Texte intégral
Cher-e-s camarades,
Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle, puis, dans la foulée, des élections législatives, sont très durement ressentis par les communistes.
Choqués, ils et elles s'interrogent, veulent comprendre. D'autant que la poursuite de notre déclin électoral atteint désormais des proportions dangereuses pour l'avenir du parti.
Il faut donc, sans concession, aller jusqu'au bout de l'analyse critique de la campagne que j'ai menée en tant que candidat, que nous avons menée au nom du parti. Elle n'a pas correspondu à ce que les Françaises et les Français attendaient à l'occasion de ces importantes échéances.
Elle n'a pas correspondu à ce qu'attendaient du PCF celles et ceux qui votent ou ont voté communiste par le passé.
Cet échec ne met pas seulement en cause notre campagne électorale. Plus généralement, c'est sur notre stratégie, notre politique au cours des dernières années -notamment depuis 1997- qu'il nous faut réfléchir. Et, inséparablement, sur " l'image " que nous avons donnée du parti communiste, apparaissant trop souvent comme étant devenu " comme les autres ", intégré désormais à un système que les gens rejettent parce qu'ils le jugent -non sans raison- clos, fermé sur lui-même, élitiste, sourd à leurs aspirations, et surtout totalement soumis au capitalisme mondialisé.
Le débat ne fait que commencer. Et, comme l'a souligné ce matin Marie-George Buffet, il sera en permanence lié au développement de l'action des communistes avec les salariés, avec les citoyennes et les citoyens, pour résister à la mise en oeuvre par la droite, disposant maintenant de tous les pouvoirs, de son programme de revanche sociale. C'est un débat exigeant. Gardons-nous de rester -comme nous l'avons fait trop souvent dans le passé- à la surface des choses. C'est, à la fois, d'un échec circonstanciel qu'il nous faut rendre compte -lié à notre politique et à la façon de l'exprimer ces dernières années- et d'un échec plus profond : lié à notre incapacité, faute de proposer réponses, perspectives, actions et organisations communistes crédibles face aux bouleversements de la société et du monde, à mettre fin à la spirale du déclin engagée depuis plusieurs décennies.
Quant à moi, je veux assumer pleinement les responsabilités qui sont les miennes de ce double point de vue.
Plusieurs contributions au débat, émanant des organisations du parti, des assemblées de militants, de communistes individuellement ou collectivement, ont commencé d'explorer les causes de ce qui nous arrive. Je suis, bien sûr, très attentif à ce que ces contributions indiquent quant à mes propres responsabilités. Et je souhaite que l'on aille tranquillement jusqu'au bout de cette démarche critique. On comprendra que je suis, sans doute, parmi les plus intéressés par cette réflexion.
Une lecture hâtive et, à mon sens, inutilement craintive, de l'une de ces contributions a conduit certains à la présenter comme une tentative visant à " défendre " Robert Hue.
Eh bien, moi, j'en ai une lecture bien différente !
On relève que je n'ai pas tenu la même ligne pendant toute la campagne électorale ; que, pendant cinq ans, les avertissements que j'ai lancés à gauche au nom du parti, n'ont pas été réellement suivis d'effets ; on note aussi que mes propositions aux deux derniers congrès -Martigues et la Défense- si elles n'ont pas été formellement rejetées... n'ont cependant pas été concrétisées. On note, enfin, que la mutation à laquelle je me suis consacré a, certes, été engagée, mais que le débat qu'elle exigeait n'a pas été mené avec la détermination nécessaire, voire n'a tout simplement pas eu lieu.
Rien de tout cela n'est vraiment de nature à me pousser à l'autosatisfaction... Mais c'est la réalité, telle que nous l'avons vécue ensemble ces dernières années.
Je souhaite donc que l'on approfondisse le débat sur ces questions, jusqu'à déterminer les causes des graves difficultés que je viens d'évoquer. C'est absolument vital pour le parti.
A l'étape actuelle, et puisque notre Conférence nationale a pour objectif de relever les grands axes du débat et de clarifier la façon dont nous allons procéder, je voudrais faire une remarque qui touche à la forme mais aussi, je le pense, beaucoup au fond.
Ce que nous avons appelé la " mutation " a suscité l'intérêt des communistes et de beaucoup d'autres, qui se revendiquent du communisme sans être restés ou même sans avoir jamais été membres du parti. Et puis, elle a donné l'impression de " tourner en rond ", sans que l'on avance réellement vers ce qui était l'objectif proclamé : un parti communiste se hissant au niveau des enjeux, des défis à relever ; un parti retrouvant le chemin de la proximité, des luttes quotidiennes menées pied à pied, dans le quartier, le village, le lieu de travail ; un parti rassemblant les communistes dans leur diversité et contribuant à ouvrir une perspective de transformation sociale convaincante, impliquant de sortir de l'alternance entre droite libérale et gauche social-libérale.
