Texte intégral
Q - Dominique de Villepin, bonjour et bienvenue.
R - Bonjour Jean-Pierre Elkabbach.
Q - En deux mois, vous avez probablement passé plus de temps en voyage que dans votre bureau du Quai d'Orsay. Le monde paraît craquer de toute part et se renouveler dans la violence. Quel est, vu de si près, si je puis dire, l'état réel du monde et les principaux risques que nous courons.
R - Vous le soulignez à juste titre, le monde a connu beaucoup de chocs ces dernières années, depuis la chute du mur de Berlin, la mondialisation, le choc du 11 septembre. Nous sommes aujourd'hui dans un monde incertain, imprévisible et qui a besoin constamment des efforts des hommes pour lui donner un sens, lui donner une direction, c'est à cela qu'évidemment la diplomatie doit s'atteler au premier chef.
Q - Les principaux risques, où sont-ils ?
R - Les principaux risques existent maintenant partout à travers la planète. Il n'y a plus, je crois, de conflits régionaux, ces conflits avec lesquels on avait appris à vivre pendant des décennies. Tous ces conflits apparaissent aujourd'hui étroitement liés, ils sont susceptibles de s'envenimer et il faut donc essayer en permanence, non seulement de les réduire, mais de les régler.
Q - Par exemple, quand il y a un conflit entre l'Inde et le Pakistan ou le Proche-Orient, cela nous concerne directement même s'ils sont loin ?
R - Cela nous concerne directement, la tension entre deux pays qui ont une capacité nucléaire, personne ne peut s'en désintéresser. Il en va de même, bien évidemment, au Proche-Orient où l'on voit l'interférence de la tension se perpétuer en Europe, aux Etats-Unis. Il y a là, maintenant, des ondes de choc, des ondes de résonance qui nous concernent tous.
Q - Et on vit comme une sorte de course de vitesse entre l'équilibre et l'abîme, mais est-ce que c'est fatal ?
R - Rien n'est fatal. Je crois que dans l'histoire des hommes, on le sait depuis longtemps, la volonté, la bonne volonté peuvent changer bien des choses. Et c'est pour cela que nous sommes convaincus, et c'est un rôle particulier pour la diplomatie française, que la politique de sécurité et la politique de lutte contre le terrorisme, de lutte contre les facteurs d'instabilité, contre la prolifération, sont évidemment indispensables, une très grande mobilisation est nécessaire. Mais il faut aussi des efforts politiques, une politique de paix pour donner plus de stabilité au monde.
Q - Oui, mais pour l'Europe et pour une puissance comme la France, quelles sont les vraies marges de manuvre si l'on ne rêve pas, parce qu'on est une puissance moyenne, au sein d'une Europe qui est un continent important mais moyen par rapport aux grands...
R - Dégager des marges de manuvre, trouver des idées qui permettent de faire avancer les choses, contourner les blocages. On le voit au Proche-Orient par exemple, il y a aujourd'hui de grandes convergences entre l'approche des uns et des autres, entre l'approche américaine, entre l'approche des pays arabes depuis le Sommet de Beyrouth, entre l'approche européenne telle qu'elle s'est précisée au Conseil européen de Séville. Lutte contre le terrorisme, lutte pour promouvoir la réforme des autorités palestiniennes, lutte pour avoir des élections rapidement du côté palestinien dès le début de l'année.
Q - Est-ce que vous, vous croyez, Dominique de Villepin, aux élections pour les Palestiniens en 2003 et est-ce qu'elles peuvent avoir lieu sans obtenir le retrait des Israéliens des territoires qu'ils occupent ?
R - Il est très important que ces élections aient lieu. Il est très important qu'elles aient lieu dans un calendrier très rapproché parce qu'il faut redonner un espoir à ce peuple palestinien qui aujourd'hui a le sentiment de ne pas avoir d'avenir. Il faut répondre aussi à l'angoisse terroriste quotidienne que subissent les Israéliens. Il y a là aujourd'hui un cercle dangereux dont il faut sortir.
Q - Vous parlez du Proche-Orient, vous y avez effectué en peu de temps, deux visites coup sur coup. Vous avez rencontré Ariel Sharon, Yasser Arafat, le Syrien Bachar Al-Assad. C'est vrai que beaucoup baissent les bras. Mais comment concilie-t-on les stratégies, américaines, françaises ou européennes qui sont assez divergentes parce que les Américains veulent se débarrasser d'Arafat et on vous a vu dans la poignée de main avec Arafat donner le sentiment de le soutenir.
