement, l'insécurité est un problème important, mais je crois que les premières mesures à prendre sont un plan d'urgence pour faire reculer un certain nombre d'inégalités. Elles tiennent d'abord, pour moi, premier point, à la situation de pauvreté et de difficultés d'un certain nombre de familles, d'ailleurs familles populaires ou couches moyennes. Je pense qu'il faut tout de suite un relèvement des salaires directs. Je suis le seul candidat, dans cette campagne, qui évoque l'augmentation des salaires directs, des pensions, des retraites. Ca me semble une nécessité. Je pense qu'aujourd'hui, il faudra très vite qu'il n'y ait plus aucun minimum social déjà sous le seuil de pauvreté mais, ensuite, il faut ce plan de rattrapage de tous les salaires égaux ou inférieurs - malheureusement il y en a beaucoup - au SMIC et je propose de relever de 300 euros, c'est-à-dire, en gros, 2.000 francs, ces moyens-là, ces salaires, ces retraites, ces pensions, ces minima sociaux. Je pense aussi que l'une des questions-clé sera la question de la retraite. Et, là, je vois bien, effectivement, quand j'évoque des dérives droitières de L. Jospin, que ce n'est pas seulement de la théorie. Quand il plaide pour le prolongement de Barcelone, à Barcelone, au sommet de Barcelone, il y a quand même eu une chose gravissime, pour moi en tous les cas : c'est la remise en cause - alors je sais qu'il s'en défend - du droit à la retraite à 60 ans et l'idée qu'on peut allonger la durée des annuités, c'est gravissime. Je pense qu'il ne faut pas accepter cette démarche. Elle est étroitement liée à l'avenir des retraites, aux moyens qu'on peut dégager pour ces retraites. Donc, voilà Les questions sociales, les questions donc du pouvoir d'achat, des salaires, des retraites, les questions des retraites sont des questions très importantes et ce ne sont pas des questions J'entends bien M. Seillière : il y a huit jours, il a dit que les propositions que je fais sont absurdes, parce qu'on n'augmente pas aujourd'hui les salaires ! Que le Medef dise que c'est absurde m'encourage beaucoup, vous voyez, à continuer. Mais il est clair que je crois que ce ne sont pas des mesures archaïques. Si on donne du pouvoir d'achat supplémentaire immédiatement aux salariés, à des millions de salariés, de retraités, de gens qui n'ont que les minima sociaux pour vivre, ils ne vont pas aller les placer dans les paradis fiscaux, ils ne vont pas spéculer avec, ils ne vont pas les jouer en Bourse, ils vont les mettre dans la consommation. Et cette consommation sera de nature à conforter une véritable politique de croissance et d'emploi qui, actuellement, n'est pas confortée dans les propositions des autres candidats, notamment celles de J. Chirac et de L. Jospin. On regarde ce qui va se passer aux Etats-Unis en terme de croissance pour définir ce que peut être une croissance en France ! Je dis que la croissance en France passe par une dynamique économique, sociale et notamment un recul des inégalités en France qui, en fait, dynamiseront cette démarche, cette croissance. Voilà des propositions concrètes que je fais. En terme d'emploi, nous sommes dans une période où il faut vraiment apporter des garanties nouvelles. Je pense, par exemple, que la question de l'emploi stable, ça passe déjà par rendre stables des emplois qui sont précaires actuellement. Il y a des centaines de milliers d'emplois-jeunes, par exemple, qui ont été créés il y a maintenant cinq ans. Cela a été une évolution positive, mais il reste qu'aujourd'hui, il faut qu'ils deviennent des emplois stables. Je veux transformer les emplois précaires dont souffrent aujourd'hui beaucoup d'hommes et de femmes dans notre pays, en emplois stables. C'est possible. Alors, au bout de tout cela, il y a naturellement des mesures courageuses à prendre et c'est là que le débat est très tendu avec L. Jospin, en ce qui me concerne, pour l'avenir. Moi, je crois qu'il faut avoir le courage de s'en prendre, aujourd'hui, aux revenus financiers, qui sont beaucoup épargnés dans la société actuelle, y compris d'ailleurs avec la politique européenne qui n'est pas celle qu'avait choisie la gauche en 97, où les orientations n'ont pas été changées. On reste dans une politique où le pacte de stabilité, la Banque centrale européenne, verrouillent une partie des possibilités. Moi, je dis qu'il y a par exemple 500 milliards - je donne des chiffres concrets, parce que j'entends plein de propositions, y compris sociales, je m'en félicite quand elles viennent donc dans le projet socialiste, après celles que nous avons préconisées"
J.-L. Hees : Mais il n'y a pas de projet socialiste pour les présidentielles, c'est ce que L. Jospin nous a dit
- "Oui certes, mais en tous les cas, pour le moment, il y a un candidat socialiste, c'est L. Jospin. Il a un projet. Dans ce projet, je vois poindre un certain nombre de mesures sociales que moi-même je préconise. Et donc je ne vais pas m'en plaindre. Mais, cela dit, deuxième question : où on prend l'argent pour le faire ? Si on n'a pas le courage de dire - c'est ma position très radicale - qu'il y a, dans cette société, aujourd'hui, plus de moyens donnés au capital qu'au travail, eh bien, si on n'inverse pas cette chose-là, d'abord, on ne s'inscrira pas dans une disposition de gauche et, ensuite, on n'aura pas les moyens de répondre aux questions. Et on va prendre des engagements qu'on ne tiendra pas. Moi, je tiens mes engagements. Je dis qu'il y a 500 milliards de revenus financiers aujourd'hui, dont 80 % échappent aux prélèvements tout à fait légalement. Eh bien, je dis qu'il faut qu'ils contribuent, il faut qu'ils contribuent à la solidarité nationale, au développement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui."
J.-L. Hees : Je voudrais qu'on revienne sur ce thème de l'insécurité qui a été vraiment, peut-être - vous allez me le dire - surexploité tout au long de cette campagne. Mais ne vous dépêchez pas de me répondre, parce qu'on a senti que vous étiez véritablement bouleversé par la tragédie de Nanterre. Donc, est-ce que ça a modifié quelque chose dans votre point, de vue en tant qu'homme politique de vous dire, qu'on surexploite sûrement, pour des raisons démagogiques ou électorales, le sentiment d'insécurité en France - quoi qu'il existe -, mais, dans un même temps, quand un homme peut tirer comme ça, avec des armes de guerre dans un conseil municipal, comme à Nanterre, et que ça fait 8 morts et plusieurs blessés, est-ce que ça a modifié votre point de vue ?
- "Je vais au-delà même de ce que vous me dites là : ce n'est pas un sentiment d'insécurité, il y a une véritable insécurité qui existe en France aujourd'hui. Et le drame de Nanterre, j'en ai dis ce que je pensais naturellement, au-delà du bouleversement, de l'émotion - des amis très personnels ont été tués dans cette affaire. Vous savez, c'est très dur. Mais j'ai dit de faire attention de ne pas exploiter ça, parce qu'il y a un vrai débat sur la sécurité aujourd'hui dans le pays, mais ne tirons pas profit de tout ce qui est dans la vie de tous les jours, que ce soit hier ce drame terrible de Nanterre ou, demain, telle ou telle synagogue qui sera mise en cause - ce que je condamne avec la plus grande fermeté -, n'utilisons pas tout cela pour participer d'un climat général qui, en fait, aurait une arrière-pensée électorale. Une fois que j'ai dit ça, il y a des réponses à apporter en matière de sécurité et je vais vous donner mon sentiment très précisément là dessus. Je pense qu'effectivement, il faut une politique beaucoup plus globale en terme de ce que j'appelle "de droit à la tranquillité publique" dans un pays comme la France. Il faut s'en donner les moyens. J'en dirai une phrase tout à l'heure, après ma première démonstration sur cette question de l'insécurité. Puisqu'il y a insécurité et que ça apparaît comme une priorité pour les Français, il faut se donner les moyens, effectivement, de répondre par des mesures extrêmement concrètes. L'énoncé des mesures que je peux avancer, peut-être que cela sera semblable à celles qu'on a déjà entendues. Mais, en ce qui me concerne, je pense qu'il faut naturellement des mesures de prévention très fortes, des mesures de prévention très fortes qui ne règlent pas tout, loin s'en faut, des mesures de prévention très fortes qui permettent, avec des moyens pour les services publics, pour l'école, pour la politique de la ville, pour la justice, pour la gendarmerie, d'avoir des possibilités de prévention supplémentaires. Mais l'idée qu'il suffirait d'en rester à la prévention et qu'il conviendrait d'être beaucoup plus réservé sur la sanction ne m'habite pas. Moi, je pense qu'on ne peut pas accepter qu'il y ait des délits qui ne soient pas sanctionnés et, personnellement, je suis de ceux, vous le sentez bien, pour qui la souffrance sociale réelle dans toute une série de quartiers doit être effectivement prise en compte. Mais, en aucun cas, je dis que cette misère sociale, ces difficultés, ces souffrances ne peuvent rendre - comment dirais-je ? - légitime un acte de violence. Donc, je suis pour, effectivement, la sanction. Ensuite, je suis pour la réparation concernant les victimes et il me semble que, de ce point de vue, on oublie trop souvent ce qui se passe dans ces quartiers. Et puis, je veux dire que ces actes qui existent dans un certain nombre de quartiers, qui créent cette insécurité qui, je répète, va au-delà du sentiment, il y a une insécurité réelle. Elle touche des catégories souvent les plus pauvres, les plus modestes, les premières. Je disais l'autre fois, volontiers, que lorsqu'une voiture brûle dans un quartier ou qu'un autoradio est dérobé, ce n'est jamais celui d'un riche, ce n'est pas la voiture d'un riche"
P. Le Marc : Est-ce que vous êtes d'accord ou pas, sur la création de centres fermés, ce que proposent à la fois J. Chirac et L. Jospin, pour les délinquants mineurs ?