Il y a évidemment plusieurs causes à cette évolution. Les obstacles à surmonter étaient de taille, et nous les avons sans doute sous-évalués. Au-delà de l'inertie naturelle à la structure, à " l'appareil " comme on dit, n'y avait-il pas par exemple, profondément ancrés dans nos consciences, la conviction ou l'espoir qu'une bonne " modernisation " des concepts, des principes et des structures pourrait suffire pour que le Parti communiste français retrouve sa place dans une société pourtant en proie à des bouleversements, liés à ceux du monde, qui rendaient la chose tout simplement impossible, et appelait une identité, une conception nouvelles et du communisme et du parti communiste pour le XXIème siècle. Il ne suffisait pas que le mot " mutation " le suggère. Il fallait s'en donner tous les moyens.
Nous allons débattre de tout cela.
Je veux ici m'arrêter à un seul aspect, concernant notre façon de concevoir le débat dans le parti, ces dernières années, avec la priorité accordée à la recherche du consensus plutôt qu'à l'examen des différentes idées et propositions émises.
Non seulement cela n'a pas permis de mieux rassembler le parti dans sa diversité, mais nous a souvent amenés à des formulations ambiguës, qui loin de mobiliser les communistes, les ont au contraire plutôt laissés désemparés, interrogatifs, voire soupçonneux quant aux intentions réelles de ceux qu'ils avaient élus pour exercer les premières responsabilités dans le parti.
Ce phénomène a marqué le parti et, dans une certaine mesure, l'a paralysé. Car les communistes ne sont pas gens à se tourner avec audace et dynamisme vers les salariés, les milieux populaires, les intellectuels quand ils ne savent pas eux-mêmes ce qu'ils ont à proposer, et où va leur propre parti.
Comment en sommes-nous venus à cette pratique quasi permanente de la recherche de ce type de consensus, alors même que nous avions justement rejeté les pratiques anciennes d'unanimisme par discipline ?
Sans doute le souci d'éviter le retour d'affrontements personnels aux conséquences souvent douloureuses, comme ceux que nous avions connus antérieurement, a-t-il beaucoup compté !
Un terme fut certes mis aux affrontements personnels, mais sans que soient trouvés cependant les moyens d'un véritable débat, permettant la confrontation et donnant aux communistes les éléments pour trancher en toute connaissance de cause.
Je n'évoque pas cela uniquement pour expliquer comment on est passé de l'extrême âpreté des luttes d'une époque à l'utilisation, ces dernières années, de ce que nous avons appelé " base commune " comme un moyen d'aboutir à un consensus inefficace.
C'est aujourd'hui, c'est le débat actuel qui me préoccupe. Je ne voudrais pas que la Conférence nationale passée, il s'oriente à nouveau vers la recherche a priori d'un consensus, sans que les communistes aient été saisis des différentes analyses et propositions en présence. Et, dès lors, sans qu'ils aient pu les confronter, les approfondir, et dire clairement ce qu'ils veulent.
Car une fois de plus, c'est de l'identité et de l'avenir du parti communiste en France qu'il est question. Il ne faudrait pas que ce soit une nouvelle occasion manquée d'aller au fond du débat. Y aurait-il alors d'autres occasions ? Personne ne peut le dire.
Or c'est bien cela -l'identité et l'avenir du parti communiste en France- qui doit être au coeur du débat, sans que cela nous éloigne, au contraire, de la recherche des causes immédiates de nos échecs électoraux.
Notre façon d'assumer la présence communiste au gouvernement, notre stratégie à l'égard de la gauche ont, en fait, été conditionnées par notre conception du rôle du parti, de sa place dans la société, et par l'image que nous en donnions.
Personnellement, je n'ai pas de doute : ceux qui en 1920, à Tours, ont voté l'adhésion à la Troisième Internationale ont eu raison. Et la création, l'existence d'un parti communiste ont été un formidable atout pour notre peuple et, au-delà, pour les peuples opprimés par l'impérialisme français.
Je n'ai aucune envie de renier ce passé, de minimiser cet héritage. Et pas davantage envie de les laisser reléguer au rang de vestiges d'une époque certes glorieuse mais dont nous n'aurions plus rien à retenir et à apprendre.
Mais le fait est que le parti communiste, tel qu'il est né en 1920 et tel qu'il a vécu pendant plus de huit décennies, est à la fois l'héritier d'une longue histoire du communisme en France et de la matrice qui après la Révolution d'Octobre a donné naissance à des dizaines de partis communistes dans le monde..
