Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur la politique de la recherche et sa place dans l'espace européen de recherche, La Défense le 18 juillet 2002.

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Circonstance : Table ronde sur la "Recherche : les défis européens " à La Défense le 18 juillet 2002

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un grand honneur d'animer, dans le cadre des Journées du Réseau, cette table ronde consacrée aux défis européens de la Recherche. Je mesure à quel point le travail que vous menez pour porter hors de France l'excellence de la science et de la culture françaises est décisif pour le rayonnement de notre pays en Europe et dans le monde. Vous êtes nos ambassadeurs.
J'ai eu l'occasion de publier il y a quelques jours un article dans lequel j'expose les grandes orientations de la politique gouvernementale de recherche pour les prochaines années. Je voudrais ici, à cette occasion, en reprendre quelques aspects adaptés à votre réunion.
Une grande ambition pour la France au sein de l'Espace européen de recherche
Je suis convaincue que les orientations de notre politique de recherche et notre mobilisation en faveur de l'innovation conditionneront dans les décennies à venir la place et le rayonnement de la France en Europe et dans le monde.
L'importance cruciale de la coopération internationale dans le domaine de la recherche n'est plus à démontrer.
Il suffit de songer au succès du Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN) à Genève de l'European Synchrotron Research Facility (ESRF) à Grenoble, à Ariane, aux bourses Curie de mobilité des jeunes chercheurs.
Tout récemment, la découverte de Toumaï, plus ancien hominidé connu à ce jour, par une équipe comportant une dizaine de nationalités différentes et dirigée par le professeur Brunet de l'Université de Poitiers a constitué une preuve nouvelle des réalisations que la coopération scientifique et technologique internationale rendait possibles.
A l'échelle de notre continent tout entier, L'Espace européen de Recherche est aujourd'hui une réalité à construire. Bien plus, c'est une nécessité si nous voulons que la France, avec ses partenaires européens, puisse combler le "fossé" qui s'est creusé par rapport aux Etats-Unis en matière de crédits de Recherche et Développement, si nous voulons que la France joue un rôle moteur dans la mise en place effective de l'espace européen de recherche.
D'après Philippe Busquin, Commissaire européen à la Recherche, ce retard est évalué à 76 milliards d'euro par an en terme de dotation financière. Même si nous savons bien que les données budgétaires ne sont pas le meilleur indicateur de l'excellence scientifique que nous visons, songeons, pour situer l'ampleur de cet écart, au fait que la DIRD (Dépense intérieure de recherche et développement) en France est de l'ordre de 18 milliards d'euro.
On peut, certes, regretter que les incitations et le soutien venus de l'Europe soient encore trop faibles, en particulier en direction des chercheurs et enseignants-chercheurs. Pourtant, des impulsions décisives ont été données avec notamment l'adoption du 6ème Programme Cadre de Recherche et Développement (PCRD), doté de 17,5 milliards d'euro sur quatre ans (2003-2006), ce qui en fait le troisième budget opérationnel de l'Union après la Politique Agricole Commune et les fonds structurels.
On peut, également, estimer que les incitations et le soutien venus de l'Europe sont encore insuffisants, en particulier en direction de la recherche fondamentale. Cependant, les Quinze ont fixé pour objectif, lors du récent sommet de Barcelone, que la Dépense Intérieure de Recherche et Développement atteigne 3 % du PIB à l'horizon 2010. Cet objectif a été repris en France conjointement par le Président de la République et le Premier Ministre, lors de son politique générale.
C'est, en effet, seulement par un programme ambitieux que nous pourrons mettre en place le socle scientifique et technologique sur lequel s'établiront durablement la prospérité nationale et le rayonnement de notre pays.
Les réponses de la France aux défis de la recherche
La participation de la France aux différents programmes cadres a été globalement satisfaisante, en dépit de certaines différences sectorielles. Ces différences s'expliquent sans doute par une perception inégale de l'intérêt des programmes communautaires. Ainsi, certains secteurs comme celui de l'énergie non nucléaire ou des sciences de la vie sont encore insuffisamment impliqués dans ces programmes alors que l'aéronautique ou les nouvelles technologies de l'information et des communications ont pris une part active dans les programmes successifs.
Toutefois la perspective du 6ème PCRD devrait permettre aux laboratoires et aux entreprises de jouer un rôle déterminant dans le futur espace européen de la recherche et de l'innovation.