- "Je pense qu'il faut un certain nombre de dispositions visant à ce que quand, dans un quartier, il y a des difficultés importantes avec un certain nombre de délinquants ciblés dont on connaît les actes et que la justice les a tout à fait révélés, il faut effectivement trouver les moyens de les isoler, de les mettre hors de la situation dans laquelle ils étaient dans le quartier. Donc, pour moi, il y a la nécessité, effectivement, de ce type d'équipement. Mais, en amont, je pense qu'il y a besoin de beaucoup plus de moyens en terme de prévention : les éducateurs spécialisés, les hommes et les femmes qui peuvent, dans les quartiers, apporter des réponses dans le domaine associatif. On ne donne pas assez de moyens aux élus, à la vie associative pour qu'effectivement, des mesures soient prises et nous permettent d'isoler les actes de délinquance. Et puis, il y a à être très ferme sur ceux qui vivent de la délinquance. Il faut appeler un chat un chat. Je suis maire depuis 25 ans, j'observe dans les villes de banlieue, un certain nombre de choses. Je vois bien qu'il y a des économies parallèles qu'on ne peut pas accepter Je ne veux pas m'associer à ceux qui, pour des raisons sécuritaires et politiciennes, jettent l'anathème sur les jeunes. Les jeunes, dans cette société, ce sont les premières victimes de la souffrance et de l'insécurité. Je vois bien des économies parallèles qui ne sont pas neutres, qui sont reliées à des situations de grand banditisme qu'il faut absolument prendre en compte. Aujourd'hui, il y a les douaniers qui sont en mouvement. J'ai rencontré les douaniers. Ils savent très bien qu'ils ont beaucoup moins de moyens par rapport au grand banditisme. Si on pense un seul instant qu'il y a un développement d'actes de délinquance et d'économie parallèle qui ne sont pas reliés à un système, on se trompe. Il faut s'attaquer en profondeur aux choses. Alors, une fois que j'ai dit cela, j'ai entendu d'autres le dire incontestablement, mais je demande quels moyens ils se donnent. Je dis qu'il faut doubler, en cinq ans, les moyens qu'on met à la sécurité en général, à la tranquillité publique en général - ce n'est pas seulement d'ailleurs le budget du Ministère de l'Intérieur, mais celui de la Justice, celui de la Ville notamment. Et pas de saupoudrage : il faut vraiment avoir un décloisonnement fort et qu'on apporte une réponse globale dans cette affaire."
S. Paoli : Vous parlez beaucoup des jeunes. Il y a alors la question des modèles qu'il faut poser. Quels modèles la politique donne-t-elle aujourd'hui, notamment aux jeunes ? On ne va pas revenir - et pourquoi pas d'ailleurs, tenez, revenons-y aux affaires ! Y compris d'ailleurs ce que dit Le Canard Enchaîné ce matin, sur les 4.000 francs par jour payés, pour partie en liquide, du budget de fonctionnement alimentaire de la Mairie de Paris à une certaine époque. Est-ce que la politique donne - et la politique tous azimuts, de la droite à la gauche - aujourd'hui la bonne image et le bon modèle, notamment aux jeunes ?
- "Je pense que les jeunes ont une grande envie de politique aujourd'hui, mais surtout pas la politique telle qu'elle est pratiquée, telle qu'elle s'exprime aujourd'hui. Il y a le rejet d'un système politique, d'un système élitiste, d'un système où il y a les puissants d'un côté et où on a le sentiment que les choses se décident toujours d'en haut et jamais en bas. Il y a une certaine révolte des jeunes par rapport à cela. Ils veulent pouvoir participer. Je crois qu'on se tromperait si on suivait un certain nombre d'analystes qui disent qu'aujourd'hui, les jeunes sont en retrait par rapport à la politique. Non, ils sont tout à fait au cur de la politique, mais pas cette politique-là. Et si l'offre politique qui peut leur être apportée ne correspond pas pour eux à une utilité, à la place qu'ils peuvent prendre eux-mêmes individuellement dans la société - et collectivement naturellement -, on n'apportera pas les réponses qu'ils attendent. Il y a, en même temps que les jeunes s'interrogent à partir de leur situation sociale réelle. J'évoquais la précarité tout à l'heure : elle touche beaucoup les jeunes, cette précarité. J'évoquais les emplois-jeunes qu'il faut transformer en emplois stables, mais pas seulement. Il y a un jeune sur cinq dans la société actuelle qui est dans une situation de pauvreté. C'est pour ça que je propose une allocation d'autonomie des jeunes et qui ne soit pas un RMI. Les jeunes n'ont pas envie d'être assistés, ils ont leur dignité. Ils veulent pouvoir entrer dans la vie. Je disais souvent, dans des réunions publiques il y a quelques années, qu'on est en train de vivre quelque chose d'assez terrible : c'est que la génération qui arrive va peut-être vivre plus mal que celle qui nous a précédés. Nous sommes en plein dedans. Il y a, aujourd'hui, des jeunes qui restent plus longtemps au foyer, à la maison. Pourquoi ? Ils ne sont pas mal chez les parents ? Mais c'est parce qu'ils ne peuvent pas prendre leur autonomie, s'engager dans la vie. Nous, enfin, on n'est pas tous de la même génération - encore que si peut-être ! - autour de cette table, on a vécu des choses différentes. A 20 ans, on pouvait avoir un démarrage un peu différent... Le petit boulot, le petit boulot pour l'étudiant est bien souvent le seul boulot et on abandonne les études, parce qu'on ne peut pas continuer. On a une situation, là, qui fait que, sur les questions sociales fortes, les jeunes ont besoin de réponses politiques également. Ils ont leur opinion sur ces réponses-là mais pas dans l'offre politique qui est faite aujourd'hui Et ce n'est pas dans une protestation sans lendemain qu'ils trouveront des solutions. D'ailleurs, je ne crois pas qu'ils sont prêts à cela, y compris dans des jeunes qui, aujourd'hui, disent "je voterai protestataire". La plupart du temps, je pense, malheureusement peut-être et je le regrette, le jour de l'élection, ils resteront éloignés de l'urne. Ils n'iront pas voter. Donc, il y a un vrai problème de ce côté-là. Mais le problème n'est pas de montrer la jeunesse du doigt en disant que c'est elle qui ne comprend pas la politique ; c'est la politique qui ne comprend pas les jeunes qui doit s'adapter aux besoins et qui doit prendre en compte, effectivement, la réalité de ce que les jeunes attendent aujourd'hui dans la société. Ils veulent changer le monde, les jeunes, ils n'ont pas changé de ce point de vue, comme nous l'avons voulu"
J.-L. Hees : Je vais les décevoir, parce que je voudrais qu'on revienne à la politique politicienne
- "Volontiers mais, en tous les cas, la politique qu'on pratique depuis ce matin ne me semble pas participer à une politique qui s'inscrit dans cette situation élitiste."
J.-L. Hees : Je vous en remercie ! Tout de même, franchement, quel est l'étiage en dessous duquel votre candidature serait un échec - enfin, un échec personnel dont vous tireriez les conséquences ?