Toutes et tous ici, quand nous évoquons l'utilité de ce parti, les services qu'il a rendus, nous ne manquons pas d'évoquer avec une fierté légitime, par exemple, la lutte contre l'occupation de la Ruhr dans les années vingt ; les combats pour empêcher l'écrasement de la première révolution qui, en 1917, proclamait son identité communiste ; le Front populaire et ses conquêtes ; le rôle des communistes dans la résistance au nazisme ; la part essentielle prise par eux aux grandes conquêtes sociales de la Libération ; le rôle du parti, des communistes, dans les combats solidaires contre le colonialisme, les guerres coloniales et les dangers, pour la paix et la démocratie, de la guerre froide.
Oui, nous évoquons tout cela mais force est de constater... que, toutes et tous, nous nous arrêtons ensuite dès que l'on aborde les années soixante.
C'est qu'a eu lieu alors une succession de révolutions dans les connaissances, les façons de produire, de réfléchir, de vivre en société. Et il est vrai que le communisme du 20ème siècle n'a pas su trouver des réponses à la hauteur des défis posés par ces révolutions. Pas plus en URSS et dans ce qu'on appelait les pays socialistes, qu'en Europe et dans les grands pays capitalistes.
Il a même commencé par nier les problèmes posés, et l'exemple de 1968 en France en est une illustration. Alors, oui il faut savoir le reconnaître et en tirer toutes les leçons : à partir de cette époque, et quels qu'aient été les mérites des militantes et militants communistes, quels qu'aient été les mérites du Parti communiste, le communisme du 20ème siècle a perdu pied dans son affrontement avec le capitalisme, au moment où celui-ci reprenait l'offensive en organisant sa mondialisation.
Et c'est l'ensemble de ce qui constituait le communisme du 20ème siècle : les Etats s'en revendiquant, l'idéologie telle qu'elle avait été dogmatisée, les partis communistes dans leur diversité, qui a perdu pied.
Ce n'est pas mon goût pour l'histoire qui me pousse à évoquer ainsi cette période, mais bien plutôt le souci du présent et de l'avenir du communisme en France, le souci du présent et de l'avenir de notre parti communiste.
J'ai en effet présent à l'esprit ce qui s'est passé au PCF à la fin des années cinquante, quand la dénonciation des crimes du stalinisme par le 20ème Congrès du parti communiste de l'Union soviétique ouvrait la possibilité d'une réflexion et d'une action politique novatrices, pour un communisme moderne, ouvrant de nouvelles perspectives pour transformer le monde.
Les choix faits alors ont été lourds de conséquences : alors que s'offrait la possibilité d'une véritable rénovation du communisme, plutôt que de pousser la réflexion sur les raisons de l'échec, déjà lisible, de l'URSS à aborder les problèmes de notre époque, on a choisi de refuser de s'engager pour une perspective communiste moderne. C'est vers une stratégie " à gauche " que l'on s'est orienté, opposant à la faillite de la IVème République marquée par l'alliance du Parti socialiste et de la droite, l'objectif de mise en chantier d'une nouvelle construction qui devait beaucoup au Front populaire.
Les choix faits à cette époque ont conduit au programme commun et à la période de trente ans pendant laquelle le parti a cessé, aux yeux de nos concitoyens -et souvent de ses propres adhérents- d'avoir une politique autonome pour changer la société. Il est apparu en panne de projet transformateur pour n'être considéré que comme force d'appoint d'un Parti socialiste devenu dominant à gauche.
C'est bien encore la question à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. Soyons clairs : le problème de la gauche française n'est pas l'existence d'une tendance social-libérale favorable à la mondialisation capitaliste. Elle existe comme la continuation naturelle, sous des formes adaptées à la situation d'aujourd'hui, de ce qui a toujours été la tendance social-démocrate du Parti socialiste.
Le problème n'est pas non plus l'existence d'une gauche à l'expression extrémiste, mais aux capacités, et même aux volontés transformatrices quasi-inexistantes parce qu'elle refuse de se mêler au combat politique. Cela aussi fut toujours un des traits de la gauche française.
Le problème de la gauche aujourd'hui c'est qu'il n'y a pas, en son sein, non pas l'hégémonie dont parlait Gramsci, mais à tout le moins le poids suffisant des idées, des projets, de l'organisation, de l'attraction communistes pour les salariés, les milieux populaires, les intellectuels de notre pays.
Le problème de la gauche aujourd'hui n'est pas " que fait, où est, où va la gauche ? ", c'est " que fait, où est, où va le PCF ? ". Je le dis nettement : je ne pense pas que l'on puisse répondre à ces questions en se fixant comme premier objectif de " reconstruire la gauche ".
