Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la gestion des personnels de l'industrie d'armement dans le cadre des restructurations, de la coopération euroopéenne et de la compétitivité internationale, et sur les négociations de réduction du temps de travail, Paris le 28 janvier 1998.

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Circonstance : Journée des anciens auditeurs du Centre de formation aux ressources humaines du ministère de la défense, à Paris le 28 janvier 1998

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
La modernisation des modes de gestion des différentes catégories de personnel du ministère de la défense passe par un organisme comme celui-ci, d'échanges entre professionnels de la gestion des ressources humaines, et par la confrontation entre leurs expériences et d'autres réalités, extérieures au monde militaire ou administratif.
Merci, Amiral, de nous donner ainsi l'occasion, par l'organisation de cette journée des anciens auditeurs du Centre de formation aux ressources humaines du ministère, d'évoquer avec eux, avec les représentants de quelques-unes des plus grandes industries françaises de défense et avec les grandes fédérations syndicales du secteur, les problèmes de l'aménagement et de la réduction du temps de travail.
L'ensemble du secteur des industries de défense, quel que soit leur statut, public ou privé, et leur domaine précis d'activité - aéronautique, électronique, armement terrestre ou naval, etc -, est dans un contexte général de baisse accentuée du marché des matériels d'armement. Cette diminution des débouchés conduit à une concurrence de plus en plus forte entre les entreprises des pays européens et, plus largement, au niveau mondial.
Cette situation qui n'est pas apparue récemment, puisqu'elle dure déjà depuis le début de la décennie, va cependant en s'accélérant. Après les premières adaptations industrielles relativement limitées, s'est clairement ouvert depuis l'année dernière, un vaste chantier de réorganisation industrielle en France et en Europe dont la nature et donc les conséquences sont d'une dimension très différente de la période antérieure.
Il s'agit, nous le savons tous, d'organiser une industrie européenne de défense performante et compétitive, apte à concourir à la hauteur de ses ambitions dans la compétition mondiale. Chacun admet que le renforcement de son caractère dual aussi permettra de renforcer cette compétitivité et cette performance et de mieux absorber les évolutions que l'on rencontre sur des marchés militaires fortement affectés par les choix politiques et les contraintes budgétaires.
Les conversations approfondies que j'ai pu avoir sur ces sujets avec les différents syndicats aussi bien des fédérations de la métallurgie que de celles de la défense montrent que les partenaires sociaux connaissent et maîtrisent bien les enjeux industriels qui sont devant nous.
Aucun de mes interlocuteurs ne m'a demandé de renoncer à des évolutions et des restructurations que chacun s'accorde à considérer comme inévitables et souvent urgentes. Nos débats, d'ailleurs riches, portent plutôt sur la meilleure stratégie à suivre et sur les conditions de mise en oeuvre de celle-ci.
Dans le même temps, les partenaires sociaux sont, et c'est bien naturel, très attentifs aux conséquences qu'auront, pour les personnels, ces restructurations industrielles.
Chacun a en tête le chiffre que l'on cite habituellement de 10 000 suppressions d'emplois par an dans les industries de défense françaises depuis le début de la décennie. J'ai moi-même eu l'occasion d'articuler ce chiffre à l'automne dernier sans que celui-ci découle cependant d'une véritable analyse économique qui permettrait de lui donner une certaine vérité scientifique.
Je constate et je regrette en effet une mauvaise connaissance relative des phénomènes macro économiques liées aux dépenses militaires et donc une appréciation assez incertaines des conséquences précises que peuvent avoir les dépenses publiques de recherche, de développement et d'acquisition dans les industries de défense.
De même les conséquences sociales de ces dépenses et surtout de l'impact d'une affectation différente des moyens budgétaires sont souvent appréciées de façon macro économique et mécanique.
La dualité croissante des entreprises concernées, la maîtrise incertaine des phénomènes de sous-traitance industrielle en cascade, souvent très importante en volume, et aussi bien sur la politique sociale menée par les groupes industriels peuvent conduire à ce que la réalité des conséquences de ces réorganisations industrielles soit significativement différente de ce que certains considèrent parfois comme inéluctable : des réductions d'emploi.
Je n'ai pas besoin de faire ici de longs développements pour expliquer que dans une industrie technologiquement aussi performante que celle de la défense, au-delà des accumulations d'investissements qui, au fil du temps, donnent une grande capacité d'étude, d'essai et de production, il y a surtout une formidable accumulation de savoir et de savoir-faire. Dans la plupart des industries dont nous parlons en ce moment avec nos amis européens pour organiser leur regroupement et leur réorganisation, les entreprises françaises sont incontournables grâce à leur savoir-faire, à leurs bureaux d'études, en un mot grâce à leurs hommes.
Le ministère de la défense connaît bien cette problématique puisqu'avant d'être un système de forces une armée est surtout un système d'hommes. Les ressources humaines qui sont le plus souvent le coeur du patrimoine des entreprises doivent être le plus possible préservées et sauvegardées dans les évolutions économiques et industrielles qui se mettent en route. Chacun connaît la mésaventure qui arrive aux entreprises qui, comme Boeing, ont à un moment donné privilégié la rapidité pour ne pas dire la brutalité de l'adaptation par rapport à la sauvegarde des compétences.
