Déclaration de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les perspectives de relance de la croissance économique, Paris, les 25 et 26 juin 2002.

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Circonstance : Assemblée plénière du Conseil économique et social les 25 et 26 juin 2002

Texte intégral

C'est à un double titre que je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui.
En premier lieu, comme vous le savez le gouvernement souhaite redonner toute sa place au dialogue social dans notre pays. Il ne s'agit pas d'un vain slogan, mais d'une volonté réelle qui influencera la pratique quotidienne de l'action gouvernementale. Il va sans dire que le Conseil économique et social est concerné au premier chef. Les trois saisines du Premier ministre donneront au Conseil l'occasion de s'exprimer sur des sujets importants pour l'avenir de notre économie et de notre société. Pour ma part, il m'a semblé naturel de recueillir votre avis et d'échanger avec vous quelques réflexions sur l'évolution de la conjoncture.
En second lieu, je me félicite de la grande intelligence et la grande pertinence du diagnostic et des recommandations formulées par votre rapporteur. Comme lui, je suis raisonnablement optimiste sur nos perspectives de reprise, même si certains facteurs d'incertitudes persistent.
POURQUOI CET OPTIMISME ?
Je crois d'abord que tout le monde partage le sentiment que le creux du cycle mondial est désormais derrière nous et que la reprise de ce début d'année est plus rapide qu'il n'était prévu.
C'est vrai bien évidemment aux Etats-Unis, où l'économie a progressé de plus de 6 % au premier trimestre. Mais c'est également vrai en Europe, où l'amélioration de la confiance des chefs d'entreprise est très nette et où la baisse de l'activité n'aura duré qu'un trimestre.
Certes, cette première phase de reprise a assurément un caractère " technique ", pour reprendre le terme des conjoncturistes, au sens où l'interruption des mouvements de déstockage assure à elle seule un rebond de la croissance dans la première moitié de l'année 2002. Certes, la demande intérieure reste encore faible chez certains de nos principaux partenaires, comme l'Allemagne.
Mais je discerne également des éléments rassurants quant à l'avenir :
* ils concernent notamment les Etats-Unis où les gains de productivité sont restés très robustes, même au creux du cycle ; le potentiel de croissance américain demeure donc solide, même si la performance du premier trimestre est à l'évidence due en partie à une politique budgétaire exceptionnellement active ;
* ils concernent aussi l'Europe, où les craintes qu'on pouvait avoir sur les perspectives d'inflation sont maintenant largement dissipées. L'effet inflationniste du passage à l'euro aura, somme toute, été modeste. Et avec le retour à des évolutions plus normales des prix alimentaires et des prix pétroliers, l'inflation au sein de la zone euro qui avait atteint un pic de 3,4 % en mai 2001 se replie progressivement vers 2 %. Cette évolution devrait contribuer à soutenir le pouvoir d'achat et la demande des ménages, tout en facilitant le maintien de conditions monétaires favorables à la croissance. De ce point de vue, la baisse du dollar peut être un atout si elle reste maîtrisée.
EVIDEMMENT, TOUS LES FACTEURS DE RISQUE ET D'INCERTITUDE N'ONT PAS DISPARU.
La première incertitude, que note votre rapporteur, concerne la reprise de l'investissement. Elle ne s'est pas encore matérialisée. Il n'y a là rien d'anormal à ce stade de la reprise, mais il conviendra de suivre avec attention les développements dans ce domaine au cours des prochains mois. Et ce, des deux côtés de l'Atlantique. A priori, la France, si on en juge par l'amélioration des perspectives de chefs d'entreprise, est bien placée pour bénéficier d'une reprise de l'investissement. Mais il faut être conscient de la dégradation des marges des entreprises en 2001 et des problèmes d'attractivité de notre territoire qu'ont pu susciter certaines politiques publiques. Pour ma part, je vois cependant dans le restockage actuel les présages d'une reprise de l'investissement dès la fin de l'année.
