Interview de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, à RTL le 12 août 2002, sur les inégalités sociales, la mixité sociale et la parité, notamment pour l'orientation scolaire et professionnelle et la parité en politique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt - Une étude de l'Insee a montré récemment que les inégalités de salaires entre hommes et femmes ont tendance à se creuser en cours de carrière. C'est vrai dans les générations qui sont arrivées depuis peu sur le marché du travail. Est-ce que vous vous attendiez à un constat aussi négatif ?
- "Oui, absolument. Parce qu'entre 20 et 50 ans, les femmes sont, à 80 % d'entre elles, au travail et ce qu'elles veulent aujourd'hui, c'est un travail et une famille. Ce que l'on constate, néanmoins, c'est que, tant à l'intérieur de l'entreprise ou de l'administration mais surtout du fait de l'extérieur et des contraintes qu'elles vivent à toutes les étapes de leur vie professionnelle, s'accuse un différentiel de revenus qui va de 25 % à 11 %. Le Gouvernement a donc décidé d'engager sur ce point un véritable changement de culture. C'est impératif."
Cela passe par un dialogue social que vous voulez lancer dès la rentrée ?
- "Absolument."
Comment cela se présente ? Le patronat peut considérer qu'il a intérêt à cette inégalité entre hommes et femmes ?
- "L'esprit de la démarche que nous engageons, c'est convaincre plutôt que contraindre. C'est-à-dire de démontrer que la mixité professionnelle est non seulement une exigence de justice sociale mais aussi un atout pour l'entreprise."
Quel atout, économiquement parlant ?
- "Le fait simplement d'avoir un meilleur investissement humain. Vous ne pouvez pas demander aux femmes, aujourd'hui, d'avoir trois ou quatre vies parallèles par jour. Il faut absolument qu'elles puissent se sentir libérées dans leur force de travail, qu'elles soient plus opérationnelles et qu'elles soient exactement dans l'esprit de ce que nous évoquons quand nous parlons de "la libération des forces vives et des énergies"."
C'est donc ce que vous dites aux patrons ?
- "C'est ce que je dis aux patrons et beaucoup y sont sensibles. Parce que certaines entreprises ont déjà compris que leur stratégie de management pouvait parfaitement être rénovée et modernisée sur la base des femmes."
Parlons aussi des syndicats : on n'a vraiment pas l'impression que c'est une priorité de leurs combats !
- "Vous avez raison. Ce n'est pas encore tout à fait un réflexe naturel. D'ailleurs, dans tous les secteurs, que ce soit dans l'administration comme dans l'entreprise. Mais précisément, la volonté du président de la République et la mienne sont de faire en sorte que nous accélérions l'histoire sur ces terrains parce que c'est une exigence de modernité."
Quel est le principal ennemi de la parité ?
- "Le conservatisme, les habitudes, les mentalités, une certaine culture. Il faut que nous fassions tous ensemble avancer ce dossier, en faisant en sorte que la parité soit un principe actif d'organisation et que cela devienne véritablement une sorte de réflexe. Nous nous sommes fixés une première étape qui va être le mois de septembre avec la négociation sociale qui va s'engager et puis, bien sûr, durant les 5 ans toute une série de mesures, parmi lesquelles l'équilibre mieux assuré entre les temps de travail et les temps familiaux."
Donnez nous deux exemples de mesures qui vous tiennent particulièrement à coeur.
- "On commence par le début : l'orientation scolaire et professionnelle. Il n'est pas normal que les femmes, aujourd'hui, soient absentes de secteurs aussi importants que les technologies, la science et tout ce qui concerne un peu les activités d'ingénieur et autres... Deuxièmement, les modes de garde et les crèches, les services à domicile et les emplois familiaux. Essayons de trouver sur ce plan-là, une grande innovation dans la recherche de solutions."
Vous ne pourrez pas l'imposer aux entreprises.
- "J'ai déjà évoqué un certain nombre de pistes comme les crèches en entreprise ou la mutualisation de moyens à travers plusieurs entreprises. Et il me semble que faire entrer cette notion un petit peu familiale dans l'entreprise ne parait pas du tout contraire à l'esprit de beaucoup d'entre elles. Nous allons creuser cette piste avec le ministre de la Famille."