La situation de chacune des entreprises de défense concernées est très variable. Elle est en vérité variable au sein même des groupes suivant les secteurs d'activité. La dépendance de l'ensemble de l'entreprise par rapport au secteur de la défense est un des éléments à prendre en compte. D'autres sont les secteurs précis d'activité. Suivant que l'on se trouve dans les armements terrestres, l'armement naval, l'aéronautique, l'espace ou l'électronique, on ne subit pas les mêmes évolutions de volume des marchés.
Certains segments ou certains composants du système peuvent, au sein d'un marché en régression, parfaitement bien tirer leur épingle du jeu. On peut également évoquer la dualité ou la diversification plus ou moins grande des activités de l'entreprise et au-delà même des activités, des techniques utilisées.
Tout cela aboutit à faire du cas de chaque entreprise un cas particulier et si l'ensemble de ce secteur est soumis à de fortes évolutions, chacun a bien conscience que les rythmes sont différents et que les mêmes recettes ne sont pas uniformément applicables.
Il faut ajouter que le terrain n'est pas vierge. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, les restructurations des industries de défense sont déjà engagées depuis plusieurs années et dans un certain nombre de cas, les mesures d'adaptation des effectifs ont déjà été mises en oeuvre et parfois de façon répétée. Force est d'ailleurs de constater que l'application du dispositif de Robien a été assez largement utilisé dans ce secteur avec d'ailleurs des résultats plus ou moins satisfaisants.
Il résulte de tout cela que certains établissements, certains secteurs d'activité qui globalement constituent des parties numériquement importantes des principaux groupes industriels, appliquent d'ores et déjà des temps de travail qui sont inférieurs à la durée réglementaire actuelle.
Dans d'autres groupes, la situation particulière des cadres, au regard de cet aspect du temps de travail, a pu faire l'objet récemment de difficultés. Il est vrai que ces personnels, particulièrement nombreux dans le secteur des industries de défense, ont des modes d'organisation du travail qui justifient sans doute un examen spécifique des conditions dans lesquels il est possible d'engager une réduction et un aménagement de leur durée de travail.
On évoque fréquemment devant moi, pour de nombreuses entreprises, les problèmes liés aux pyramides des âges à la fois vieillissantes et tronquées des personnels. Dans un secteur en évolution technologique rapide, ce sujet mérite une réelle attention qui ne peut pas se réduire à faire partir toujours plus jeunes des préretraités et à recruter au compte goutte le sang neuf.
L'ensemble de ces éléments conduisent, me semble-t-il, à penser que le secteur des industries de défense est concerné au premier chef par le débat que le gouvernement engage sur la contribution de l'aménagement-réduction du temps de travail à la défense et au développement de l'emploi et à la compétitivité des entreprises à travers l'évolution de la durée légale à 35 heures en 2000.
J'ajoute que la défense du pays, ce n'est pas seulement sa défense militaire. C'est aussi sa capacité et sa volonté de faire face très concrètement aux défis économiques et sociaux qu'il rencontre. Il n'y a pas de défense forte sans une économie solide. Et il n'y a pas d'économie solide sans une cohésion sociale minimum. L'attention à l'emploi ne peut donc pas être en dehors de mon champs de réflexion.
La qualité des interlocuteurs employeurs et salariés des entreprises concernées et les marges de manoeuvre de négociation qui existent sans doute plus largement dans ce secteur que dans les entreprises de main d'oeuvre m'incite à penser qu'une dynamique progressive et pragmatique de réflexion, de discussions et d'accords est possible.
Aussi j'ai décidé de proposer à l'ensemble des grandes entreprises du secteur de la défense, et je le ferai également, selon d'autres modalités, pour les PME et PMI, d'accepter que nous réfléchissions ensemble à la façon dont elles abordent ce problème de la réduction et de l'aménagement du temps de travail, dans le cadre de compétitivité toujours accru et de concurrence internationale qui est le leur.
J'ai mandaté une société de conseil (STRATORG) qui connaît particulièrement bien ce secteur et ce sujet et qui a d'ailleurs travaillé pour un grand nombre des entreprises concernées, afin de faire un point de la situation sur ce sujet avec les directions des groupes industriels. Les organisations syndicales de ce secteur seront bien entendu invitées à participer à cette réflexion.
Et je proposerai aux chefs d'entreprises de les rencontrer dans quelques semaines, début mars, afin d'examiner ensemble et très concrètement leur manière d'aborder ce sujet dans le cadre, je le répète, des nécessaires adaptations que subissent ces entreprises et de la compétitivité qu'elles doivent conserver et le plus souvent accroître.
Je fais personnellement confiance à la maturité des acteurs économiques et sociaux concernés, dont je connais désormais bien la qualité d'analyse et de réflexion pour avoir fréquemment échangé avec eux, pour montrer, sur ces questions, le même sens de l'innovation, du réalisme, du dialogue et de la responsabilité dont ils font preuve sur les autres sujets.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 17 septembre 2001)