Déclaration de M. François Loos, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, sur la politique de l'enseignement et la recherche, notamment la formation professionnelle et l'ouverture de la recherche vers l'entreprise, Paris le 23 mai 2002.

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Circonstance : Conférence de presse sur la politique de l'enseignement et la recherche à Paris le 23 mai 2002

Texte intégral

En indiquant avec force que la grandeur et la puissance de Ia France passaient par un plan national de mobilisation, dans les domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche, le Président de la République nous a confié . plus qu'une mission fondamentale, un devoir.
Une mission fondamentale car la science et la technologie ne sont pas seulement un des leviers du développement social, culturel et économique du pays, elles en sont la clef. Face à la mondialisation, la recherche et l'innovation sont les conditions sine qua non de la compétitivité, d'une croissance forte et de l'emploi. Alors que les Etats-Unis ont placé la science et la technologie au premier rang des trois derniers programmes présidentiels, alors que l'Allemagne a lancé un vaste programme pour prendre l'avantage dans les biotechnologies, alors que les pays scandinaves développent un effort considérable depuis 10 ans, alors que les nouveaux pays industrialisés et les pays émergents se dotent de fortes capacités scientifiques et technologiques, alors que les pays les plus industrialisés attirent nos jeunes chercheurs en leur proposant des conditions de vie et de travail qu'ils n'ont pas sur notre territoire, nous prendrions une lourde responsabilité en laissant faire, laissant passer.
Mais la France en grand dans notre domaine, ce n'est pas seulement la prise en compte dé cette urgence économique, politique et sociale. C'est aussi le souci d'une certaine idée de la France, une France qui doit être réunifiée socialement et culturellement, une France qui doit continuer à porter son message dans le monde.
C'est pourquoi cette. mobilisation nationale est aussi un devoir, devoir envers notre histoire, notre présent et les générations futures.
Notre nation avait offert au monde un modèle d'Universités ouvertes, tournées vers l'extérieur depuis leur création autour des cathédrales. Elle avait montré, depuis le XVI ème siècle, une créativité scientifique et technique qui faisait aimer les savoirs aux publics lettrés puis à toute la population et qui permettait de conjuguer joie de vivre, progrès, raison, et solidarité de toutes les nations.
Mais la France est en train de perdre son rang et son rôle. Elle ne peut à l'évidence se contenter de vivre sur son passé car dans le domaine de la recherche et de l'innovation, il n'y a plus de droits acquis. Le pays de Louis Pasteur et de Marie Curie, ce pays qui a donné tant de médaille Fields et de prix Nobel, malgré l'extraordinaire richesse de ses talents, se trouve aujourd'hui confronté à de graves défis que le précédent gouvernement socialiste ne s'est pas donné les moyens de relever faute peut-être. d'avoir compris les enjeux.
Dans le même temps, le pays de "l'honnête homme", ce modèle de citoyen qui vivait en symbiose avec les découvertes de son temps, devient de plus en plus le pays de la fracture culturelle, de la méfiance envers la Raison, de l'incompréhension, voire du rejet des savoirs. ainsi s'est créée une dynamique qui conduit à affaiblir le goût pour les sciences, pour l'innovation, pour l'esprit d'entreprise et, sans que l'on n'y prenne garde, qui, en coupant la France de ses créateurs et en laissant libre cours à des postures archaïques, mysologiques et de repli communautaire, déchire le tissu social et éthique, socle de nos valeurs républicaines.
Or, je suis persuadé qu'il n'y a pas de fatalité du déclin scientifique et technologique. Comme il n'y a pas de fatalité à cette coupure entre la population et les oeuvres de l'esprit.
A la dynamique du déclin, il faut opposer une dynamique de grandeur.
La France dispose encore de nombreux atouts. Il importe de savoir les mobiliser et les développer au mieux.
Pour cette mobilisation, ce gouvernement s'est donné une chance: celle de regrouper au sein d'un même ministère l'enseignement supérieur et la recherche, sous l'autorité de Luc Ferry.
