Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à LCI le 2 mai 2002, sur les manifestations du 1er mai et sur l'absence de la droite à ces manifestations, sur les raisons du vote pour l'extrême droite et sur la préparation des élections légilatives.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser Hier, qu'est-ce qui a dominé chez vous ? Le regret à cause de l'absence de la droite ou le réconfort à cause de la mobilisation ?
- "Ni regret ni réconfort, simplement la joie partagée d'être avec des millions de citoyens français qui venaient crier leur attachement à la République de manière massive, exceptionnelle, et le refus de l'intolérance, du fanatisme, de l'extrémisme. C'était la belle leçon du 1er mai 2002. On peut bien sûr regretter l'absence de la droite. C'est incompréhensible que la droite ait même condamné ces manifestations avant qu'elles n'aient lieu."
Elle avait peur, elle craignait des débordements.
- "Peur de quoi, peur du peuple ?"
Elle craignait qu'il y ait affrontement entre les manifestants du FN et ceux du 1er Mai.
- "Il n'y a eu aucun incident, il y a eu une mobilisation exceptionnelle de citoyens souvent jeunes ; c'était leur première rencontre avec la foule de la rue, pour clamer un certain nombre de principes qui devraient faire la fierté de tous : la République, "Liberté, Egalité, Fraternité", le refus de l'extrémisme. Et la droite condamnait avant même que cette manifestation n'ait lieu, l'idée même qu'elle puisse avoir lieu. Ensuite, elle n'était pas dans la manifestation, comme si c'était à la gauche, qui n'est pas présente au second tour de l'élection présidentielle et qui pouvait se dire que ce n'était pas combat... Eh bien si, la gauche, elle, était dans cette manifestation, avec ses militants, ses cadres, ses responsables, pour dire qu'il fallait voter pour le candidat républicain, voter pour J. Chirac. La droite, elle, n'était toujours pas là, comme si ce n'était son combat, comme si elle devait préparer ses petits arrangements pour les élections législatives à venir et ses petits calculs pour la composition du gouvernement. Cela n'empêche pas que, nous aussi, nous aurons au lendemain du 5 mai à faire ce type de choix. Mais, pour le moment, jusqu'au 5 mai, tant qu'il n'y pas eu le vote des Français - parce que manifester c'est bien, voter c'est mieux, régler les problèmes c'est encore préférable - nous ne serons pas débarrassés de cette hypothèque quant à la République et ces menaces qui pèsent sur elle."
Vous êtes sûr qu'il y aura une mobilisation massive dimanche prochain ?
- "Je le crois, après ce que j'ai vu, tant de foules rassemblées dans tant de villes de France. Je crois que le message est bien passé : ce sera un beau référendum pour la République le 5 mai."
Comment qualifierez-vous la victoire de J. Chirac ? Est-ce que ce sera la victoire de la gauche à travers J. Chirac ?
- "On ne peut pas dire ça. Ce ne sera ni la victoire de la gauche - comment pourrait-on le prétendre ? -, ni la victoire de la droite - comment pourrait-elle le justifier ?
Ce sera quoi ?
- "Ce sera la victoire des républicains. Et c'est déjà beaucoup. Si les républicains, massivement, à travers ce vote, cette forme de référendum à travers le bulletin Chirac, écartent l'extrême droite, ce sera un résultat qui néanmoins ne suffira pas. Il faudra, au lendemain du 5 mai, traiter les problèmes tels qu'ils sont et faire en sorte qu'il y ait de moins en moins d'électeurs pour l'extrême droite et pour J.-M. Le Pen."
Les électeurs de l'extrême droite, tout le monde les a un peu générés. Aujourd'hui, tout le monde dit que la gauche n'a pas su retisser le lien social ; la droite bat aussi un peu sa coulpe... Le lendemain du 5 mai, on recommence, on refait les clivages traditionnels et on ne pense plus à rien ?
- "D'abord, il y aura des élections législatives et l'extrême droite y sera présente, je l'imagine. Cette menace n'aura donc pas disparu. Pour autant, nous devons tirer deux leçons par rapport à ce qui s'est passé le 21 avril, quant aux résultats du FN : c'est qu'il ne faut pas oublier que l'extrême droite existe depuis maintenant 20 ans dans notre pays. Parfois, elle parait se retirer, elle se querelle, elle se cache, mais elle ressort chaque fois - et c'est la deuxième leçon - qu'il y a un malaise dans notre pays, qu'il y a un trouble, qu'il y a une interrogation par rapport au monde tel qu'il va ou tel qu'il ne va pas, par rapport à une économie qui ne parait pas maîtrisée, par rapport à des questions sociales qui demeurent - le chômage - ou par rapport à l'insécurité qui fait qu'il y a aujourd'hui le doute sur la manière de vivre ensemble, tous ensemble."
