Texte intégral
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Les écoliers français connaissent tous ce vers de Corneille : " Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie... ". Sa beauté est immortelle mais son sens a vécu. Non, le vieillissement n'est plus notre ennemi ; nous vieillissons de mieux en mieux aujourd'hui. Et c'est sous cet angle résolument optimiste que je placerai mon intervention.
C'est un honneur, et une première pour moi, de m'exprimer à cette tribune en tant que représentant du Gouvernement français.
Je tiens, en premier lieu, à m'associer pleinement au discours de ma collègue danoise, qui intervenait au nom de l'Union européenne.
Je souscris entièrement aux orientations qu'elle a tracées. Aussi me garderai-je bien de reprendre ce qu'elle a excellemment exprimé et me bornerai-je à insister sur quelques points auxquels la France est particulièrement attachée.
Ils ont trait à la prise en compte des mutations en cours et à l'adaptation de nos politiques publiques à celles-ci.
I. Revoir notre conception du " vieillissement "
La seconde assemblée mondiale sur le vieillissement, qui s'est tenue à Madrid du 8 au 12 avril dernier, a marqué, dix ans après celle de Vienne en 1982, une prise de conscience renouvelée du vieillissement de la population mondiale, changement majeur dans l'histoire démographique de l'humanité.
" Vieillissement " est cependant un terme mal approprié pour traduire cette révolution à laquelle nous sommes confrontés.
En effet, contrairement à ce qu'il laisse entendre, le vieillissement en âge des populations n'est pas synonyme de déclin ni de décrépitude ; bien au contraire, il s'accompagne, en réalité, d'un rajeunissement, car l'avancée en âge dans nos sociétés est plus que compensée par l'amélioration des conditions physiques et intellectuelles aux âges avancés.
Ce qui nous fait vieux, ce n'est pas l'âge, ce sont les infirmités ; or celles-ci se manifestent de plus en plus tardivement, grâce au progrès médical et à l'amélioration des conditions de vie.
En conséquence, ce qu'on appelle " la retraite " n'est plus vraiment une période de retrait et de repos mais une période de grande activité. Les plus de 60 ans s'occupent aujourd'hui de leurs parents, de leurs petits-enfants et continuent, bien souvent, à s'investir activement dans la vie politique, économique et sociale.
Bref, la conception et les temps de la vie ne sont plus ce qu'ils étaient : nous vivons une génération de plus que nos parents ; à 50 ans, on peut aujourd'hui refaire sa vie. C'est bien à un véritable changement de civilisation que nous avons à faire.
Cette révolution démographique est si rapide qu'elle devance l'évolution des perceptions et des politiques. Et c'est nous qui avons ainsi, bien souvent, un train de retard sur nos aînés, qui ne trouvent pas dans la configuration actuelle des politiques publiques, les moyens ou les soutiens pour satisfaire leurs projets : pensez à l'âge de la retraite, par exemple, qui les empêche de poursuivre leur activité.
Bien poser les termes d'un problème, on le sait, c'est en partie le résoudre. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité d'avoir une vue exacte de ce changement qui bouleverse nos catégories et balaye nos préjugés.
Pour modifier notre regard, il nous faut réviser le traitement et l'image que nous avons des différents âges de la vie : non, répétons-le, 60 ou 65 ans ne marque plus le début de la vieillesse ; non, les temps de la vie ne sont pas appréciables au seul point de vue économique, qui cantonne la jeunesse à la formation, l'âge adulte à la production et l'âge avancé au repos et à l'inutilité sociale.
Par conséquent, nous devons réformer nos critères démographiques et statistiques et modifier l'image de l'âge donnée par les media, si influents aujourd'hui sur les conceptions de chacun. Evitons le double écueil du jeunisme, qui veut nous faire voir les seniors comme des juniors à cheveux blancs, et de l'âgisme, qui en fait des " has been " inutiles et dépendants.
II. Les principes qui doivent guider l'adaptation de nos politiques publiques
Ces changements des conceptions et de l'image de l'avancée en âge guideront l'adaptation de nos politiques publiques.
Celles-ci doivent reposer, selon nous, sur quatre grands principes : la globalité, la liberté, la solidarité et la prévention.
1) La globalité, car il convient d'agir non pas uniquement sur le financement des retraites et de la dépendance, mais sur l'ensemble des politiques publiques, que ce soient celles de l'emploi, de la santé, du logement, des retraites, de l'éducation, du sport ou encore de la vie civique et associative.