R - Ne personnalisons pas ce dossier, essayons de nous fixer un objectif et l'objectif de toutes les diplomaties, des Américains, des Européens, des pays arabes, d'Israël, c'est la paix. A partir de là, tout le monde s'entend aujourd'hui pour vouloir créer un Etat palestinien, un Etat palestinien vivant en paix et en sécurité à côté d'Israël. L'objectif est là. Il faut être pragmatique, il faut donc faire avancer et c'est le sens du discours du président Bush, tout ce qui peut avancer immédiatement : la réforme, les élections. Il faut parallèlement garder en tête que seule une solution politique permettra de régler complètement l'ensemble des problèmes, avec une approche globale concernant le volet entre Israël et les Palestiniens, le volet syrien, le volet libanais. Nous devons avoir cette vision d'ensemble et pour cela il nous faut un outil.
Q - Mais après ces visites, qu'est-ce qui vous fait encore croire qu'une négociation de paix reste possible et qu'elle est peut-être en vue ?
R - Tout simplement l'urgence de la situation. La situation est dramatique au Proche-Orient, mais elle peut le devenir encore plus. C'est cette urgence, c'est cette interdépendance entre les différents sujets dont le 11 septembre est la plus grande démonstration, qui doit nous pousser à toujours agir, à ne jamais baisser les bras. Et la conférence internationale aujourd'hui, permettant de mettre autour de la table l'ensemble des bonnes volontés, les parties arabes, les parties internationales, les parties au conflit, est susceptible de créer le momentum politique indispensable pour relancer le processus.
Q - Mais tout le monde y est prêt ?
R - Beaucoup sont prêts. J'étais à Moscou il y a quelques jours. Les Russes apportent le soutien à cette idée, les pays arabes sont prêts à encourager la recherche d'une solution dans ce sens. Il y a une grande évolution des esprits, je crois que tout le monde recherche aujourd'hui une solution. Il y a une réunion ministérielle au niveau du quartet qui est un outil politique très important puisqu'il y réunit les Nations unies, les Etats-Unis, l'Union européenne, la Russie. Il faut faire avancer les choses mais je crois que seule la conférence peut, avant les élections, redonner une impulsion indispensable.
Q - Dominique de Villepin, vous parlez beaucoup de l'attentat du 11 septembre à New York, qui a bouleversé à la fois la planète et l'Amérique, vous en revenez. Est-ce que la réponse la plus radicale au terrorisme est d'ordre militaire ?
R - Il faut incontestablement une détermination militaire quand c'est nécessaire, cela a été le cas en Afghanistan. Mais l'action militaire seule ne peut suffire, il faut des concertations, des coopérations dans le domaine policier, dans le domaine judiciaire, dans le domaine du renseignement. Il est très important de mobiliser l'ensemble de nos forces. Mais il faut aussi une action politique, une action diplomatique, qui permette véritablement de régler ces crises. On le voit de façon très intéressante en Afghanistan : nous coopérons pour la formation de l'armée afghane, nous coopérons pour la formation de la police, nous coopérons aussi pour éradiquer le trafic de drogue, nous coopérons pour créer une constitution, pour conforter un Etat de droit. C'est sur tous ces fronts qu'il faut avancer. La stabilité est à ce prix, sécurité mais aussi efforts de paix.
Q - Nos rapports avec les Etats-Unis s'étaient, on peut le reconnaître refroidis et peut-être dégradés. Washington vous a apparemment bien accueilli, vous aviez été diplomate à Washington autrefois, vous avez été en Inde, vous avez été directeur de cabinet d'Alain Juppé, faut-il le rappeler et puis pendant sept ans secrétaire général de l'Elysée. Comment faut-il parler aux Américains, pas seulement en anglais, mais comment faut-il leur parler ?
R - Avec les Etats-Unis c'est une longue et grande histoire que la nôtre. Nous étions avec eux au moment de l'Indépendance, ils étaient avec nous pendant la première et la dernière guerre mondiale. Nous avons toujours été ensemble dans les moments difficiles et nous devons garder cela en tête. Nous avons une exigence avec les Américains : une exigence de franchise.
Q - On peut avoir une exigence avec les Américains ?