C'est un début d'autocritique ?
- "Il faut, quand on a subi ce qu'on a subi le 21 avril, regarder ce qui a fonctionné, c'est quand même bien le moins, et tout le travail qui a été fait autour de L. Jospin pendant cinq ans. Mais aussi, ce qui reste à régler et qui est considérable. C'est pourquoi les élections législatives qui viennent au mois de juin, seront une rencontre décisive pour les Français."
Vous préparez les élections législatives avec vos partenaires de gauche ; est-ce que vous aurez beaucoup de candidatures uniques ou cela dépendra-t-il des résultats de dimanche prochain ?
- "Non. Nous pouvons déjà dire que nous regardons des candidatures uniques chaque fois qu'il y a un risque de présence de la droite et de l'extrême droite au second tour et la mise à l'écart de la gauche. Il s'agit de nous organiser pour écarter la menace de l'extrême droite et permettre à la gauche d'être là. Parce que, plus que jamais - on l'a encore vu hier -, la France a besoin de la gauche."
Personne ne veut parler de "front républicain", on parle d' "élan républicain". Si aux législatives le problème se posait de la même façon, est-ce qu'on pourrait imaginer le désistement des candidats de la droite en faveur de la gauche républicaine et réciproquement ?
- "L'affrontement aux législatives - je n'ai pas de doute là-dessus - sera celui entre la gauche et la droite ; l'extrême droite ne sera là que pour polluer telle ou telle élection mais en tout cas, ne sera pas l'arbitre de la confrontation. Parce que ce qui s'est passé le 21 avril, ce qui va se passer le 5 mai, aura servi de leçon pour beaucoup. Ce sera donc la confrontation principale. A partir de là, il faudra, si telle ou telle situation locale exige une prise de position, ce que nous avons montré pour l'élection présidentielle où la gauche, après été mise de côté le soir du premier tour, a appelé comme nous l'avons fait, comme je le refais ici, à voter pour J. Chirac, d'utiliser le bulletin de J. Chirac pour écarter l'extrême droite. Nous n'avons de leçon à recevoir de personne, car je ne suis pas sûr que la droite aurait eu la même attitude dans une configuration analogue. En tout cas, chaque fois que nous sommes confrontés à ce choix, nous le faisons."
Une nouvelle cohabitation ne serait-elle pas la pire des situations pour vous ?
- "Il y aura une situation inédite qui viendra au lendemain du 5 mai, c'est que le candidat qui reste en lice, celui de la République, J. Chirac, sera l'élu de tous, de tous les républicains. A partir de là, il ne peut plus s'agir simplement de cohabitation."
L'heure est-elle venue pour une nouvelle République ?
- "Il faut effectivement réfléchir à une refondation de nos institutions. On voit bien qu'il y a aujourd'hui des risques de déséquilibre de pouvoir qui pèsent sur la démocratie. Il y a une urgence à transférer des responsabilités au plan local, à travers un mouvement de décentralisation. Et puis, à faire un choix plus net quant à la place du président de la République et du Premier ministre dans nos institutions."
Des personnalités du monde artistique et culturel ont à nouveau lancé un appel à L. Jospin pour qu'il appelle véritablement à voter pour J. Chirac ; vous pensez qu'il le fera ?
- "L. Jospin a dit ce qu'il fallait dire, il l'a dit vite, dès dimanche, sur ce que devait être sa place dans la vie politique, c'est-à-dire plus aucune, qu'il tirait les leçons de ce qui avait été le verdict des urnes. Il y a peu de responsables politiques en France, en tout cas, qui après un échec électoral, prennent cette position digne, haute et honnête, sans qu'on doive encore lui demander d'intervenir. Il a dit ce qu'il fallait dire, c'est-à-dire qu'il faut faire barrage à l'extrême droite. Et comme le PS le rappelle, la seule façon de faire barrage à l'extrême droite, c'est d'utiliser le bulletin Chirac et de voter massivement pour la République."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 mai 2002)