Déclaration de M. Jérôme Despey, président des Jeunes Agriculteurs, sur la politique agricole, notamment la production agricole, l'installation des jeunes agriculteurs, les prix agricoles et la PAC, Périgueux le 4 juillet 2002.

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Circonstance : 36ème congrès des Jeunes Agriculteurs à Périgueux le 4 juillet 2002

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président du Conseil Régional,
Monsieur le Vice-Président du Conseil Général,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les élus,
Chers amis,
C'est pour moi un réel plaisir mais aussi une grande émotion que d'être devant vous
aujourd'hui en tant que nouveau président des Jeunes agriculteurs. Mon expérience en la matière n'a que quelques heures et je voudrais placer mon intervention sous le signe de la simplicité, qui est aussi un gage de clarté.
Avant d'aller plus avant dans mon propos, je tiens à remercier les chevilles ouvrières de ce congrès, je veux parler de l'équipe des jeunes agriculteurs qui a fourni un énorme travail depuis plus d'un an pour mener à bien cette fabuleuse entreprise. Bravo aux organisateurs pour l'accueil chaleureux réservé aux délégués et aux invités, et un grand coup de chapeau pour la mise en valeur de vos terroirs et de vos savoir- faire grâce au pôle régional Aquitaine - Poitou-Charentes.
Je remercie plus particulièrement Benoît Fayol, président des Jeunes agriculteurs de
Dordogne, Philippe Vignon, président du Comité d'organisation, mais aussi tous les jeunes bénévoles qui ont contribué à la réussite de ce congrès. C'est un sans-faute qui mérite des applaudissements.
Un grand merci également aux partenaires qui ont soutenu le projet des Jeunes agriculteurs, en particulier les partenaires de la profession agricole, mais aussi la Mairie de Périgueux, le Conseil Régional d'Aquitaine et le Conseil Général de la Dordogne. La confiance des acteurs locaux envers les Jeunes agriculteurs mérite d'être saluée.
Je tiens également à remercier l'ensemble de nos invités, les présidents de la FNSEA et de la CNMCCA, ainsi que le secrétaire général de l'APCA, pour leur présence à notre congrès et pour les encouragements qu'ils ont adressés à la nouvelle équipe. Les défis qui nous attendent sont d'une telle ampleur que toutes nos forces additionnées ne seront pas de trop pour les affronter.
Enfin, comme vous l'aurez sans doute remarqué, nous avons été rejoint dès ce matin par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, Monsieur Hervé Gaymard. Monsieur le ministre, sachez que les Jeunes agriculteurs sont fiers de vous accueillir à leur congrès. Je crois pouvoir dire qu'après deux années d'absence du ministre de l'agriculture à notre congrès, votre venue nous fait tout simplement plaisir.
Avant hier soir, les jeunes agriculteurs ont élu une nouvelle équipe pour les représenter au niveau national. Le taux de renouvellement important qui caractérise nos élections, conséquence de la limité d'âge fixée à 35 ans pour se présenter, est un formidable antidote à l'inertie. Mais cela veut aussi dire que l'école de formation à la responsabilité qu'est Jeunes agriculteurs se doit d'avoir une ligne très claire en terme de priorités et de sens de son action.
Avant de revenir plus longuement sur ces priorités, je tiens à saluer ceux qui quittent notre organisation et qui ont accompli un énorme travail durant les deux années écoulées. Je veux parler des administrateurs qui s'en vont et plus particulièrement de Jean-Luc Duval, atteint par cette fameuse limite d'âge. Ne voyez pas dans le mot atteint une quelconque connotation négative, puisque je viens justement de vous parler d'un remède à un mal trop répandu : le conservatisme.
Jean- Luc, je ne vais pas revenir sur ton parcours, que tu racontes si bien dans ton livre. Pour me limiter aux deux années du mandat écoulé, je veux simplement te dire combien j'ai apprécié ton sens de l'écoute et du travail en équipe, mais aussi souligner le temps que tu as consacré à ta mission. D'après mes calculs, tu fais parti de ceux qui ont vraiment passé beaucoup de journées en dehors de leur exploitation, à parcourir la France, l'Europe et le monde, pour promouvoir les idées des Jeunes agriculteurs. Sans jamais perdre de vue les valeurs qui nous rassemblent autour du métier de paysan, tu as su expliquer avec une grande pédagogie des enjeux complexes et faire passer des messages dans des enceintes éloignées de nos centres de décisions habituels.
