Texte intégral
Les Echos: Vous allez défendre à partir d'aujourd'hui le premier grand texte social depuis la présidentielle. Constitue-t-il un point d'équilibre entre deux lignes au sein du gouvernement, une ligne "sociale", que vous incarnez, et une ligne plus libérale ?
François Fillon: C'est d'abord un texte qui marque une rupture avec la politique du gouvernement précédent. Lionel Jospin avait fait de la réduction du temps de travail et de la création d'emplois aidés dans le secteur public les deux instruments de la lutte contre le chômage. Les résultats de cette politique ne sont pas concluants. Les 35 heures n'ont pas vraiment créé d'emplois, elles ont pesé sur les performances de notre économie, elles ont dévalorisé les valeurs de l'effort et de justice sociale qui animent traditionnellement le monde du travail. Elles ne sont pas pour rien dans le recul global de notre pays par rapport aux autres Etats européens : nous sommes au treizième rang pour la richesse par habitant et au douzième pour l'emploi. Les effets négatifs de cette politique ont été masqués par une croissance exceptionnelle.
Ce texte est conforme aux engagements que nous avons pris. Nous nous sommes engagés à ne pas modifier la durée légale du travail mais à l'assouplir. Dans l'état où se trouve la société française, il faut agir en pragmatique et non en idéologue. Au sein du gouvernement comme avec les partenaires sociaux, j'ai insisté pour que l'on s'en tienne à nos engagements. C'était nécessaire pour recrédibiliser le discours politique.
Les Echos: N'êtes-vous pas déçu par les réactions réservées des syndicats et du patronat ?
François Fillon : Non, car je crois qu'au-delà des apparences, les uns et les autres savent que ce texte est équilibré, qu'il respecte les intérêts des entreprises et des salariés.
Les Echos: Dans le débat, la gauche va vous dire que le dévérouillage des heures supplémentaires se fera au détriment de l'emploi, au moment où le chômage monte.
François Fillon: Ce raisonnement supposerait que les 35 heures aient créé des emplois, ce qui est très discutable. Officiellement, elles ont créé 300.000 emplois, mais nous sommes incapables de mesurer ceux qui ne l'ont pas été à cause, par exemple, des délocalisations. Ce sont surtout la croissance et les allégements de charges qui ont contribué aux emplois prétendument attachés aux 35 heures ! Nous allons faire la démonstration que les entreprises, grâce à la liberté recouvrée, sont mieux armées face à la concurrence, conquièrent des marchés et, à terme, créent des emplois.
Les Echos: A droite, l'UDF est aussi très critique: Hervé Morin, dans "Les Echos" d'hier, qualifie votre loi de "coup d'épée dans l'eau", jugeant que vous n'êtes pas assez audacieux. Que lui répondez-vous?
François Fillon: Je ne suis pas sûr que les élus de l'UDF et leurs électeurs soient en phase avec cette formule à l'emporte-pièce.
Les Echos: Quand le décret relevant le contingent des heures supplémentaires de 130 à 180 heures sera-t-il publié ?
François Fillon: Avant la mi-octobre.
Les Echos: Etes-vous ouvert à des amendements des députés ? Que diriez-vous si certains veulent, par exemple, allonger le durée d'harmonisation du SMIC sur quatre ans au lieu de trois ou muscler les baisses des charges sociales pour les entreprises ?
François Fillon: Je crois profondément que le texte tel qu'il est sorti des discussions avec les partenaires sociaux est équilibré et que sa remise en cause serait difficile. Le curseur de la durée de l'harmonisation des SMIC ne peut être modifié. Le gouvernement veut par là relancer la consommation avec une politique en direction des bas salaires. Il veut aussi mieux rémunérer le travail. S'agissant des allégements des charges sociales patronales, on peut naturellement toujours faire mieux. Mais le budget de l'Etat n'est pas extensible à l'infini. L'enveloppe des allégements de charges passera de 15 à 21 milliards d'euros en trois ans, c'est déjà beaucoup. J'aurais aimé faire davantage, mais, là encore, nous avons un bon équilibre. Ces allégements vont largement compenser l'augmentation du SMIC pour les entreprises qui emploient beaucoup de salariés à ce niveau de salaire. Les très grandes entreprises, qui comptent moins de bas salaires, sont moins sensibles à cette question. Dans le cadre du budget 2004, nous verrons si des marges de manoeuvre nous permettent d'aller plus loin dans la baisse des charges.