- "Vous comprendrez bien que je ne m'inscris pas dans cette démarche parce que, d'abord, je crois que vraiment rien n'est joué. Il reste 18 -19 jours. Les premiers éléments de notre conversation tout à l'heure ont porté là dessus. Cette campagne va être marquée encore de surprises. Je ne sais pas si la surprise sera que le Parti communiste aura 7 - 8 %, alors qu'on le donne aujourd'hui à 5-6. Je ne sais pas si ce sera cela. Ce que je sais, c'est qu'il y a beaucoup d'incertitudes, beaucoup de volatilité, y compris dans les votes qui s'expriment aujourd'hui. Nous savons qu'en gros, 40 % - regardons les enquêtes, c'est quand même assez sérieux - des gens n'ont pas un vote définitif. La solidité des votes : c'est ça qu'il faut regarder actuellement dans les enquêtes d'opinion. La solidité du vote communiste est autour de 74 - 75 % ; c'est-à-dire qu'il y a déjà un vote certes à 6 % ou 5 %, mais très consolidé. Mais pour les autres candidats, pour beaucoup, leur vote est très volatile. Donc, on ne sait pas. Moi, ce que je pense, c'est que le Parti communiste est en situation, effectivement, de progresser de plusieurs points dans les semaines qui viennent, dans les jours qui viennent, j'en suis convaincu. Je ressens ça, parce qu'il y a une dynamique réelle ; je ressens ça, parce que de plus en plus de gens comprennent que si le score que fait le Parti communiste au premier tour n'était pas, par malheur, suffisant, eh bien, nous aurions une véritable dérive, ou à la Blair, voire à l'italienne et, ça, ils n'en veulent pas. Ils peuvent voter utile donc dès le premier tour. Et je pense que plus qu'on ne l'imagine vont le faire. En tous les cas, moi, je ressens cette dynamique. Vous ne me sentez pas du tout abattu, je suis vraiment dans une campagne, je me bagarre. Je sens que ça mord, ça marche, mais bon, c'est difficile parce que la situation est complexe dans ce pays où l'offre n'apparaît pas au niveau où elle devrait être."
P. Le Marc : J. Chirac estime que L. Jospin sera incapable de rassembler une nouvelle majorité. Quel est votre pronostic à vous ? Ca se fera ou ça ne se fera pas ? Il est possible pour lui de réunir une majorité ou pas ?
- "Tout dépendra précisément, non pas du deuxième tour, mais du premier tour, parce que ce qu'évoque J. Chirac, c'est une majorité au lendemain de l'élection législative"
P. Le Marc : Ce qu'il évoque, c'est aussi votre hostilité sur bien des points au projet de L. Jospin.
- "Mais j'aime mieux que le débat se fasse au grand jour grâce à vous, devant les Français que plutôt dans une sorte de consensus mou à droite et qui, en fait, ne révèle pas tous les affrontements, toutes les ambiguïtés et le fait qu'ils ne sont pas unis dans bien des domaines. Je veux bien qu'on mette dans le même bureau J. Chirac et F. Bayrou : on verra qu'il y a certainement des distances, des différences. Donc, non, je crois qu'il y a la possibilité pour un vrai rassemblement, pour une autre politique de gauche, au lendemain de ces élections. Je crois vraiment que c'est possible. Je pense que ça sera possible si, vraiment, c'est un rassemblement de gauche. C'est-à-dire si c'est un rassemblement de type social-libéral, centre gauche, moi, je ne me vois pas du tout participer à ce genre de rassemblement, c'est clair, on n'en sera pas. Les communistes en décideront, mais je ne vois pas comment on Par contre, je ne suis pas du tout pessimiste, je pense qu'on peut effectivement, dans les semaines qui viennent, changer un certain nombre de choses et nous rassembler. Il y a des valeurs de gauche. Elles ont été portées de 1997 à 2002 - pas suffisamment à mon avis, mais quand même, il y a eu des choses de faites. Maintenant, il faut passer à une autre étape, à un autre type de gauche, citoyenne, et qui n'est pas, effectivement, la copie de ce qui vient de se terminer et qui n'est pas complètement acquis dans l'esprit des Français comme positif."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 avril 2002)
J.-L. Hees : Bienvenue sur France Inter. Bonjour et merci d'avoir répondu à notre invitation. On a essayé depuis le début, avec les différents candidats, d'aller un petit peu plus loin dans leurs projets, dans leurs idées - ce qui n'a pas toujours été évident d'ailleurs. On compte donc sur vous pour nous aider. Mais j'aimerais bien qu'on commence par le Proche-Orient. On sait à peu près ce qu'en pensent les deux "grands candidats", on va dire, J. Chirac et L. Jospin. Mais j'aimerais bien savoir ce qui distinguerait le président Hue, dans son analyse, pour essayer de ramener la paix au Proche-Orient.
- "Ce qui distinguerait au niveau de l'analyse ? Peut-être qu'il y aurait peu de choses. J'entends ce que disent aujourd'hui le président de la République et le Premier ministre. Je me suis adressé aux deux pour leur dire que nous étions en campagne électorale, qu'il y avait la France naturellement comme thème principal. Mais peut-on, aujourd'hui, rester sans rien dire et rien faire à propos du Proche-Orient ? J'estime que la meilleure leçon de politique, [la meilleure façon de] redonner ses lettres de noblesse à la politique, aujourd'hui, alors que les Français s'interrogent beaucoup sur la politique, serait d'avoir le courage, quand on est encore à la direction du pays et à la tête de l'exécutif, de dire : "Je fais une parenthèse, et je mets en oeuvre tout ce qui est possible pour essayer que la France et l'Europe jouent leur rôle". Qu'est-ce que je veux dire par là ? J'entends des déclarations très générales tout à fait importantes, intéressantes : "Il faut respecter la résolution des Nations unies qui vient d'être votée ; il faut absolument que la violence s'arrête...". Il y a des déclarations, mais concrètement ? Par exemple, j'aurais aimé que le président de la République - hier, il a fait des émissions de télévision et de radio - dise : "Voilà ce que j'ai fait aujourd'hui, concrètement, moi, président de la République française pour, par exemple, avoir un entretien avec monsieur Bush et avec mes partenaires européens, parce que la situation est gravissime". Je pense qu'il y a beaucoup de paroles mais peu d'actes concrets. Or, la France a ses responsabilités à prendre. Moi, personnellement, je pense qu'immédiatement, il faudrait prendre toutes les dispositions visant à convaincre qu'il est nécessaire de retrouver la voie de la négociation. Pour cela, je pense de plus en plus [qu'il est] évident qu'on ne pourra pas y arriver s'il n'y a pas une force d'interposition de paix, qui permette effectivement l'application concrète des résolutions des Nations unies votées par tout le monde, y compris d'ailleurs les Américains, dans la toute dernière période. S'il n'y a pas cette disposition-là, je crois qu'on aura des difficultés. On me dit : aujourd'hui, Sharon ne veut pas, qu'il est dans une sorte de fuite en avant folle qui entraîne des attentats qu'il faut autant condamner que la démarche de Sharon elle-même. Mais concrètement, qu'est-ce que l'on fait ? Il y a une situation où la France peut peser. Un président de la République française, voire un Premier ministre français, peut peser dans la situation actuelle. Je pense qu'actuellement - pour des raisons liées peut-être à la campagne électorale, ce [qui] serait gravissime à mes yeux au nom de la politique telle qu'elle doit être comprise dans un pays comme la France -, il faudrait prendre des dispositions. Il y a urgence. Et la meilleure démonstration, [la meilleure façon] de montrer qu'on est un homme d'Etat capable de présider aux destinées d'un grand pays comme la France, c'est de prendre des mesures immédiates. Il faut que cesse cette violence, cette tuerie dans cette partie du monde, cela me semble évident."
S. Paoli : En attendant, les civils font plus que les politiques ?
- "Les civils font, les politiques font..."
S. Paoli : Franchement pas beaucoup...
- "Pas assez à mon avis. Personnellement, je me pose la question pour moi-même : qu'est-ce que j'ai fait ces dernières 48 heures, en dehors de manifestations auxquelles mes amis ont participé ? Mais concrètement ? Je me suis adressé au président de la République par lettre - ce n'est pas une façon habituelle dans une période de campagne électorale - pour lui dire : "Prenons des dispositions". J'ai eu une réponse de J. Chirac qui, sur le fond, apporte des réponses assez intéressantes du point de vue de la nécessité de trouver le chemin de la paix. Mais concrètement ? On est impuissant ? Non. Je crois qu'il faut faire plus. Moi, dans mon rôle de responsable politique, il y a à pousser - ce que je fais en ce moment à votre antenne, et je vous en remercie - en disant : est-ce que cet après-midi, aujourd'hui, J. Chirac et L. Jospin vont dire quelque chose aux Françaises et aux Français sur ce qu'ils font par rapport à cette question majeure pour l'avenir du monde et de la paix ? C'est une grande question. Voilà une belle démonstration politique à faire, au delà des clivages."
P. Le Marc : Redoutez-vous les conséquences importées de ce conflit en France, le choc des communautés que l'on sent monter ?