Un grand merci également à ta famille, à ton épouse Lydie, à tes filles Mathilde et Agathe, qui ont forcément souffert de tes absences. Sache, Jean-Luc, que te succéder est un vrai défi, que l'on va essayer de relever, tous ensemble avec la nouvelle équipe, avec la même volonté de faire bouger les choses.
Monsieur le ministre,
Je veux maintenant évoquer la manière dont fonctionne notre organisation, qui depuis hier se dénomme officiellement, dans nos statuts, Jeunes agriculteurs. Jeunes agriculteurs, c'est avant tout un réseau d'hommes et de femmes qui ont choisi de s'engager pour prendre leur avenir en main. Ces hommes et ces femmes, issus de tout le territoire, se réunissent régulièrement, de l'échelon cantonal à l'échelon national, pour débattre au sein d'assemblées représentatives. Nos instances sont démocratiques et elles nous apprennent à respecter celles de la République. Ce sont des outils au service des jeunes agriculteurs, qui doivent apprendre à les faire fonctionner.
Nous ne sommes pas un groupe de pression inspiré par des considérations théoriques : ce qui nous intéresse, et nous motive plus que tout, c'est la passion du métier d'agriculteur, la vision d'avenir que nous avons de ce métier, et la manière dont nous devons le transmettre aux générations futures. Pour nous, le développement durable en agriculture, c'est d'abord le renouvellement des générations.
Notre méthode de travail tient d'une approche ascendante : le national n'invente rien, il n'a pas la science infuse. C'est le terrain qui exprime des attentes. Nous sommes là pour écouter, relayer et appuyer les demandes.
Nous sommes extrêmement attachés à cette forme d'organisation, qui fait du syndicalisme jeune un corps intermédiaire représentatif, véritable courroie de transmission entre la France d'en bas et la France d'en haut. Vous savez à quel point nos organisations professionnelles ont été malmenées ces dernières années. Au-delà des effets désastreux sur le moral les paysans, qui n'ont pas compris pourquoi leur parole n'avait plus la même valeur qu'auparavant, c'est la démocratie en générale qui a souffert de cette dérive.
Nous sommes convaincus, Monsieur le ministre, que vous ne poursuivrez pas dans cette voie, du moins je l'espère. Arrêtons de dépenser notre énergie dans des pseudo-consultations qui ne servent à rien et mettons la au service des difficiles combats qui nous attendent.
De même, la remise en cause du rôle du syndicalisme dans le développement agricole a été pour nous une rude épreuve. Les paysans français ont su créer, il y a 35 ans, un fantastique outil de développement agricole, unique en son genre, qui a permis à l'agriculture française de véritablement décoller. Cet outil, qui permet aux agriculteurs, aux pouvoirs publics et aux instituts de recherche de travailler de concert doit être préservé. Parce que pour jouer pleinement leur rôle, les corps intermédiaires ont besoins de responsables engagés et formés, nous n'accepterons pas que les pouvoirs publics remettent en cause le financement actuel des services de remplacement. Nous voulons que leur financement reste à l'ANDA, avec une enveloppe clairement identifiée " remplacement ".
Monsieur le ministre, avant d'aborder les dossiers dont vous avez la charge et plus particulièrement les problèmes sectoriels qui préoccupent les jeunes agriculteurs, je tiens à vous rappeler nos deux priorités :
- La première, c'est l'installation en agriculture, et plus largement, le renouvellement
des générations.
- La seconde, c'est le devenir des politiques agricoles. Les jeunes agriculteurs, qui ont 25 à 30 années de métier devant eux, ont une forte légitimité à se préoccuper des enjeux de long terme, puisqu'il en va de leur avenir et de leur choix de vie.
Durant notre mandat, nous concentrerons nos efforts sur ces deux priorités, sur ces deux enjeux spécifiques aux jeunes agriculteurs. Pour autant, bien sûr, nous ne négligerons pas les problèmes conjoncturels qui affectent nos exploitations.
En matière d'installation, nous avons décidé d'ouvrir un grand chantier pour bâtir une politique nouvelle dont l'objectif est d'assurer le renouvellement des générations en
agriculture. En dix ans, la France a perdu 30% de ses paysans, et dans certaines régions, leur nombre a été divisé par deux. Avec 660 000 agriculteurs au dernier recensement, et moins de 6 000 installations aidées en 2001, la situation est devenue critique.
Pour les Jeunes agriculteurs, le préalable à toute politique d'installation et de renouvellement des générations est une politique de revenu par les prix, pour que les paysans vivent dignement de leur travail et de la vente de leurs produits. J'y reviendrai un peu plus tard lorsque nous évoquerons le rapport d'orientation adopté hier en congrès et les enjeux de politique agricole à moyen et long terme.