Les Echos: Avant que cette politique ne donne des fruits, n'y aura-t-il pas une période de transition difficile pour l'emploi ?
François Fillon: La progression du chômage est à peu près la même dans tous les pays européens. Mon objectif est de faire en sorte que nous ne soyons plus dans le bas du tableau comme c'est actuellement le cas, malgré les dernières années de croissance. La tendance n'est, à l'évidence, pas bonne d'ici à la fin de l'année. D'ici quelques jours, nous annoncerons les modalités de fonctionnement de la " task force " sur les plans sociaux, qui accompagnera les restructurations dans des bassins d'emploi déterminés.
Les Echos: Le gouvernement a, semble-t-il, hésité à continuer à utiliser le levier du traitement social du chômage?
François Fillon: Nous voulons sortir de la logique précédente. Les limites des emplois-jeunes sautent maintenant aux yeux, en termes de coût, d'avenir pour les jeunes concernés, d'efficacité pour lutter contre le chômage des moins qualifiés et, enfin, en termes d'organisation des fonctions publiques menacées par la création d'un statut précaire. A leur place, nous allons proposer en 2003 le Civis, le contrat d'insertion dans la vie sociale. L'idée est de soutenir les jeunes qui ont des projets dans le domaine social, humanitaire ou citoyen. Mais nous savons aussi qu'un certain nombre de jeunes ont besoin d'un soutien de l'Etat en période de crise. Nous avons donc conservé les contrats emploi-solidarité (CES) et les autres dispositifs du même type pour ceux dont le niveau de formation est faible. Comme l'a annoncé le Premier ministre la semaine dernière, 20.000 entrées par mois constituent un objectif qui permet de répondre aux besoins des personnes en difficulté. Tout dépendra de l'évolution de la conjoncture. Il faut se garder de la marge.
Les Echos: Dans un deuxième temps, vous allez revoir la loi de modernisation sociale. Pourquoi ne le faites vous pas à l'occasion du texte sur les 35 heures et le SMIC, c'est à dire maintenant ?
François Fillon: Les sujets ne sont pas les mêmes. L'harmonisation des SMIC, les 35 heures et la baisse des charges forment un tout cohérent, négocié globalement avec les partenaires sociaux. Mais nous avons déjà commencé à ouvrir le dossier de la gestion des restructurations industrielles et de la formation professionnelle. Je cherche à conduire dans un même élan la réforme de la loi de modernisation sociale et celle de la formation. Il y a, là encore, un équilibre, une cohérence propice à un débat constructif avec les partenaires sociaux. Si nous avions tout mélangé, nous n'aurions pas été compris.
Les Echos: Vous avez annoncé votre intention de suspendre certains articles de la loi de modernisation sociale ? N'y a-t-il pas le souhait, ici ou là, de revoir la loi plus profondément que vous le souhaiteriez ?
François Fillon: Je souhaite, pour ma part, suspendre les articles qui, en additionnant des délais incompressibles, conduisent les entreprises à déposer le bilan plutôt qu'à présenter des plans sociaux. Je veux m'en tenir là. Les partenaires sociaux auront à proposer, pendant un délai qui reste à fixer, des solutions de remplacement. Tous critiquent cette loi... J'aimerais qu'ils puissent faire la preuve de leur capacité à dégager un compromis positif.
Les Echos: L'articulation avec le projet sur la formation professionnelle ne saute pas aux yeux.