- "Il y a des inquiétudes à avoir. Les actes qui ont été commis contre des synagogues, par exemple, non seulement me choquent profondément - je trouve cela inacceptable - mais il faut que l'on voie bien la nature de ces actes. Qui d'ailleurs les réalise ? Là encore, j'ai vu qu'il y avait eu une tentative d'attentat [contre] une synagogue et on n'a pas arrêté les gens qui effectivement, sont à l'origine. Je ne sais pas s'il faut pour le moment voir une exacerbation des communautés concernées dans cette affaire. Je suis assez prudent. Moi, je suis maire d'une ville de banlieue. Il y a des quartiers où pourraient s'exprimer ces difficultés. Je sens qu'il y a une grande tension. Regardez comment elle nous habite. Comment n'habiterait-elle pas des gens qui sont plus concernés encore, qui ont cette sensibilité personnelle, singulière et on comprend bien les choses. Mais je ne sens pas cette exacerbation. Il reste qu'il y a des actes concrets qui ont été commis et cela doit se traduire par des dispositions qui sont prises."
P. Le Marc : Les réactions du Président et du Premier ministre ont-elles été à la hauteur de ce phénomène, de ce fait, ou pas ?
- "Il me semble qu'il y a eu, là, une réaction forte, significative. Des dispositions, semble-t-il, ont été prises de protection concrète. Cela me semble aller dans le bon sens. Mais je veux dire, je ne suis pas de ceux qui disent que nous sommes dans un climat où grandit l'antisémitisme. Il y a de vrais problèmes qui se posent. Loin de moi de les minorer. Mais il reste que la France n'est pas dans ce fuite en avant antisémite qui serait dramatique, gravissime. Dans d'autres périodes de notre histoire, on sait que ce genre de phénomène peut vite se développer. Mais je ne le ressens pas comme un élément d'exacerbation aujourd'hui. Je crois que les élus locaux, que les responsables politiques - vous évoquiez à l'instant ce que peut faire effectivement un responsable politique et des gens dans la société -, je crois que participer du débat politique pour essayer de comprendre, pour trouver les cheminements nécessaires, me semble aller dans le bon sens. Je voudrais dire qu'il faut montrer ce que sont les réalités des forces politiques et des forces en présence dans cette partie du monde. Il y a certes cette folle politique de Sharon - l'autorité palestinienne mise à mal, en difficulté réelle, physique ; peut-être que l'intégrité physique même de Y. Arafat peut être aujourd'hui en cause. J'ai eu Y. Arafat au téléphone. Lorsqu'il y a eu les propositions saoudiennes, je l'ai appelé personnellement. Il m'a dit : "Dites surtout qu'il y a effectivement la nécessité de trouver le chemin de la négociation, qu'il y a en Israël des forces qui sont des forces pacifiques". D'emblée, il y avait l'idée que les choses n'étaient pas unilatérales. Donc, je crois qu'il faut se saisir de cela. Moi, j'ai rencontré des pacifistes israéliens qui mènent la bataille, qui ne sont pas d'accord avec la politique de Sharon, qui pensent qu'il faut une autre politique, qu'il faut encourager dans ce sens, tout ce qui va dans le sens de la paix. Nous avons un gros travail à faire dans les communautés. Au niveau de notre pays, il faut que nous apportions beaucoup d'aides, d'explications. Je sais bien que la période - mais c'est dur de le dire - n'est pas propice. Comme s'il y avait un moment propice, comme si on était le nombril du monde, parce qu'on est en élection, parce qu'il y a des élections en France ?! Je crois qu'il y a un travail de fond à faire, un travail citoyen, très important, et cela peut contribuer à apporter des réponses au moins à ce qu'il n'y ait pas exacerbation des tensions, comme vous l'évoquiez tout à l'heure."
J.-L. Hees : Je voudrais vous ramener à la campagne électorale en France. Je vous ai trouvé sévère il y a deux ou trois jours avec votre partenaire de la gauche plurielle, L. Jospin. Vous disiez : "Oh, là, là, il est très euphorique alors qu'il n'y a aucune raison d'être euphorique quant aux chances de la victoires de la gauche au deuxième tour, en ce moment. Que cela ne correspond pas vraiment à la réalité". J'aimerais bien - je ne vais pas vous demander votre diagnostic pour le second tour - mais tout de même, trouvez-vous que le rapport des forces n'est pas favorable ?
- "Je trouve que le rapport des forces est très instable. Je trouve que peut-être jamais, on a senti les Français aussi interrogatifs sur les enjeux. Ce n'est pas un lieu commun. J'ai entendu cela déjà ..."
J.-L. Hees : Dix-sept candidats, cela prouve quelque chose...
- "Mais dix-sept candidats, c'est quelque chose. Quand la dernière enquête d'opinion, ce matin, publiée par BVA, montre qu'il y a un affaissement à nouveau des deux têtes de l'exécutif, dont l'un des deux sera président de la République, cela me semble évident. Mais cela, dans la tête d'un Français moyen, qu'est-ce que cela signifie ? Quels enjeux ? Les jeux sont faits, puisqu'on sait déjà que ce sera un de ces deux-là. Mais en plus, il n'y a pas clarté. On ne voit pas très bien de différences dans les programmes. Qu'est-ce que cela traduit ? Des choses que vous connaissez parfaitement et qui me laissent sceptique [quant à] ceux qui disent que sur le rapport des forces tout est presque réglé. Non, pas du tout, Il y a une montée effectivement ... Moi, je rencontre beaucoup de gens qui sont interrogatifs au point de dire : je vais peut-être m'abstenir. C'est gravissime. On est dans une situation à l'américaine, en quelque sorte. Avec combien de suffrages des inscrits le président de la République sera-t-il élu ?"
P. Le Marc : C'est un signe d'affaiblissement de la fonction et de l'institution présidentielles ?
- "Je le pense. C'est un signe d'affaiblissement général de la démocratie et des institutions, d'une façon générale. Il y a cette abstention qui nous guette, il y a une montée des extrêmes - je ne confonds pas, mais nous voyons monter Le Pen et Laguiller des deux côtés - avec en fait de plus en plus le réceptacle de prises de position qui ne sont pas cohérentes au plan politique dans les deux partis. Quand je vois que si Le Pen - il semble qu'il ait ses signatures - n'avait pas été candidat, Laguiller montait de 2 à 3 points dans les enquêtes ! Cela veut dire qu'il y a un transfert immédiat vers le FN. Cela veut dire qu'il y a en fait une sorte de vote protestataire qui n'est pas cohérent, qui est très impuissant et qui, probablement d'ailleurs - c'est ce qui fait sa volatilité - sent son impuissance : on sait très bien que ce vote ne va pas déboucher sur quelque chose. Dans les deux cas, Le Pen ne sera pas dans l'exécutif futur. Quant à Laguiller, elle ne veut surtout pas choisir entre la gauche et la droite. Cela veut dire que nous sommes dans une situation où les Français sont dans une grande incertitude. Je termine mon propos sur la question de fond que vous me posez. On a tort, aujourd'hui - je le dis vis-à-vis de L. Jospin - d'imaginer que les rapports de force sont définitivement établis. Regardez ! Moi, je suis ce matin, dans l'enquête d'opinion BVA, à 6 %. On me dit que ce n'est pas un très bon niveau. Volontiers, j'aimerais mieux être à 8 %, ce que j'avais à la dernière présidentielle. Mais on ne dit pas que L. Jospin est à 20 %, c'est-à-dire 3,5 points en dessous de ce qu'il a fait au premier tour de la dernière présidentielle. Donc, il y a des incertitudes et je crois qu'il faut les prendre en compte."
S. Paoli : D'un mot - parce qu'on y reviendra juste après le journal de 8h00 - mais vous faites aussi un diagnostic assez sévère pour la gauche plurielle. Est-ce qu'elle existe encore, là ?
- "La gauche plurielle, elle a existé en fonction d'une situation inattendue. C'était celle d'une dissolution. Il y a eu un concept de mis au point avec des partenaires de la gauche, lesquels ont construit au pouvoir une stratégie qui a été, à mon avis, efficace à bien des égards. Je ne boude pas ce qu'a fait la gauche plurielle. Mais aujourd'hui, qu'est-ce que disent les Français ? Ils ne veulent pas - enfin une partie de ceux de gauche - de la droite, mais ils ne veulent pas non plus que continuent ce qui se fait ces derniers temps en matière de gauche plurielle, sinon ils ne voteraient pas protestataire, ils voteraient pour cette gauche plurielle. Il y a donc bien une autre politique à gauche à imaginer. C'est ce que je dis de ce point de vue à L. Jospin. Lui, il dit : "Il faut continuer en gros ce qui s'est fait jusqu'à maintenant". Moi, je dis "non". Il faut certainement une expérience de gauche citoyenne, progressiste, mais pas une expérience qui aujourd'hui, arrive à son terme, et qu'il faut imaginer autrement."
Deuxième partie - 8h15
S. Paoli : Vous entendiez dans le journal de 8h00, à l'instant, M. Gremetz [ndlr : cf RPA] vous donner un conseil : martelez, martelez sur le fond et dénoncer la domination du capital, disait-il...