Pour moi la priorité est de répondre à la question : " quel parti communiste pour faire face aux défis de notre époque, pour contribuer aux rassemblements majoritaires susceptibles de faire prévaloir une autre logique que celle du capitalisme mondialisé ? ".
C'est le point de passage -et sans doute le point de départ obligé- pour toute nouvelle construction à gauche qui ne serait pas social-libérale, ou tout bêtement gauchisante.
Cela implique des choix.
S'il doit y avoir un Congrès -et je pense qu'il doit y en avoir un- j'ai la conviction qu'il doit être l'acte fondateur d'un parti communiste de notre temps, conçu pour faire face aux défis d'aujourd'hui, sans renier en rien l'expérience et l'apport à la société française des générations de militants qui nous ont précédés. Mais un parti qui va, au-delà, plonger à la fois au plus profond dans les racines du communisme français, et au coeur des aspirations et des luttes d'aujourd'hui !
Un parti : un vrai parti, pas un " mouvement " ou un " cartel " très vite voué aux turpitudes politiciennes.
Un parti communiste sachant s'enrichir de tous les dialogues, de toutes les analyses et de toutes les recherches, mais ayant de façon autonome et dynamique ses propres analyses, ses propres recherches théoriques. Un parti communiste à l'écoute et à l'unisson des grandes aspirations humaines de notre temps et sachant proposer, pour rassembler, une vision, une visée, un projet pour une société libérée du capitalisme. Un parti communiste utile au quotidien des luttes et des débats, pour toutes et tous sans exclusive, et d'abord pour celles et ceux qui sont les plus durablement touchés par le capitalisme et sa mondialisation, par les dominations, les aliénations, les discriminations qui minent la société. Un parti communiste jouant son rôle pour " concourir à l'expression du suffrage universel ", et pour cela porteur d'un projet politique de transformation sociale articulé autour de mesures fortes contestant concrètement le capitalisme, et définissant clairement ses alliances -en France, en Europe et dans le monde- et les conditions de son éventuelle participation à de nouvelles constructions politiques à gauche ; à des majorités et à des gouvernements ayant pour objectif des changements positifs réels.
Un parti communiste organisé, actif, attractif, tourné vers la jeunesse, avec une vie démocratique sans cesse plus poussée, et des directions attachées à la mise en oeuvre déterminée des décisions prises par ses adhérents.
Cela exige de notre part beaucoup de créativité, de travail. D'abord avec les femmes et les hommes qui adhèrent à notre parti, et en font la richesse et la force. Et aussi avec d'autres, qui partagent notre idéal et notre volonté transformatrice, sans se retrouver dans le parti tel qu'ils le voient aujourd'hui. Je livre ces réflexions au débat.
Comme beaucoup de camarades je pense que ce n'est pas d'un exutoire que les communistes ont besoin aujourd'hui : ils ont besoin de débattre, de confronter analyses, idées et propositions pour, en toute connaissance de cause et en toute responsabilité, effectuer eux-mêmes, des choix clairs et mobilisateurs.
Je partage l'idée qu'il ne faut pas verrouiller par avance le débat. Cela implique de se garder de toute ambiguïté. Il faudra, me semble-t-il, non seulement mettre en débat, mais aussi mettre aux voix ce qui devra l'être ; non pour appeler les communistes à se ranger derrière tel ou tel dirigeant ou groupe de dirigeants, mais pour exprimer clairement des choix qui devront être formalisés. Je ne suis pas choqué que des camarades proposent des choix différents dans des textes différents. C'est l'expression d'un besoin de clarification dont je souhaite qu'on ne fasse pas l'économie.
La démocratie communiste doit s'exercer jusqu'au bout. C'est l'heure des choix qui doit s'ouvrir. Notre rôle est de faire en sorte que chacune et chacun des membres du parti y contribuent pleinement.
Cher-e-s camarades, c'est un regard sans concession que je porte sur ma propre activité de dirigeant. C'est avec la même honnêteté que je ne dissimulerai pas mon regret que la mutation débutée dans les années quatre-vingt dix ait rencontré les obstacles qui n'ont pas permis, à ce jour, d'aller au bout de cette véritable révolution de notre conception et de notre organisation, nécessaire pour le communisme du temps qui vient.
Oui, c'est bien de révolution dont le parti, la politique comme la société ont besoin.
L'heure n'est donc pas à baisser les bras. Et je suis certain que ce n'est pas ce sentiment qui domine chez les communistes.
Par ailleurs, nos échecs électoraux n'ont-ils pas été un formidable révélateur -à travers les actes et les témoignages les plus divers- du refus, au plus profond de notre peuple, de voir disparaître le parti communiste, composante vitale de la démocratie française ?
Une nouvelle fois nous devons, camarades, résister et construire. Nous en avons les moyens.