François Fillon: La meilleure chance que l'on puisse offrir à un salarié, c'est la capacité à progresser, à changer de métier si nécessaire. Les changements, qui s'opéraient autrefois sur une génération, sont beaucoup plus rapides. Le gouvernement précédent, pour y faire face, avait choisi la voie dogmatique, celle de l'interdiction des licenciements. Jacques Chirac, lui, a proposé l'assurance-formation, c'est-à-dire un compte de formation professionnelle individuel que le salarié pourra utiliser pour faire face à ces évolutions du monde. L'objectif, c'est de construire un droit à la formation plus individualisé qu'aujourd'hui et sur lequel le salarié a davantage de maîtrise.
Les Echos: N'est-ce pas un mauvais signal qui a été lancé avec le contrat "jeune en entreprise" qui concerne les jeunes sans formation?
François Fillon: Dire cela est un vrai contresens. Le nouveau contrat s'adresse à des jeunes qui, de toute façon, n'ont pas envie d'entrer dans des formations existantes. Avec ce projet, qui démarre actuellement - les décrets viennent d'être publiés -, nous ouvrons des espaces de négociation aux partenaires sociaux si ceux-ci veulent, dans un second temps, offrir de la formation aux jeunes qui seront embauchés. Toyota vient de signer 60 contrats.
Les Echos: Les retraites seront, après les 35 heures et la réforme de la loi de modernisation sociale, votre troisième chantier. Quel sera votre calandrier précis ?
François Fillon: Nous allons ouvrir, avec l'ensemble des partenaires concernés, une négociation globale concernant le secteur privé et la fonction publique avant la fin février 2003. En fait, les deux négociations auront lieu parallèlement. Le ministre de la Fonction publique, Jean-Pierre Delevoye, négociera avec les syndicats de fonctionnaires ; moi, avec les partenaires sociaux du privé. Le Premier ministre m'a confié le pilotage de l'ensemble du sujet. Les deux chantiers doivent avancer ensemble et être traités dans le même temps. Nous voulons aller vite : un texte sera prêt avant la fin de la session de printemps.
Les Echos: Quel est selon vous, l'état d'esprit des syndicats sur le sujet?
François Fillon: Avec des nuances, je les trouve conscients de la nécessité de prendre des mesures. Il faut lancer un processus réformiste.
Les Echos: Le gouvernement parle moins de la création des fonds de pension, veut-il toujours en créer ? Et à quelle échéance ?
François Fillon: Notre objectif principal, c'est de sauver le régime par répartition. Des fonds de pension à la française peuvent constituer un complément. Mais il faut bien en étudier les modalités.
Les Echos: Allez-vous réformer les règles de la négociation collective et de représentativité des syndicats ? Le sujet semble avoir perdu de son urgence, comme si vous ne vouliez pas vous alliéner tel ou tel syndicat sur le dossier des retraites.
François Fillon: Pas du tout. Nous proposerons tout début 2003 aux partenaires sociaux de commencer à débattre à partir de la position commune à laquelle ils sont parvenus à l'été 2001. Mon intention est d'avancer, pour donner sens à la société participative que les corps intermédiaires doivent animer. Le sujet n'est pas lié, je le précise, à la question des retraites.
Les Echos: Quel regard portez-vous sur les partenaires sociaux après quatre mois de contact avec eux ? Le Medef est assez critique, plus que les syndicats en tout cas. Il donne l'impression d'appuyer les libéraux du gouvernement...
