Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à France 2 le 6 novembre 2002, sur la discussion sur le projet de loi de décentralisation et sur l'activité du gouvernement en matière de sécurité, de retraite et de situation économique.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard.- On va parler évidemment du projet de loi sur la décentralisation que vous avez défendu jusque tard dans la nuit au Sénat. Je voudrais d'abord revenir sur ce tragique accident de train qui s'est produit à Nancy. Avez-vous des informations précises sur ce qui s'est passé ?
- "Pas encore. C'est un affreux accident, naturellement, et le Gouvernement assure les familles de toute sa tristesse et évidemment de toute sa solidarité, et les aidera autant qu'il le pourra. Les ministres G. de Robien et D. Bussereau sont déjà partis pour être sur place. On va essayer de connaître les raisons, d'élucider les causes. Et bien entendu, de faciliter l'accès aux familles, dans ces conditions qui sont extrêmement tragiques et douloureuses pour tout le monde."
Revenons sur le projet de loi sur la décentralisation. C'est un des grands chantiers du Gouvernement, et pourtant la discussion s'éternise. J.-L. Debré, le président de l'Assemblée nationale, lui-même, est monté au créneau, tout ça traîne en longueur. On a l'impression que le Gouvernement est en train de se prendre un peu les pieds dans le tapis avec ça.
- "Non, ça ne traîne pas en longueur, on y met le temps nécessaire [de façon] à ce que le travail soit bien fait. On révise la Constitution, c'est quelque chose de très important. C'est une révision d'ailleurs qui est large, il faut y prendre des précautions, et il faut que dans ce débat chacun puisse s'exprimer très librement. Donc, nous avons le temps de faire les choses bien."
Quand J.-L. Debré, le président de l'Assemblée nationale, tout de même, dit qu' "il ne faut pas que ça devienne un grand bazar", c'est une mise en garde sérieuse. Comment avez-vous pris ça ?
- "Cela ne deviendra pas "un grand bazar". J.-L. Debré, lui, est dans la tradition centralisatrice, comme il y a des gens à droite et à gauche sur ce thème-là - de moins en moins d'ailleurs. Et finalement, il nous rend service, parce qu'il exprime quelques inquiétudes que beaucoup de gens peuvent avoir. C'est l'occasion de les rassurer, c'est l'occasion de leur expliquer."
Il a vu hier J.-P. Raffarin. Y a-t-il eu un recadrage ?
- "Je crois que le malentendu, si tant est qu'il y en avait un, a été effacé."
Le malentendu venait quand même du fait qu'on a pensé à un moment que J.-L. Debré disait tout haut ce que pensait J. Chirac lui-même.
- "Ca, c'est impossible. Parce que c'est le président de la République qui est à l'origine de ce projet, qui trouve sa source dans le discours très important qu'il a prononcé le 10 avril de cette année à Rouen, qui a d'ailleurs donné lieu à des reprises dans son déplacement à Troyes, il y a quelques semaines. Et c'est la volonté très forte du président de la République et du Premier ministre d'aboutir sur ce chantier qui va changer la donne dans l'organisation du service public. Et donc, évidemment, J.-L. Debré a exprimé des sentiments traditionnels, de famille d'ailleurs. C'est assez amusant de voir la gauche aujourd'hui, en accord avec J.-L. Debré..."
J.-L. Debré n'est pas à gauche...
- "Mais la gauche, elle, est parfois en accord avec J.-L. Debré sur les craintes qu'il a estimées, alors qu'il y a 20 ans, le père de Jean-Louis, a combattu les idées de G. Defferre."
Cela dit, le ralentissement au Sénat de ce projet, fait que le projet de loi sur la sécurité de N. Sarkozy prend lui aussi du retard. C'est aussi un projet qui provoque beaucoup de polémique et notamment l'abbé Pierre est monté au créneau contre ce projet. Qu'avez-vous penser de cette intervention ?
- "D'abord, je pense que l'abbé Pierre est dans son rôle de protection des opprimés, des gens qui sont dans les plus grandes difficultés. Mais en l'occurrence, ce ne sont pas eux qui sont visés. Je crois que l'abbé Pierre n'a pas été très bien informé. N. Sarkozy souhaite le rencontrer, lui fournir toutes les explications qu'il peut demander, lui expliquer. Car finalement, ce sont ceux qui exploitent la misère que nous visons, ce ne sont évidemment pas du tout ceux qui en sont les victimes."