Les politiques urbaines, notamment, doivent faire un effort important pour mieux prendre en compte les seniors dans la cité. Il faut faciliter leur accueil et préserver leur insertion en agissant sur tous les leviers possibles : le mobilier urbain, les transports, le logement et les services de proximité.
2) La liberté, car il ne faut plus imposer de façon rigide une activité spécifique à chaque âge.
Réduisons le poids de l'âge dans le parcours de vie, en reconsidérant, par exemple, le verrou des 60-65 ans pour l'activité ou celui des 25-30 ans pour la formation ; modifions toutes les politiques dont les règles reposent sur des critères d'âge.
3) La solidarité, car il faut agir non pas sur chaque génération séparément mais sur les liens entre les générations et les services que chacune peut rendre aux autres : quelle place donner, par exemple, à l'expérience des seniors dans l'entreprise ? Comment organiser le soutien scolaire des enfants en difficulté par des personnes retraitées ?
4) La prévention, enfin, et surtout, car la qualité du vieillissement dépend en grande partie de sa prise en compte dès le plus jeune âge. De très grands progrès restent à faire dans ce domaine. C'est pourquoi je propose de mettre en place rapidement au niveau européen un comité qui serait chargé d'étudier les politiques de prévention menées dans les différents pays de l'Union et de faire des propositions d'amélioration de celles-ci.
Voilà les questions auxquelles, me semble-t-il, il convient de répondre aujourd'hui et les principes que nous devons suivre.
Prendre la mesure exacte du changement démographique en cours, adapter nos modes de mesures statistiques et nos représentations médiatiques, élargir notre action à toutes les politiques publiques, décloisonner les âges et les activités, tenir compte de l'apport et de la place de chacun dans la chaîne des générations, encourager enfin la prévention du vieillissement : tels sont les axes d'action que la France appelle de ses voeux et que la Déclaration ministérielle, que nous allons adopter, légitime et consacre.
" L'un des privilèges de la vieillesse, c'est d'avoir, outre son âge, tous les âges ", disait Victor Hugo, dont on fête cette année le bicentenaire et qui n'a point vieilli. Sachons tirer profit de l'expérience et du dynamisme de nos aînés.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.social.gouv.fr, le 19 novembre 2002)
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Les écoliers français connaissent tous ce vers de Corneille : " Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie... ". Sa beauté est immortelle mais son sens a vécu. Non, le vieillissement n'est plus notre ennemi ; nous vieillissons de mieux en mieux aujourd'hui. Et c'est sous cet angle résolument optimiste que je placerai mon intervention.
C'est un honneur, et une première pour moi, de m'exprimer à cette tribune en tant que représentant du Gouvernement français.
Je tiens, en premier lieu, à m'associer pleinement au discours de ma collègue danoise, qui intervenait au nom de l'Union européenne.
Je souscris entièrement aux orientations qu'elle a tracées. Aussi me garderai-je bien de reprendre ce qu'elle a excellemment exprimé et me bornerai-je à insister sur quelques points auxquels la France est particulièrement attachée.
Ils ont trait à la prise en compte des mutations en cours et à l'adaptation de nos politiques publiques à celles-ci.
I. Revoir notre conception du " vieillissement "
La seconde assemblée mondiale sur le vieillissement, qui s'est tenue à Madrid du 8 au 12 avril dernier, a marqué, dix ans après celle de Vienne en 1982, une prise de conscience renouvelée du vieillissement de la population mondiale, changement majeur dans l'histoire démographique de l'humanité.
" Vieillissement " est cependant un terme mal approprié pour traduire cette révolution à laquelle nous sommes confrontés.
En effet, contrairement à ce qu'il laisse entendre, le vieillissement en âge des populations n'est pas synonyme de déclin ni de décrépitude ; bien au contraire, il s'accompagne, en réalité, d'un rajeunissement, car l'avancée en âge dans nos sociétés est plus que compensée par l'amélioration des conditions physiques et intellectuelles aux âges avancés.
Ce qui nous fait vieux, ce n'est pas l'âge, ce sont les infirmités ; or celles-ci se manifestent de plus en plus tardivement, grâce au progrès médical et à l'amélioration des conditions de vie.