Un autre risque provient, mais il n'est pas nouveau, de la fragilité financière de l'économie américaine, qu'il s'agisse des ménages, des entreprises ou des intermédiaires financiers. Le déficit courant des Etats-Unis approche les 5 % du PIB, et l'épargne des ménages est restée très basse. A cet égard, votre rapporteur décrit avec talent un scénario noir, dans lequel la baisse du prix des actifs et la baisse de la consommation s'alimenteraient l'une l'autre. Dans un tel contexte, la baisse du dollar finirait par porter préjudice à la compétitivité de l'Europe. Mes récents contacts avec mon homologue M. O' Neill me donnent à penser que ce scénario pessimiste n'est pas le plus probable.
Il faut donc être optimiste, mais avec prudence. Des aléas demeurent. Néanmoins, la perspective la plus vraisemblable, celle qui est actuellement inscrite dans les indicateurs conjoncturels et qui recueille légitimement le consensus, c'est bien, pour la France, un retour rapide à un rythme de croissance annualisé proche de 3 % dans une phase de reprise cyclique, après deux années de croissance très molle.
3 % EST UN TAUX DE CROISSANCE QUI APPARAIT AUJOURD'HUI ACCESSIBLE POUR 2003, VOIRE 2004
Mais 3 %, c'est aussi un objectif que nous devons poursuivre sur le moyen terme. Et cela nécessite, comme le recommande d'ailleurs votre rapporteur, d'une part de rehausser durablement la croissance potentielle, d'autre part de poursuivre la coordination des politiques économiques en Europe.
Rehausser le potentiel de croissance, c'est nécessaire : compte tenu de la tendance qu'a pu avoir notre pays à poursuivre des politiques malthusiennes, il serait irréaliste de considérer une croissance potentielle de 3 % comme acquise. Un tel chiffre est possible mais suppose une politique volontariste qui doit nous conduire, entre autres :
- à assouplir la loi sur les 35 heures pour améliorer la capacité de réactivité de nos entreprises ;
- à mieux valoriser les fins de carrière pour accroître le taux d'activité des salariés âgés ;
- à encourager les investissements innovants qui sont nécessaires pour renouveler l'offre a un rythme soutenu ;
- enfin, à améliorer de manière continue et durable l'efficacité de la dépense publique, pour réduire les impôts et les charges prélevés sur l'économie et les ménages sans compromettre la soutenabilité des finances publiques.
C'est à dessein que je termine cette intervention sur l'équilibre des finances publiques. J'adhère à votre rapport à 100 % : le pacte de stabilité et de croissance fournit un cadre irremplaçable pour la coordination des politiques budgétaires et le dialogue avec l'autorité monétaire. S'en écarter serait un retour en arrière très préjudiciable. Mais, pour être crédible, les engagements que prennent les différents pays européens ne doivent pas être déconnectés de la réalité. Dire, comme je l'ai dit à Madrid - et les Allemands avant moi - que le rythme de rééquilibrage des finances publiques ne peut être indépendant de la croissance, est une vérité de bon sens. Cela vise - comme d'ailleurs vous le préconisez - à raisonner davantage en termes de " déficit structurel " qu'en termes de " déficit effectif ". Cette explicitation a été acceptée par tous nos partenaires. En crédibilisant nos engagements, elle ne pourra que consolider le cadre du pacte de stabilité et de croissance.
Pour conclure, je voudrais saluer une fois encore le travail du Conseil, et particulièrement de la section des problèmes économiques et de la conjoncture. Voilà qui me rend confiant sur la qualité de vos travaux des semaines à venir. Les sujets de l'Europe sociale, de l'attractivité de la France et du SMIC sont des sujets conséquents et revêtus d'une importance politique indéniable.
Vous devez rendre votre premier rapport sur l'harmonisation des SMIC dans des délais brefs. Je suis sûr que vous saurez à cette fin procéder à toutes les auditions utiles et j'ai donné instruction à mes services de répondre avec célérité à toutes vos sollicitations. Votre composition vous permet d'être un lieu authentique de dialogue social. Je suis donc convaincu que votre rapport sera utile à la réflexion du gouvernement sur un sujet crucial pour les salariés et les entreprises de notre pays.
(source http://www.ces.fr, le 27 août 2002)