François Fillon: Je constate une convergence de l'ensemble des syndicats vers l'acceptation des règles du jeu économique. Je crois également qu'ils sont aussi, comme les partis politiques, fragilisés par une crise de représentativité. De son côté, le Medef est dans son rôle. Il est conscient des difficultés que la France va devoir affronter avec l'élargissement de l'Europe, l'adhésion de la Chine à l'OMC, etc. L'opposition entre sociaux et libéraux est exagérée. Le libéralisme social est une synthèse dynamique entre les exigences de l'économie contemporaine et la solidarité sans laquelle il n'y a pas d'harmonie sociale et nationale. Le modèle français doit être réformé, mais pas démantelé. Notre impératif, c'est de respecter ce que nous ont dit les Français les 21 avril et 6 mai
Propos recueillis par Michèle Lecluse et Dominique Seux
(Source http://www.rpr.org, le 3 octobre 2002)
François Fillon: C'est d'abord un texte qui marque une rupture avec la politique du gouvernement précédent. Lionel Jospin avait fait de la réduction du temps de travail et de la création d'emplois aidés dans le secteur public les deux instruments de la lutte contre le chômage. Les résultats de cette politique ne sont pas concluants. Les 35 heures n'ont pas vraiment créé d'emplois, elles ont pesé sur les performances de notre économie, elles ont dévalorisé les valeurs de l'effort et de justice sociale qui animent traditionnellement le monde du travail. Elles ne sont pas pour rien dans le recul global de notre pays par rapport aux autres Etats européens : nous sommes au treizième rang pour la richesse par habitant et au douzième pour l'emploi. Les effets négatifs de cette politique ont été masqués par une croissance exceptionnelle.
Ce texte est conforme aux engagements que nous avons pris. Nous nous sommes engagés à ne pas modifier la durée légale du travail mais à l'assouplir. Dans l'état où se trouve la société française, il faut agir en pragmatique et non en idéologue. Au sein du gouvernement comme avec les partenaires sociaux, j'ai insisté pour que l'on s'en tienne à nos engagements. C'était nécessaire pour recrédibiliser le discours politique.
Les Echos: N'êtes-vous pas déçu par les réactions réservées des syndicats et du patronat ?
François Fillon : Non, car je crois qu'au-delà des apparences, les uns et les autres savent que ce texte est équilibré, qu'il respecte les intérêts des entreprises et des salariés.
Les Echos: Dans le débat, la gauche va vous dire que le dévérouillage des heures supplémentaires se fera au détriment de l'emploi, au moment où le chômage monte.
François Fillon: Ce raisonnement supposerait que les 35 heures aient créé des emplois, ce qui est très discutable. Officiellement, elles ont créé 300.000 emplois, mais nous sommes incapables de mesurer ceux qui ne l'ont pas été à cause, par exemple, des délocalisations. Ce sont surtout la croissance et les allégements de charges qui ont contribué aux emplois prétendument attachés aux 35 heures ! Nous allons faire la démonstration que les entreprises, grâce à la liberté recouvrée, sont mieux armées face à la concurrence, conquièrent des marchés et, à terme, créent des emplois.
Les Echos: A droite, l'UDF est aussi très critique: Hervé Morin, dans "Les Echos" d'hier, qualifie votre loi de "coup d'épée dans l'eau", jugeant que vous n'êtes pas assez audacieux. Que lui répondez-vous?
François Fillon: Je ne suis pas sûr que les élus de l'UDF et leurs électeurs soient en phase avec cette formule à l'emporte-pièce.
Les Echos: Quand le décret relevant le contingent des heures supplémentaires de 130 à 180 heures sera-t-il publié ?
François Fillon: Avant la mi-octobre.
Les Echos: Etes-vous ouvert à des amendements des députés ? Que diriez-vous si certains veulent, par exemple, allonger le durée d'harmonisation du SMIC sur quatre ans au lieu de trois ou muscler les baisses des charges sociales pour les entreprises ?
François Fillon: Je crois profondément que le texte tel qu'il est sorti des discussions avec les partenaires sociaux est équilibré et que sa remise en cause serait difficile. Le curseur de la durée de l'harmonisation des SMIC ne peut être modifié. Le gouvernement veut par là relancer la consommation avec une politique en direction des bas salaires. Il veut aussi mieux rémunérer le travail. S'agissant des allégements des charges sociales patronales, on peut naturellement toujours faire mieux. Mais le budget de l'Etat n'est pas extensible à l'infini. L'enveloppe des allégements de charges passera de 15 à 21 milliards d'euros en trois ans, c'est déjà beaucoup. J'aurais aimé faire davantage, mais, là encore, nous avons un bon équilibre. Ces allégements vont largement compenser l'augmentation du SMIC pour les entreprises qui emploient beaucoup de salariés à ce niveau de salaire. Les très grandes entreprises, qui comptent moins de bas salaires, sont moins sensibles à cette question. Dans le cadre du budget 2004, nous verrons si des marges de manoeuvre nous permettent d'aller plus loin dans la baisse des charges.