Aujourd'hui, la promotion du métier d'agriculteur, la transmission des exploitations et l'insertion de cette problématique dans le développement local sont des composantes tout aussi importantes que le dispositif réglementaire. C'est en agissant au plus prêt du terrain et en communiquant sur le métier que nous pourrons gagner la bataille de l'installation.
Nous faisons également le constat d'une société qui change et qui aspire à plus de qualité de vie. Le monde rural lui aussi est en pleine évolution avec une organisation du territoire qui s'appuie de plus en plus sur les pays et l'intercommunalité. Du côté des candidats à l'installation, les choses bougent également : les profils et les projets sont de plus en plus variés.
Monsieur le ministre,
Le temps des constats est terminé, les Jeunes agriculteurs veulent passer à l'action pour faire évoluer rapidement la politique d'installation. Notre habitude n'est pas de se limiter à la contestation, nous sommes aussi capable de faire des propositions concrètes, qui sont le fruit d'un travail de fonds avec notre réseau et les partenaires concernés.
En matière de promotion du métier, les Jeunes agriculteurs proposent à la profession agricole et à l'Etat de s'engager dans une communication professionnelle globale à destination du monde agricole mais aussi non-agricole. Notre réflexion a été particulièrement fructueuse et nous ne manquons pas d'idées concrètes : chaîne de télévision du vivant, journée de la terre, jeux, exposition itinérante, et beaucoup d'autres choses. Toutes ces idées d'actions, je souhaite que nous puissions les étudier ensemble très rapidement.
Si nous voulons réussir, il est clair que nous devrons également développer des partenariats forts avec les médias et le monde de l'enseignement en général. A ce sujet, je tiens à souligner que les Jeunes agriculteurs sont à l'initiative d'un outils pédagogique - dénommé Tellus - qui va permettre dès la prochaine rentrée aux élèves du primaire de découvrir une présentation ludique de l'agriculture européenne.
Le second axe que nous voulons développer concerne les partenariats locaux, pour faire du renouvellement des générations en agriculture un enjeu partagé par l'ensemble du monde rural. A nos yeux, il est de la responsabilité de chaque territoire de déterminer ses propres modes de concertation et d'action.
Concernant la transmission, je me limiterai, Monsieur le ministre, à présenter les points pour lesquels nous avons besoin de votre soutien pour concrétiser leur mise en oeuvre.
Pour donner un signe fort et lisible à tous les cédants potentiels, les Jeunes agriculteurs demandent l'instauration d'une aide suffisamment incitative à tout agriculteur qui transmet sa ferme à un jeune. Dans la même logique, des points retraites supplémentaires devraient être accordés à tout agriculteur qui transmet à un jeune.
Afin de faciliter la reprise d'exploitation, je crois qu'il est devenu indispensable de privilégier la valeur économique de l'exploitation plutôt que sa valeur patrimoniale.
Enfin, quatrième et dernier chantier qu'il est urgent d'ouvrir : l'adaptation du dispositif d'aide à l'installation aux nouveaux contexte, public et projets. Pour les Jeunes agriculteurs, tout jeune avec un projet viable doit être accompagné, aidé et suivi. Cela signifie que le dispositif actuel doit être adapté pour permettre la progressivité du projet de vie, notamment concernant la viabilité économique.
Concernant le financement, les sources doivent être diversifiées et utilisées pleinement, que ce soit au niveau européen, national, régional ou local. Des crédits sont nécessaires pour l'animation du dispositif, notamment pour les Points Info Installation et les PIDIL. L'urgence aujourd'hui pour les PIDIL, c'est de lever les incertitudes qui pèsent sur l'avenir des financements et des programmes, et qui paralysent le dispositif. Sur ce point précis, Monsieur le ministre, nous attendons une réponse.
Vous le voyez, Monsieur le ministre, nous avons beaucoup d'idées pour transformer la politique d'installation en une véritable politique de renouvellement des générations en agriculture.
Je considère que les enjeux autour de l'installation et de l'agriculture sont des enjeux de société qui nécessitent une politique ambitieuse portée par tous les acteurs des territoires. Aussi, je compte sur les pouvoirs publics pour qu'ils jouent pleinement leur rôle en soutenant cette nouvelle approche partenariale.
Monsieur le ministre,
J'en viens maintenant aux enjeux de politique agricole à moyen et long terme, qui ont
toujours fait l'objet de réflexions approfondies chez les Jeunes Agriculteurs.