R - Bien sûr.
Q - Et ils l'entendent celle là ?
R - Ils la partagent. C'est un peuple pragmatique, il veut agir, il a aujourd'hui une responsabilité particulièrement importante sur la scène internationale et notre souci à tous c'est de faire évoluer le monde d'imprévisible et d'incertain vers plus de sécurité.
Q - Mais concrètement depuis quelques mois, il y a une campagne anti-française qui s'est développée aux Etats-Unis. On nous a décrit comme racistes, xénophobes, antisémites. Est-ce que vous les avez convaincus, Dominique de Villepin, qu'ils se trompent et deuxièmement que la politique étrangère de la France ne dépend d'aucun lobby ou d'aucun groupe de pression ? Est-ce que vous y êtes arrivé ?
R - Oui, l'Administration américaine le comprend parfaitement. Elle sait et nous leur avons expliqué qu'il n'y a pas d'antisémitisme en France. Il y a certes des actes antisémites qui ont mobilisé les autorités françaises, le président de la République, le Premier ministre, tout cela est inacceptable, on a mobilisé l'ensemble des autorités françaises, je crois qu'aujourd'hui, bien évidemment, les autorités américaines en sont totalement convaincues. Et les autorités américaines sont aussi à la recherche de solutions. Il y a aujourd'hui un espace de doute, un espace de questions dans l'esprit de l'ensemble.
Q - Vous, vous parlez de l'hyperpuissance américaine, d'unilatéralisme ?
R - Non je crois qu'aujourd'hui le monde change. Ce qui menace aujourd'hui davantage le monde que l'excès de puissance c'est le vide de la puissance, ce qui implique que chacun prenne sa responsabilité. Aucune puissance sur la planète quelle qu'elle soit, ne peut détenir seule les clefs de la paix.
Q - Dominique de Villepin en quoi la diplomatie française est aujourd'hui différente de celle de vos prédécesseurs ?
R - Le monde change, chacun s'adapte à des situations différentes, nous sommes incontestablement dans un temps de l'action, action pour l'Union européenne. Il y a un formidable défi pour l'Europe, pour les générations à venir.
Q - Mais qu'est ce que cela veut dire l'action, parce que je sais que vous y tenez ?
R - L'action c'est, dans un monde instable, dans un monde imprévisible, introduire plus de certitudes, c'est à dire corriger par la volonté ce qui naturellement a tendance à se défaire, à s'effilocher.
Q - En sachant qu'il y a beaucoup d'imprévisibilité...
R - La démarche diplomatique doit prendre en compte aujourd'hui le hasard, mais aussi la nécessité et c'est là où la volonté prend toute sa place.
Q - Autre thème l'Europe, Paris reçoit avec beaucoup d'égard Edmund Stoiber le rival CDU-CSU du chancelier Schröder, peut-être pour préparer l'avenir. Vous l'avez vu hier, aujourd'hui le président de la République, le Premier ministre vont le voir, est-ce que vous vous sentez en harmonie avec lui et puis est-ce que Stoiber est la préférence française ?
R - Les relations franco-allemandes sont le moteur de l'Europe. C'est ce qui a fondé véritablement la construction européenne.
Q - On l'a oublié ?
R - Nous nous en rappelons et nous voulons faire en sorte que ce couple soit véritablement au cur du mouvement européen. Ces relations échappent très largement aux évolutions politiques. La volonté qui existe en Allemagne, la volonté qui existe en France de travailler ensemble est tout à fait centrale.
Q - Avec Stoiber, comme avec Schröder ou plus avec Stoiber qu'avec Schröder ?
R - L'histoire a prouvé que nous travaillons bien et que nous devions travailler les uns avec les autres, quelles que soient les formations politiques qu'on peut voir à Berlin ou à Paris.
Q - Et vous préparez beaucoup de choses pour les 40 ans du traité franco- allemand, bien sûr on en reparlera..
R - Nous avons des échéances très lourdes et très importantes avec nos amis allemands. Nous avons le Sommet européen de Schwerin à la fin du mois, nous avons la perspective, vous le rappelez du 40ème anniversaire du traité de l'Elysée. Le président de la République a fixé une grande ambition puisqu'il s'agit d'avoir un nouveau pacte fondateur entre la France et l'Allemagne qui passe par une grande déclaration politique qui permettra de redonner du souffle à cette relation.
