Texte intégral
Q - Mme la Ministre, Noëlle Lenoir, quel sentiment, quelles réflexions vous ont inspiré la quasi-absence des thèmes européens pendant les deux campagnes électorales que nous avons vécues au printemps ?
R - Ce n'est pas tout à fait exact, puisque le président de la République, au tout début de sa campagne présidentielle, a fait un grand discours sur l'Europe à Strasbourg, en mars, qui d'ailleurs n'a pas été très bien relayé par les médias, de même que les médias sont souvent peu intéressés par l'Europe. Mais vous avez raison de dire que, par rapport à nos partenaires européens, nous n'aimons pas beaucoup parler de l'Europe sur les ondes, à la télévision, ou dans les débats politiques. Je le reconnais, c'est d'ailleurs une de mes tâches, que d'essayer de remédier à cela.
Q - Vous avez une formation de juriste, vous êtes une spécialiste de la bioéthique. Vous avez été membre du Conseil d'Etat, puis membre du Conseil constitutionnel. Quelle a été votre réaction lorsque le Premier ministre vous a proposé ce poste de ministre déléguée aux Affaires européennes ?
R - Je dois dire que je n'ai pas hésité une seconde à accepter ce qui est pour moi le grand dossier du siècle. Si nous devons avoir un espace de paix - ce que je souhaite -, je pense que l'Europe, c'est vraiment le projet. On ne peut pas parler d'Europe en regardant dans le rétroviseur. C'est vraiment ce qui nous attend demain : comment va-t-on arriver à vivre ensemble dans un cadre qui est celui de l'Europe, de la vraie Europe, et non plus de l'Europe déchirée ou partagée en deux.
Q - Alors, avant d'entrer dans le vif des dossiers européens, revenons sur les quelques semaines du début du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. La campagne présidentielle, je le disais tout à l'heure, et puis celle des législatives, ont tourné autour de la sécurité, de la fiscalité, de l'emploi. Au cours de la session extraordinaire du Parlement qui vient de s'achever, on a concrétisé les promesses autour de ces thèmes, et il n'a toujours pas été question d'Europe. Jean-Pierre Raffarin y a fait une allusion à la fin de sa déclaration de politique générale - une déclaration de principe sur la construction européenne -. Alors, on aurait tendance à penser que ce gouvernement est euro-sceptique ou euro-timide.
R - Je m'inscris totalement en faux contre cette supposition. Sur un plan très concret, et dans la ligne de ce qu'a défini le Premier ministre, des mesures ont déjà été prises pour que la politique régionale puisse s'appliquer réellement, pour que les élus, sur le terrain, puissent bénéficier des réalisations que leur propose l'Europe au titre de ces projets financés par des fonds structurels. Une grande réforme est à l'oeuvre pour que ces projets puissent se réaliser, alors que, c'est un peu de notre faute, il faut le dire, on a obtenu beaucoup de crédits, 16 milliards d'euros de 2000 à 2004, et on en a consommé à peine 10% à ce jour. Je crois qu'il faut que cela change.
Q - Le problème c'est que lorsqu'on ne les utilise pas, il faut les rendre à la Commission ?)
R - Il faut les rendre, et parfois même des amendes sont infligées, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent. Autre point intéressant, c'est que l'Europe va de plus en plus s'inscrire dans le local. Il faut vraiment que les politiques et les citoyens se réapproprient l'Europe. Par exemple, pour les fonds structurels, une région, l'Alsace, a été choisie - à sa demande, d'ailleurs -, pour avoir la gestion en propre de l'utilisation de ces fonds au lieu de passer par les services de l'Etat, et le cas va faire école.
Q - Alors vous dites, pour l'instant l'euro-scepticisme ou l'euro-timidité de Jean-Pierre Raffarin ce sont des "suppositions". Mais il y a tout de même eu des déclarations et des actes. Depuis qu'il est à la tête du gouvernement, il y a eu tout ce débat autour du retour à l'équilibre budgétaire en 2004, qui est prévu par l'Union européenne, il y a eu le non à la réforme sur la pêche, un quasi non à la réforme de la PAC, qui est proposée par le Commissaire européen chargé de ce dossier. Il y a aussi le décret sur les dates de la chasse. Est-ce qu'il fallait envoyer ce genre de signaux à nos partenaires, qui nous soupçonnent toujours d'être de mauvais élèves, et en plus de mauvais élèves arrogants ?