Notre congrès d'Annecy- le-Vieux en juin 2001 a été une étape importante pour le
positionnement des Jeunes agriculteurs sur les perspectives d'évolution des politiques agricoles au niveau mondial.
La genèse de cette réflexion repose sur plusieurs constats qui sont malheureusement toujours d'actualité.
Depuis que l'agriculture a été intégrée aux négociations commerciales internationales, la libéralisation des échanges agricoles n'a pas permis aux pays les plus pauvres de développer leur agriculture et la situation alimentaire mondiale ne s'est pas améliorée.
Les objectifs fixés lors du Sommet mondial de l'alimentation de 1996, à savoir réduire la faim dans le monde de moitié d'ici 2015, et qui ont été confirmés lors du sommet qui s'est tenu à Rome en juin dernier, ne seront pas tenus. Aujourd'hui, 800 millions de personnes dans le monde continuent de souffrir de la faim, et le paradoxe, c'est que les trois-quarts sont des paysans ! Cette situation est intolérable.
La libéralisation des échanges agricoles, qui s'accompagne d'une forte baisse des prix, provoque la faillite des agriculteurs des pays en développement. Et c'est donc toute l'économie de ces pays qui souffre des prix agricoles mondiaux déprimés.
La baisse des prix agricoles ne permet pas de mieux nourrir le monde.
Autre exemple d'échec d'une politique agricole libérale : le Fair Act aux Etats-Unis. Lors de son instauration en 1996, les américains avaient annoncé, avec une certaine assurance, que c'était la panacée, le modèle idéal de politique agricole : forte diminution des soutiens, découplage des aides, orientation vers le marché mondial.
Il n'aura fallut attendre que 2 ou 3 années pour constater que le dispositif n'était pas
viable : c'est ainsi qu'à grands coups de subventions exceptionnelles, les Etats-Unis se sont mis à subventionner à nouveau, et massivement, leur agriculture, sans aucune régulation des productions et en activant des mécanismes fortement distorsifs pour les marchés.
Conclusion, le 13 mai dernier, le Président Bush signait un nouveau Farm Bill pour sauver une agriculture américaine en faillite. Cette nouvelle loi agricole, qui prévoit une augmentation du soutien de 80%, est aux antipodes des engagements des Etats-Unis à l'OMC. C'est une véritable machine de guerre commerciale ayant pour objectif de maintenir durablement bas les prix mondiaux ; or, c'est sur ces prix mondiaux que l'Union européenne cherche à aligner ses prix intérieurs à coups de réformes successives de la PAC. On marche sur la tête.
Cette situation rend intenables les choix faits en Europe depuis dix ans en matière de politique agricole : la PAC actuelle est dans une impasse.
En Europe, les réformes de la PAC de 92 et 99 ont entraîné une baisse des prix agricoles dans tous les secteurs réformés et une augmentation du soutien par les aides directes. Aujourd'hui, en France, les aides directes représentent en moyenne 55% du revenu des agriculteurs. Pour certaines productions, ces aides représentent plus de 100% du revenu.
Dans une telle logique, il n'est pas étonnant que les jeunes hésitent à aller vers un métier où le travail n'est plus rémunéré à sa juste valeur. Quant aux jeunes agriculteurs installés, comprenez, Monsieur le Ministre, qu'ils aient le moral au plus bas.
Avec ces réformes, le nombre d'agriculteurs a fortement diminué.
Si la tendance devait se poursuivre, les problèmes d'aménagement du territoire que nous commençons à percevoir se feraient beaucoup plus sentir, que ce soit dans les régions défavorisées où l'agriculture laisserait la place à la friche, ou dans les zones au potentiel agronomique élevé où la tendance serait à l'intensification de la production : en un mot, on irait vers la délocalisation des productions.
Aujourd'hui, les agriculteurs français et européens sont confrontés à des importations
massives qui déstabilisent fortement les marchés européens. Ces produits sont originaires de pays qui ont des coûts de production très faibles, en aucun point comparables avec les nôtres. Les effets désastreux de ces importations sur les producteurs européens ne sont que les prémices de ce qui arrivera à plus long terme si l'Union européenne continue à baisser le niveau de la préférence communautaire.
Un argument souvent avancé pour plaider en faveur d'une baisse des prix des produits agricoles, c'est l'impact sur les prix à la consommation. Mais les baisses de prix à la production n'ont jamais profité aux consommateurs.
