Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à Europe 1 le 13 juin 2002, sur les perspectives du deuxième tour de l'élection législative et sur la restucturation à venir de la gauche et du PS.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Et un et deux et trois : dans trois jours les élections législatives. Il paraît que vous n'avez pas le moral ?
- "On a le moral tout à fait chevillé au corps, mais on n'est pas non plus des fanfarons. On ne va pas, après un premier tour où certes où le Parti socialiste a été à un niveau équivalent à celui de 1997, mais où la gauche a reculé, la droite progressé et une abstention qui atteint 35 %, vous dire qu'on va gagner, pour reprendre la métaphore sportive. Il faut tout faire pour qu'il y ait le plus grand nombre de députés de gauche, parce que c'est important, pas simplement pour la gauche mais aussi pour le pays, que d'avoir de l'équilibre."
D'autant plus que le scrutin de la Vème République confirme généralement les défaites et amplifie la victoire des favoris. Alors, est-ce que le rêve de F. Hollande et de la gauche, c'est résister et limiter les dégâts ?
- "D'abord, le mode de scrutin à deux tours peut amplifier et ce serait quand même un risque majeur, parce que cela voudrait dire que la droite à non seulement tous les pouvoirs, mais aurait un pouvoir absolu. Je pense que la droite serait amener à en user et à en abuser absolument. Il y aussi des effets de scrutin qui peuvent être corrigés. S'il y a deux tours, c'est pour aussi faire en sorte que ceux qui ne sont pas venus voter au premier tour le fassent au second, parce qu'il veulent qu'il y ait, dans notre pays, une opposition forte."
Vous croyez qu'ils le veulent... Mais parmi les 15 millions d'abstentionnistes du 9 juin, combien sont à l'extrême gauche et à gauche et combien pouvez-vous en récupérer ?
- "Je n'en sais rien. Par définition, un abstentionniste ne fait pas connaître son point de vue, puisqu'il ne vient pas. Mais je me dis que beaucoup de ces abstentionnistes de premier tour sont des jeunes - c'est incontestable : plus de 60 % des moins de 25 ans. Ceux-là même qui étaient dans la rue, il y a un mois, pour nous dire que le bulletin de vote est le seul qui permette de faire avancer notre démocratie."
Les mobilisés du 1er mai démobilisés le 9 juin, un mois après ?
- "Oui, parce qu'ils ont pensé, senti que l'essentiel était fait le 5 mai, puisque l'extrême droite avait été repoussée. Il faut leur dire : "Le 5 mai, vous avez lutté contre l'extrême droite et vous l'avez bien fait ; le 16 juin, il faut lutter contre une droite écrasante". Et deuxièmement, on s'aperçoit que ce sont des catégories populaires, modestes qui ne sont pas venues voter. Oui, on peut penser qu'elle pourrait, si elles s'exprimaient, donner plutôt un éclairage de gauche à leurs intentions."
La mode et le climat sont à l'humilité. Vous faites, vous, à gauche, et d'ailleurs partout, une campagne locale à l'arraché. Vous faites cela à Tulle. Aujourd'hui, Mme Chirac et le Premier ministre vont venir chez vous, à Tulle, faire campagne pour votre adversaire ?
- "Mme Chirac est élue du département. Il n'y a rien de surprenant. Elle était déjà venue avant le premier tour. Mais pour J.-P. Raffarin, cela m'a surpris, voire même amusé, parce que je lui avais proposé un grand débat devant les Français avant le premier tour pour que, projet contre projet, nous puissions nous expliquer et donner du sens à la campagne des élections législatives. Que m'a-t-il répondu ? "Je m'occupe des affaires de l'Etat ; je ne suis préoccupé - bien sûr modestement - que par les intérêts du pays ; je n'agis que pour l'intérêt général". Parfait ! Je me suis donc incliné. On n'aurait pas de débat avant le premier tour, ce serait la première fois. Cela a été la première fois qu'il n'y a pas eu de débat avant le premier tour. Et puis, là, entre les deux tours, le même Raffarin, toujours aussi modeste paraît-il, va faire le tour des circonscriptions, vient même jusqu'à Tulle - toujours modestement - mais néanmoins pour obtenir partout d'avoir le plus de députés possibles. De deux choses l'une : ou il s'occupe des affaires de l'Etat et on le laisse travailler, ou il s'occupe des affaires électorales de l'UMP alors il faut qu'il se mette en ordre, en cohérence - et qu'il le fasse toujours avec grande modestie."
Mais qu'est-ce que vous découvrez ? Qu'il est astucieux et malin ? Alors, dès mardi en plus, vous risquez de vous retrouvez avec "Raffarin II", c'est-à-dire un Raffarin d'attaque ? Est-ce que vous lui trouvez des qualités, parce qu'avec le Président réélu, mine de rien, il s'impose ? Qu'est-ce que vous lui reconnaissez d'efficace depuis qu'il a commencé, il y a un mois ?