- "Oui, M. Gremetz mène campagne, me soutient dans son département de la Somme, je pense qu'il est utile qu'il fasse comme cela. Moi, de mon côté naturellement je mène une campagne qui tient compte de ce que j'ai ressenti de profond ces derniers mois dans le tour de France que j'ai fait en rencontrant les militantes et les militants. C'est cette formidable émergence de l'urgence sociale avec des inégalités qui ont terriblement grandi et qui font de la précarité, surtout de la lutte contre les inégalités, une urgence pour tout candidat à la présidentielle qui se réclame des valeurs de gauche. Moi, je veux ancrer la gauche bien à gauche. Je pense qu'aujourd'hui ça ne peut pas se faire si on ne propose pas un plan d'urgence extrêmement précis visant à ce que des mesures, visant à dès les prochains mois à faire reculer les inégalités qui s'affirment dans le pays."
J.-L. Hees : Mais que disent les militants du Parti Communiste, quand vous les rencontrez. Déjà, ils doivent être un petit peu déçus par exemple de voir les résultats, dans les sondages d'A. Laguiller. Mais ils ne vous disent pas de temps en temps qu'il y a une ambiguïté quelque part ? Qu'il y a une ambiguïté sur ces choses-là, sur la vraie nature de la gauche par exemple, que devrait incarner le Parti communiste ?
- "Non, ils ne disent pas ça, les militants communistes. Les militants communistes voient bien la situation dans laquelle nous sommes, ils ont les mêmes préoccupations que celles que j'ai sans détour évoquées tout à l'heure sur la réalité du rapport des forces. Mais en même temps, d'abord les militants communistes sont engagés dans une campagne très dynamique. Je multiplie les meetings, les réunions, vous avez un certain nombre de vos collègues journalistes qui sont présents y compris de France Inter, souvent. Donc, ils se rendent bien compte qu'il y a une présence importante, que les grandes questions sont posées. Les questions posées, ce n'est évidemment pas l'âge du capitaine, ni le lapsus de tel ou tel candidat ; ce sont les grandes questions politiques notamment celle que j'évoque à l'instant. Un : est-ce que oui ou non, la gauche sera en mesure dans les prochaines périodes de s'attaquer frontalement aux problèmes qu'elle n'a pas réussi à résoudre. Les militants ont décidé notre participation en 97 au gouvernement de la France ; ils ne le regrettent pas aujourd'hui et je ne le regrette pas non plus. Je pense que si les communistes n'avaient pas participé au gouvernement à partir de 97, au-delà du fait qu'il n'y avait pas de majorité sans eux, mais au-delà de cette question, nous serions aujourd'hui dans une politique de dérive terriblement sociale-libérale, à la Blair pour tout dire. Donc, on a évité cela. Est-ce qu'on a été assez fort, pour faire entendre mieux notre voix ? Pas suffisamment. Dans certains domaines, oui, une bonne partie de ce qu'on fait et les ministres communistes et ce que nous avons apporté dans cette bataille sur les mesures sociales : qui pense un seul instant que les grandes mesures sociales qui ont été prises, les 35 heures, les mesures contre l'exclusion, la CMU, autant d'éléments n'ont pas là, bénéficier de l'apport communiste ? Mais surtout, nous n'avons pas, sur un certain nombre de questions été entendus par L. Jospin, notamment dans la dernière période. Et c'est ça que je suis en train d'essayer de modifier avec le vote communiste le 21 avril. Il faut que l'on nous entende. J'évoquais l'autre jour l'idée que la gauche, elle n'est plurielle que si réellement toutes les forces qui la composent sont entendues dans cette gauche et que ce n'est pas une sorte de démarche très présidentielle déjà, autour du Premier ministre, de quelques technocrates, qui décident de choix qui sont souvent en rupture avec ce qu'attendent une partie de l'opinion de gauche et ce qu'attend une partie de l'opinion de gauche"
J.-L. Hees : Autrement dit, plus vous êtes à gauche, plus vous rendez service à L. Jospin C'est ça que vous dites ?
- "Rendre service à L. Jospin n'est pas mon problème aujourd'hui. Ce que je veux, c'est rendre service à la gauche et rendre service à la France. J'estime qu'aujourd'hui, il y a un certain nombre de mesures qui ne sont pas prises, qui coupent une partie de la France, des Françaises et des Français de la démarche de gauche. Je vois bien les clins d'il qui sont lancés par L. Jospin vers le centre, vers la droite, vers un certain nombre de thèses libérales, mais je dis attention du côté de l'électorat populaire, il y a beaucoup d'interrogations, il y a des frustrations. Ils ont vu qu'il y avait une croissance qui n'était pas négligeable à un moment mais, en même temps et ce n'est pas nous qui le disons, c'est l'observatoire de la pauvreté, il y a poursuite des inégalités, il y a quand même dans ce pays 4,3 millions personnes qui n'ont pas le minimum pour vivre chaque mois, qui n'ont pas 3.500 francs ou 600 euros par mois. Il y a donc des choses qu'il faut changer à gauche. Il ne faut pas continuer ce qui s'est fait avec la gauche plurielle ces derniers temps. Ca ne marchera pas, ça ne marchera plus. Il faut une autre politique à gauche, qui prenne en compte des mesures plus radicalement de gauche, qui fassent que les Françaises et les Français qui s'inscrivent dans ces valeurs nous entendent..."
P. Le Marc : Mais alors, vous parlez à la gauche, mais la gauche entend davantage A. Laguiller que vous ? Alors comment expliquez-vous ce succès ? Est-ce que vous partagez la mise en garde de L. Jospin, qui dit que ce n'est pas une "super syndicaliste", mais l'avocate d'une idéologie de régression. Est-ce que vous partagez cette analyse ?
- "Chacun voit bien qu'A. Laguiller a dans son électorat un noyau qui a toujours existé autour de 3, 4, 5 % peut-être de gens qui s'inscrivent dans une grande radicalité etc. Et puis aujourd'hui, il y a une progression de son électorat, effectivement - enfin les intentions de votes très volatiles par ailleurs, mais quand même une réalité des intentions - qui montre qu'elle est le réceptacle de gens qui veulent exprimer des colères parfois"
P. Le Marc : Mais comment qualifiez-vous son idéologie et la manière dont elle pratique la politique ?
- "Elle dit elle-même qu'elle ne se situe pas, qu'elle met dos à dos la gauche et la droite dans la prochaine période, elle dit "je ne choisirais pas au deuxième tour". Les propositions qu'elle fait, la plupart du temps, les Français ne les connaissent pas. S'ils les connaissaient, un certain nombre d'ailleurs ne voteraient pas ou n'auraient pas l'intention de voter pour elle. Ce sont des propositions complètement irréalistes. Elles sont les mêmes, on l'a dit souvent"
P. Le Marc : Celles que vous partagiez il y a quelques années ?
- "Non, non, je crois qu'en tout état de cause, aujourd'hui, il est évident que de proposer la dictature du prolétariat ne me semble pas quand même de nature à entraîner l'adhésion massive."
P. Le Marc : C'est ce que proposait le PC jadis ?
- "Oui, mais bien sûr, mais le Parti Communiste a beaucoup changé de ce point de vue et je crois que ce qui compte, ce n'est pas les déclarations des incantations, c'est qu'est-ce que concrètement on pourra mettre en uvre dès l'élection présidentielle et législative passées, pour les Françaises et les Français. Aujourd'hui, regardez A. Laguiller : au-delà de son programme qui effectivement n'est pas du tout crédible, c'est un vote d'impuissance, d'impasse que l'on peut faire quand on vote pour elle. Mais au niveau de la responsabilité politique... Regardez, je prends deux grands événements qui marquent l'opinion française depuis quelques jours. Le Proche-Orient - on en a parlé beaucoup tout à l'heure, c'est légitime - et la tragédie de Nanterre, où des élus du peuple sont assassinés. Vous l'avez entendu parler de ces deux questions fondamentales ?"
P. Le Marc : Sur le Proche-Orient, hier soir...
- "En tous les cas, moi, je ne l'ai pas entendu et je trouve que c'est tout à fait caractéristique de la position d'A. Laguiller aujourd'hui. Elle n'est pas en situation de responsabilité du tout, elle ne veut pas la responsabilité. Donc, si on a envie d'être efficace... Je comprends que des gens puissent avoir envie de protester. Mais il faut qu'ils puissent voter et protester avec leurs votes. Ils peuvent le faire avec le vote communiste. Mais avec un débouché constructif, pour que ça change le 22 avril, qu'on ne tourne pas la page, qu'A. Laguiller ne reparte pas pour cinq ans sans que rien ne soit fait. Aucune des mesures qu'elle préconise depuis 30 ans n'a jamais été mise en uvre. Donc, il faut bien être efficace dans la société telle qu'elle est aujourd'hui. Donc, je propose l'efficacité. Mon objectif est d'ancrer la gauche bien à gauche et je crois que c'est le vote le plus utile pour la gauche aujourd'hui."
