Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à "L'Humanité" du 18 octobre 2002, sur la situation du parti communiste français, l'avenir de "l'idée communiste" et les perspectives du parti.

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Média : L'Humanité

Texte intégral

- Marie-George Buffet, la préparation du congrès du PCF est lancée. Vous multipliez depuis la rentrée les rencontres avec les communistes et plus largement aussi, avec des syndicalistes, des salariés du public ou du privé, touchés eux aussi par l'échec de la gauche et celui du PCF. Que ressentez-vous ?
Marie-George Buffet. D'abord une envie de comprendre, et de le faire sans raccourci. Je ressens de la souffrance, et de la colère. Je pense à ce salarié de Renault Le Mans, la semaine passée, qui me disait à peu près : " Pendant toutes ces années on s'est battus, jour après jour dans l'entreprise et vous, vous n'avez pas pris les décisions, alors ne faites pas porter la responsabilité sur le mouvement social. " Il y a chez des salariés le sentiment que nous les avons abandonnés. Un communiste, dans la même entreprise, m'a dit, " quand on ne respecte pas les gens, il ne faut pas s'attendre à être respecté ".
Dans le même temps, je veux souligner la capacité remarquable des communistes à être debout comme ils l'ont été, dès les jours qui ont suivi le 21 avril, pour faire face à Le Pen, pour mener ensuite une grande campagne des législatives. Il fallait du courage, ça n'était pas facile, les gens avaient parfois la dent dure avec les communistes. Maintenant, ils sont présents sur de multiples questions, déterminés dans la riposte à la droite. Je crois donc que cette idée communiste, cet engagement militant sont toujours là et que c'est à partir d'eux que l'on peut reconstruire.
- Peut-on dire cependant qu'un lien a été rompu ?
Marie-George Buffet. Ne caricaturons pas. Malgré notre affaiblissement, il y a toujours des communistes actifs dans les quartiers, dans les entreprises, contrairement à ce que l'on entend ici ou là ; mais oui, sans doute, malgré beaucoup d'efforts militants des liens ont été rompus. Longtemps, la classe ouvrière, les couches populaires se sont senties, en quelque sorte et même quand elles n'étaient pas en accord avec lui, représentées par le PCF. La désindustrialisation, les licenciements en masse ont contribué à casser ce rapport étroit entre notre Parti et notre peuple. Mais ce n'est pas la seule raison. Alors que les ouvriers existent, on a théorisé sur leur disparition. Il est vrai qu'il y a eu d'énormes évolutions, et nous avons eu raison de les analyser mais n'avons-nous pas dans le même temps donné l'impression de cesser de représenter, de défendre, de donner reconnaissance à ceux et celles qui travaillent dans des entreprises comme Toyota où la moyenne d'âge est de moins de trente ans où la plupart des salariés ont un bac plus 2 ; à ceux et celles qui travaillent dans les services, la grande distribution, la fonction publique avec des payes insuffisantes et des conditions de travail pénibles. Les mutations sociales n'ont pas fait disparaître l'exploitation. Il faut également regarder nos propres actes, notre façon de répondre à la crise du communisme qui affecte partout dans le monde les forces qui s'en réclament. Le PCF a entamé des mutations qui étaient nécessaires, pour être en prise avec ces bouleversements, pour rompre avec des modèles qui avaient échoué. Mais ces mutations ont souvent été vécues comme une série d'abandons et non comme la réaffirmation d'une identité communiste forte, d'une visée communiste d'aujourd'hui. Et la dernière période, dominée par la participation gouvernementale, a certainement amplifié ce brouillage. Des repères sur ce que nous représentions, nous mais aussi la gauche, ont été perdus. On me parle des privatisations dans tous les débats que je fais, avec l'idée que nous aurions cédé partout. Nos choix n'ont pas toujours été judicieux. Cela pose la question de la façon dont nous avons géré la participation au gouvernement. Enfin, je pense que nous devons beaucoup réfléchir à la façon dont nous avons traité notre positionnement par rapport à la gauche dans son ensemble et au PS en particulier.
- Certains vous reprochent d'avoir oublié ces salariés, les précaires, les femmes, le travail pénible pour ne plus s'occuper que des " sans ", sans droits, sans papiers...