Je réaffirme aujourd'hui, Monsieur le ministre, que les jeunes agriculteurs français, mais aussi européens, sont dans une situation de grande détresse. Nous allons dans un mur, et ce qui fait le plus mal, c'est que la Commission européenne nous y entraîne en toute conscience, en faisant même en sorte d'accélérer le mouvement juste au cas où nous aurions la force de relever la tête. Un jour, Monsieur le ministre, il va falloir dire NON, à Bruxelles ou ailleurs, dire NON au démantèlement d'une politique agricole qui est le ciment de la construction européenne.
Mais comme je vous l'ai déjà dis il y a quelques minutes, les Jeunes agriculteurs ne se contentent pas de dénoncer, ils proposent. Il y a un an, on nous disait que nos idées étaient topiques, que nous étions de doux rêveurs, et j'en passe. Aujourd'hui, la vraie utopie, c'est de croire que la situation actuelle pourra perdurer encore longtemps.
Notre position est claire, simple, cohérente. Elle a pour principal défaut d'être à contre courant des idées d'une certaine Europe d'en haut. Les Jeunes agriculteurs sont des européens convaincus, mais ils sont aussi convaincus que les orientations actuelles en matière de politique agricole fragilisent la construction européenne.
Les Jeunes Agriculteurs refusent la poursuite de la logique de baisse des prix et de
dérégulations des marchés. Seule une préférence communautaire retrouvée, fondée sur une protection du marché de l'Union européenne, peut permettre d'avoir une agriculture économiquement viable, au coeur d'un modèle de société que les citoyens européens construisent depuis plus de 40 ans. Nous étions plus de 15 000 agriculteurs européens, le 11 juin dernier à Strasbourg, unis pour affirmer que notre métier de paysan a un prix.
Sans préférence communautaire, la maîtrise des productions que nous appelons de nos voeux au niveau européen n'a pas de sens : si on limite nos productions en même temps que les importations augmentent, on n'y arrivera jamais.
C'est sur la base de ces deux principes fondamentaux - préférence communautaire et maîtrise des productions - que nous voulons asseoir une organisation des marchés permettant aux producteurs de vivre dignement de leur travail grâce à des prix rémunérateurs.
Vivre dignement de son travail et du prix de ses produits est une condition au
renouvellement des générations en agriculture. Pour être durable, l'agriculture doit être économiquement viable.
Les Jeunes Agriculteurs ont toujours été favorables aux mesures de développement rural qui sont aujourd'hui regroupées dans le deuxième pilier de la PAC.
En revanche, ce que nous ne pouvons pas admettre, c'est que son renforcement se fasse au détriment des organisations communes de marché. Les paysans doivent être économiquement debout pour répondre aux attentes de la société en matière de qualité, d'environnement et d'aménagement du territoire.
Monsieur le ministre,
Nous avons bien conscience que la tache est immense et que l'on ne renversera pas la tendance en quelques mois. Pour autant, elle n'est pas insurmontable. Encore faut- il ne pas aller plus avant dans une direction qui n'est manifestement pas la bonne. Aussi, lorsque nous avons pris connaissance du projet de la Commission européenne pour l'examen à mi-parcours de la PAC, nous avons réagi vivement.
Au lieu des ajustements attendus, la Commission est en train de préparer une nouvelle réforme radicale de la PAC, avec son lot de baisse des prix et des soutiens. Les Jeunes agriculteurs considèrent que ce projet est une provocation et qu'il faut faire barrage à cette nouvelle tentative de démantèlement de la PAC.
Pour sensibiliser le plus grand nombre de paysans à nos idées, nous avons également décidé de nous engager fortement dans les échanges internationaux, que ce soit au niveau européen avec le Conseil Européen des Jeunes Agriculteurs ou au niveau mondial avec la Fédération Internationale des Producteurs Agricoles. Au sein de cette instance, nous avons plaidé pour la mise en place d'un comité mondial des jeunes agriculteurs, qui s'est réuni pour la première fois au Caire le 26 mai dernier. Bernard Layre, membre du Bureau de Jeunes agriculteurs, assure la présidence de ce comité pour deux années.
Je vous rappelle également que nous organisons à Paris, du 11 au 15 juin 2003, le
prochain congrès mondial des jeunes agriculteurs, qui rassemblera au Carrousel du Louvre plus de 1 500 jeunes agriculteurs des cinq continents, ainsi qu'un grand événement de communication dans les rues de Paris. Je vous invite, Monsieur le ministre, à participer aux travaux de ce congrès. Notre volonté étant de faire participer le plus possible de jeunes agriculteurs des pays en développement, je souhaite que le Ministère de l'Agriculture puisse soutenir financièrement cet évènement qui contribuera à dynamiser notre " diplomatie agricole ". Je tiens à remercier Groupama et en particulier Jean Baligand, qui vient de me confirmer qu'il apporte son soutien à cette grande opération.