S. Paoli : Justement, parlons de vous. Comment mesurez-vous, comment estimez-vous votre capacité d'influence aujourd'hui ? Vous êtes, dans les derniers sondages, crédités de 4,5 à 5 % des intentions de vote. Alors ce sont les sondages. Mais comment estimez-vous votre capacité d'influence alors que tout va se jouer - les observateurs mais vous-même le disiez tout à l'heure -, tout va se jouer au centre ?
- "Non, tout va se jouer au centre, mais je pense qu'au plan électoral - c'est ce que j'évoquais tout à l'heure à propos du rapport des forces politiques -, je ne vois pas le candidat socialiste aujourd'hui qui pourrait devenir le candidat d'un rassemblement au deuxième tour, l'emporter, sans les suffrages du Parti communiste. Il est évident que ceux qui imaginent un seul instant qu'il peut y avoir une solution à gauche en France, sans le Parti communiste, se trompent complètement. Et le problème, ce n'est pas une question de désistement de R. Hue ou de reports des voix de R. Hue. C'est est-ce qu'il y aura des propositions à gauche, suffisamment ancrées et prenant en compte ce que j'essaie d'avancer au plan social, au plan économique, aujourd'hui, par la gauche française, pour qu'elle soit vraiment crédible et qu'elle gagne l'élection ? Mais je crois que rien n'est joué de ce point de vue"
J.-L. Hees : Est-ce que l'on peut préciser les choses ? Puisqu'on va faire un petit peu comme tout le monde, vous allez nous le reprocher, on va se mettre dans une optique de second tour. Pardonnez-nous, mais c'est bien ce don on parle tout de suite autour de cette table. Qu'est-ce qui va se dire le lendemain du premier tour, entre R. Hue et L. Jospin ? C'est : "Voilà, j'ai 25 points de programme du Parti communiste que j'ai défendus pendant ma campagne, voilà les cinq points qui me semblent essentiels pour que l'on puisse aller à la bataille du second tour ensemble ?"
- "Je ne pense pas qu'il y aura ce type de négociation entre les deux tours. Nous sommes dans une campagne présidentielle, qui n'a pas cette caractéristique-là. Enfin en tous les cas ce n'est pas ce genre de choses"
J.-L. Hees : Alors, cela ne sert à rien ?
- "Non, ça va servir beaucoup. Ca va servir beaucoup. Vous savez tout le monde sent bien que si les forces de la gauche française ne se rassemblent pas, celles qui composent la gauche plurielle notamment, ne se rassemblent pas au deuxième tour, il n'y aura pas cette réussite de la gauche. Il y a un danger qu'effectivement J. Chirac en reprenne pour cinq ans et je ne veux pas de cela. Je suis clairement inscrit à gauche et je ne veux pas de cela. L. Jospin ne gagnera pas si il ne prend lui-même en compte ce qu'aura été porté au premier tour, sur ma candidature par exemple. L'électorat communiste, qui est un électorat qui est franchement bien ancré à gauche aujourd'hui, à la différence des électorats que l'on évoquait tout à l'heure - A. Laguiller, une partie de son électorat votera Chirac au deuxième tour, les enquêtes le montrent ce matin... "
J.-L. Hees : Elle commence à vous agacer, A. Laguiller !
- "Non, ce n'est pas ça le problème. Vous savez, ce matin, dans les enquêtes je progresse et elle aussi progresse ; cela veut dire qu'elle ne prend pas sur mon électorat maintenant, elle prend sur un autre type d'électorat. Ce n'est pas ça le problème. C'est est-ce que son électorat - ou en tous les cas ce qu'elle aurait capitalisé au premier tour -, bloquera toute possibilité à la gauche de l'emporter ? C'est ça la question. Est-ce que cet électorat va neutraliser en quelque sorte dans une impasse, va empêcher effectivement la gauche de gagner et surtout va permettre à la droite de continuer ? C'est une grande question quand même. Donc, ce n'est pas moi que ça agace ; c'est l'opinion publique en général, aujourd'hui, qui doit s'interroger sur qui va l'emporter dans ce deuxième tour. Donc, moi, je pense qu'on ne pourra pas ne pas prendre en compte les propositions qui sont faites par moi en matière de plan d'urgence social, recul des inégalités... Si on ne les prend pas en compte, il y aura défection et il y aura effectivement un risque très grand que la gauche ne l'emporte pas. Donc, je suis aujourd'hui dans la situation suivante. Vous me posiez une question : quel moyen aujourd'hui pour moi de faire avancer un certain nombre de choses ? Je crois que c'est en portant sur ces idées-là, des idées franchement à gauche, radicalement à gauche, le plus haut possible, dans ce premier tour, que je rendrai le meilleur service à la gauche et au pays, parce que c'est dans ce sens que doivent aller les choses voilà. Sinon c'est l'impasse."
Troisième partie - 8h45
S. Paoli : Nous en étions à ce qui est peut-être votre différence, justement aussi par rapport à A. Laguiller dans votre programme. Dans la hiérarchie des importances, qu'est-ce que vous mettriez en priorité ? On a beaucoup parlé de l'insécurité, des retraites...
- "Naturellement, l'insécurité est un problème important, mais je crois que les premières mesures à prendre sont un plan d'urgence pour faire reculer un certain nombre d'inégalités. Elles tiennent d'abord, pour moi, premier point, à la situation de pauvreté et de difficultés d'un certain nombre de familles, d'ailleurs familles populaires ou couches moyennes. Je pense qu'il faut tout de suite un relèvement des salaires directs. Je suis le seul candidat, dans cette campagne, qui évoque l'augmentation des salaires directs, des pensions, des retraites. Ca me semble une nécessité. Je pense qu'aujourd'hui, il faudra très vite qu'il n'y ait plus aucun minimum social déjà sous le seuil de pauvreté mais, ensuite, il faut ce plan de rattrapage de tous les salaires égaux ou inférieurs - malheureusement il y en a beaucoup - au SMIC et je propose de relever de 300 euros, c'est-à-dire, en gros, 2.000 francs, ces moyens-là, ces salaires, ces retraites, ces pensions, ces minima sociaux. Je pense aussi que l'une des questions-clé sera la question de la retraite. Et, là, je vois bien, effectivement, quand j'évoque des dérives droitières de L. Jospin, que ce n'est pas seulement de la théorie. Quand il plaide pour le prolongement de Barcelone, à Barcelone, au sommet de Barcelone, il y a quand même eu une chose gravissime, pour moi en tous les cas : c'est la remise en cause - alors je sais qu'il s'en défend - du droit à la retraite à 60 ans et l'idée qu'on peut allonger la durée des annuités, c'est gravissime. Je pense qu'il ne faut pas accepter cette démarche. Elle est étroitement liée à l'avenir des retraites, aux moyens qu'on peut dégager pour ces retraites. Donc, voilà Les questions sociales, les questions donc du pouvoir d'achat, des salaires, des retraites, les questions des retraites sont des questions très importantes et ce ne sont pas des questions J'entends bien M. Seillière : il y a huit jours, il a dit que les propositions que je fais sont absurdes, parce qu'on n'augmente pas aujourd'hui les salaires ! Que le Medef dise que c'est absurde m'encourage beaucoup, vous voyez, à continuer. Mais il est clair que je crois que ce ne sont pas des mesures archaïques. Si on donne du pouvoir d'achat supplémentaire immédiatement aux salariés, à des millions de salariés, de retraités, de gens qui n'ont que les minima sociaux pour vivre, ils ne vont pas aller les placer dans les paradis fiscaux, ils ne vont pas spéculer avec, ils ne vont pas les jouer en Bourse, ils vont les mettre dans la consommation. Et cette consommation sera de nature à conforter une véritable politique de croissance et d'emploi qui, actuellement, n'est pas confortée dans les propositions des autres candidats, notamment celles de J. Chirac et de L. Jospin. On regarde ce qui va se passer aux Etats-Unis en terme de croissance pour définir ce que peut être une croissance en France ! Je dis que la croissance en France passe par une dynamique économique, sociale et notamment un recul des inégalités en France qui, en fait, dynamiseront cette démarche, cette croissance. Voilà des propositions concrètes que je fais. En terme d'emploi, nous sommes dans une période où il faut vraiment apporter des garanties nouvelles. Je pense, par exemple, que la question de l'emploi stable, ça passe déjà par rendre stables des emplois qui sont précaires actuellement. Il y a des centaines de milliers d'emplois-jeunes, par exemple, qui ont été créés il y a maintenant cinq ans. Cela a été une évolution positive, mais il reste qu'aujourd'hui, il faut qu'ils deviennent des emplois stables. Je veux transformer les emplois précaires dont souffrent aujourd'hui beaucoup d'hommes et de femmes dans notre pays, en emplois stables. C'est possible. Alors, au bout de tout cela, il y a naturellement des mesures courageuses à prendre et c'est là que le débat est très tendu avec L. Jospin, en ce qui me concerne, pour l'avenir. Moi, je crois qu'il faut avoir le courage de s'en prendre, aujourd'hui, aux revenus financiers, qui sont beaucoup épargnés dans la société actuelle, y compris d'ailleurs avec la politique européenne qui n'est pas celle qu'avait choisie la gauche en 97, où les orientations n'ont pas été changées. On reste dans une politique où le pacte de stabilité, la Banque centrale européenne, verrouillent une partie des possibilités. Moi, je dis qu'il y a par exemple 500 milliards - je donne des chiffres concrets, parce que j'entends plein de propositions, y compris sociales, je m'en félicite quand elles viennent donc dans le projet socialiste, après celles que nous avons préconisées"
J.-L. Hees : Mais il n'y a pas de projet socialiste pour les présidentielles, c'est ce que L. Jospin nous a dit
- "Oui certes, mais en tous les cas, pour le moment, il y a un candidat socialiste, c'est L. Jospin. Il a un projet. Dans ce projet, je vois poindre un certain nombre de mesures sociales que moi-même je préconise. Et donc je ne vais pas m'en plaindre. Mais, cela dit, deuxième question : où on prend l'argent pour le faire ? Si on n'a pas le courage de dire - c'est ma position très radicale - qu'il y a, dans cette société, aujourd'hui, plus de moyens donnés au capital qu'au travail, eh bien, si on n'inverse pas cette chose-là, d'abord, on ne s'inscrira pas dans une disposition de gauche et, ensuite, on n'aura pas les moyens de répondre aux questions. Et on va prendre des engagements qu'on ne tiendra pas. Moi, je tiens mes engagements. Je dis qu'il y a 500 milliards de revenus financiers aujourd'hui, dont 80 % échappent aux prélèvements tout à fait légalement. Eh bien, je dis qu'il faut qu'ils contribuent, il faut qu'ils contribuent à la solidarité nationale, au développement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui."