Marie-George Buffet. Là, je me fâche. C'est vrai, mais pour ma part, je n'accepte pas cette opposition. Il faut aborder avec courage cette question, en communiste. Oui, il faut défendre les " sans ", sinon pourquoi être communiste ! Nous voulons le respect de chaque individu, nous voulons faire reculer l'exploitation. Il faut rassembler les " sans ", les salariés face à la droite et à un système qui les bafoue. Il est vrai que les salariés modestes n'ont pas vu leur vie s'améliorer sous la gauche plurielle. Sur certains points, c'est même le contraire. Du coup, on semblait à la fois " oublier " ces salariés ou retraités à faible revenus, et en même temps, d'autres, notamment des jeunes nous reprochaient de ne pas aller assez loin sur des questions comme le droit de vote des résidents étrangers. Je suis marquée par le fait que de plus en plus d'individus cherchent la responsabilité de leurs malheurs chez le voisin, chez celui qui est différent. Il faut oser s'opposer à ces idées. Notre raison d'être c'est de combattre avec tous ceux qui sont victimes de la classe dominante. " Ensemble ", c'est la réponse essentielle.
- Vous vous interrogiez la semaine passée avec les salariés de Renault. Pourquoi, et pas seulement en France, les élections donnent-elles toujours l'avantage à aux forces qui disent vouloir corriger à la marge le capitalisme plutôt que le mettre en cause ?
Marie-George Buffet. Oui, cela m'interroge, et, je ne considère pas cette donnée comme intangible. Je crois que ce que l'on a appelé, à une époque, la pédagogie du renoncement, a porté. Ce qui semblait être une alternative au capitalisme, le " socialisme réel ", a vécu et a failli. Non seulement ce rêve s'est brisé mais quand il s'est brisé, il est devenu évident que ce n'était pas un rêve, que ces sociétés étaient en échec démocratique, économique, géostratégique, éthique même. Nous avons profondément repensé tout cela, nous avons engagé la reconstruction d'une visée communiste d'aujourd'hui, mais nous ne parvenons pas à la rendre perceptible. Les gens voient des communistes qui se battent, qui sont présents, mais pour eux, le cadre reste le système capitaliste mondialisé, où les actionnaires en Bourse, l'Europe décident de tout. Et de surcroît, la gauche elle-même leur dit : " L'État ne peut pas tout. " N'avons-nous pas trop tardé à dire clairement qu'une conception du communisme avait échoué ? Ce n'est qu'à Martigues que nous décidons de nous engager dans l'élaboration d'un projet communiste radicalement neuf. Nous y avons travaillé lors de notre congrès d'octobre 2001. Mais comme me le disent beaucoup de camarades " qu'en faisons-nous " ? Portons-nous suffisamment dans notre travail de terrain quotidien, dans nos propositions, la contestation du système capitaliste, le processus et la visée de transformation, le projet communiste qui le rendent crédibles ? Est-il vraiment étonnant, dans ces conditions, que beaucoup de salariés aient du mal à voir notre utilité singulière et se résolvent à penser qu'il n'y a plus qu'à essayer d'éviter que le système en place fasse trop mal ?
- - N'y a-t-il pas, plus profondément, un épuisement définitif de l'idée communiste ?
Marie-George Buffet. La question est réelle, elle est dans beaucoup de têtes, y compris au sein du Parti. Qu'est ce qui peut justifier un combat communiste ? Peut-être justement si l'on regarde partout, ici comme dans le monde, le fait que le système continue de produire, que l'on tente ou non de le réguler, de plus en plus d'injustices, de fossés entre les peuples, les continents. Nous ne croyons plus au " grand soir ", à la dictature du prolétariat, mais nous voulons, avec tous ceux et celles qui ne s'en accommodent pas, faire reculer le capitalisme. Le disons-nous assez clairement ? Nous avons parlé de " dépasser le capitalisme ". Cette idée est-elle compréhensible ? Et comment faire avancer ce processus ? Je crois qu'il faut revenir sur cette question essentielle. Comment être porteurs de très grandes valeurs, d'une véritable ambition de civilisation, universaliste - c'est la raison d'être du communisme : proposer à l'humanité d'en finir avec toutes les formes d'exploitation, de domination et d'aliénation - et être en même temps le Parti de très grandes réformes qui concrétisent cette ambition et permettent de changer réellement dès maintenant. Des réformes sur la démocratie pour que le pouvoir des citoyens devienne effectif, sur l'argent pour qu'il soit utile socialement, sur l'Europe au moment où elle va être élargie, sur les services publics. Comment porter de telles ambitions dans nos combats de tous les jours et faire en sorte que le PCF soit clairement identifié sur toutes les questions essentielles ?