- "Une habileté réelle, un sens tactique et un art de la communication tout à fait achevé. Ce n'est pas un hasard s'il a commencé sa carrière dans la publicité. Mais au-delà, je vois qu'il a les mêmes intentions que la droite et notamment qu'A. Juppé. Il est quand même sous une double domination. Une légitime, institutionnelle devrais-je dire, de J. Chirac ; mais aussi une soumission politique à l'égard d'A. Juppé. C'est A. Juppé qui va gouverner. On nous dit même qu'il va devenir ou qu'il est déjà le président de l'UMP"
Vous allez vite en besogne !
- "C'est annoncé par M. Copé, qui généralement annonce tout ce qui va se passer."
Il lui trouve toutes les qualités pour diriger l'UMP. Il l'a dit sur France 2...
- "Il doit être aussi le porte-parole de l'UMP et on nous dit que ce sera A. Juppé le président de ce grand parti unique de la droite. Il peut être modeste, J.-P. Raffarin, parce que c'est A. Juppé qui a de l'ambition pour lui !"
E. Balladur expliquait que la mondialisation, l'Europe, l'euro, l'économie, l'histoire, tout poussait à la création en France de deux grandes formations qui pourraient alterner au pouvoir, en fonction des résultats. Qu'en pensez-vous ?
- "Je dirais que c'est déjà largement le cas, depuis 20 ans..."
Mais, là, plus que jamais...
- "Il y a eu soit les socialistes, soit le RPR, mais là, il y a peut-être une concentration de la représentation politique dans deux grandes familles. Mais je pense que ce qui fait la force de la gauche, même dans une période où elle n'est pas à son mieux, c'est précisément qu'elle soit articulée autour d'une grande formation politique - le PS - qui a vocation encore à se renforcer, mais qu'elle ait également des sensibilités. Il n'y a rien de bon à casser, à briser, à uniformiser. Et quand je vois ce que veut faire l'UMP, un parti avec une seule tête et une seule voix, je me dis que ce n'est pas forcément le bon modèle pour la gauche. Ce qui n'empêche pas la gauche de travailler d'avantage à son unité et à faire que le Parti socialiste se rénove, se modernise, se rapproche des citoyens pour être cette grande force politique de l'avenir."
Mais à gauche, vous allez être le groupe dominant, avec ce qui va rester du PC tout rabougris - et encore grâce à vous ! - et des Verts qui, sans vous, auraient disparu ? C'est d'ailleurs une lourde responsabilité.
- "Sans doute aurons-nous la responsabilité d'avoir le plus grand groupe parlementaire en dehors de l'UMP. C'était déjà vrai dans la précédente législature. Mais je me félicite que nous ayons pu faire place aussi à d'autres, parce que notre conception n'est pas d'écraser, d'uniformiser, d'immobiliser la gauche dans une seule force. Heureusement qu'il y a du pluralisme. Maintenant, il faut que ce soit structuré et le Parti socialiste, en tant que principal force de gauche, a une responsabilité particulière. D'abord pour tenir compte des enseignements des différents scrutins, et notamment du 21 avril, pour se rénover, pour se transformer et pour écouter davantage les Français."
Vous avez envie, vous, F. Hollande, de conduire la reconstruction du Parti socialiste ?
- "Avec d'autres. Bien sûr, ce ne sera pas un travail individuel. Il faudra mobiliser tous les talents du Parti socialiste - et ils sont nombreux - et renouveler les générations."
Etes-vous favorable, comme la droite le réussit, à une seule gauche confédérée malgré tout - un jour ?
- "Je ne suis pas pour les partis uniques. Donc, j'essaye de faire en sorte que nous puissions avoir la plus grande formation politique de la gauche - c'est fait : le résultat du premier tour nous y autorise - mais qu'ensuite, nous ayons avec les Français d'abord le dialogue nécessaire et enfin, que nous puissions structurer davantage effectivement la gauche autour du PS."
Il y a beaucoup de gens qui ont remarqué que la statue du commandeur avait commencé à bouger. Jospin a fait entendre sa voix l'autre jour au téléphone auprès de quelques fidèles. Ce qui fait dire à J.-M. Ayrault que L. Jospin redeviendra vite une force morale de la gauche. Vous le pensez sans doute. Comment ?
- "Je vais vous dire que beaucoup, sur les marchés ou auprès de moi, me disent que Jospin aurait dû rester, qu'on avait besoin de lui et même des personnes qui n'avaient pas voté pour lui. C'est vrai qu'il reste une référence, c'est vrai qu'il reste une personnalité qui aura gouverné cinq ans et qui l'aura fait honnêtement et efficacement. Je pense que L. Jospin, même s'il a pris cette décision, n'a pas disparu et que la statue peut bouger."
Comment ?
- "C'est à lui de savoir comment il bougera. Pour l'instant, ce n'est pas le moment. Le moment, ce sont les élections, le deuxième tour pour les législatives. Et c'est très important, parce que c'est un enjeu décisif - pas pour la gauche, pas simplement pour donner une majorité écrasante aux uns et de faire en sorte que les autres soient le plus haut possible. Non, c'est un enjeu important pour les Français. C'est de leur avenir qu'il s'agit."
Vous allez à Tulle ?
- "Oui."
Sur le même marché que Mme Chirac etc. ?
- "Je ne sais pas. Si je les vois, je débattrai enfin avec J.-P. Raffarin. Sans doute vient-il pour cela. Je l'espère."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 juin 2002)