J.-L. Hees : Je voudrais qu'on revienne sur ce thème de l'insécurité qui a été vraiment, peut-être - vous allez me le dire - surexploité tout au long de cette campagne. Mais ne vous dépêchez pas de me répondre, parce qu'on a senti que vous étiez véritablement bouleversé par la tragédie de Nanterre. Donc, est-ce que ça a modifié quelque chose dans votre point, de vue en tant qu'homme politique de vous dire, qu'on surexploite sûrement, pour des raisons démagogiques ou électorales, le sentiment d'insécurité en France - quoi qu'il existe -, mais, dans un même temps, quand un homme peut tirer comme ça, avec des armes de guerre dans un conseil municipal, comme à Nanterre, et que ça fait 8 morts et plusieurs blessés, est-ce que ça a modifié votre point de vue ?
- "Je vais au-delà même de ce que vous me dites là : ce n'est pas un sentiment d'insécurité, il y a une véritable insécurité qui existe en France aujourd'hui. Et le drame de Nanterre, j'en ai dis ce que je pensais naturellement, au-delà du bouleversement, de l'émotion - des amis très personnels ont été tués dans cette affaire. Vous savez, c'est très dur. Mais j'ai dit de faire attention de ne pas exploiter ça, parce qu'il y a un vrai débat sur la sécurité aujourd'hui dans le pays, mais ne tirons pas profit de tout ce qui est dans la vie de tous les jours, que ce soit hier ce drame terrible de Nanterre ou, demain, telle ou telle synagogue qui sera mise en cause - ce que je condamne avec la plus grande fermeté -, n'utilisons pas tout cela pour participer d'un climat général qui, en fait, aurait une arrière-pensée électorale. Une fois que j'ai dit ça, il y a des réponses à apporter en matière de sécurité et je vais vous donner mon sentiment très précisément là dessus. Je pense qu'effectivement, il faut une politique beaucoup plus globale en terme de ce que j'appelle "de droit à la tranquillité publique" dans un pays comme la France. Il faut s'en donner les moyens. J'en dirai une phrase tout à l'heure, après ma première démonstration sur cette question de l'insécurité. Puisqu'il y a insécurité et que ça apparaît comme une priorité pour les Français, il faut se donner les moyens, effectivement, de répondre par des mesures extrêmement concrètes. L'énoncé des mesures que je peux avancer, peut-être que cela sera semblable à celles qu'on a déjà entendues. Mais, en ce qui me concerne, je pense qu'il faut naturellement des mesures de prévention très fortes, des mesures de prévention très fortes qui ne règlent pas tout, loin s'en faut, des mesures de prévention très fortes qui permettent, avec des moyens pour les services publics, pour l'école, pour la politique de la ville, pour la justice, pour la gendarmerie, d'avoir des possibilités de prévention supplémentaires. Mais l'idée qu'il suffirait d'en rester à la prévention et qu'il conviendrait d'être beaucoup plus réservé sur la sanction ne m'habite pas. Moi, je pense qu'on ne peut pas accepter qu'il y ait des délits qui ne soient pas sanctionnés et, personnellement, je suis de ceux, vous le sentez bien, pour qui la souffrance sociale réelle dans toute une série de quartiers doit être effectivement prise en compte. Mais, en aucun cas, je dis que cette misère sociale, ces difficultés, ces souffrances ne peuvent rendre - comment dirais-je ? - légitime un acte de violence. Donc, je suis pour, effectivement, la sanction. Ensuite, je suis pour la réparation concernant les victimes et il me semble que, de ce point de vue, on oublie trop souvent ce qui se passe dans ces quartiers. Et puis, je veux dire que ces actes qui existent dans un certain nombre de quartiers, qui créent cette insécurité qui, je répète, va au-delà du sentiment, il y a une insécurité réelle. Elle touche des catégories souvent les plus pauvres, les plus modestes, les premières. Je disais l'autre fois, volontiers, que lorsqu'une voiture brûle dans un quartier ou qu'un autoradio est dérobé, ce n'est jamais celui d'un riche, ce n'est pas la voiture d'un riche"
P. Le Marc : Est-ce que vous êtes d'accord ou pas, sur la création de centres fermés, ce que proposent à la fois J. Chirac et L. Jospin, pour les délinquants mineurs ?
- "Je pense qu'il faut un certain nombre de dispositions visant à ce que quand, dans un quartier, il y a des difficultés importantes avec un certain nombre de délinquants ciblés dont on connaît les actes et que la justice les a tout à fait révélés, il faut effectivement trouver les moyens de les isoler, de les mettre hors de la situation dans laquelle ils étaient dans le quartier. Donc, pour moi, il y a la nécessité, effectivement, de ce type d'équipement. Mais, en amont, je pense qu'il y a besoin de beaucoup plus de moyens en terme de prévention : les éducateurs spécialisés, les hommes et les femmes qui peuvent, dans les quartiers, apporter des réponses dans le domaine associatif. On ne donne pas assez de moyens aux élus, à la vie associative pour qu'effectivement, des mesures soient prises et nous permettent d'isoler les actes de délinquance. Et puis, il y a à être très ferme sur ceux qui vivent de la délinquance. Il faut appeler un chat un chat. Je suis maire depuis 25 ans, j'observe dans les villes de banlieue, un certain nombre de choses. Je vois bien qu'il y a des économies parallèles qu'on ne peut pas accepter Je ne veux pas m'associer à ceux qui, pour des raisons sécuritaires et politiciennes, jettent l'anathème sur les jeunes. Les jeunes, dans cette société, ce sont les premières victimes de la souffrance et de l'insécurité. Je vois bien des économies parallèles qui ne sont pas neutres, qui sont reliées à des situations de grand banditisme qu'il faut absolument prendre en compte. Aujourd'hui, il y a les douaniers qui sont en mouvement. J'ai rencontré les douaniers. Ils savent très bien qu'ils ont beaucoup moins de moyens par rapport au grand banditisme. Si on pense un seul instant qu'il y a un développement d'actes de délinquance et d'économie parallèle qui ne sont pas reliés à un système, on se trompe. Il faut s'attaquer en profondeur aux choses. Alors, une fois que j'ai dit cela, j'ai entendu d'autres le dire incontestablement, mais je demande quels moyens ils se donnent. Je dis qu'il faut doubler, en cinq ans, les moyens qu'on met à la sécurité en général, à la tranquillité publique en général - ce n'est pas seulement d'ailleurs le budget du Ministère de l'Intérieur, mais celui de la Justice, celui de la Ville notamment. Et pas de saupoudrage : il faut vraiment avoir un décloisonnement fort et qu'on apporte une réponse globale dans cette affaire."