- Un " projet de société " communiste ?
Marie-George Buffet. Il ne s'agit plus de proposer un projet de société ficelé pour demain, mais de décliner du communisme pour tout de suite. Nous voulons le respect de chaque individu dans sa différence. Sommes-nous identifiés comme ce Parti qui lutte contre toutes les formes de discrimination, de mépris de la dignité de chaque être humain ? Le Parti du respect. Nous devons mieux être ce Parti qui défend et représente le monde du travail, qui fait en sorte que les hommes et les femmes soient les acteurs conscients des changements qui les concernent ; le Parti des droits du salarié, de la défense de ses conditions de travail, de sa paye comme de son intervention dans la gestion des entreprises. Sommes nous capables d'être le Parti qui a le courage de se positionner sur toutes les grandes questions : sur l'immigration, le sexisme, la sécurité, etc. ? Nous devons repolitiser nos rapports avec la société. Comme le disait un directeur d'école de la Sarthe dans une rencontre : " Nous avons besoin d'une parole collective. " Cela passe par des choix politiques clairs.
- Mais précisément, quand bien même le PCF veut porter cela, on a parfois le sentiment qu'il y a une vitre, un écran entre lui et les gens...
Marie-George Buffet. Oui, sinon nous n'en serions pas là. Comment briser la vitre ? Des millions de femmes et d'hommes sont aujourd'hui exclus de la vie démocratique, et souvent de toute la vie sociale. Beaucoup d'entre eux ont l'impression que nous nous sommes éloignés, que nous sommes devenus un parti comme les autres. Elles, ils ne se sentent plus représenté-e-s. Nous devons avoir l'ambition de redevenir le Parti proche du peuple dans lequel elles, ils puissent se reconnaître. Ce n'est pas qu'une question de terrain. Cela dépend aussi de notre capacité à porter leurs révoltes et leurs colères, à proposer un idéal qui en vaille la peine, à porter les grandes réformes qui répondent dès aujourd'hui à leurs attentes, à se positionner avec courage sur de grands débats de société. Et, enfin, à leur être utiles en créant les conditions de rassemblements politiques efficaces. C'est tout cela qui a fait notre rayonnement dans le passé ; c'est tout cela que nous devons retrouver à partir d'une conception neuve du communisme. Des racines, et des ailes.
- Mais pourtant il y a aussi des gens dans des luttes. Dans les entreprises, contre la mondialisation libérale. Là aussi, on dirait parfois qu'il y a un écran entre eux et le PCF...
Marie-George Buffet. Oui et cela pose la question des rassemblements. Depuis des décennies, le Parti communiste a fait le choix de l'union pour battre la droite. Ce choix est nécessaire. Mais cette question est devenue le pivot de toute notre stratégie et nous l'avons trop souvent réduite à l'idée que notre rôle était de peser pour ancrer la gauche à gauche. Mais, notamment pendant les campagnes électorales, nous sommes régulièrement apparus comme nous positionnant par rapport au PS. Il fallait éviter que le PS nous entraîne là, peser pour que le PS aille ici... Et cela, bien sûr, n'a pas marché. Il faut donc travailler à rassembler toutes celles et ceux qui pensent que le capitalisme n'est pas la fin de l'histoire. Un parti unique, ou un cartel d'organisations ne sont pas, à mon sens, la solution. Il s'agit, je crois, de travailler à des rassemblements avec du sens, des contenus, sur des initiatives, des ripostes. Ces rassemblements n'auront pas toujours la même configuration. Je pense aux deux échéances qui arrivent, les élections européennes et régionales. Les partis dominants vont essayer, par des réformes du mode du scrutin, de pousser les feux d'un bipartisme. Il faut y résister, c'est une première remarque. Mais ensuite, comment faire ? Prenons les européennes. La plupart des forces politiques veulent continuer à construire l'Europe, sans remettre en cause sa dominante libérale et estiment que son élargissement est préoccupant. On ne va pas faire alliance avec eux. Nous pensons qu'il faut accueillir ces nouveaux peuples avec un nouveau Traité pour une nouvelle Europe. Ne peut-on, dès maintenant, mettre en débat public, en France et en Europe, des propositions allant dans ce sens, et voir s'il est possible de construire une alternative électorale sur ces bases-là. Pour les régionales, la démarche doit être la même, le contenu d'abord. N'éliminons aucun individu, aucune force politique, associative, syndicale, citoyenne, a priori de ce rassemblement. L'essentiel est le contenu, le sens, c'est à partir de là que se construira une majorité de citoyens et de citoyennes.
