Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la construction de l'Europe de la sécurité et de la défense, Coëtquidan le 16 juillet 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Ouverture du colloque des écoles et académies militaires de l'Union européenne, Coëtquidan le 16 juillet 2002

Texte intégral

Messieurs les officiers généraux,
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les élèves officiers,
Mesdames et Messieurs.
Je voudrais tout d'abord féliciter les organisateurs de ces journées pendant lesquelles vous allez réfléchir ensemble sur la dimension militaire de l'intégration européenne, vaste sujet qui vous passionne.
D'ores et déjà, la participation des représentants d'un nombre impressionnant d'académies et d'écoles militaires, de pays européens, candidats à l'intégration, alliés, partenaires, fait de votre initiative un plein succès.
Ce succès illustre une préoccupation et surtout une volonté : celle des pays d'Europe d'avancer dans la construction, ensemble, d'une entité de sécurité crédible.
C'est une belle ambition qui n'est pas sans présenter des difficultés ni sans susciter des interrogations.
Par leur présence et leur coopération nos alliés et partenaires nord-américains, russes, norvégiens et turcs, nous disent aussi qu'aujourd'hui, ils croient effectivement à cette Europe en construction.
Les travaux que vous, jeunes officiers et élèves officiers, allez conduire dans les deux jours qui viennent tournent autour de thèmes centraux pour notre sécurité.
L'Europe connaît depuis une dizaine d'années des bouleversements et dont vous êtes les témoins historiques.
Le continent a été réunifié.
Cette unité retrouvée autour des valeurs démocratiques qui sont les nôtres est certainement porteuse de paix et de stabilité.
Dans le même temps, cette Europe nouvelle a dû refonder le lien fondamental qui l'unit à l'Amérique du Nord, et reconstruire une relation avec la Russie, partenaire majeur de la sécurité européenne, et puis aussi avec les républiques nées de la disparition de l'URSS, dont l'Ukraine.
Un bouleversement majeur : la présence du ministre de la Défense russe autour de la table lors de la dernière réunion des ministres de l'OTAN à Bruxelles le démontrait.
La fin de la guerre froide n'aura pourtant créé qu'une brève accalmie dans les relations internationales.
De nouveaux conflits sont apparus, certains d'ailleurs au cur même de notre continent, entraînant des déchaînements de violence d'une nature nouvelle avec des conséquences possibles pour notre propre sécurité.
De nouveaux dangers sont identifiés : en dehors des crises régionales, nous avons vu réapparaître des réseaux criminels, mafieux ou extrémistes, des mouvements terroristes, une nouvelle forme de terrorisme de masse (incomparable avec le terrorisme dont souffre le pays basque) la prolifération des armes de destruction massive avec la préoccupation du moindre contrôle sur ces armes terrifiantes, le non-respect des conventions internationales de maîtrise des armements, pandémies, catastrophes naturelles ou écologiques...
Ces dangers, sans logique aisément mesurable et je dirais sans patrie, difficilement prévisibles, accroissent les vulnérabilités de nos sociétés. Et cela relève de la responsabilité des Politiques. En effet chaque crise locale peut aujourd'hui avoir des répercussions internationales et nous engager.
C'est pourquoi la France, même si elle n'est plus menacée à ses frontières et si elle n'a pas d'ennemi désigné, entend participer pleinement au maintien de la stabilité internationale.
Comme l'ensemble de ses partenaires et alliés, elle doit dès lors adopter son organisation et ses moyens pour mieux prendre en compte, et si possible prévenir, les nouvelles formes de menaces.
Avec l'ensemble de nos partenaires et alliés, nous devons rechercher les moyens de maîtriser notre destin.
Alors de ce point de vue l'Union européenne représente naturellement la force politique d'une coalition homogène aux intérêts communs.
A travers mes nombreuses rencontres, en France, en Europe ou ailleurs, c'est avant tout une grande attente et un besoin d'Europe que je sens dans le monde de la Défense et de la Sécurité.
Cette demande d'Europe est double :
- Il est attendu que l'Union européenne devienne un acteur majeur de la vie internationale, dans tous les domaines, assumant pleinement ses responsabilités pour le maintien de la stabilité internationale et pour le progrès du bien-être des peuples;
- Il est attendu de l'Europe qu'en cas de crise, elle soit à même de fournir aux pays concernés l'aide dont ils peuvent avoir besoin pour se reconstruire et créer les conditions d'une paix durable.
Prenons le cas de l'Afghanistan où la communauté internationale doit reconstituer les conditions politiques et économiques qui permettent d'espérer une stabilité. Nous agissons avec les mêmes objectifs au Kosovo, en Bosnie et en Macédoine.
"L'Europe nous a donné la paix" disait récemment le président de la République(1), cette paix nous avons le devoir de la conforter et de la partager.
Pour répondre à ce défi, et quel défi, l'Europe de la Défense a déjà franchi des étapes décisives et sa montée en puissance se poursuit avec méthode. Avec méthode ce qui ne veut pas dire sans obstacles et sans ralentissements.