Pour cette mobilisation, il faut avoir l'ambition de rassembler: le ministère de la recherche n'est pas seulement le ministère de la recherche publique ; il doit être celui de toute la recherche du pays.
Pour cette mobilisation, il faut avoir quelques idées forces. Les nôtres sont
- développer le savoir au service du bien-être des citoyens,
- attirer et garder les meilleurs, car la France est dans une compétition mondiale,
- rechercher la quintessence des moyens engagés, car ces moyens ne sont jamais extensibles à l'infini.
Développer le savoir et le mettre au service des citoyens
Nous devons instituer une relation plus étroite entre les découvertes et la société civile, en insistant notamment sur la fonction citoyenne de la science.
Force est de constater qu'actuellement, alors que la science devrait être le moyen, de répondre aux inquiétudes de la population grâce aux explications qu'elle apporte, elle est de plus en plus elle-même source d'inquiétudes. Nous devons renverser cette tendance.
Nous mènerons une politique offensive en matière de publications scientifiques, de vulgarisation des connaissances pas uniquement par les médias, mais aussi en mettant en place un dispositif efficace d'interrogation et de dialogue entre tous les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (étudiants et doctorants compris) et nos concitoyens engagés dans d'autres activités. Nous voulons développer l'aspect festif de la science ce qui nous conduira à repenser "la Fête de la science", à utiliser des outils comme "la Main à la pâte", les itinéraires de découverte, la collaboration des institutions de culture scientifique et technique (Palais de la Découverte, Cité des sciences et de l'industrie, Centres de culture scientifique, technique et industrielle.. ).
La science est aussi un formidable support de la croissance. Il y a en France 6 chercheurs et développeurs pour 1000 actifs ; aux Etats Unis, ils sont 1/3 de plus.
Pour se mettre au niveau des meilleurs, il est nécessaire de parier sur la participation des chercheurs aux bénéfices tirés de leurs recherches, de leur faciliter la possibilité de déposer des brevets, d'accéder à une mobilité dépénalisante pour leurs carrières, de poursuivre la politique des incubateurs, de créer des monitorats en entreprise pour les doctorants, en un mot, d'ouvrir d'avantage la recherche sur l'entreprise.
Enfin, il est urgent encore de prendre en compte les préoccupations des étudiants en termes de débouchés et de gestion des carrières. L'Université qui avait deux missions, l'enseignement et la recherche, en a dorénavant une troisième, la formation professionnelle.
Attirer et garder les meilleurs
Rechercher la qualité et l'excellence est une nécessité vitale car la France est, dans une compétition mondiale.
J'ajoute que je crois en l'exemplarité car elle suscite des vocations. Il apparaît nécessaire de développer nos pôles d'excellence et de les faire connaître, comme il convient de développer une grande politique de communication à l'Université pour populariser les succès des chercheurs, y compris les succès industriels et commerciaux.
La France, comme la plupart des autres pays européens, connaît depuis une dizaine d'années une évolution préoccupante dans le domaine des vocations scientifiques, un vieillissement dans certains secteurs et une fuite relative des cerveaux, notamment vers l'Amérique du Nord.
Ce phénomène va à l'encontre des besoins pressants de notre pays, notamment la nécessité impérieuse de disposer de cadres de haut niveau et celle d'assurer la compétitivité dont il a besoin.
Il ne s'agit pas tant pour moi de gérer cette crise des vocations que d'y mettre un terme.
Pour y remédier, j'ai d'abord le souci d'une méthode, celle d'une concertation étroite avec tous ceux qui y sont intéressés, les enseignants, les enseignants-chercheurs et les chercheurs en premier lieu.
Pour attirer les vocations, il est impératif d'ouvrir l'Université aux savoirs. Un premier objectif est d'offrir dans le premier cycle à toutes les filières un accès à la culture générale, notamment à l'histoire des sciences et des techniques, aux "humanités" et à l'éthique, et d'ouvrir des passerelles entre les différentes filières.