R - L'arrogance française, c'est souvent une critique qu'on nous fait. Elle est parfois justifiée, parfois moins. Ce que je voulais dire avant de parler de la Convention, c'est-à-dire vraiment du dossier qui est sur la table du gouvernement, mais qui est aussi celui de tous les citoyens du pays et de tous les citoyens européens, c'est-à-dire, comment va-t-on gérer l'Europe, conduire les avancées européennes à 25, 27 ou davantage de pays au lieu des 15 Etats-membres actuels. C'est cela le grand dossier, qui est actuellement la priorité des priorités gouvernementales. Sur le reste, l'Europe, c'est un espace de négociation. Les Anglais sont très attachés à ce qu'on appelle le "chèque britannique", c'est-à-dire une ressource qu'on leur reverse pour qu'ils ne soient pas contributeurs nets à l'Europe. Les Espagnols ont les fonds de cohésion qui ont permis un développement régional assez spectaculaire. Nous, nous nous inscrivons dans le cadre du développement, de la croissance, de la promotion de l'agriculture européenne. L'Europe a fait le choix d'être un grand espace agricole, et ce choix va être maintenu, notamment avec l'élargissement. On ne peut pas se permettre d'être complètement dépendant des marchés extérieurs dans un secteur aussi vital pour la population. C'est vrai que la France a une tradition séculaire, c'est vrai qu'elle a une tradition d'excellence. Nous sommes les premiers exportateurs mondiaux de produits agricoles transformés ; un accord a été passé en 1999, à Berlin, sur certaines aides, non seulement des aides au développement rural, par exemple pour respecter l'environnement, mais aussi des aides au revenu. Comme il est admis par tous, quelles que soient les sensibilités politiques ou les horizons professionnels dont sont issus les uns et les autres, il est admis que l'agriculture ne peut pas être livrée complètement au marché, qu'elle doit être subventionnée pour des raisons évidentes, et c'est le système de subvention qui est discuté. Alors, je crois qu'il y a une règle éthique au niveau européen, on a conclu un accord très difficile, et cet accord vaut jusqu'en 2006. On ne peut pas revenir sur des règles du jeu qui ont été arrêtées. Nous sommes ouverts à la discussion, y compris maintenant, y compris avec nos partenaires allemands, comme l'a d'ailleurs répété le président de la République au chancelier allemand.
Q - Justement, Noëlle Lenoir, la PAC pose une question fondamentale pour l'avenir de l'Europe : celle du couple franco-allemand. Là-dessus les positions des deux pays sont totalement antagonistes. Or, le président Chirac, vous venez de le dire, veut refonder le moteur franco-allemand. Là encore, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux chercher un compromis avec Berlin, plutôt que dire "il n'y a rien à négocier sur l'agriculture avant 2006"?
R - Je suis heureuse que vous évoquiez le couple franco-allemand, parce que j'ai été confortée dans mon idée que, bien que la réconciliation franco-allemande soit maintenant un acquis, parfois elle n'a pas de résonance chez les jeunes. Cela a été la fondation de l'Europe. Or, on se rend compte que si ces deux grands pays ne sont pas d'accord, la machine, dans son ensemble, ne peut pas fonctionner. Il a été décidé d'avoir un dialogue sur l'agriculture, y compris maintenant avec les Allemands, et aussi de constituer des groupes de travail pour parvenir à des positions communes sur l'avenir de l'Europe. Je peux vous dire qu'à Schwerin, le climat était excellent, et la machine est repartie.
Q - Noëlle Lenoir, c'est banal de le dire, l'Europe souffre d'un déficit d'explication. Qu'est-ce que vous comptez faire à partir d'après les vacances pour expliquer aux Français que l'Europe peut être aussi quelque chose qui leur est très proche, la "proximité" si chère à Jean-Pierre Raffarin ?)
R - Expliquer, cela veut dire aller sur le terrain, associer les élus. Je vais recevoir pour un séminaire de travail tous les présidents d'associations d'élus locaux, pour essayer de voir avec eux - les régions, les villes, les départements, les parlementaires - comment on peut expliquer l'Europe. L'institutionnel est un peu compliqué, il faut le dire, que ce soit à l'intérieur de nos frontières nationales ou au niveau européen. En revanche, il faut dire aux jeunes à quoi sert l'Europe : plus d'emplois, plus d'ouverture d'esprit, plus de rencontres avec des gens différents, plus de mobilité pour les étudiants, plus de liberté d'expression, et aussi, plus de sécurité, plus de paix et un avenir qu'on maîtrise mieux.
