Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 26 août 2002, sur le débat sur la baisse de l'impôt sur le revenu et des charges sur les bas salaires.

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Média : Europe 1

Texte intégral

E. Martichoux.- Ne trouvez-vous pas que la rentrée fait un peu désordre à droite, avec le débat sur les baisses d'impôts ?
- "N'exagérons rien. Il faut que le débat ait lieu pour voir quel est exactement le bon dosage des arbitrages budgétaires. Mais il ne faut pas non plus s'attarder à des débats trop théoriques. Et il ne faut pas que cela nous empêche de perdre de vue que nous avons un cap clair, qui est celui de rendre la France plus compétitive, plus attractive, et que nous nous sommes donnés comme essentiel but de rendre le travail français un peu moins chargé de prélèvements, pour être plus attractif, pour encourager le travail et pour remettre ce pays en état d'activité."
Mais au-delà des déclarations d'intention générale, vous dites qu'il faut qu'il y ait débat. C'est donc bien que, selon vous, il y a des hésitations au sein du Gouvernement sur les baisses d'impôts, liés à la baisse des charges, comment doser. Et, comme le dit P. Méhaignerie, pourquoi ne pas reporter les baisses d'impôts à 2004 - 2005, si la marge de manoeuvre budgétaire n'est pas suffisante ?
- "C'est un débat sur le simple dosage, entre ce que nous devons faire du côté de l'impôt et ce que nous devons faire du côté des charges sociales. Ce n'est pas un débat sur la démarche, qui est claire, qui consiste à baisser les prélèvements, à la fois pour que le travail de l'ingénieur français soit moins imposé, mais aussi pour que les salaires modestes puissent être progressivement revalorisés dans la mesure où on baisse les charges. Et il faut que les deux soient conduits ensemble. Le problème est de bien graduer la progression, ce n'est pas de faire une pause. Il ne faut pas s'arrêter en route, parce que nous avons un itinéraire clair. Il ne faut pas que le débat franco-français nous empêche de regarder ce qui se passe autour de nous. Nous devons viser à une France plus active, plus apte à financer ensuite, grâce à une croissance supérieure, ces investissements et ces services. "
Donc pas de pause. Vous êtes hostile à l'hypothèse émise par P. Méhaignerie. Vous faite oeuvre de parfait centriste - "il faut doser, il faut faire un peu de tout" -?
- "Le dosage doit être raisonnable. Il est certain que le rythme peut être un peu moins rapide que nous l'espérions. Il faut, aussi bien sur le plan de l'impôt que sur le plan des charges, arriver à abaisser les prélèvements, pour rendre le travail plus compétitif. Et nous avons besoin de tout le monde : des salariés, des ouvriers, des employés, qui ont besoin d'être mieux rémunérés pour se sentir plus épaulés, plus encouragés dans leur travail. Nous avons besoin aussi de nos jeunes ingénieurs, qui ne doivent pas partir en Angleterre ou en Allemagne."
E. Balladur posait la question dans Le Figaro vendredi dernier : que veut-on faire de la baisse des charges ? S'agit-il d'augmenter les salaires ou de baisser le coût du travail ? "On ne peut pas faire tout en même temps", disait-il. Qu'en pensez-vous ?
- "Cela dépend un peu des branches professionnelles. Il est certain que dans certaines branches, on commence à connaître des pénuries de main-d'oeuvre. Il faut se préoccuper d'une revalorisation des rémunérations de base. Dans d'autres branches, nous n'avons pas le même problème : c'est un problème de chômage. Et là, il faut que l'entreprise réduise un peu le coût du travail, par la baisse des charges, pour éviter des délocalisations. Tout cela exige beaucoup de pragmatisme, de bon sens. Il est vrai que la baisse des charges joue à la fois pour permettre une revalorisation des bas salaires, mais elle peut permettre aussi de créer des emplois supplémentaires, par exemple dans les services."
L'INSEE a justement démontré, il y a quelques mois, que les baisses de charges sur le travail peu qualifié permettent de créer des emplois en termes significatifs. Il faut savoir ce qu'on veut : on ne peut pas à la fois augmenter les bas salaires et créer des emplois...
- "La priorité, c'est la lutte contre le chômage, c'est bien évident. Vous en parlez à quelqu'un qui n'est pas pour rien dans la baisse des charges que nous avons beaucoup amplifiée avec A. Juppé. Je me réjouis que F. Fillon profite de cette baisse des charges pour permettre progressivement d'unifier les Smics, de manière plus rapide que cela avait été prévu par le précédent Gouvernement, ce qui permettra d'accompagner une augmentation des rémunérations les moins élevées. Il ne faut pas s'enfermer dans des dogmes."
Vous êtes hostile par exemple à ce que le Gouvernement demande aux entreprises de relever les bas salaires contre la baisse des charges - une sorte de contrepartie ?