(Source http://www.pcf.fr, le 27 juin 2002)
Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle, puis, dans la foulée, des élections législatives, sont très durement ressentis par les communistes.
Choqués, ils et elles s'interrogent, veulent comprendre. D'autant que la poursuite de notre déclin électoral atteint désormais des proportions dangereuses pour l'avenir du parti.
Il faut donc, sans concession, aller jusqu'au bout de l'analyse critique de la campagne que j'ai menée en tant que candidat, que nous avons menée au nom du parti. Elle n'a pas correspondu à ce que les Françaises et les Français attendaient à l'occasion de ces importantes échéances.
Elle n'a pas correspondu à ce qu'attendaient du PCF celles et ceux qui votent ou ont voté communiste par le passé.
Cet échec ne met pas seulement en cause notre campagne électorale. Plus généralement, c'est sur notre stratégie, notre politique au cours des dernières années -notamment depuis 1997- qu'il nous faut réfléchir. Et, inséparablement, sur " l'image " que nous avons donnée du parti communiste, apparaissant trop souvent comme étant devenu " comme les autres ", intégré désormais à un système que les gens rejettent parce qu'ils le jugent -non sans raison- clos, fermé sur lui-même, élitiste, sourd à leurs aspirations, et surtout totalement soumis au capitalisme mondialisé.
Le débat ne fait que commencer. Et, comme l'a souligné ce matin Marie-George Buffet, il sera en permanence lié au développement de l'action des communistes avec les salariés, avec les citoyennes et les citoyens, pour résister à la mise en oeuvre par la droite, disposant maintenant de tous les pouvoirs, de son programme de revanche sociale. C'est un débat exigeant. Gardons-nous de rester -comme nous l'avons fait trop souvent dans le passé- à la surface des choses. C'est, à la fois, d'un échec circonstanciel qu'il nous faut rendre compte -lié à notre politique et à la façon de l'exprimer ces dernières années- et d'un échec plus profond : lié à notre incapacité, faute de proposer réponses, perspectives, actions et organisations communistes crédibles face aux bouleversements de la société et du monde, à mettre fin à la spirale du déclin engagée depuis plusieurs décennies.
Quant à moi, je veux assumer pleinement les responsabilités qui sont les miennes de ce double point de vue.
Plusieurs contributions au débat, émanant des organisations du parti, des assemblées de militants, de communistes individuellement ou collectivement, ont commencé d'explorer les causes de ce qui nous arrive. Je suis, bien sûr, très attentif à ce que ces contributions indiquent quant à mes propres responsabilités. Et je souhaite que l'on aille tranquillement jusqu'au bout de cette démarche critique. On comprendra que je suis, sans doute, parmi les plus intéressés par cette réflexion.
Une lecture hâtive et, à mon sens, inutilement craintive, de l'une de ces contributions a conduit certains à la présenter comme une tentative visant à " défendre " Robert Hue.
Eh bien, moi, j'en ai une lecture bien différente !
On relève que je n'ai pas tenu la même ligne pendant toute la campagne électorale ; que, pendant cinq ans, les avertissements que j'ai lancés à gauche au nom du parti, n'ont pas été réellement suivis d'effets ; on note aussi que mes propositions aux deux derniers congrès -Martigues et la Défense- si elles n'ont pas été formellement rejetées... n'ont cependant pas été concrétisées. On note, enfin, que la mutation à laquelle je me suis consacré a, certes, été engagée, mais que le débat qu'elle exigeait n'a pas été mené avec la détermination nécessaire, voire n'a tout simplement pas eu lieu.
Rien de tout cela n'est vraiment de nature à me pousser à l'autosatisfaction... Mais c'est la réalité, telle que nous l'avons vécue ensemble ces dernières années.
Je souhaite donc que l'on approfondisse le débat sur ces questions, jusqu'à déterminer les causes des graves difficultés que je viens d'évoquer. C'est absolument vital pour le parti.
A l'étape actuelle, et puisque notre Conférence nationale a pour objectif de relever les grands axes du débat et de clarifier la façon dont nous allons procéder, je voudrais faire une remarque qui touche à la forme mais aussi, je le pense, beaucoup au fond.
Ce que nous avons appelé la " mutation " a suscité l'intérêt des communistes et de beaucoup d'autres, qui se revendiquent du communisme sans être restés ou même sans avoir jamais été membres du parti. Et puis, elle a donné l'impression de " tourner en rond ", sans que l'on avance réellement vers ce qui était l'objectif proclamé : un parti communiste se hissant au niveau des enjeux, des défis à relever ; un parti retrouvant le chemin de la proximité, des luttes quotidiennes menées pied à pied, dans le quartier, le village, le lieu de travail ; un parti rassemblant les communistes dans leur diversité et contribuant à ouvrir une perspective de transformation sociale convaincante, impliquant de sortir de l'alternance entre droite libérale et gauche social-libérale.