Monsieur le ministre,
Vous aurez peut-être remarqué que nos jeunes dans la salle ont les traits un peu tirés.
C'est parce que nous avons travaillé tard, hier soir, sur notre nouveau rapport
d'orientation : " Vivre du prix de nos produits, ici et maintenant ".
Vu le titre de ce rapport, je n'ai pas besoin de vous préciser, Monsieur le Ministre, que les Jeunes agriculteurs font preuve de continuité dans leur positionnement. Le rapport que nous avons voté hier s'inscrit dans la droite ligne du rapport d'Annecy- le- vieux.
Le rapport d'orientation de cette année a pour objectif d'ouvrir un chantier de plus court terme autour du pouvoir de négociation des paysans au sein de leurs filières de
productions et de leurs organisations économiques.
La volonté des Jeunes agriculteurs est de proposer des leviers d'actions immédiatement accessibles dans la perspective d'obtenir des prix rémunérateurs, au bénéfice des producteurs mais également des consommateurs.
Aujourd'hui, Monsieur le ministre, les agriculteurs sont confrontés à une répartition
inégale de la valeur ajoutée dans les filières de production, liée à des rapports de force insurmontables pour la profession agricole. La distribution des produits est entre les mains d'un véritable oligopole - les cinq groupes de distribution - qui concentre la valeur ajoutée des filières agricoles et agroalimentaires. A ce niveau, il y a urgence à entamer une réflexion sur l'efficience du droit de la concurrence et des règles commerciales actuelles.
En face, il faut admettre que la profession agricole est aujourd'hui dispersée et atomisée dans ses relations avec l'aval, incapable ou dans l'impossibilité de regrouper son offre et de lutter à armes égales avec ses acheteurs.
Cette réflexion que nous avons entamé depuis un an nous conduit aujourd'hui à proposer des leviers d'action pour reconquérir la valeur ajoutée qui a échappé au monde agricole.
Nous avons depuis longtemps pris conscience que l'Europe était le bon niveau d'action pour maintenir une agriculture forte et durable sur l'ensemble du territoire. De la même manière, nous demandons une Europe qui réévalue son droit de la concurrence et en corrige les dérives et aberrations. Il n'est pas concevable que le droit de la concentration ne trouve pas de contrepartie dans le droit des ententes, au bénéfice des producteurs.
Pour autant, les pratiques commerciales sont un domaine d'action sur lequel l'Etat doit avoir un rôle de régulation particulièrement resserré.
Je crois que nous avons aussi besoin de mieux connaître les attentes des concitoyens et des consommateurs. Les Jeunes agriculteurs veulent faire de l'information, de la traçabilité, de la qualité et de l'environnement des domaines d'action prioritaires, pour aider le consommateur à se comporter en citoyen responsable, au travers de son acte d'achat.
Les organisations professionnelles agricoles et économiques doivent aussi repenser leur fonctionnement et leur rôle. Elles doivent aider à la formation de leurs mandants tout en limitant leurs mandats, dans le cumul et dans le temps.
Je souhaite mettre l'accent sur les valeurs de la coopération agricole, valeurs auxquelles notre syndicalisme reste profondément attaché. Dans le même temps, je ne peux m'empêcher de constater certaines dérives. Le temps est venu de retrouver les fondements de la coopération agricole.
Les Jeunes agriculteurs sont aujourd'hui prêts à défendre l'idée d'une coopérative à taille humaine et à réaffirmer le rôle des sociétaires au sein d'un outil qui leur appartient et qu'il leur revient d'orienter et de diriger, en récompensant ceux qui respectent les valeurs de la coopération, en particulier la règle de l'apport total. Les Jeunes agriculteurs veulent également que la rémunération des producteurs devienne clairement une valeur de la coopération
Nous devons également veiller à instaurer de nouvelles pratiques dans le fonctionnement des filières. L'opacité des règles, des prix et des marges pratiqués dans les filières de production n'a que trop duré.
Au-delà de la transparence, notre intérêt est clairement de reprendre en main nos
organisations économiques et de les renforcer. Une nouvelle dynamique doit être impulsée dans les interprofessions hésitantes. Dans les domaines où elles n'existent pas encore, il est urgent de les mettre en place.
Pour nos produits, une meilleure rémunération réside dans la recherche de nouveaux créneaux de différenciation, porteurs de valeur ajoutée. Segmenter les marchés, favoriser les initiatives locales, développer l'origine des produits, accentuer leur promotion, tels sont nos enjeux de court terme et de valorisation du métier d'agriculteur.