Un autre ministre est monté au créneau, F. Fillon, cette fois sur le thème des retraites, en disant qu'on n'éviterait pas une augmentation de la durée des cotisations. Cela fait quand même beaucoup de ministres qui montent au créneau ; est-ce que ça ne part pas un peu dans tous les sens ?
- "Non. Le Gouvernement au contraire, essaye de remettre la France en état de marche. Je crois d'ailleurs que depuis six mois le bilan est plutôt positif, les Français en tout cas le considèrent comme tel. Malheureusement, nos prédécesseurs ont laissé en jachère beaucoup de dossiers difficiles et douloureux. Les retraites, c'est indispensable, c'est devant nous. Et jusqu'à maintenant, on a perdu beaucoup de temps. C'est vrai qu'il en faut aussi pour accomplir une vraie réforme. Parce qu'il faut prendre des précautions, étudier les choses, il faut rassurer, il faut expliquer, il faut étudier. Et donc, il vaut mieux s'y prendre le plus tôt possible pour prendre le temps de faire les choses."
Ne vaudrait-il pas mieux traiter un dossier après l'autre ? D'abord, la décentralisation, puis les retraites et puis autre chose ? Mais là, tout en même temps, on a l'impression qu'il y a trop de prises de parole.
- "Il y a tellement de dossiers en retard. La France, elle, n'attend pas, elle prend du retard sur ses voisins, et les Français sont face à des échéances. Regardez, sur la sécurité, fallait-il attendre ? N. Sarkozy a pris immédiatement les choses en main et avec succès. Je pense que F. Fillon, comme d'ailleurs J.-F. Mattei sur les questions de Sécurité sociale et de santé, ont eu l'intelligence et le courage de prendre les choses immédiatement. Et maintenant, on avance."
Le Gouvernement fête aujourd'hui ses six mois d'existence. Est-ce que, après l'enthousiasme, on n'est pas confronté maintenant à la dure réalité ?
- "Il n'y a pas d'enthousiasme ni de dure réalité. Il y a une détermination de la part du Gouvernement de régler les problèmes des Français qui ont été laissés sur le côté et qui conditionnent leur avenir."
Vous parliez de ce nouvel anniversaire. Les socialistes, eux, le fêtent à leur manière, en disant que "le Gouvernement a mangé son pain blanc", et que maintenant, ce qui se profile c'est la rigueur. Etes-vous de cet avis ?
- "D'abord, ça c'est leur espoir et je comprends que, dans la situation où ils sont, finalement, ils ne peuvent plus tabler que sur les difficultés de notre pays. Ces difficultés ce sont celles de la conjoncture internationale. La rigueur provient évidemment d'une situation où la croissance n'est pas au rendez-vous. Nous prenons les mesures pour soutenir la croissance ; le Gouvernement a pris des mesures économiques - soutien à la consommation, la baisse des charges - pour faire face à la crise. Les Français savent que la situation est difficile et que le Gouvernement est courageux."
La baisse de la croissance fait que le déficit se creuse. Est-ce que vous allez pouvoir tenir sur la ligne : "on n'augmente pas les impôts" ?
- "Oui, bien sûr. Car en n'augmentant pas les impôts, on crée de l'activité et on stimule la croissance. Et donc, au bout du compte, pas dans un premier temps naturellement, mais au bout du compte la France s'y retrouvera."
Un des principaux déficits c'est celui de la Sécurité sociale, il se chiffre en milliards pour cette année. Il se chiffrera aussi en milliards pour l'année prochaine. Est-ce que, là aussi, il va falloir prendre des mesures douloureuses ?
- "Vous avez vu que J.-F. Mattei a commencé à le faire. Il le fait avec courage et beaucoup de lucidité."
Cela veut dire que les cotisations, non seulement vont s'allonger mais vont augmenter ?
- "Il n'a pas dit ça justement, il a même dit le contraire. Je crois qu'il y a d'abord une remise en ordre qui est nécessaire dans l'organisation même de notre système de soins."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 novembre 2002)