S. Paoli : Vous parlez beaucoup des jeunes. Il y a alors la question des modèles qu'il faut poser. Quels modèles la politique donne-t-elle aujourd'hui, notamment aux jeunes ? On ne va pas revenir - et pourquoi pas d'ailleurs, tenez, revenons-y aux affaires ! Y compris d'ailleurs ce que dit Le Canard Enchaîné ce matin, sur les 4.000 francs par jour payés, pour partie en liquide, du budget de fonctionnement alimentaire de la Mairie de Paris à une certaine époque. Est-ce que la politique donne - et la politique tous azimuts, de la droite à la gauche - aujourd'hui la bonne image et le bon modèle, notamment aux jeunes ?
- "Je pense que les jeunes ont une grande envie de politique aujourd'hui, mais surtout pas la politique telle qu'elle est pratiquée, telle qu'elle s'exprime aujourd'hui. Il y a le rejet d'un système politique, d'un système élitiste, d'un système où il y a les puissants d'un côté et où on a le sentiment que les choses se décident toujours d'en haut et jamais en bas. Il y a une certaine révolte des jeunes par rapport à cela. Ils veulent pouvoir participer. Je crois qu'on se tromperait si on suivait un certain nombre d'analystes qui disent qu'aujourd'hui, les jeunes sont en retrait par rapport à la politique. Non, ils sont tout à fait au cur de la politique, mais pas cette politique-là. Et si l'offre politique qui peut leur être apportée ne correspond pas pour eux à une utilité, à la place qu'ils peuvent prendre eux-mêmes individuellement dans la société - et collectivement naturellement -, on n'apportera pas les réponses qu'ils attendent. Il y a, en même temps que les jeunes s'interrogent à partir de leur situation sociale réelle. J'évoquais la précarité tout à l'heure : elle touche beaucoup les jeunes, cette précarité. J'évoquais les emplois-jeunes qu'il faut transformer en emplois stables, mais pas seulement. Il y a un jeune sur cinq dans la société actuelle qui est dans une situation de pauvreté. C'est pour ça que je propose une allocation d'autonomie des jeunes et qui ne soit pas un RMI. Les jeunes n'ont pas envie d'être assistés, ils ont leur dignité. Ils veulent pouvoir entrer dans la vie. Je disais souvent, dans des réunions publiques il y a quelques années, qu'on est en train de vivre quelque chose d'assez terrible : c'est que la génération qui arrive va peut-être vivre plus mal que celle qui nous a précédés. Nous sommes en plein dedans. Il y a, aujourd'hui, des jeunes qui restent plus longtemps au foyer, à la maison. Pourquoi ? Ils ne sont pas mal chez les parents ? Mais c'est parce qu'ils ne peuvent pas prendre leur autonomie, s'engager dans la vie. Nous, enfin, on n'est pas tous de la même génération - encore que si peut-être ! - autour de cette table, on a vécu des choses différentes. A 20 ans, on pouvait avoir un démarrage un peu différent... Le petit boulot, le petit boulot pour l'étudiant est bien souvent le seul boulot et on abandonne les études, parce qu'on ne peut pas continuer. On a une situation, là, qui fait que, sur les questions sociales fortes, les jeunes ont besoin de réponses politiques également. Ils ont leur opinion sur ces réponses-là mais pas dans l'offre politique qui est faite aujourd'hui Et ce n'est pas dans une protestation sans lendemain qu'ils trouveront des solutions. D'ailleurs, je ne crois pas qu'ils sont prêts à cela, y compris dans des jeunes qui, aujourd'hui, disent "je voterai protestataire". La plupart du temps, je pense, malheureusement peut-être et je le regrette, le jour de l'élection, ils resteront éloignés de l'urne. Ils n'iront pas voter. Donc, il y a un vrai problème de ce côté-là. Mais le problème n'est pas de montrer la jeunesse du doigt en disant que c'est elle qui ne comprend pas la politique ; c'est la politique qui ne comprend pas les jeunes qui doit s'adapter aux besoins et qui doit prendre en compte, effectivement, la réalité de ce que les jeunes attendent aujourd'hui dans la société. Ils veulent changer le monde, les jeunes, ils n'ont pas changé de ce point de vue, comme nous l'avons voulu"
J.-L. Hees : Je vais les décevoir, parce que je voudrais qu'on revienne à la politique politicienne
- "Volontiers mais, en tous les cas, la politique qu'on pratique depuis ce matin ne me semble pas participer à une politique qui s'inscrit dans cette situation élitiste."
J.-L. Hees : Je vous en remercie ! Tout de même, franchement, quel est l'étiage en dessous duquel votre candidature serait un échec - enfin, un échec personnel dont vous tireriez les conséquences ?
- "Vous comprendrez bien que je ne m'inscris pas dans cette démarche parce que, d'abord, je crois que vraiment rien n'est joué. Il reste 18 -19 jours. Les premiers éléments de notre conversation tout à l'heure ont porté là dessus. Cette campagne va être marquée encore de surprises. Je ne sais pas si la surprise sera que le Parti communiste aura 7 - 8 %, alors qu'on le donne aujourd'hui à 5-6. Je ne sais pas si ce sera cela. Ce que je sais, c'est qu'il y a beaucoup d'incertitudes, beaucoup de volatilité, y compris dans les votes qui s'expriment aujourd'hui. Nous savons qu'en gros, 40 % - regardons les enquêtes, c'est quand même assez sérieux - des gens n'ont pas un vote définitif. La solidité des votes : c'est ça qu'il faut regarder actuellement dans les enquêtes d'opinion. La solidité du vote communiste est autour de 74 - 75 % ; c'est-à-dire qu'il y a déjà un vote certes à 6 % ou 5 %, mais très consolidé. Mais pour les autres candidats, pour beaucoup, leur vote est très volatile. Donc, on ne sait pas. Moi, ce que je pense, c'est que le Parti communiste est en situation, effectivement, de progresser de plusieurs points dans les semaines qui viennent, dans les jours qui viennent, j'en suis convaincu. Je ressens ça, parce qu'il y a une dynamique réelle ; je ressens ça, parce que de plus en plus de gens comprennent que si le score que fait le Parti communiste au premier tour n'était pas, par malheur, suffisant, eh bien, nous aurions une véritable dérive, ou à la Blair, voire à l'italienne et, ça, ils n'en veulent pas. Ils peuvent voter utile donc dès le premier tour. Et je pense que plus qu'on ne l'imagine vont le faire. En tous les cas, moi, je ressens cette dynamique. Vous ne me sentez pas du tout abattu, je suis vraiment dans une campagne, je me bagarre. Je sens que ça mord, ça marche, mais bon, c'est difficile parce que la situation est complexe dans ce pays où l'offre n'apparaît pas au niveau où elle devrait être."
P. Le Marc : J. Chirac estime que L. Jospin sera incapable de rassembler une nouvelle majorité. Quel est votre pronostic à vous ? Ca se fera ou ça ne se fera pas ? Il est possible pour lui de réunir une majorité ou pas ?
- "Tout dépendra précisément, non pas du deuxième tour, mais du premier tour, parce que ce qu'évoque J. Chirac, c'est une majorité au lendemain de l'élection législative"
P. Le Marc : Ce qu'il évoque, c'est aussi votre hostilité sur bien des points au projet de L. Jospin.
- "Mais j'aime mieux que le débat se fasse au grand jour grâce à vous, devant les Français que plutôt dans une sorte de consensus mou à droite et qui, en fait, ne révèle pas tous les affrontements, toutes les ambiguïtés et le fait qu'ils ne sont pas unis dans bien des domaines. Je veux bien qu'on mette dans le même bureau J. Chirac et F. Bayrou : on verra qu'il y a certainement des distances, des différences. Donc, non, je crois qu'il y a la possibilité pour un vrai rassemblement, pour une autre politique de gauche, au lendemain de ces élections. Je crois vraiment que c'est possible. Je pense que ça sera possible si, vraiment, c'est un rassemblement de gauche. C'est-à-dire si c'est un rassemblement de type social-libéral, centre gauche, moi, je ne me vois pas du tout participer à ce genre de rassemblement, c'est clair, on n'en sera pas. Les communistes en décideront, mais je ne vois pas comment on Par contre, je ne suis pas du tout pessimiste, je pense qu'on peut effectivement, dans les semaines qui viennent, changer un certain nombre de choses et nous rassembler. Il y a des valeurs de gauche. Elles ont été portées de 1997 à 2002 - pas suffisamment à mon avis, mais quand même, il y a eu des choses de faites. Maintenant, il faut passer à une autre étape, à un autre type de gauche, citoyenne, et qui n'est pas, effectivement, la copie de ce qui vient de se terminer et qui n'est pas complètement acquis dans l'esprit des Français comme positif."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 avril 2002)