La parité en politique : on a vu que la loi qui avait été adoptée sous le gouvernement Jospin n'a pas eu des effets très évidents puisque les grands partis ont préféré ne pas présenter autant des candidates qu'ils y étaient tenus et payer les pénalités. C'est le signe d'un échec, pour vous, cette loi ?
- "Non, parce que la loi était d'abord parfaitement dans son rôle en modernisant notre vie politique. C'est une loi récente ; il y a eu une première étape réussie : n'oublions pas les municipales où une génération de terrain exceptionnelle s'y est révélée avec des femmes nombreuses."
Cela c'est mieux passé pour les municipales que pour les législatives.
- "C'était attendu."
Pourquoi ?
- "Parce que c'était un scrutin de liste et que c'est beaucoup plus facile. S'agissant des législatives, on verra comment corriger ces effets. Mais ce qui m'apparaît important c'est qu'aujourd'hui chacun s'indigne de la faible représentation des femmes à l'Assemblée nationale ; il y a 5 ans, tout le monde aurait trouvé cela parfaitement normal. Je crois donc que nous avons néanmoins un peu progressé au moins dans les têtes."
Dans les mentalités ?
- "Absolument."
Qu'est-ce que vous avez l'intention de corriger dans cette loi ?
- "Nous verrons bien à l'occasion des réflexions qui se feront comment faire du principe d'égalité un véritable réflexe, qu'il s'agisse du terrain ou de toute l'organisation des instances. Regardez vous-mêmes : qu'il s'agisse de la politique ou du monde professionnel, peu de femmes sont dans les processus de décisions ou dans les instances de représentation."
Est-ce que vous avez une vision sociale de la parité ? Est-ce que plus on est dans les milieux défavorisés plus la question de l'inégalité entre hommes et femmes se pose ?
- "Vous avez totalement raison de poser cette question. Je suis très sensible au regard qui s'impose sur les femmes et notamment les 2 millions de foyers monoparentaux, parce que ce sont souvent des femmes - vous l'imaginez bien - qui cumulent les obstacles et les handicaps. Quand on est en situation de précarité, on a naturellement des problèmes de salaire et des problèmes de carrière professionnelle, cela va de soi. J'ai commencé aussi à regarder tout ce qui se passait du côté des femmes issues de l'immigration, de manière à faire en sorte qu'elles puissent être, elles-mêmes, un vecteur de modernisation sociale."
Je reviens sur la politique. Vous étiez une dirigeante de Démocratie libérale, maintenant vous êtes membre du comité exécutif de l'UMP. Comment cela se présente la parité au point de vue de l'évolution des mentalités à l'UMP ?
- "Nous progressons là aussi. Il y a eu une étape importante avec la nouvelle génération qui s'est créée à l'issue des élections municipales. Mais il est clair que l'UMP doit s'ouvrir, comme tous les partis politiques. Il y a une responsabilité des partis politiques, aujourd'hui, à côté de la loi dans cette nécessaire mise en forme de l'égalité. De ce point de vue, avec A. Juppé, nous réfléchissons à des formules nouvelles qui, au niveau des statuts de l'UMP, permettraient d'accompagner cette évolution nécessaire. Il faut faire en sorte que les femmes se sentent de plus en plus en confiance elles-mêmes et que les partis politiques leur fassent aussi de plus en plus confiance."
L'épisode des "juppettes", les ministres femmes du gouvernement Juppé en 1995 qui avait été remerciées assez vite est oublié pour vous ?
- "Ne refaisons pas l'histoire. Aujourd'hui, la politique, ce sont les honneurs et ce sont aussi les risques. Je pense qu'aujourd'hui chacun a compris que dans le monde politique, comme dans le monde économique, la mixité, l'égalité est un principe d'avenir et c'est un principe de succès."
C'est un combat droite-gauche ?
- "Non, c'est un combat de société, c'est un combat de modernité et je suis convaincue que nous sommes à une période où nous pouvons considérer que le changement de culture est, en tout cas, très sensible. Il n'est pas encore affiché, il n'est pas encore très évident."
Il peut y avoir des retours en arrière ?
- "Il faut être vigilant, tout à fait ! Je suis absolument convaincue de cela. Il faut être vigilant sur tout ce qui pourrait être assimilable à une régression. Mais la marche en avant est organisée et nous allons y travailler."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 août 2002)