Pour concrétiser notre engagement dans le fonctionnement des filières, dans l'information et la communication auprès du grand public, notre volonté est de faire connaître l'agriculture raisonnée et d'inciter à un engagement fort de la profession agricole dans cette démarche.
Il revient aux agriculteurs de mettre en oeuvre une stratégie afin de valoriser au mieux leurs produits issus de l'agriculture raisonnée. C'est tout l'objet de notre proposition de création d'une marque de producteurs. Aussi, vous comprendrez, Monsieur le ministre, que la publication du décret sur la communication concernant l'agriculture raisonnée revêt un caractère déterminant. Vous le voyez, Monsieur le ministre, nous connaissons des difficultés dans de nombreux secteurs de production, notre moral en a pris un coup, mais notre détermination et notre force de proposition sont intactes.
Monsieur le ministre,
Je ne peux conclure cette intervention sans faire référence aux crises qui affectent aujourd'hui de nombreux secteurs de production, et qui appellent une réaction urgente de votre part.
Dans le secteur des grandes cultures, le disposit if actuel de protection du marché européen des céréales est devenu inopérant et les importations massives d'Ukraine et de Russie conduisent à l'effondrement des cours. La situation n'est pas tenable. Il est indispensable de rétablir un niveau suffisant de préférence communautaire pour les céréales.
La Commission européenne doit activer de toute urgence la clause de sauvegarde prévue par les accords de l'OMC, au lieu de se lancer dans des négociations sans fin qui visent à mettre en place des contingents d'importation. Dans le secteur du sucre, j'attend de vous une extrême fermeté pour que toute tentative de remise en cause du dispositif actuel des quotas par la Commission soit rejetée. Cette organisation de marché fonctionne très bien et je ne vois pas qui bénéficierait d'une baisse des prix dans ce secteur si ce n'est Coca-Cola.
Les producteurs de volaille sont également confrontés à des importations massives en
provenance du Brésil et de Thaïlande, mais cette fois ci en totale illégalité tant du point de vue du tarif douanier européen que des critères sanitaires. J'espère simplement que le Commissaire Lamy, dont les services bloquent le dossier à Bruxelles, n'a pas prévu de passer ses vacances dans l'Ouest de la France.
Dans le secteur des viandes blanches, les producteurs de porc connaissent aussi des difficultés du fait de la fermeture de certains marchés pour des raisons sanitaires qui n'ont pas lieu d'être. Je vous demande, Monsieur le ministre, de poursuivre les discussions avec les pays concernés pour que la situation se débloque au plus vite.
Concernant la viande bovine, la situation reste très difficile sur le marché des animaux femelles allaitantes. Les prix sont au plus bas. Ce n'est plus supportable. Des mesures de dégagement sont urgentes. Je souhaite également que les pouvoirs publics entament une réflexion sur la valorisation des veaux de huit jours.
En matière de traçabilité, la publication de l'arrêté sur l'affichage de l'origine des viandes en RHD ne doit plus attendre. Enfin, je compte sur une application rigoureuse du principe de précaution concernant le délicat dossier de l'embargo sur la viande bovine britannique. La confiance des consommateurs est à ce prix.
Sur le dossier de la viande ovine, il est indispensable, maintenant que la nouvelle OCM est en application, que la répartition de l'enveloppe de flexibilité soit revue pour qu'elle ait un véritable rôle d'orientation de la production.
En ce qui concerne le lait, nous devons rester vigilant face à la tendance à baisser les prix dans certaines enseignes de la grande distribution. Ne cédons pas à la pression. Défendons bec et ongle l'organisation de marché du lait.
Dans le secteur de la viticulture, la seule solution pour éviter durablement les crises est de renforcer la maîtrise de la production, notamment au travers d'une limitation qualitative des rendements. La reconversion du vignoble doit être poursuivie et simplifiée. En outre, un système d'arrachage qualitatif temporaire doit être mis en place, seul palliatif à l'arrachage définitif que nous dénonçons, même de façon expérimentale. Pour faire face aux excédents conjoncturels, un dispositif de distillation obligatoire doit être réintroduit dans l'OCM.
En fruits et légumes, la crise a fait très mal chez les producteurs de cerises et elle affecte aujourd'hui les producteurs de pêches, de nectarines, d'abricots et de melons. Cette situation n'a que trop duré et il faut mettre définitivement un terme aux pratiques abusives de la grande distribution. La loi NRE prévoit un prix minimum en cas de crise. Eh bien il faut l'appliquer. Et si ce n'est pas suffisant, il faudra envisager un encadrement des marges.