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(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 août 2002)
R - Ce n'est pas tout à fait exact, puisque le président de la République, au tout début de sa campagne présidentielle, a fait un grand discours sur l'Europe à Strasbourg, en mars, qui d'ailleurs n'a pas été très bien relayé par les médias, de même que les médias sont souvent peu intéressés par l'Europe. Mais vous avez raison de dire que, par rapport à nos partenaires européens, nous n'aimons pas beaucoup parler de l'Europe sur les ondes, à la télévision, ou dans les débats politiques. Je le reconnais, c'est d'ailleurs une de mes tâches, que d'essayer de remédier à cela.
Q - Vous avez une formation de juriste, vous êtes une spécialiste de la bioéthique. Vous avez été membre du Conseil d'Etat, puis membre du Conseil constitutionnel. Quelle a été votre réaction lorsque le Premier ministre vous a proposé ce poste de ministre déléguée aux Affaires européennes ?
R - Je dois dire que je n'ai pas hésité une seconde à accepter ce qui est pour moi le grand dossier du siècle. Si nous devons avoir un espace de paix - ce que je souhaite -, je pense que l'Europe, c'est vraiment le projet. On ne peut pas parler d'Europe en regardant dans le rétroviseur. C'est vraiment ce qui nous attend demain : comment va-t-on arriver à vivre ensemble dans un cadre qui est celui de l'Europe, de la vraie Europe, et non plus de l'Europe déchirée ou partagée en deux.
Q - Alors, avant d'entrer dans le vif des dossiers européens, revenons sur les quelques semaines du début du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. La campagne présidentielle, je le disais tout à l'heure, et puis celle des législatives, ont tourné autour de la sécurité, de la fiscalité, de l'emploi. Au cours de la session extraordinaire du Parlement qui vient de s'achever, on a concrétisé les promesses autour de ces thèmes, et il n'a toujours pas été question d'Europe. Jean-Pierre Raffarin y a fait une allusion à la fin de sa déclaration de politique générale - une déclaration de principe sur la construction européenne -. Alors, on aurait tendance à penser que ce gouvernement est euro-sceptique ou euro-timide.
R - Je m'inscris totalement en faux contre cette supposition. Sur un plan très concret, et dans la ligne de ce qu'a défini le Premier ministre, des mesures ont déjà été prises pour que la politique régionale puisse s'appliquer réellement, pour que les élus, sur le terrain, puissent bénéficier des réalisations que leur propose l'Europe au titre de ces projets financés par des fonds structurels. Une grande réforme est à l'oeuvre pour que ces projets puissent se réaliser, alors que, c'est un peu de notre faute, il faut le dire, on a obtenu beaucoup de crédits, 16 milliards d'euros de 2000 à 2004, et on en a consommé à peine 10% à ce jour. Je crois qu'il faut que cela change.
Q - Le problème c'est que lorsqu'on ne les utilise pas, il faut les rendre à la Commission ?)
R - Il faut les rendre, et parfois même des amendes sont infligées, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent. Autre point intéressant, c'est que l'Europe va de plus en plus s'inscrire dans le local. Il faut vraiment que les politiques et les citoyens se réapproprient l'Europe. Par exemple, pour les fonds structurels, une région, l'Alsace, a été choisie - à sa demande, d'ailleurs -, pour avoir la gestion en propre de l'utilisation de ces fonds au lieu de passer par les services de l'Etat, et le cas va faire école.
Q - Alors vous dites, pour l'instant l'euro-scepticisme ou l'euro-timidité de Jean-Pierre Raffarin ce sont des "suppositions". Mais il y a tout de même eu des déclarations et des actes. Depuis qu'il est à la tête du gouvernement, il y a eu tout ce débat autour du retour à l'équilibre budgétaire en 2004, qui est prévu par l'Union européenne, il y a eu le non à la réforme sur la pêche, un quasi non à la réforme de la PAC, qui est proposée par le Commissaire européen chargé de ce dossier. Il y a aussi le décret sur les dates de la chasse. Est-ce qu'il fallait envoyer ce genre de signaux à nos partenaires, qui nous soupçonnent toujours d'être de mauvais élèves, et en plus de mauvais élèves arrogants ?