L'autonomie relative des Universités et des centres de recherche est également un moyen d'assurer la qualité du système français dans le concert international du savoir car elle autorise les initiatives vers l'extérieur et facilite la venue et les échanges d'étudiants et de chercheurs de qualité venus de l'étranger. L'Europe, comme le montre le succès du programme Erasmus par exemple, est d'ores et déjà au centre de cet engouement. On ne peut que s'en réjouir car la construction de l'Europe est d'abord spirituelle. Les échanges permettent de briser les tabous, d'asseoir l'Europe sur son pilier culturel, d'enrichir chaque nation de l'apport des autres. Et les Universités françaises seront d'autant plus puissantes qu'elles vivront en symbiose avec les autres universités européennes.
Enfin, il va falloir se donner les moyens d'augmenter le nombre bien trop faible d'étudiantes nettement sous représentées dans les filières scientifiques et technologiques. Les femmes représentent 34% des étudiants des filières scientifiques, 27% des classes préparatoires scientifiques et seulement 20% des étudiants des IUT industriels. Il s'agit là de montrer, par des actions d'information, que les sciences et la technologie leur sont tout autant destinées qu'aux hommes. Nous avons là un vivier d'intelligences laissé en friche et qui ne peut plus l'être pour des raisons morales et économiques.
Tirer la quintessence des moyens engagés.
Soyons réalistes, nous ne pourrons atteindre l'excellence dans tous les domaines. Il est donc impératif de définir des priorités. Ces priorités doivent découler de nos idées force, énoncées au début.
N'oublions pas que nos moyens sont aussi et avant tout des moyens humains. La gestion prévisionnelle de l'emploi est bien évidemment dans l'esprit de tous. Sur ce sujet, le "Programme prévisionnel et pluriannuel de l'emploi scientifique" élaboré par le gouvernement précédent est notoirement insuffisant. Un tel programme doit clairement prendre en compte les prévisions sectorielles et intégrer les priorités affichées.
Rechercher la quintessence des moyens engagés, c'est aussi savoir appliquer le principe de subsidiarité et avoir le courage de déconcentrer certaines décisions. Je suis convaincu que nous pouvons tout à la fois donner davantage d'autonomie aux établissements et conserver la réalité du service public. Ainsi que l'a rappelé Luc Ferry, pour rester efficace cette méthode doit s'accompagner d'une évaluation a posteriori des résultats et des stratégies pour, le cas échéant, procéder aux ajustements nécessaires à l'accomplissement des objectifs.
Inscrire les orientations des Universités dans le cadre de la construction de l'espace européen des diplômes est un autre moyen d'offrir d'avantage sans accroître les dépenses. Il s'agit pour Luc Ferry et pour moi-même, d'un sujet capital pour l'avenir que nous avons évoqué lors de la Conférence des Présidents d'Université. Il ne s'agit pas seulement de veiller à la reconnaissance réciproque des diplômes et encore moins d'imposer une uniformisation qui irait à l'encontre du respect de la pluralité qui constitue la richesse de l'Europe. Il ne s'agit pas plus de remettre en cause les cursus licence, master ou les études doctorales telles qu'ils sont définis aujourd'hui. Mais il faut veiller à une architecture de formation et de valorisation des études comparable, respectueuse de nos traditions, ne serait-ce que pour dynamiser les échanges et permettre la recherche d'emplois dans toute l'Europe.
Conclusion
Au début de mon intervention j'ai rappelé qu'il fallait opposer une dynamique de grandeur à la dynamique de déclin.
Cette mobilisation nationale que le Président de la République appelle, ne pourra se faire sans que ne soient mis en oeuvre tous les moyens pour lutter contre l'affaiblissement relatif de la France et contre la " fracture scolaire " et intellectuelle que le ministre de la jeunesse, de l'Education nationale et de la recherche, Luc Ferry, a fixé comme axe de notre action. Cela afin de propulser la recherche et l'innovation, de réconcilier la France et sa recherche et de répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens.
Ces nouvelles perspectives doivent évidemment pouvoir se fonder sur de nouveaux moyens.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 24 mai 2002)