- "Nous avons besoin de négociations dans ce domaine. Il faut distinguer les stratégies. Cela dépend des branches. Il y a des branches professionnelles où on a de la peine à trouver - curieusement, même avec un taux de chômage encore élevé - des salariés. Il faudra sans doute s'interroger sur le problème des rémunérations. Mais de manière globale, il est vrai que le premier effet de la baisse des charges est de lutter contre le chômage, en rendant le travail un peu moins cher pour l'entreprise, en le rendant plus compétitif et en évitant les délocalisations en dehors des frontières de la France."
Ce débat fiscal qui brouille un peu l'image de cette rentrée n'était-il pas inutile malgré tout ? N'auriez-vous pas préféré qu'une voix gouvernementale un peu forte tranche rapidement ?
- "Ce que je souhaite de tout mon coeur, c'est que nous puissions très rapidement débattre entre nous, maintenant que nous allons faire notre rentrée nous aussi. Mais aussi que le Gouvernement, dans un bon dialogue entre sa majorité et ses ministères, puisse trouver un bon dosage, un rythme raisonnable d'abaissement des prélèvements, compte tenu des prévisions de croissance, donc de rentrées d'argent..."
Encouragez-vous le Gouvernement à préparer un budget sur l'hypothèse de 3 % de croissance pour 2003 ?
- "Le Gouvernement doit préparer un budget avec quelques variantes, dans la mesure où le taux de croissance n'est pas absolument certain. Il est pour le moins aussi difficile à prévoir que la météo aujourd'hui. Par conséquent, on peut très bien imaginer un "volant" de dépenses conditionnelles, dépenses qui ne seront en effet réalisées que si le taux de croissance le permet. Là aussi, c'est une question de bon sens. Ne mettons pas un excès de passion. Essayons ensemble, et vous allez voir que ce dialogue Gouvernement-Parlement va bien fonctionner, pour trouver les voies et moyens d'un budget qui s'adaptera à la conjoncture et qui ne sera pas, de ce fait, accusé de je ne sais quelle tromperie. Il faut regarder comment les choses vont évoluer. La croissance finira par revenir. Reviendra-t-elle un peu plus tard ? Il faudra s'adapter..."
Certains ont affirmé que P. Méhaignerie, qui a mis les pied dans le plat la semaine dernière, avait dit tout haut ce que J.-P. Raffarin envisageait tout bas. Est-ce là une méthode Raffarin ?
- "Rien ne me permet de l'assurer. J.-P. Raffarin aspire à un bon dialogue entre sa majorité et son Gouvernement, et peut-être peut-on, en effet, imaginer, avant un dialogue public par media interposés, un bon dialogue interne. Ensuite, on arrive à trouver la solution, dans la mesure où nous savons tous où nous voulons aller. Et j'insiste, parce que, dans ce débat, ce qui me semble échapper à tous ces commentaires, c'est que la France doit maintenant devenir un pays plus actif, plus compétitif, parce qu'à ce moment-là, elle aura des ressources supplémentaires, son taux de croissance sera un peu plus fort que celui de ses voisins et elle pourra financer ses investissements."
Dynamiser l'économie par la baisse des charges et la baisse des prélèvements reste votre dogme, votre conviction ?
- "Oui, c'est le grand projet ! Il n'y a pas de désaccord sur ce grand projet, il y a simplement débat sur le juste dosage des différentes mesures qui concourent à ce projet."
Vous-même ne donnez pas d'indications de dosage ?
- "Il faut laisser jouer le dialogue entre Gouvernement et Parlement. Il ne faut pas vouloir aller plus vite que la musique. Nous allons avoir une présentation par le Gouvernement de ses choix. Nous les discuterons."
Ce sera le 18 septembre. F. Fillon entame demain des discussions avec tous les partenaires sociaux. On parle d'un risque de rentrée sociale chaude. Vous qui avez été ministre des Affaires sociales, comment sentez-vous la situation ? Que lui donnez-vous comme conseils ?
- "D'abord, j'observe que F. Fillon ouvre une démarche qui est tout à fait intéressante : il commence par dialoguer. Avant même d'avancer toute une série de propositions, le dialogue est ouvert."
Certains syndicats disent que justement, cela n'a pas été très cohérent de ce point de vue-là, notamment sur les créations liées aux emplois pour les jeunes - les contrats-jeunes - où il n'y a pas eu de concertation. A. Deleu, le président de la CFTC, l'a dénoncé sur notre antenne la semaine dernière.
- "C'est une mesure d'urgence, au service des jeunes qui n'ont aucune qualification. C'est un correctif beaucoup plus social à la politique précédente qui avait certes atteint des jeunes qui avaient déjà une formation. Là, on s'adresse à un public extrêmement défavorisé. C'est une mesure d'urgence. Cela n'empêchera pas maintenant aux partenaires sociaux de voir comment on peut booster, notamment la formation professionnelle et l'apprentissage, et comment on va organiser la baisse des charges, pour permettre progressivement l'unification des Smics. Cinq Smics avec de vraies injustices, cela ne peut pas durer trop longtemps. F. Fillon prend les choses par le bon bout."
On a bien compris qu'au sein de la majorité et de l'UMP, vous êtes un partisan déclaré, passionné de cette baisse de charges pour les bas salaires !
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 août 2002)