Le Ministère de la Recherche et des Nouvelles Technologies s'inscrit dans le droit fil des mesures prises par l'Europe pour lutter contre la "fuite des cerveaux", notamment par l'affectation, dans le 6ème PCRD, de près d'1,6 milliards d'euro à la formation et à la mobilité des chercheurs, ce qui signifie que la part des fonds affectés aux ressources humaines a quasiment doublé par rapport au précédent programme cadre. Nous souhaitons de notre côté porter une attention particulière aux chercheurs désireux de revenir travailler en Europe.
Outre ce soutien financier, la Commission étudie soigneusement d'autres moyens de promouvoir la mobilité intra-européenne par l'atténuation des obstacles administratifs à la mobilité et par la coordination des politiques nationales dans le domaine de la recherche, autant de moyens qui encourageront les chercheurs à se sentir "européen".
Dans le cadre de mes attributions, je souhaite donc, avec Luc Ferry, Ministre de la Jeunesse, de l'Education nationale et de la Recherche, tout mettre en oeuvre pour attirer et retenir les chercheurs français et étrangers les plus brillants et les plus dynamiques.
Pour cela, nous souhaitons être en mesure de leur offrir des conditions de travail comparables à celles des meilleurs institutions internationales, en termes d'équipements, de fonctionnement, d'encadrement administratif et technique, d'accueil de jeunes doctorants, de post-doctorants ou de chercheurs invités.
A l'heure où un renouvellement important des effectifs de chercheurs et d'enseignants-chercheurs des établissements publics est en cours, il est urgent d'attirer les jeunes vers les métiers de la recherche et de leur donner les moyens de s'y épanouir professionnellement.
Par exemple, nous étudions donc attentivement en ce moment la question de la valorisation des allocations de recherche pour les jeunes doctorants.
La participation active des laboratoires et centres de recherche, au sein des réseaux d'excellence et des projets intégrés, à la mise en place effective de ce 6ème PCRD est une de nos priorités. L'objectif est ambitieux : il s'agit de construire une Europe de la science, une Europe de la connaissance.
Je suis persuadée que, par la recherche et le développement des nouvelles technologies, nous pourrons aider notre pays à construire une société de la connaissance et de la responsabilité et ainsi amener la France au meilleur niveau de la compétition mondiale.
Toutes ces initiatives doivent s'accompagner d'une volonté de placer la science au coeur de la société. Pour aider l'ensemble de nos concitoyens à prendre conscience des enjeux de la science, il est nécessaire de la rendre plus visible dans ses objectifs et ses résultats. Il importe également de promouvoir une science partagée : cela suppose d'évaluer, sur des bases scientifiques, le risque de faire et le risque de ne pas faire, cela nécessite également d'engager des débats sur les interactions entre les activités scientifiques et les valeurs éthiques.
Pour réussir ce pari sur l'intelligence, pour permettre l'avènement d'une France de l'excellence, il convient en priorité d'apporter un soutien résolu à la recherche fondamentale, socle sur lequel se fonde tout l'édifice de recherche et développement.
Libérer les initiatives et la créativité, favoriser l'innovation et le transfert technologique, promouvoir cette culture de l'évaluation et de la prospection et faciliter la mobilité des chercheurs aussi bien en France qu'en Europe, voilà autant de grandes orientations qui soutiendront ce nouvel élan que nous souhaitons donner à notre politique de recherche.
Un nouvel élan pour l'Europe : quel sens pour la science ?
La politique de recherche que nous souhaitons conduire s'inscrira résolument dans l'Espace européen de recherche.
Tout doit être mis en oeuvre au niveau européen pour réduire les freins à l'innovation et à la créativité car la recherche, dans son essence, se doit d'être réactive. Il nous faut veiller, avec nos partenaires européens, à ce que l'Espace de recherche permette de surmonter la multiplication des procédures administratives propres à chacun de ses membres au lieu de les cumuler, ce qui constituerait un frein supplémentaire à la mobilité et à l'innovation.
La vocation de l'Espace européen de recherche est, au contraire, de permettre à ses membres d'adopter un regard différent afin de progresser ensemble vers de nouveaux enjeux.
La France et ses partenaires européens attachent la plus grande importance à ce que l'Espace européen de recherche devienne un véritable catalyseur de la recherche scientifique et technologique. Trois conditions sont nécessaires pour y parvenir.
