Texte intégral
Monsieur le Directeur,
Monsieur le Haut-Commissaire,
Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un grand honneur que de participer à cette 19ème Conférence Internationale sur l'Énergie de Fusion organisée à Lyon, conjointement par l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique et par le Commissariat à l'Énergie Atomique. Ma présence ici, au nom du gouvernement français, témoigne de l'importance que la France attache à la poursuite des travaux sur la fusion contrôlée.
Je souhaite la bienvenue en France à nos amis venus de l'étranger participer à cette conférence. Que leur séjour soit aussi agréable et fructueux que possible !
Je remercie très vivement les organisateurs de cette Conférence, et tout particulièrement Monsieur le Directeur Sood, de leur accueil. Je vous félicite de votre réussite.
La Fusion contrôlée représente un défi scientifique et technologique majeur. On doit en effet considérer qu'elle pourrait permettre de répondre à une problématique mondiale cruciale, celle de la disponibilité à long terme des ressources énergétiques. La demande énergétique, résultant à la fois de la croissance naturelle des populations (+50% à l'horizon 2050 selon les meilleures estimations) et de l'élévation du niveau de vie de chacun va continuer à croître, de façon non-linéaire, pendant encore de nombreuses années, ainsi que cela a été débattu et souligné lors du récent sommet de Johannesburg. Il suffit de songer qu'aujourd'hui deux milliards de personnes n'ont pas accès à l'électricité ; il est impératif que ce nombre, quelle que soit l'évolution démographique, décroisse. Avec les autres sources d'énergie, le nucléaire jouera très probablement à l'avenir, comme il le fait en France actuellement, un rôle important dans l'approvisionnement énergétique mondial.
A côté de l'énergie de fission, qui a déjà derrière elle une longue histoire, l'énergie de fusion représente un espoir, celui de disposer d'une source d'énergie propre et abondante au cours du 21ème siècle. Avec 300 l d'eau de mer, on pourrait fournir 1 gramme de deutérium, c'est à dire que l'eau des océans permettrait à elle seule de subvenir aux besoins mondiaux de l'humanité pendant des temps de l'ordre du milliard d'années... Quel avenir porte aujourd'hui la fusion thermonucléaire ! A l'heure où une raréfaction des énergies fossiles est à prévoir à l'horizon 2040-2050, il est d'une importance vitale d'explorer le potentiel des autres sources d'énergie, qu'elles soient renouvelables ou nucléaires. Je rappellerai un épisode bien connu qui m'a été rapporté lors du récent Colloque sur l'effet de serre qui s'est tenu à l'Académie des Sciences, à Paris : en avril 1968, le Club de Rome réuni à l'Académie de Lincei prédisait pour la fin du siècle la pénurie d'énergie fossile et de matières premières. Chacun peut constater la réalité. A l'époque, les travaux de projection industrielle et les recherches technologiques étaient faibles et leurs résultats grevés de lourdes incertitudes. Je crois qu'il en est autrement aujourd'hui.
D'importants investissements industriels sont intervenus à la suite de cette prévision, des découvertes majeures ont suivi et les désastres énergétiques annoncés ne se sont pas produits. La recherche et le développement sur l'énergie nucléaire s'inscrivent donc résolument dans le long terme en s'engageant dans la voie de la fusion, par confinement magnétique ou par confinement inertiel.
La France s'illustre, depuis longtemps par une grande compétence dans le domaine de l'énergie nucléaire avec une longue expérience en matière de fission. Elle a également développé une réputation d'excellence dans ce domaine, en particulier au travers des activités du Commissariat à l'Energie Atomique. La construction au fil des décennies des compétences scientifiques, technologiques, industrielles dans le domaine du nucléaire, ont permis, au-delà d'une indépendance énergétique dans le domaine de l'électricité, une prise de conscience précoce des enjeux de la fusion et des espoirs qu'elle porte.
Il y a vingt ans déjà en effet, la France a rassemblé ses activités sur le site de Cadarache, où le Commissariat à l'Energie Atomique exploite le Tokamak supraconducteur Tore Supra, dans le cadre d'une association avec Euratom. La France participe également, avec ses partenaires européens, à l'exploitation du Joint European Torus, installé à Culham. La concentration de nos compétences en un lieu unique, Cadarache, traduisait déjà à l'époque de l'installation une vision à long terme : Cadarache devait être un site potentiel attractif pour l'étape suivante, celle de la conception et de la construction de la machine qui succéderait au JET.