Q - Deux mots, quand vous étiez aux Etats-Unis, est-ce qu'on vous a dit que Ben Laden était vivant ?
R - Non, nous n'avons pas évoqué la question.
Q - Bon autre chose : le Maroc et l'Espagne, deux monarchies sont sur le point d'en venir aux mains pour un rocher de 2 hectares habité par des chèvres. Pourquoi l'Union européenne et les Français n'interviennent-ils pas comme médiateurs, si c'est possible ?
R - Vous le savez mieux que quiconque, Jean-Pierre Elkabbach, le Maroc et l'Espagne sont deux pays amis, très proches de la France. L'Union européenne, la France ont vocation à jouer un rôle de modération et d'encouragement auprès de ces deux Etats pour régler pacifiquement, c'est évident, le différend qui aujourd'hui les oppose.
Q - Encore une dernière question : Madagascar. Vous y êtes intervenu sur place et je pense pouvoir dire, avec fermeté. La paix civile apparemment est revenue, le nouveau pouvoir s'installe, l'ancien, Ratsiraka, est en exil à Paris. Est-ce que cela veut dire que la France se donne un droit et une mission d'ingérence démocratique là où il faut ?
R - La France a un devoir d'amitié vis à vis du continent africain, vis à vis d'un pays comme Madagascar que la France connaît bien. Nous avons cherché à accompagner le mouvement démocratique, le mouvement de réconciliation.
Q - Mais est-ce que ça veut dire qu'à chaque fois qu'il y aura des tensions de pouvoir entre ici ou là en Afrique... la France va intervenir ?
R - A chaque fois qu'il y a une situation de crise en particulier concernant des pays amis, la France a une responsabilité et un rôle particulier à jouer.
Q - Et la pratique est différente là de celle de vos prédécesseurs.
R - Il y a une volonté d'engagement de la France aujourd'hui sur la scène internationale, c'est très clair.
Q - Merci.
R - Merci Jean-Pierre Elkabbach.
Q - Merci, bonne journée et bon voyage, le prochain c'est où ?
R - Angola, Mozambique, Côte d'Ivoire et Burkina Faso.
Q - Bon courage, bon été.
R - Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juillet 2002)
R - Bonjour Jean-Pierre Elkabbach.
Q - En deux mois, vous avez probablement passé plus de temps en voyage que dans votre bureau du Quai d'Orsay. Le monde paraît craquer de toute part et se renouveler dans la violence. Quel est, vu de si près, si je puis dire, l'état réel du monde et les principaux risques que nous courons.
R - Vous le soulignez à juste titre, le monde a connu beaucoup de chocs ces dernières années, depuis la chute du mur de Berlin, la mondialisation, le choc du 11 septembre. Nous sommes aujourd'hui dans un monde incertain, imprévisible et qui a besoin constamment des efforts des hommes pour lui donner un sens, lui donner une direction, c'est à cela qu'évidemment la diplomatie doit s'atteler au premier chef.
Q - Les principaux risques, où sont-ils ?
R - Les principaux risques existent maintenant partout à travers la planète. Il n'y a plus, je crois, de conflits régionaux, ces conflits avec lesquels on avait appris à vivre pendant des décennies. Tous ces conflits apparaissent aujourd'hui étroitement liés, ils sont susceptibles de s'envenimer et il faut donc essayer en permanence, non seulement de les réduire, mais de les régler.
Q - Par exemple, quand il y a un conflit entre l'Inde et le Pakistan ou le Proche-Orient, cela nous concerne directement même s'ils sont loin ?
R - Cela nous concerne directement, la tension entre deux pays qui ont une capacité nucléaire, personne ne peut s'en désintéresser. Il en va de même, bien évidemment, au Proche-Orient où l'on voit l'interférence de la tension se perpétuer en Europe, aux Etats-Unis. Il y a là, maintenant, des ondes de choc, des ondes de résonance qui nous concernent tous.
Q - Et on vit comme une sorte de course de vitesse entre l'équilibre et l'abîme, mais est-ce que c'est fatal ?