Il y a évidemment plusieurs causes à cette évolution. Les obstacles à surmonter étaient de taille, et nous les avons sans doute sous-évalués. Au-delà de l'inertie naturelle à la structure, à " l'appareil " comme on dit, n'y avait-il pas par exemple, profondément ancrés dans nos consciences, la conviction ou l'espoir qu'une bonne " modernisation " des concepts, des principes et des structures pourrait suffire pour que le Parti communiste français retrouve sa place dans une société pourtant en proie à des bouleversements, liés à ceux du monde, qui rendaient la chose tout simplement impossible, et appelait une identité, une conception nouvelles et du communisme et du parti communiste pour le XXIème siècle. Il ne suffisait pas que le mot " mutation " le suggère. Il fallait s'en donner tous les moyens.
Nous allons débattre de tout cela.
Je veux ici m'arrêter à un seul aspect, concernant notre façon de concevoir le débat dans le parti, ces dernières années, avec la priorité accordée à la recherche du consensus plutôt qu'à l'examen des différentes idées et propositions émises.
Non seulement cela n'a pas permis de mieux rassembler le parti dans sa diversité, mais nous a souvent amenés à des formulations ambiguës, qui loin de mobiliser les communistes, les ont au contraire plutôt laissés désemparés, interrogatifs, voire soupçonneux quant aux intentions réelles de ceux qu'ils avaient élus pour exercer les premières responsabilités dans le parti.
Ce phénomène a marqué le parti et, dans une certaine mesure, l'a paralysé. Car les communistes ne sont pas gens à se tourner avec audace et dynamisme vers les salariés, les milieux populaires, les intellectuels quand ils ne savent pas eux-mêmes ce qu'ils ont à proposer, et où va leur propre parti.
Comment en sommes-nous venus à cette pratique quasi permanente de la recherche de ce type de consensus, alors même que nous avions justement rejeté les pratiques anciennes d'unanimisme par discipline ?
Sans doute le souci d'éviter le retour d'affrontements personnels aux conséquences souvent douloureuses, comme ceux que nous avions connus antérieurement, a-t-il beaucoup compté !
Un terme fut certes mis aux affrontements personnels, mais sans que soient trouvés cependant les moyens d'un véritable débat, permettant la confrontation et donnant aux communistes les éléments pour trancher en toute connaissance de cause.
Je n'évoque pas cela uniquement pour expliquer comment on est passé de l'extrême âpreté des luttes d'une époque à l'utilisation, ces dernières années, de ce que nous avons appelé " base commune " comme un moyen d'aboutir à un consensus inefficace.
C'est aujourd'hui, c'est le débat actuel qui me préoccupe. Je ne voudrais pas que la Conférence nationale passée, il s'oriente à nouveau vers la recherche a priori d'un consensus, sans que les communistes aient été saisis des différentes analyses et propositions en présence. Et, dès lors, sans qu'ils aient pu les confronter, les approfondir, et dire clairement ce qu'ils veulent.
Car une fois de plus, c'est de l'identité et de l'avenir du parti communiste en France qu'il est question. Il ne faudrait pas que ce soit une nouvelle occasion manquée d'aller au fond du débat. Y aurait-il alors d'autres occasions ? Personne ne peut le dire.
Or c'est bien cela -l'identité et l'avenir du parti communiste en France- qui doit être au coeur du débat, sans que cela nous éloigne, au contraire, de la recherche des causes immédiates de nos échecs électoraux.
Notre façon d'assumer la présence communiste au gouvernement, notre stratégie à l'égard de la gauche ont, en fait, été conditionnées par notre conception du rôle du parti, de sa place dans la société, et par l'image que nous en donnions.
Personnellement, je n'ai pas de doute : ceux qui en 1920, à Tours, ont voté l'adhésion à la Troisième Internationale ont eu raison. Et la création, l'existence d'un parti communiste ont été un formidable atout pour notre peuple et, au-delà, pour les peuples opprimés par l'impérialisme français.
Je n'ai aucune envie de renier ce passé, de minimiser cet héritage. Et pas davantage envie de les laisser reléguer au rang de vestiges d'une époque certes glorieuse mais dont nous n'aurions plus rien à retenir et à apprendre.
Mais le fait est que le parti communiste, tel qu'il est né en 1920 et tel qu'il a vécu pendant plus de huit décennies, est à la fois l'héritier d'une longue histoire du communisme en France et de la matrice qui après la Révolution d'Octobre a donné naissance à des dizaines de partis communistes dans le monde..
