Point de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la lutte contre la pauvreté et les négociations sur la réduction de la dette des pays en voie de développement, Washington le 28 septembre 1999.

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Circonstance : Assemblée générale annuelle du FMI et de la Banque mondiale à Washington (Etats-Unis) le 28 septembre 1999

Texte intégral

Q - Sur les négociations de Seattle et la problématique des pays en développement ?
R - Hier, plusieurs orateurs, j'en étais, ont souhaité que les négociations qui vont s'ouvrir à Seattle prennent mieux en compte la problématique des pays en développement. Cela veut dire, en effet, que nous soyons cohérents avec nous-mêmes, que nous soyons capables d'ouvrir nos marchés à un certain nombre de leurs productions. Je ne préjuge pas des modalités, des calendriers, mais c'est un objectif auquel nous devons veiller.
En ce qui nous concerne, nous avons, par ailleurs, l'espoir que les questions culturelles soient débattues à l'UNESCO et pas à l'OMC. Nous l'avons dit à Moncton, la culture, ce n'est pas une marchandise. C'est un point auquel nous sommes très attentifs.
L'autre grande question est celle de la Chine. Sera-t-elle déjà partie prenante aux négociations ? Dans quelles conditions va-t-elle intégrer l'OMC ? Le poids qu'elle occupe déjà dans l'économie mondiale donne évidemment à cette question une actualité tout à fait importante.
Q - Mais je pensais plus particulièrement aux pays en voie de développement ?
R - Pour les pays en voie de développement, nous avons une négociation particulière avec l'OMC, quand je dis nous, c'est l'Europe, qui veut préserver ce lien privilégié entre l'Europe et les pays ACP, tout en veillant à ce que cet accord-là soit compatible avec les règles de l'OMC. Vous savez que la solution que la France a beaucoup poussée, et qui finalement a été retenue dans le mandat de la Commission européenne, c'est que ce soit sur la base d'une organisation régionale que l'intégration des pays en voie de développement dans l'économie mondiale se fasse avec, éventuellement, des calendriers ou des modalités différentes région par région. Cela fait partie, je le répète, des discussions que nous allons avoir avec l'OMC. Un des points durs va être le calendrier. Vous savez que les pays ACP aimeraient bien, en fait, que tout commence seulement en 2005. Nous considérons que nous aurons du mal à l'obtenir de l'OMC, qu'il vaudrait mieux que l'on affiche plutôt l'objectif en 2000, puisque la fin de la convention d'aujourd'hui c'est février 2000, quitte à se donner des flexibilités dans l'application du calendrier. Mais il faut que l'accord cadre soit conclu dans les délais, c'est-à-dire, pour nous, février 2000.
Q - Sur la réduction de la dette des pays en développement, est-ce que, comme le disait le ministre britannique, Gordon Brown, tout est désormais réglé ? Est-ce que l'on va pouvoir démarrer cette initiative ? A quelles conditions ?
R - Il fallait que les financements soient réunis. Et les éléments que nous avons sur la table, pour reprendre l'expression de M. Wolfensohn, permettent de considérer que le bouclage en quelque sorte financier de l'opération est acquis, dès lors que les discussions que nous allons avoir avec les pays ACP vont permettre aux Européens d'utiliser les reliquats du Fonds européen de Développement et que le Congrès américain aura donné son accord à la participation américaine. Mais il faudra surtout, ensuite, que les marges de manoeuvre que cet allégement de la dette va donner aux pays en voie de développement soient converties en programmes de lutte contre la pauvreté. Si on veut que ces programmes atteignent l'objectif, il ne faut pas que ce soient nos technocraties, en quelque sorte, qui les fabriquent. Il faut que les pays s'approprient ces programmes, que les opinions publiques fassent la pression nécessaire sur les Etats pour que ces marges de manoeuvre soient dans le budget, identifiées, et permettent ainsi un suivi et une appréciation des résultats par rapport à cette batterie de critères où il est question de mortalité infantile, de scolarité, de scolarité des filles par exemple, d'accès à la santé, bref tout ce qui peut être représenté comme constituant, en quelque sorte, les batailles entrant dans la lutte contre la pauvreté.
Q - Que pensez-vous de la transformation de la facilité d'ajustement structurel renforcée en un nouvel instrument de lutte contre la pauvreté ?
R - Une question qui appellerait sans doute une réponse un peu plus longue. Je vais tout de même m'y efforcer.
Vous avez raison de rappeler que le lien a été mis en évidence entre cette facilité d'ajustement, cette initiative AJPC et la lutte contre la pauvreté. Il y a deux raisons à cela, au moins. La première, ce sont des raisons objectives. A la veille de cette entrée dans le prochain millénaire, on ne peut pas considérer que la pauvreté soit, hélas, un sujet en voie de solution. Au contraire, on compte, M. Wolfensohn le disait hier à midi, 2 milliards de pauvres de plus maintenant qu'il y a un an. Un sur trois des habitants de la planète serait en dessous du seuil de pauvreté. La seconde raison, qui donne une actualité de plus à cet objectif, c'est que ce sont très largement les représentants de la société civile qui se sont mobilisés pour pousser les Etats membres et les organisations internationales à aller plus sur la voie du désendettement. Or, la société civile est évidemment, d'abord, sensible à ces questions de pauvreté. Alors, est-ce à dire que la totalité des marges de manoeuvre qu'autorisera l'allégement de la dette doit être mobilisée au seul service de la lutte contre la pauvreté ?