R - Rien n'est fatal. Je crois que dans l'histoire des hommes, on le sait depuis longtemps, la volonté, la bonne volonté peuvent changer bien des choses. Et c'est pour cela que nous sommes convaincus, et c'est un rôle particulier pour la diplomatie française, que la politique de sécurité et la politique de lutte contre le terrorisme, de lutte contre les facteurs d'instabilité, contre la prolifération, sont évidemment indispensables, une très grande mobilisation est nécessaire. Mais il faut aussi des efforts politiques, une politique de paix pour donner plus de stabilité au monde.
Q - Oui, mais pour l'Europe et pour une puissance comme la France, quelles sont les vraies marges de manuvre si l'on ne rêve pas, parce qu'on est une puissance moyenne, au sein d'une Europe qui est un continent important mais moyen par rapport aux grands...
R - Dégager des marges de manuvre, trouver des idées qui permettent de faire avancer les choses, contourner les blocages. On le voit au Proche-Orient par exemple, il y a aujourd'hui de grandes convergences entre l'approche des uns et des autres, entre l'approche américaine, entre l'approche des pays arabes depuis le Sommet de Beyrouth, entre l'approche européenne telle qu'elle s'est précisée au Conseil européen de Séville. Lutte contre le terrorisme, lutte pour promouvoir la réforme des autorités palestiniennes, lutte pour avoir des élections rapidement du côté palestinien dès le début de l'année.
Q - Est-ce que vous, vous croyez, Dominique de Villepin, aux élections pour les Palestiniens en 2003 et est-ce qu'elles peuvent avoir lieu sans obtenir le retrait des Israéliens des territoires qu'ils occupent ?
R - Il est très important que ces élections aient lieu. Il est très important qu'elles aient lieu dans un calendrier très rapproché parce qu'il faut redonner un espoir à ce peuple palestinien qui aujourd'hui a le sentiment de ne pas avoir d'avenir. Il faut répondre aussi à l'angoisse terroriste quotidienne que subissent les Israéliens. Il y a là aujourd'hui un cercle dangereux dont il faut sortir.
Q - Vous parlez du Proche-Orient, vous y avez effectué en peu de temps, deux visites coup sur coup. Vous avez rencontré Ariel Sharon, Yasser Arafat, le Syrien Bachar Al-Assad. C'est vrai que beaucoup baissent les bras. Mais comment concilie-t-on les stratégies, américaines, françaises ou européennes qui sont assez divergentes parce que les Américains veulent se débarrasser d'Arafat et on vous a vu dans la poignée de main avec Arafat donner le sentiment de le soutenir.
R - Ne personnalisons pas ce dossier, essayons de nous fixer un objectif et l'objectif de toutes les diplomaties, des Américains, des Européens, des pays arabes, d'Israël, c'est la paix. A partir de là, tout le monde s'entend aujourd'hui pour vouloir créer un Etat palestinien, un Etat palestinien vivant en paix et en sécurité à côté d'Israël. L'objectif est là. Il faut être pragmatique, il faut donc faire avancer et c'est le sens du discours du président Bush, tout ce qui peut avancer immédiatement : la réforme, les élections. Il faut parallèlement garder en tête que seule une solution politique permettra de régler complètement l'ensemble des problèmes, avec une approche globale concernant le volet entre Israël et les Palestiniens, le volet syrien, le volet libanais. Nous devons avoir cette vision d'ensemble et pour cela il nous faut un outil.
Q - Mais après ces visites, qu'est-ce qui vous fait encore croire qu'une négociation de paix reste possible et qu'elle est peut-être en vue ?
R - Tout simplement l'urgence de la situation. La situation est dramatique au Proche-Orient, mais elle peut le devenir encore plus. C'est cette urgence, c'est cette interdépendance entre les différents sujets dont le 11 septembre est la plus grande démonstration, qui doit nous pousser à toujours agir, à ne jamais baisser les bras. Et la conférence internationale aujourd'hui, permettant de mettre autour de la table l'ensemble des bonnes volontés, les parties arabes, les parties internationales, les parties au conflit, est susceptible de créer le momentum politique indispensable pour relancer le processus.
Q - Mais tout le monde y est prêt ?
R - Beaucoup sont prêts. J'étais à Moscou il y a quelques jours. Les Russes apportent le soutien à cette idée, les pays arabes sont prêts à encourager la recherche d'une solution dans ce sens. Il y a une grande évolution des esprits, je crois que tout le monde recherche aujourd'hui une solution. Il y a une réunion ministérielle au niveau du quartet qui est un outil politique très important puisqu'il y réunit les Nations unies, les Etats-Unis, l'Union européenne, la Russie. Il faut faire avancer les choses mais je crois que seule la conférence peut, avant les élections, redonner une impulsion indispensable.