Une communauté d'intérêts et de valeurs (n'oublions jamais les valeurs), une volonté politique tracent un destin commun pour les Européens en matière de Sécurité et de Défense.
Il nous faut encore approfondir ce qui a été engagé.
Elèves officiers et officiers ici présents, vous avez et vous aurez une responsabilité particulière dans la construction et la consolidation de notre politique européenne de Sécurité et de Défense.
L'Union respecte la souveraineté de ses Etats membres mais se dote des moyens d'agir ensemble dans de nombreux domaines : humanitaires, économiques, politiques et désormais militaires.
Il s'agit pour l'Union européenne, dans le meilleur des cas de prévenir des crises, et si elles ont éclaté de les gérer dans tous les aspects civils et militaires, par une coordination et la coopération internationales renforcées.
L'Europe de la Défense trouve ses racines dans le sentiment profond d'une communauté de destin issue de l'histoire européenne, souvent tragique au cours des siècles passés.
Lors de ses vux au Corps diplomatique(2), le président de la République affirmait que "l'Europe a beaucoup à apporter, parce qu'elle s'est construite sur les ruines de la guerre, elle offre un message de réconciliation".
C'est parce que nous savons, que nous avons expérimenté les conséquences douloureuses de nombreuses guerres intra européennes que nous avons quelque chose à apporter aux autres.
Cette communauté de destin se traduira par des engagements collectifs qui seront demain votre cadre normal d'action, en bonne intelligence d'ailleurs avec nos partenaires transatlantiques.
Vous vous souviendrez que vos aînés les ont expérimentés avec succès, dans les Balkans, lors de missions marquées par leur complexité, dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies ou dans celui de l'OTAN.
Comme vous le savez, nous nous sommes fixé à Helsinki, en décembre 1999, un objectif ambitieux mais concret : celui de doter l'Union européenne d'une première capacité de gestion de crises à l'horizon 2003.
Vous en connaissez les caractéristiques : nous voulons pouvoir déployer jusqu'à 60000 hommes, en moins de deux mois, pour une période minimale d'une année.
Cette force, quand elle sera constituée et structurée, permettra aux Quinze de remplir les missions dites de " Petersberg " : missions humanitaires et d'évacuations de ressortissants, mais aussi missions de maintien et de rétablissement de la paix et missions de forces de combat pour la gestion des crises.
Nous nous en donnons les moyens politiques et militaires.
A Nice, en décembre 2000, les Quinze ont créé les instruments politico-militaires indispensables pour conduire des opérations : le Comité politique et de sécurité (COPS), le Comité militaire, composé des Chefs d'Etat-major des armées, et l'Etat-major de l'Union européenne, chargé notamment de la planification stratégique.
Au sommet de Laeken, en décembre 2001, l'Europe de la Défense a été déclarée opérationnelle, cela signifie qu'elle est capable de conduire des opérations de gestion de crises, de la détection à la sortie de crise.
Nos partenaires nous rappellent qu'il faudra procéder pas à pas pour consolider progressivement cette aptitude.
Cette aptitude passe d'abord par nos propres capacités.
A l'initiative du Chef de l'Etat, nous sommes d'ores et déjà engagés dans un processus de renforcement de nos capacités nationales en restaurant notamment la disponibilité de nos matériels et en faisant un réel effort d'équipement de nos armées. C'est le signal fort d'un collectif budgétaire qui vient d'être voté et qui, pour la première fois dans l'histoire, prévoit d'abonder le titre 5 afin d'entamer l'effort d'amélioration de la disponibilité de nos matériels. Cet exemple de renforcement de nos capacités nationales sera surtout démontré par la loi de programmation militaire 2003?2008 qui sera déposée à l'Assemblée avant la fin de l'année.
Ces efforts s'insèrent naturellement dans le cadre d'un redressement capacitaire européen sans précédent lancé depuis deux ans maintenant. L'entreprise n'est pas facile et nous rencontrons parfois des difficultés pour convaincre certains partenaires réticents à s'engager dans cette voie ou bien à y consacrer les ressources budgétaires indispensables.
Il s'agit de nous doter des capacités là où de vraies lacunes ont été identifiées : c'est le cas du transport stratégique, des systèmes de commandement ou des forces spéciales.
Les travaux préparatoires des experts des quinze nations européennes sur le Plan Capacitaire Européen sont intéressants.
Mais un des grands défis de ce plan d'action sera d'assurer l'acquisition et donc le financement de ces capacités là où elles apparaissent insuffisantes.
Ce travail de longue haleine est crucial aussi pour préserver le potentiel de nos industries de Défense. C'est pour nous une véritable préoccupation.
La question d'une politique européenne de l'armement se pose en effet. Nous devons rapprocher nos industries. Il faut aussi que les Européens fassent preuve de logique avec leurs objectifs politiques et qu'ils privilégient l'Europe dans leurs choix d'équipement militaire, ce qui n'est pas toujours le cas.
Ces efforts capacitaires doivent se traduire in fine par un renforcement de nos capacités opérationnelles pour faire face aux défis de sécurité qui nous attendent.