Toutes et tous ici, quand nous évoquons l'utilité de ce parti, les services qu'il a rendus, nous ne manquons pas d'évoquer avec une fierté légitime, par exemple, la lutte contre l'occupation de la Ruhr dans les années vingt ; les combats pour empêcher l'écrasement de la première révolution qui, en 1917, proclamait son identité communiste ; le Front populaire et ses conquêtes ; le rôle des communistes dans la résistance au nazisme ; la part essentielle prise par eux aux grandes conquêtes sociales de la Libération ; le rôle du parti, des communistes, dans les combats solidaires contre le colonialisme, les guerres coloniales et les dangers, pour la paix et la démocratie, de la guerre froide.
Oui, nous évoquons tout cela mais force est de constater... que, toutes et tous, nous nous arrêtons ensuite dès que l'on aborde les années soixante.
C'est qu'a eu lieu alors une succession de révolutions dans les connaissances, les façons de produire, de réfléchir, de vivre en société. Et il est vrai que le communisme du 20ème siècle n'a pas su trouver des réponses à la hauteur des défis posés par ces révolutions. Pas plus en URSS et dans ce qu'on appelait les pays socialistes, qu'en Europe et dans les grands pays capitalistes.
Il a même commencé par nier les problèmes posés, et l'exemple de 1968 en France en est une illustration. Alors, oui il faut savoir le reconnaître et en tirer toutes les leçons : à partir de cette époque, et quels qu'aient été les mérites des militantes et militants communistes, quels qu'aient été les mérites du Parti communiste, le communisme du 20ème siècle a perdu pied dans son affrontement avec le capitalisme, au moment où celui-ci reprenait l'offensive en organisant sa mondialisation.
Et c'est l'ensemble de ce qui constituait le communisme du 20ème siècle : les Etats s'en revendiquant, l'idéologie telle qu'elle avait été dogmatisée, les partis communistes dans leur diversité, qui a perdu pied.
Ce n'est pas mon goût pour l'histoire qui me pousse à évoquer ainsi cette période, mais bien plutôt le souci du présent et de l'avenir du communisme en France, le souci du présent et de l'avenir de notre parti communiste.
J'ai en effet présent à l'esprit ce qui s'est passé au PCF à la fin des années cinquante, quand la dénonciation des crimes du stalinisme par le 20ème Congrès du parti communiste de l'Union soviétique ouvrait la possibilité d'une réflexion et d'une action politique novatrices, pour un communisme moderne, ouvrant de nouvelles perspectives pour transformer le monde.
Les choix faits alors ont été lourds de conséquences : alors que s'offrait la possibilité d'une véritable rénovation du communisme, plutôt que de pousser la réflexion sur les raisons de l'échec, déjà lisible, de l'URSS à aborder les problèmes de notre époque, on a choisi de refuser de s'engager pour une perspective communiste moderne. C'est vers une stratégie " à gauche " que l'on s'est orienté, opposant à la faillite de la IVème République marquée par l'alliance du Parti socialiste et de la droite, l'objectif de mise en chantier d'une nouvelle construction qui devait beaucoup au Front populaire.
Les choix faits à cette époque ont conduit au programme commun et à la période de trente ans pendant laquelle le parti a cessé, aux yeux de nos concitoyens -et souvent de ses propres adhérents- d'avoir une politique autonome pour changer la société. Il est apparu en panne de projet transformateur pour n'être considéré que comme force d'appoint d'un Parti socialiste devenu dominant à gauche.
C'est bien encore la question à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. Soyons clairs : le problème de la gauche française n'est pas l'existence d'une tendance social-libérale favorable à la mondialisation capitaliste. Elle existe comme la continuation naturelle, sous des formes adaptées à la situation d'aujourd'hui, de ce qui a toujours été la tendance social-démocrate du Parti socialiste.
Le problème n'est pas non plus l'existence d'une gauche à l'expression extrémiste, mais aux capacités, et même aux volontés transformatrices quasi-inexistantes parce qu'elle refuse de se mêler au combat politique. Cela aussi fut toujours un des traits de la gauche française.
Le problème de la gauche aujourd'hui c'est qu'il n'y a pas, en son sein, non pas l'hégémonie dont parlait Gramsci, mais à tout le moins le poids suffisant des idées, des projets, de l'organisation, de l'attraction communistes pour les salariés, les milieux populaires, les intellectuels de notre pays.
Le problème de la gauche aujourd'hui n'est pas " que fait, où est, où va la gauche ? ", c'est " que fait, où est, où va le PCF ? ". Je le dis nettement : je ne pense pas que l'on puisse répondre à ces questions en se fixant comme premier objectif de " reconstruire la gauche ".
Pour moi la priorité est de répondre à la question : " quel parti communiste pour faire face aux défis de notre époque, pour contribuer aux rassemblements majoritaires susceptibles de faire prévaloir une autre logique que celle du capitalisme mondialisé ? ".