Q - Dominique de Villepin, vous parlez beaucoup de l'attentat du 11 septembre à New York, qui a bouleversé à la fois la planète et l'Amérique, vous en revenez. Est-ce que la réponse la plus radicale au terrorisme est d'ordre militaire ?
R - Il faut incontestablement une détermination militaire quand c'est nécessaire, cela a été le cas en Afghanistan. Mais l'action militaire seule ne peut suffire, il faut des concertations, des coopérations dans le domaine policier, dans le domaine judiciaire, dans le domaine du renseignement. Il est très important de mobiliser l'ensemble de nos forces. Mais il faut aussi une action politique, une action diplomatique, qui permette véritablement de régler ces crises. On le voit de façon très intéressante en Afghanistan : nous coopérons pour la formation de l'armée afghane, nous coopérons pour la formation de la police, nous coopérons aussi pour éradiquer le trafic de drogue, nous coopérons pour créer une constitution, pour conforter un Etat de droit. C'est sur tous ces fronts qu'il faut avancer. La stabilité est à ce prix, sécurité mais aussi efforts de paix.
Q - Nos rapports avec les Etats-Unis s'étaient, on peut le reconnaître refroidis et peut-être dégradés. Washington vous a apparemment bien accueilli, vous aviez été diplomate à Washington autrefois, vous avez été en Inde, vous avez été directeur de cabinet d'Alain Juppé, faut-il le rappeler et puis pendant sept ans secrétaire général de l'Elysée. Comment faut-il parler aux Américains, pas seulement en anglais, mais comment faut-il leur parler ?
R - Avec les Etats-Unis c'est une longue et grande histoire que la nôtre. Nous étions avec eux au moment de l'Indépendance, ils étaient avec nous pendant la première et la dernière guerre mondiale. Nous avons toujours été ensemble dans les moments difficiles et nous devons garder cela en tête. Nous avons une exigence avec les Américains : une exigence de franchise.
Q - On peut avoir une exigence avec les Américains ?
R - Bien sûr.
Q - Et ils l'entendent celle là ?
R - Ils la partagent. C'est un peuple pragmatique, il veut agir, il a aujourd'hui une responsabilité particulièrement importante sur la scène internationale et notre souci à tous c'est de faire évoluer le monde d'imprévisible et d'incertain vers plus de sécurité.
Q - Mais concrètement depuis quelques mois, il y a une campagne anti-française qui s'est développée aux Etats-Unis. On nous a décrit comme racistes, xénophobes, antisémites. Est-ce que vous les avez convaincus, Dominique de Villepin, qu'ils se trompent et deuxièmement que la politique étrangère de la France ne dépend d'aucun lobby ou d'aucun groupe de pression ? Est-ce que vous y êtes arrivé ?
R - Oui, l'Administration américaine le comprend parfaitement. Elle sait et nous leur avons expliqué qu'il n'y a pas d'antisémitisme en France. Il y a certes des actes antisémites qui ont mobilisé les autorités françaises, le président de la République, le Premier ministre, tout cela est inacceptable, on a mobilisé l'ensemble des autorités françaises, je crois qu'aujourd'hui, bien évidemment, les autorités américaines en sont totalement convaincues. Et les autorités américaines sont aussi à la recherche de solutions. Il y a aujourd'hui un espace de doute, un espace de questions dans l'esprit de l'ensemble.
Q - Vous, vous parlez de l'hyperpuissance américaine, d'unilatéralisme ?
R - Non je crois qu'aujourd'hui le monde change. Ce qui menace aujourd'hui davantage le monde que l'excès de puissance c'est le vide de la puissance, ce qui implique que chacun prenne sa responsabilité. Aucune puissance sur la planète quelle qu'elle soit, ne peut détenir seule les clefs de la paix.
Q - Dominique de Villepin en quoi la diplomatie française est aujourd'hui différente de celle de vos prédécesseurs ?
R - Le monde change, chacun s'adapte à des situations différentes, nous sommes incontestablement dans un temps de l'action, action pour l'Union européenne. Il y a un formidable défi pour l'Europe, pour les générations à venir.
Q - Mais qu'est ce que cela veut dire l'action, parce que je sais que vous y tenez ?