On pourrait poser la question autrement. Que veut dire lutte contre la pauvreté ? Quels types de dépenses peuvent y entrer ? Quelles dépenses ne peuvent pas être considérées comme faisant partie de la lutte contre la pauvreté ? C'est une question importante à laquelle les pays en développement sont sensibles. Lors de la réunion des ministres de la zone franc, qui a eu lieu à Paris il y a une semaine, un certain nombre d'entre eux ont fait observer que, si l'on veut lutter contre la corruption, il faut que les pays aient les moyens de payer un peu mieux leurs fonctionnaires, par exemple. Est-ce que les pays bénéficiaires de l'allégement de la dette pourront utiliser les marges ainsi retrouvées pour, par exemple, améliorer leurs moyens administratifs, leurs institutions judiciaires, leurs services des douanes ou de finances publiques, tous équipements ou services qui sont indispensables au développement ? Bref, et nous l'avons dit hier, il ne faut pas que la bataille de la dette fasse perdre la guerre de l'aide publique au développement, c'est un premier principe que j'ai rappelé moi-même hier lors de la réunion du comité de développement.
Deuxièmement, il faut inscrire la lutte contre la pauvreté dans le terme plus général du développement, cela veut dire que c'est en partenariat avec les pays bénéficiaires qu'il faut traduire en programmes de lutte contre la pauvreté les marges de manoeuvre dégagées par l'allégement de la dette. Nous pensons qu'il faut en plus que les sociétés civiles soient fortement impliquées, cela signifie à la fois les informer, cela signifie l'obligation pour les pays bénéficiaires d'associer leurs sociétés civiles et, en particulier, les collectivités locales à cette lutte contre la pauvreté. Cela signifie d'une manière générale - et j'ai été sensible aux déclarations notamment du ministre brésilien,
M. Malan, en ce sens - que la lutte contre la pauvreté n'est pas seulement une question d'argent, c'est un problème d'information, de sensibilisation des populations. Il rappelait qu'en matière de mortalité infantile, ce sont, parfois plutôt des réflexes, des comportements, des attitudes qui peuvent aider à atteindre le résultat escompté, pas seulement des investissements hospitaliers ou médicaux.
Donc, la grande question pour nous va être de faire en sorte que cet objectif soit approprié par les populations, c'est la bonne garantie pour que celles-ci obligent les Etats à vérifier, en quelque sorte, cette priorité de la lutte contre la pauvreté. Mais, je l'ai dit aussi, on peut imaginer que ce soit la priorité, mais ce n'est pas forcément l'usage exclusif qui devrait être fait de ces marges de manoeuvre.
Q - Il s'agit donc plus que d'un simple changement de nom ?
R - Je le pense en effet. En tout cas, nous allons nous efforcer de faire apparaître cette avancée-là comme un changement presque de nature dans notre relation avec les pays en voie de développement surtout si, dans le même temps, nous maintenons l'aide publique au développement, car il faudra bien aider ces pays à utiliser ces marges de manoeuvre en apportant encore notre contribution. Autrement dit, il faut surtout que les pays évitent d'arbitrer, en quelque sorte, en privilégiant l'allégement de la dette au détriment de l'aide publique au développement. Ce serait la plus mauvaise solution. Il faut vraiment préserver les deux plans, et la France, de ce point de vue, peut s'autoriser à le dire avec un peu de force, puisque la France demeure un des pays qui font le plus en matière d'aide publique au développement. Et elle va être un des pays qui vont devoir supporter un des très gros efforts en matière de désendettement, puisque sur les 70 milliards de dollars qui correspondent, à peu près, à l'allégement de la dette, la part de la France, est de 7 milliards, ce qui est tout à fait considérable.
Q - Rappelez-nous les chiffres, c'est 70 milliards de dollars d'allégement, et 10 % pour la France, pourquoi ?
R - C'est parce que la France avait une dette bilatérale plus importante, car elle a peut-être été plus attentive que d'autres aux pays en voie de développement, pour des raisons qui tiennent aussi à sa propre histoire. En tout cas, vous avez raison, le chiffre global de l'allégement c'est 70 milliards de dollars, et la part de la France, 7 milliards en ce qui concerne donc sa dette bilatérale et sa participation, bien sûr, dans les instances multilatérales. Je parlais à l'instant du Fonds européen de Développement. La France, à elle seule, représente 24% du montant de la contribution de ce Fonds.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er octobre 1999)