C'est le point de passage -et sans doute le point de départ obligé- pour toute nouvelle construction à gauche qui ne serait pas social-libérale, ou tout bêtement gauchisante.
Cela implique des choix.
S'il doit y avoir un Congrès -et je pense qu'il doit y en avoir un- j'ai la conviction qu'il doit être l'acte fondateur d'un parti communiste de notre temps, conçu pour faire face aux défis d'aujourd'hui, sans renier en rien l'expérience et l'apport à la société française des générations de militants qui nous ont précédés. Mais un parti qui va, au-delà, plonger à la fois au plus profond dans les racines du communisme français, et au coeur des aspirations et des luttes d'aujourd'hui !
Un parti : un vrai parti, pas un " mouvement " ou un " cartel " très vite voué aux turpitudes politiciennes.
Un parti communiste sachant s'enrichir de tous les dialogues, de toutes les analyses et de toutes les recherches, mais ayant de façon autonome et dynamique ses propres analyses, ses propres recherches théoriques. Un parti communiste à l'écoute et à l'unisson des grandes aspirations humaines de notre temps et sachant proposer, pour rassembler, une vision, une visée, un projet pour une société libérée du capitalisme. Un parti communiste utile au quotidien des luttes et des débats, pour toutes et tous sans exclusive, et d'abord pour celles et ceux qui sont les plus durablement touchés par le capitalisme et sa mondialisation, par les dominations, les aliénations, les discriminations qui minent la société. Un parti communiste jouant son rôle pour " concourir à l'expression du suffrage universel ", et pour cela porteur d'un projet politique de transformation sociale articulé autour de mesures fortes contestant concrètement le capitalisme, et définissant clairement ses alliances -en France, en Europe et dans le monde- et les conditions de son éventuelle participation à de nouvelles constructions politiques à gauche ; à des majorités et à des gouvernements ayant pour objectif des changements positifs réels.
Un parti communiste organisé, actif, attractif, tourné vers la jeunesse, avec une vie démocratique sans cesse plus poussée, et des directions attachées à la mise en oeuvre déterminée des décisions prises par ses adhérents.
Cela exige de notre part beaucoup de créativité, de travail. D'abord avec les femmes et les hommes qui adhèrent à notre parti, et en font la richesse et la force. Et aussi avec d'autres, qui partagent notre idéal et notre volonté transformatrice, sans se retrouver dans le parti tel qu'ils le voient aujourd'hui. Je livre ces réflexions au débat.
Comme beaucoup de camarades je pense que ce n'est pas d'un exutoire que les communistes ont besoin aujourd'hui : ils ont besoin de débattre, de confronter analyses, idées et propositions pour, en toute connaissance de cause et en toute responsabilité, effectuer eux-mêmes, des choix clairs et mobilisateurs.
Je partage l'idée qu'il ne faut pas verrouiller par avance le débat. Cela implique de se garder de toute ambiguïté. Il faudra, me semble-t-il, non seulement mettre en débat, mais aussi mettre aux voix ce qui devra l'être ; non pour appeler les communistes à se ranger derrière tel ou tel dirigeant ou groupe de dirigeants, mais pour exprimer clairement des choix qui devront être formalisés. Je ne suis pas choqué que des camarades proposent des choix différents dans des textes différents. C'est l'expression d'un besoin de clarification dont je souhaite qu'on ne fasse pas l'économie.
La démocratie communiste doit s'exercer jusqu'au bout. C'est l'heure des choix qui doit s'ouvrir. Notre rôle est de faire en sorte que chacune et chacun des membres du parti y contribuent pleinement.
Cher-e-s camarades, c'est un regard sans concession que je porte sur ma propre activité de dirigeant. C'est avec la même honnêteté que je ne dissimulerai pas mon regret que la mutation débutée dans les années quatre-vingt dix ait rencontré les obstacles qui n'ont pas permis, à ce jour, d'aller au bout de cette véritable révolution de notre conception et de notre organisation, nécessaire pour le communisme du temps qui vient.
Oui, c'est bien de révolution dont le parti, la politique comme la société ont besoin.
L'heure n'est donc pas à baisser les bras. Et je suis certain que ce n'est pas ce sentiment qui domine chez les communistes.
Par ailleurs, nos échecs électoraux n'ont-ils pas été un formidable révélateur -à travers les actes et les témoignages les plus divers- du refus, au plus profond de notre peuple, de voir disparaître le parti communiste, composante vitale de la démocratie française ?
Une nouvelle fois nous devons, camarades, résister et construire. Nous en avons les moyens.
(Source http://www.pcf.fr, le 27 juin 2002)