Pour des raisons évidentes de temps, je ne peux pas m'étendre plus sur les problèmes sectoriels, mais comme vous pouvez le constater, Monsieur le ministre, le tableau que je vient de brosser n'est pas réjouissant. Nous avons du pain sur la planche.
Sur un domaine plus horizontal, je tiens à rappeler l'attachement des Jeunes agriculteurs à la politique de la montagne. En montagne aussi, les jeunes agriculteurs veulent vivre dignement de leur métier et du prix de leurs produits. L'agriculture de montagne présente d'incontestables atouts à mettre en avant sur des filières segmentées porteuses de valorisation. Les pouvoirs publiques doivent accompagner les démarches qui visent à conforter ces filières. Comme vous le savez, Monsieur le ministre, la réforme des ICHN a conduit à verser un acompte en mai 2001. Les agriculteurs ont intégré ce versement anticipé dans la gestion financière de leur exploitation. Un acompte cette année serait perçu comme un signe fort en faveur de l'agriculture de montagne.
A l'occasion de l'année internationale de la montagne, les jeunes agriculteurs organisent en décembre à Clermont-Ferrand une opération de communication grand public pour mettre en avant l'agriculture de montagne.
Au nom des Jeunes agriculteurs des massifs français, je vous invite à participer à cet
événement.
En ce qui concerne les départements d'outre-mer, la question de l'accès au foncier reste une entrave pour l'installation des jeunes agriculteurs. Ce problème, maintes fois soulevé, doit faire l'objet d'une réflexion urgente au niveau du ministère de l'agriculture. Je suis convaincu que les jeunes agriculteurs des DOM gagneraient à se rencontrer plus fréquemment pour échanger leurs expériences sur des problématiques spécifiques. Compte tenu des distances et des coûts, une telle démarche n'est envisageable qu'avec un soutien financier des pouvoirs
publics.
Je ne saurais finir mon intervention sans évoquer deux derniers dossiers qui me tiennent particulièrement à coeur : la sur-administration et la question des charges.
Les agriculteurs croulent littéralement sous les paperasses de toute nature et de toute origine. C'est devenu bien malgré eux un deuxième métier que de lire et remplir des dizaines de formulaires chaque année. Dans un autre registre, les agriculteurs n'en peuvent plus des règles qui changent sans arrêt. A peine une mesure est-elle mise en oeuvre, qu'un nouveau dispositif est mis dans les tuyaux. C'est intenable pour les paysans.
Je crois que vous avez compris le message et vous êtes engagé à avancer très vite sur ces dossiers. C'est un bon point, Monsieur le ministre.
Du côté des charges, nous devons entamer rapidement une réflexion globale portant sur la fiscalité et les aspects sociaux liés à l'activité agricole. Puisque nous parlons des charges qui pèsent sur les exploitations, je tiens à vous dire que nous avons accueilli avec soulagement la suspension du dispositif français de modulation des aides directes. Dans un contexte de revenu en forte baisse et de graves crises sectorielles, il fallait en finir avec ce système injuste.
Monsieur le Ministre,
J'en ai terminé avec ce long cahier de doléances. Ce n'est pas par plaisir que je vous énonce toutes ces difficultés rencontrées par les paysans français. Je crois toutefois que cette liste aurait pu être un peu moins longue si les relations avaient été meilleures avec vos prédécesseurs.
Mais tout cela, c'est du passé et il faut maintenant regarder devant. Vous êtes le nouveau ministre de l'agriculture, je suis le nouveau président des Jeunes agriculteurs. Compte tenu des défis que nous avons à relever et des échéances majeures qui se profilent, le travail qui nous attend n'aura rien d'un long fleuve tranquille. Notre délai de grâce ne durera pas éternellement. Les jeunes agriculteurs veulent des actes
Monsieur le ministre,
Je vous propose qu'en 100 jours, nous ouvrions plus de la moitié des grands chantiers que je viens d'évoquer et que dans l'année qui vient, nous soyons en mesure de réfléchir avec vos services sur tous les dossiers qui préoccupent les jeunes agriculteurs. Si vous accepter cette proposition, je m'engage à mobiliser tout le réseau des Jeunes agriculteurs pour participer à ce travail de reconstruction.
Raymond Lacombe disait : " Pas de pays sans paysans ". Nous sommes les paysans, vous représentez la France, Monsieur le ministre, je vous cède la parole.
(Source http://www.cnja.com, le 15 juillet 2002)