- Mais cette démarche de débat sur les contenus n'est-elle pas contradictoire avec l'idée, que vous avez avancée, que le congrès du PCF, en avril, devra " trancher ". Trancher quoi ?
Marie-George Buffet. Il ne me semble pas contradictoire de lancer des forums qui doivent être absolument très ouverts pour enrichir notre réflexion et trancher sur de grandes questions au congrès. Est-il encore utile et possible d'avoir une force qui se réfère au recul du capitalisme et à une visée communiste ? Cette visée peut-elle être portée par un parti politique? Faut-il que ce parti soit le Parti des communistes ou d'autres ? Ensuite, il faut qu'on travaille aux questions du rassemblement dont nous venons de parler. Il y a bien une gauche et une droite mais dans cette gauche, doit-on aller vers des cartels d'organisations ? Là aussi, il faut qu'on tranche. Nous allons tenir une conférence nationale sur le thème " Comment faire reculer le populisme ? " Cela va nous amener à prendre des positions claires et nettes dans ce débat. Nous aurons d'autres étapes sur la jeunesse, le féminisme, les classes sociales. Où en est-on de l'analyse du système capitaliste ? Il ne faut pas que l'on aboutisse, d'après moi, à un long texte, avec amendements détaillés à la clé. Il faut poser des questions et dire, voilà sur quoi les communistes sont d'accord, voilà sur quoi plusieurs avis existent, et soumettre cela à la décision.
- Qu'allez-vous faire des désaccords ?
Marie-George Buffet. D'abord, il faut les entendre pour s'en enrichir mutuellement. C'est-à-dire comprendre vraiment, même si on n'est pas d'accord avec ce que proposent des camarades, ce qui les conduit à telle ou telle position. Notre culture - et ça ne date pas d'hier - est plutôt de ne pas entendre ; bien souvent, cela nous a rendus trop sourds. Mais cela ne veut pas dire que les désaccords disparaîtront. On va voter. Certains choisiront de soumettre leurs idées, un texte au vote. Ceux qui voudront garder leur point de vue le feront, les statuts le permettent. Ce que je ne souhaite pas, et c'est un avis largement partagé dans le parti, c'est qu'on invite les communistes à se ranger dès le début " moi je suis du groupe machin, de l'équipe truc ". Confrontons, et on fera des choix, on votera, sans en faire un drame.
- D'après ce que vous sentez aujourd'hui, cela vous paraît possible de rassembler les communistes sur cette démarche ?
Marie-George Buffet. Le 21 avril, c'est un séisme. Si nous n'allons pas au bout de toutes les questions, il y aura un éclatement. Il faut qu'on pousse le débat. C'est vital. On a besoin de comprendre, j'ai besoin de comprendre. Si nous étions restés sans bouger depuis les années soixante-dix, on pourrait se dire que maintenant, enfin, on va faire du neuf comme je l'entends dire parfois. Ca y est, le déclic va se faire. Sauf que depuis des années on travaille, on a fait du neuf précisément mais on a échoué malgré ces efforts. Il faut donc aller au fond des questions. C'est la condition pour rassembler les communistes sur des choix clairs, pour créer cet espace où puissent se retrouver et se sentir bien toutes celles et tous ceux - aujourd'hui adhérents ou non du Parti - qui veulent agir pour une conception généreuse et audacieuse du monde. Communiste, en un mot. Et en cela, j'y crois.
Entretien réalisé par
Pierre Laurent et Maurice Ulrich
(Source http://www.pcf.fr, le 21 octobre 2002)