Les Echos: Avant que cette politique ne donne des fruits, n'y aura-t-il pas une période de transition difficile pour l'emploi ?
François Fillon: La progression du chômage est à peu près la même dans tous les pays européens. Mon objectif est de faire en sorte que nous ne soyons plus dans le bas du tableau comme c'est actuellement le cas, malgré les dernières années de croissance. La tendance n'est, à l'évidence, pas bonne d'ici à la fin de l'année. D'ici quelques jours, nous annoncerons les modalités de fonctionnement de la " task force " sur les plans sociaux, qui accompagnera les restructurations dans des bassins d'emploi déterminés.
Les Echos: Le gouvernement a, semble-t-il, hésité à continuer à utiliser le levier du traitement social du chômage?
François Fillon: Nous voulons sortir de la logique précédente. Les limites des emplois-jeunes sautent maintenant aux yeux, en termes de coût, d'avenir pour les jeunes concernés, d'efficacité pour lutter contre le chômage des moins qualifiés et, enfin, en termes d'organisation des fonctions publiques menacées par la création d'un statut précaire. A leur place, nous allons proposer en 2003 le Civis, le contrat d'insertion dans la vie sociale. L'idée est de soutenir les jeunes qui ont des projets dans le domaine social, humanitaire ou citoyen. Mais nous savons aussi qu'un certain nombre de jeunes ont besoin d'un soutien de l'Etat en période de crise. Nous avons donc conservé les contrats emploi-solidarité (CES) et les autres dispositifs du même type pour ceux dont le niveau de formation est faible. Comme l'a annoncé le Premier ministre la semaine dernière, 20.000 entrées par mois constituent un objectif qui permet de répondre aux besoins des personnes en difficulté. Tout dépendra de l'évolution de la conjoncture. Il faut se garder de la marge.
Les Echos: Dans un deuxième temps, vous allez revoir la loi de modernisation sociale. Pourquoi ne le faites vous pas à l'occasion du texte sur les 35 heures et le SMIC, c'est à dire maintenant ?
François Fillon: Les sujets ne sont pas les mêmes. L'harmonisation des SMIC, les 35 heures et la baisse des charges forment un tout cohérent, négocié globalement avec les partenaires sociaux. Mais nous avons déjà commencé à ouvrir le dossier de la gestion des restructurations industrielles et de la formation professionnelle. Je cherche à conduire dans un même élan la réforme de la loi de modernisation sociale et celle de la formation. Il y a, là encore, un équilibre, une cohérence propice à un débat constructif avec les partenaires sociaux. Si nous avions tout mélangé, nous n'aurions pas été compris.
Les Echos: Vous avez annoncé votre intention de suspendre certains articles de la loi de modernisation sociale ? N'y a-t-il pas le souhait, ici ou là, de revoir la loi plus profondément que vous le souhaiteriez ?
François Fillon: Je souhaite, pour ma part, suspendre les articles qui, en additionnant des délais incompressibles, conduisent les entreprises à déposer le bilan plutôt qu'à présenter des plans sociaux. Je veux m'en tenir là. Les partenaires sociaux auront à proposer, pendant un délai qui reste à fixer, des solutions de remplacement. Tous critiquent cette loi... J'aimerais qu'ils puissent faire la preuve de leur capacité à dégager un compromis positif.
Les Echos: L'articulation avec le projet sur la formation professionnelle ne saute pas aux yeux.