Cet espace doit permettre à la fois une fécondation croisée des intelligences et une émulation et une conjugaison d'excellences.
Il doit, en outre, faciliter la mise en commun des moyens, des équipements et des ressources au service d'une ambition partagée. Enfin, il importe que cet Espace européen de la recherche favorise l'enrichissement culturel de tous ses citoyens dans un esprit d'ouverture à l'autre.
Ne limitons pas pour autant nos ambitions à la mise en place de l'Espace européen de recherche. Pour décisive que soit cette nouvelle phase de la construction d'une Europe de la science, elle n'est qu'une étape d'un développement plus ample. L'Espace européen de recherche n'est pas un but en soi, c'est un moyen fort qui permettra à l'Europe dans son ensemble d'être porteuse d'une grande vision d'avenir.
La promotion d'une politique de recherche non plus seulement nationale mais aussi communautaire constitue un facteur essentiel de l'approfondissement de la construction européenne.
Cette Europe de la science que nous appelons de nos voeux est un élément déterminant à la fois de la cohésion de la communauté existante et de son élargissement à d'autres pays. Elle invite à croiser deux dimensions, celle, horizontale, de l'élargissement aux nouveaux membres, celle, verticale, de l'attraction vers l'excellence.
Une véritable "culture européenne" est appelée à se diffuser au sein de cette Europe de la science et de la connaissance. Elle devra s'enraciner dans une conscience aiguë du "Sens de la science".
Cette notion recouvre au moins trois grands enjeux, parmi lesquels figurent la nécessité du progrès partagé, l'impératif éthique de responsabilité, ou encore la prise en compte des droits généraux de la personne. L'approfondissement de ces grands enjeux au niveau national comme au niveau européen est un élément indispensable si nous voulons prévenir un repli de l'Europe sur elle-même.
Dans cette perspective, L'Europe en général et la France en particulier doivent tout faire pour favoriser les coopérations bilatérales ou multilatérales avec l'Afrique, l'Amérique du Sud et l'Asie.
Mettre à disposition des pays les plus pauvres des médicaments aux propriétés fiables et contrôlées dans des conditions économiques favorables afin de traiter les endémies spécifiques à l'Afrique, le SIDA mais aussi le paludisme, constitue une urgence absolue.
Forte de sa compétitivité, sûre de son excellence et soudée par des valeurs partagées, cette Europe ouverte sur le monde à la faveur des relations bilatérales nouées par chacun de ses membres pourra alors étendre son rayonnement.
Présentation des participants à la table ronde
J'ai à mes côtés des intervenants prestigieux pour apporter des éclairages divers à ces grands enjeux : Gérard CAUDRON, député européen, rapporteur du 6ème PCRD et membre de la commission Industry Research Trade Energy (ITRE) au Parlement européen, le professeur Etienne-Emile BEAULIEU,vice-président de l'Académie des Sciences, internationalement connu pour ses travaux sur le vieillissement, le professeur Detlev GANTEN, directeur du centre Max Delbruck, présence à confirmer, Jean-François DEHECQ, président directeur général de Sanofi-Synthélabo et le professeur Philippe KOURILSKY, directeur général de l'Institut Pasteur.
Je les remercie de leur présence et je forme le voeu que chacun, dans son domaine de compétence propre et en synergie bien sûr, puisse proposer des perspectives visant à relever les nombreux défis que la mise en place de l'Espace européen de recherche offre à la France.
Conclusion de la table ronde
Nous avons commencé cette table ronde par l'enthousiasme d'un homme de terrain, puis sont arrivés des regards critiques, des mises en garde quelque peu dérangeantes de l'entrepreneur. Nous avons mieux perçu, à travers le réseau international des Instituts, l'importance de l'ouverture en direction des pays du Sud.
Maintenant, nous vous avons apporté quelques éléments. A vous maintenant de nous transmettre vos questions et votre élan en vous faisant la caisse de résonance des populations auprès desquelles vous représentez la culture française.
Un dernier mot me permettra d'introduire la table ronde suivante consacrée au développement durable : j'emprunterai à M. Dehecq l'expression qu'il a utilisée pour définir l'entreprise comme une " communauté de destins " et je forme le voeu que nous ayons pour ambition de forger dans les années à venir une " communauté de destins pour l'humanité ".

(source http://www.recherche.gouv.fr, le 19 juillet 2002)