Bien entendu le projet de politique européenne de Sécurité et de Défense doit être en pleine cohérence avec les restructurations de l'Alliance atlantique décidées à Bruxelles et leur traduction en termes capacitaires.
Le défi auquel nous sommes confrontés est d'assurer la cohérence et la synergie des efforts nationaux, européens et dans le cadre de l'Alliance atlantique.
L'avenir consistera pour l'Europe à assumer des responsabilités difficiles et à apprendre à agir selon les circonstances par elle-même ou bien avec ses alliés.
Pour réaliser cette ambition de voir l'Europe s'engager en tant que telle dans les affaires du monde, il s'agira de tirer partie de nos différentes cultures de l'intervention et d'entraîner sans doute ceux de nos partenaires qui sont les plus hésitants.
Nous avons les outils décisionnels adéquats, à nous de les utiliser avec un véritable état d'esprit européen.
Le président de la République vous précisait, à vous Saints Cyriens, lors du discours d'ouverture des célébrations du bicentenaire(3) "qu'en étant les artisans de l'Europe de la Défense, vous servirez au mieux les intérêts nationaux qui seront défendus plus efficacement par une Europe capable de se faire entendre et de faire respecter ses choix et au sein de laquelle ses capacités militaires donneront à notre pays un poids conforme à ses ambitions".
Vous êtes donc appelés à être les acteurs d'un projet ambitieux et enthousiasmant. A vous maintenant, élèves des 26 académies militaires, de travailler ensemble sur les différents thèmes qui vous sont proposés. Prenez en conscience.
L'histoire fait de vous les acteurs de l'Europe de la Défense de demain, à vous donc de la construire et de la vivre, à vous d'y réfléchir tout d'abord.
Vous vous interrogerez sur ce que défend l'Europe, son mode de vie, les valeurs, la manière de penser de nos sociétés, nos institutions politiques, l'héritage historique de nos convictions et de nos différences dont nous avons su ne plus faire des oppositions.
Vous analyserez, même s'il est encore trop implicite, le projet politique commun qui sous-tend la construction de l'Europe de la Défense, à vous de le rendre plus explicite.
Vous rechercherez et affinerez les intérêts de sécurité européens à travers les espaces géographiques de nos stratégies de sécurité que vous comparerez à ceux d'autres acteurs majeurs sur la scène internationale pour en déduire une éventuelle particularité européenne :
Quelles menaces pèsent sur nos intérêts ?
Comment mieux répondre aux crises ?
Avec quelles institutions ?
Quels outils ?
Comment imposer une véritable interopérabilité et, au-delà, créer une culture militaire commune ?
Enfin, vous aborderez l'aspect essentiel qu'est la formation initiale des officiers pour renforcer cette habitude de vivre, de réfléchir et d'agir ensemble qui est certainement le socle le plus solide et le plus prometteur.
En conclusion, je voudrais vous persuader que l'Europe de la Défense est en marche, difficultés ou pas, et que le métier militaire est aujourd'hui, peut-être plus que tous les autres un métier européen. Alors oui, tout ce qui dans la formation peut renforcer l'Europe ou les connaissances internationales trouvera mon appui.
Acteurs de votre propre avenir, chefs et décideurs de demain, vous devez faire l'apprentissage de l'international et l'inculquer à vos futurs subordonnés. Vous serez demain la cheville ouvrière d'une Europe de la Défense qui ne se construit pas uniquement à Bruxelles mais aussi surtout en et par chacun d'entre vous.
L'Europe envisage une gestion moderne des crises et il vous appartiendra donc d'intégrer vos actions dans un ensemble plus vaste.
Soyez néanmoins persuadés que votre spécificité militaire sera respectée et que, demain comme hier, quelle que soit la diversité des situations, le pouvoir politique, national ou européen, exigera de vous, en premier lieu, le meilleur niveau opérationnel.
La France continuera à prendre ses responsabilités sur la scène internationale et je suis tout aussi convaincue que l'Europe le fera davantage encore demain.
Que votre formation vous apporte la connaissance de votre métier et la compréhension du monde complexe dans lequel nous vivons !
Et que cette conférence des académies militaires vous aide à vous connaître, à vous comprendre et à vous apprécier pour que l'Europe de la Défense dépasse le cadre des institutions et des projets pour devenir réalité ! Elle repose d'abord et avant tout sur les hommes et les femmes.
Je renouvelle mes très vives félicitations aux écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan pour cette initiative qui la place résolument comme une école du troisième millénaire alors qu'elle fête son bicentenaire.
Cette conférence s'inscrit à mes yeux pleinement dans l'effort de réforme et d'ouverture internationale de votre scolarité auquel j e souhaite un plein succès.
Pour terminer, je voudrais vous redire à quel point j'ai apprécié cette occasion de m'adresser à cette communauté des académies militaires de 26 nations rassemblées pour parler de l'Europe de la Défense et ainsi créer une entité de sécurité crédible dans le respect de la souveraineté de chaque Etat.
L'avenir est entre vos mains, réfléchissez-y et construisez-le ensemble !
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 19 juillet 2002)