Aujourd'hui avec le projet ITER, l'objectif est de parvenir à démontrer, indépendamment des défis technologiques qui devront être relevés (résistance des matériaux aux températures de plus de 10 000 degrés, par exemple) et par une expérience en vraie grandeur que la fusion contrôlée peut servir de source d'énergie. C'est une étape décisive. Le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) répond donc à un objectif ambitieux : pousser les capacités actuelles du JET et de ses équivalents au-delà du seuil critique (break-even) qui permettra démontrer que la fusion peut tenir ses promesses de source d'énergie d'avenir.
Comme vous l'avez constaté ce matin, Tore Supra a participé à l'établissement de nouveaux records mondiaux en matière d'énergie injectée pendant des décharges longues : la stratégie de la France, avec ses partenaires, dans cette étape, a donc porté ses fruits.
Pour la prochaine étape, c'est l'activité résolue de la communauté "fusion", que vous représentez, qui a rendu possible la définition du projet ITER. Sans la constance et l'opiniâtreté que vous avez manifestées dans vos travaux de recherche, tout au long de ces années, en particulier dans les années 90, quand le projet semblait proche d'être abandonné, la relance actuelle d'ITER n'aurait pas été envisageable. ITER, semblable au phénix, s'apprête aujourd'hui à renaître de ses cendres. Beaucoup de sceptiques expriment encore leur doutes sur la faisabilité de cet enjeu.
A cet égard, on m'a rapporté tout récemment une anecdote révélatrice de ce scepticisme: au début des années 70, à un homme politique russe qui lui demandait quand la fusion deviendrait une réalité, un scientifique de renom répondit "dans cinquante ans". Vingt-cinq ans plus tard, lors d'un nouvel échange entre les deux hommes, la même question fut posée par ce responsable politique au scientifique. La réponse fut identique : "dans 50 an" !, le scientifique ajoutant, "Vous voyez, je suis cohérent ". Pour ma part, je suis persuadée qu'aujourd'hui, nous sommes en passe de franchir une étape importante, qui lance le compte à rebours d'une nouvelle ère dans le domaine énergétique et qui rendra définitivement dépassés de tels propos dans 25 ans. La collaboration internationale, dans le cadre de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, est sans aucun doute un des éléments qui ont permis des progrès décisifs dans les avancées du projet ITER. L'Europe y a joué un rôle important, dans le cadre du programme Euratom fusion.
Grâce au travail des chercheurs et des ingénieurs, le rapport final détaillé d'ITER a été remis aux partenaires l'an dernier ; le projet suscite aujourd'hui un grand intérêt dans la communauté scientifique qui y voit la possibilité d'étudier un plasma en combustion. Grâce au travail des équipes de négociateurs, représentant le Canada, le Japon, la fédération de Russie et l'Union européenne, des avancées notables ont été accomplies dans la mise au point des structures juridiques dont nous aurons besoin pour la réalisation du projet. L'évaluation des sites candidats a commencé. Grâce à ces progrès, ITER attire aujourd'hui de nouveaux partenaires.
La France souhaite apporter son soutien à ce projet international et offrir le meilleur de ses compétences pour ce qui représente un défi technologique et organisationnel sans précédent.
La réussite d'une opération aussi complexe qu'ITER, par le nombre de partenaires impliqués, par la diversité et la haute technicité des compétences nécessaires, par la durée de l'opération (10 ans pour la seule construction de la machine), requiert que plusieurs conditions soient remplies. Au premier chef, une solide et indéfectible collaboration internationale reste indispensable. Les négociateurs ont d'ailleurs déjà largement contribué à la définition des rôles de chacun. L'exemple du JET, avec une participation française ininterrompue depuis la conception de la machine, montre qu'il est possible d'établir de telles collaborations et de les faire fonctionner efficacement pendant plus de 20 ans.
La France, par ailleurs, a prouvé sa capacité à accueillir des chercheurs et ingénieurs du monde entier, pour construire et développer des projets ambitieux : les succès de l'Institut Laue Langevin ou de l'European Synchrotron Research Facility, implantés à Grenoble, en témoignent.
ITER est un projet fascinant. Il revient à la communauté internationale de décider de sa construction.
Le gouvernement français étudie actuellement activement l'éventuelle candidature de Cadarache.
Je formule, pour conclure, tous mes vœux pour la réussite de vos travaux et de votre séjour à Lyon. Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 16 octobre 2002)