R - L'action c'est, dans un monde instable, dans un monde imprévisible, introduire plus de certitudes, c'est à dire corriger par la volonté ce qui naturellement a tendance à se défaire, à s'effilocher.
Q - En sachant qu'il y a beaucoup d'imprévisibilité...
R - La démarche diplomatique doit prendre en compte aujourd'hui le hasard, mais aussi la nécessité et c'est là où la volonté prend toute sa place.
Q - Autre thème l'Europe, Paris reçoit avec beaucoup d'égard Edmund Stoiber le rival CDU-CSU du chancelier Schröder, peut-être pour préparer l'avenir. Vous l'avez vu hier, aujourd'hui le président de la République, le Premier ministre vont le voir, est-ce que vous vous sentez en harmonie avec lui et puis est-ce que Stoiber est la préférence française ?
R - Les relations franco-allemandes sont le moteur de l'Europe. C'est ce qui a fondé véritablement la construction européenne.
Q - On l'a oublié ?
R - Nous nous en rappelons et nous voulons faire en sorte que ce couple soit véritablement au cur du mouvement européen. Ces relations échappent très largement aux évolutions politiques. La volonté qui existe en Allemagne, la volonté qui existe en France de travailler ensemble est tout à fait centrale.
Q - Avec Stoiber, comme avec Schröder ou plus avec Stoiber qu'avec Schröder ?
R - L'histoire a prouvé que nous travaillons bien et que nous devions travailler les uns avec les autres, quelles que soient les formations politiques qu'on peut voir à Berlin ou à Paris.
Q - Et vous préparez beaucoup de choses pour les 40 ans du traité franco- allemand, bien sûr on en reparlera..
R - Nous avons des échéances très lourdes et très importantes avec nos amis allemands. Nous avons le Sommet européen de Schwerin à la fin du mois, nous avons la perspective, vous le rappelez du 40ème anniversaire du traité de l'Elysée. Le président de la République a fixé une grande ambition puisqu'il s'agit d'avoir un nouveau pacte fondateur entre la France et l'Allemagne qui passe par une grande déclaration politique qui permettra de redonner du souffle à cette relation.
Q - Deux mots, quand vous étiez aux Etats-Unis, est-ce qu'on vous a dit que Ben Laden était vivant ?
R - Non, nous n'avons pas évoqué la question.
Q - Bon autre chose : le Maroc et l'Espagne, deux monarchies sont sur le point d'en venir aux mains pour un rocher de 2 hectares habité par des chèvres. Pourquoi l'Union européenne et les Français n'interviennent-ils pas comme médiateurs, si c'est possible ?
R - Vous le savez mieux que quiconque, Jean-Pierre Elkabbach, le Maroc et l'Espagne sont deux pays amis, très proches de la France. L'Union européenne, la France ont vocation à jouer un rôle de modération et d'encouragement auprès de ces deux Etats pour régler pacifiquement, c'est évident, le différend qui aujourd'hui les oppose.
Q - Encore une dernière question : Madagascar. Vous y êtes intervenu sur place et je pense pouvoir dire, avec fermeté. La paix civile apparemment est revenue, le nouveau pouvoir s'installe, l'ancien, Ratsiraka, est en exil à Paris. Est-ce que cela veut dire que la France se donne un droit et une mission d'ingérence démocratique là où il faut ?
R - La France a un devoir d'amitié vis à vis du continent africain, vis à vis d'un pays comme Madagascar que la France connaît bien. Nous avons cherché à accompagner le mouvement démocratique, le mouvement de réconciliation.
Q - Mais est-ce que ça veut dire qu'à chaque fois qu'il y aura des tensions de pouvoir entre ici ou là en Afrique... la France va intervenir ?
R - A chaque fois qu'il y a une situation de crise en particulier concernant des pays amis, la France a une responsabilité et un rôle particulier à jouer.
Q - Et la pratique est différente là de celle de vos prédécesseurs.
R - Il y a une volonté d'engagement de la France aujourd'hui sur la scène internationale, c'est très clair.
Q - Merci.
R - Merci Jean-Pierre Elkabbach.
Q - Merci, bonne journée et bon voyage, le prochain c'est où ?
R - Angola, Mozambique, Côte d'Ivoire et Burkina Faso.
Q - Bon courage, bon été.
R - Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juillet 2002)