François Fillon: La meilleure chance que l'on puisse offrir à un salarié, c'est la capacité à progresser, à changer de métier si nécessaire. Les changements, qui s'opéraient autrefois sur une génération, sont beaucoup plus rapides. Le gouvernement précédent, pour y faire face, avait choisi la voie dogmatique, celle de l'interdiction des licenciements. Jacques Chirac, lui, a proposé l'assurance-formation, c'est-à-dire un compte de formation professionnelle individuel que le salarié pourra utiliser pour faire face à ces évolutions du monde. L'objectif, c'est de construire un droit à la formation plus individualisé qu'aujourd'hui et sur lequel le salarié a davantage de maîtrise.
Les Echos: N'est-ce pas un mauvais signal qui a été lancé avec le contrat "jeune en entreprise" qui concerne les jeunes sans formation?
François Fillon: Dire cela est un vrai contresens. Le nouveau contrat s'adresse à des jeunes qui, de toute façon, n'ont pas envie d'entrer dans des formations existantes. Avec ce projet, qui démarre actuellement - les décrets viennent d'être publiés -, nous ouvrons des espaces de négociation aux partenaires sociaux si ceux-ci veulent, dans un second temps, offrir de la formation aux jeunes qui seront embauchés. Toyota vient de signer 60 contrats.
Les Echos: Les retraites seront, après les 35 heures et la réforme de la loi de modernisation sociale, votre troisième chantier. Quel sera votre calandrier précis ?
François Fillon: Nous allons ouvrir, avec l'ensemble des partenaires concernés, une négociation globale concernant le secteur privé et la fonction publique avant la fin février 2003. En fait, les deux négociations auront lieu parallèlement. Le ministre de la Fonction publique, Jean-Pierre Delevoye, négociera avec les syndicats de fonctionnaires ; moi, avec les partenaires sociaux du privé. Le Premier ministre m'a confié le pilotage de l'ensemble du sujet. Les deux chantiers doivent avancer ensemble et être traités dans le même temps. Nous voulons aller vite : un texte sera prêt avant la fin de la session de printemps.
Les Echos: Quel est selon vous, l'état d'esprit des syndicats sur le sujet?
François Fillon: Avec des nuances, je les trouve conscients de la nécessité de prendre des mesures. Il faut lancer un processus réformiste.
Les Echos: Le gouvernement parle moins de la création des fonds de pension, veut-il toujours en créer ? Et à quelle échéance ?
François Fillon: Notre objectif principal, c'est de sauver le régime par répartition. Des fonds de pension à la française peuvent constituer un complément. Mais il faut bien en étudier les modalités.
Les Echos: Allez-vous réformer les règles de la négociation collective et de représentativité des syndicats ? Le sujet semble avoir perdu de son urgence, comme si vous ne vouliez pas vous alliéner tel ou tel syndicat sur le dossier des retraites.
François Fillon: Pas du tout. Nous proposerons tout début 2003 aux partenaires sociaux de commencer à débattre à partir de la position commune à laquelle ils sont parvenus à l'été 2001. Mon intention est d'avancer, pour donner sens à la société participative que les corps intermédiaires doivent animer. Le sujet n'est pas lié, je le précise, à la question des retraites.
Les Echos: Quel regard portez-vous sur les partenaires sociaux après quatre mois de contact avec eux ? Le Medef est assez critique, plus que les syndicats en tout cas. Il donne l'impression d'appuyer les libéraux du gouvernement...
François Fillon: Je constate une convergence de l'ensemble des syndicats vers l'acceptation des règles du jeu économique. Je crois également qu'ils sont aussi, comme les partis politiques, fragilisés par une crise de représentativité. De son côté, le Medef est dans son rôle. Il est conscient des difficultés que la France va devoir affronter avec l'élargissement de l'Europe, l'adhésion de la Chine à l'OMC, etc. L'opposition entre sociaux et libéraux est exagérée. Le libéralisme social est une synthèse dynamique entre les exigences de l'économie contemporaine et la solidarité sans laquelle il n'y a pas d'harmonie sociale et nationale. Le modèle français doit être réformé, mais pas démantelé. Notre impératif, c'est de respecter ce que nous ont dit les Français les 21 avril et 6 mai
Propos recueillis par Michèle Lecluse et Dominique Seux
(Source http://www.rpr.org, le 3 octobre 2002)