R - L'arrogance française, c'est souvent une critique qu'on nous fait. Elle est parfois justifiée, parfois moins. Ce que je voulais dire avant de parler de la Convention, c'est-à-dire vraiment du dossier qui est sur la table du gouvernement, mais qui est aussi celui de tous les citoyens du pays et de tous les citoyens européens, c'est-à-dire, comment va-t-on gérer l'Europe, conduire les avancées européennes à 25, 27 ou davantage de pays au lieu des 15 Etats-membres actuels. C'est cela le grand dossier, qui est actuellement la priorité des priorités gouvernementales. Sur le reste, l'Europe, c'est un espace de négociation. Les Anglais sont très attachés à ce qu'on appelle le "chèque britannique", c'est-à-dire une ressource qu'on leur reverse pour qu'ils ne soient pas contributeurs nets à l'Europe. Les Espagnols ont les fonds de cohésion qui ont permis un développement régional assez spectaculaire. Nous, nous nous inscrivons dans le cadre du développement, de la croissance, de la promotion de l'agriculture européenne. L'Europe a fait le choix d'être un grand espace agricole, et ce choix va être maintenu, notamment avec l'élargissement. On ne peut pas se permettre d'être complètement dépendant des marchés extérieurs dans un secteur aussi vital pour la population. C'est vrai que la France a une tradition séculaire, c'est vrai qu'elle a une tradition d'excellence. Nous sommes les premiers exportateurs mondiaux de produits agricoles transformés ; un accord a été passé en 1999, à Berlin, sur certaines aides, non seulement des aides au développement rural, par exemple pour respecter l'environnement, mais aussi des aides au revenu. Comme il est admis par tous, quelles que soient les sensibilités politiques ou les horizons professionnels dont sont issus les uns et les autres, il est admis que l'agriculture ne peut pas être livrée complètement au marché, qu'elle doit être subventionnée pour des raisons évidentes, et c'est le système de subvention qui est discuté. Alors, je crois qu'il y a une règle éthique au niveau européen, on a conclu un accord très difficile, et cet accord vaut jusqu'en 2006. On ne peut pas revenir sur des règles du jeu qui ont été arrêtées. Nous sommes ouverts à la discussion, y compris maintenant, y compris avec nos partenaires allemands, comme l'a d'ailleurs répété le président de la République au chancelier allemand.
Q - Justement, Noëlle Lenoir, la PAC pose une question fondamentale pour l'avenir de l'Europe : celle du couple franco-allemand. Là-dessus les positions des deux pays sont totalement antagonistes. Or, le président Chirac, vous venez de le dire, veut refonder le moteur franco-allemand. Là encore, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux chercher un compromis avec Berlin, plutôt que dire "il n'y a rien à négocier sur l'agriculture avant 2006"?
R - Je suis heureuse que vous évoquiez le couple franco-allemand, parce que j'ai été confortée dans mon idée que, bien que la réconciliation franco-allemande soit maintenant un acquis, parfois elle n'a pas de résonance chez les jeunes. Cela a été la fondation de l'Europe. Or, on se rend compte que si ces deux grands pays ne sont pas d'accord, la machine, dans son ensemble, ne peut pas fonctionner. Il a été décidé d'avoir un dialogue sur l'agriculture, y compris maintenant avec les Allemands, et aussi de constituer des groupes de travail pour parvenir à des positions communes sur l'avenir de l'Europe. Je peux vous dire qu'à Schwerin, le climat était excellent, et la machine est repartie.
Q - Noëlle Lenoir, c'est banal de le dire, l'Europe souffre d'un déficit d'explication. Qu'est-ce que vous comptez faire à partir d'après les vacances pour expliquer aux Français que l'Europe peut être aussi quelque chose qui leur est très proche, la "proximité" si chère à Jean-Pierre Raffarin ?)
R - Expliquer, cela veut dire aller sur le terrain, associer les élus. Je vais recevoir pour un séminaire de travail tous les présidents d'associations d'élus locaux, pour essayer de voir avec eux - les régions, les villes, les départements, les parlementaires - comment on peut expliquer l'Europe. L'institutionnel est un peu compliqué, il faut le dire, que ce soit à l'intérieur de nos frontières nationales ou au niveau européen. En revanche, il faut dire aux jeunes à quoi sert l'Europe : plus d'emplois, plus d'ouverture d'esprit, plus de rencontres avec des gens différents, plus de mobilité pour les étudiants, plus de liberté d'expression, et aussi, plus de sécurité, plus de paix et un avenir qu'on maîtrise mieux.
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(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 août 2002)