En conséquence, ce qu'on appelle " la retraite " n'est plus vraiment une période de retrait et de repos mais une période de grande activité. Les plus de 60 ans s'occupent aujourd'hui de leurs parents, de leurs petits-enfants et continuent, bien souvent, à s'investir activement dans la vie politique, économique et sociale.
Bref, la conception et les temps de la vie ne sont plus ce qu'ils étaient : nous vivons une génération de plus que nos parents ; à 50 ans, on peut aujourd'hui refaire sa vie. C'est bien à un véritable changement de civilisation que nous avons à faire.
Cette révolution démographique est si rapide qu'elle devance l'évolution des perceptions et des politiques. Et c'est nous qui avons ainsi, bien souvent, un train de retard sur nos aînés, qui ne trouvent pas dans la configuration actuelle des politiques publiques, les moyens ou les soutiens pour satisfaire leurs projets : pensez à l'âge de la retraite, par exemple, qui les empêche de poursuivre leur activité.
Bien poser les termes d'un problème, on le sait, c'est en partie le résoudre. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité d'avoir une vue exacte de ce changement qui bouleverse nos catégories et balaye nos préjugés.
Pour modifier notre regard, il nous faut réviser le traitement et l'image que nous avons des différents âges de la vie : non, répétons-le, 60 ou 65 ans ne marque plus le début de la vieillesse ; non, les temps de la vie ne sont pas appréciables au seul point de vue économique, qui cantonne la jeunesse à la formation, l'âge adulte à la production et l'âge avancé au repos et à l'inutilité sociale.
Par conséquent, nous devons réformer nos critères démographiques et statistiques et modifier l'image de l'âge donnée par les media, si influents aujourd'hui sur les conceptions de chacun. Evitons le double écueil du jeunisme, qui veut nous faire voir les seniors comme des juniors à cheveux blancs, et de l'âgisme, qui en fait des " has been " inutiles et dépendants.
II. Les principes qui doivent guider l'adaptation de nos politiques publiques
Ces changements des conceptions et de l'image de l'avancée en âge guideront l'adaptation de nos politiques publiques.
Celles-ci doivent reposer, selon nous, sur quatre grands principes : la globalité, la liberté, la solidarité et la prévention.
1) La globalité, car il convient d'agir non pas uniquement sur le financement des retraites et de la dépendance, mais sur l'ensemble des politiques publiques, que ce soient celles de l'emploi, de la santé, du logement, des retraites, de l'éducation, du sport ou encore de la vie civique et associative.
Les politiques urbaines, notamment, doivent faire un effort important pour mieux prendre en compte les seniors dans la cité. Il faut faciliter leur accueil et préserver leur insertion en agissant sur tous les leviers possibles : le mobilier urbain, les transports, le logement et les services de proximité.
2) La liberté, car il ne faut plus imposer de façon rigide une activité spécifique à chaque âge.
Réduisons le poids de l'âge dans le parcours de vie, en reconsidérant, par exemple, le verrou des 60-65 ans pour l'activité ou celui des 25-30 ans pour la formation ; modifions toutes les politiques dont les règles reposent sur des critères d'âge.
3) La solidarité, car il faut agir non pas sur chaque génération séparément mais sur les liens entre les générations et les services que chacune peut rendre aux autres : quelle place donner, par exemple, à l'expérience des seniors dans l'entreprise ? Comment organiser le soutien scolaire des enfants en difficulté par des personnes retraitées ?
4) La prévention, enfin, et surtout, car la qualité du vieillissement dépend en grande partie de sa prise en compte dès le plus jeune âge. De très grands progrès restent à faire dans ce domaine. C'est pourquoi je propose de mettre en place rapidement au niveau européen un comité qui serait chargé d'étudier les politiques de prévention menées dans les différents pays de l'Union et de faire des propositions d'amélioration de celles-ci.
Voilà les questions auxquelles, me semble-t-il, il convient de répondre aujourd'hui et les principes que nous devons suivre.
Prendre la mesure exacte du changement démographique en cours, adapter nos modes de mesures statistiques et nos représentations médiatiques, élargir notre action à toutes les politiques publiques, décloisonner les âges et les activités, tenir compte de l'apport et de la place de chacun dans la chaîne des générations, encourager enfin la prévention du vieillissement : tels sont les axes d'action que la France appelle de ses voeux et que la Déclaration ministérielle, que nous allons adopter, légitime et consacre.
" L'un des privilèges de la vieillesse, c'est d'avoir, outre son âge, tous les âges ", disait Victor Hugo, dont on fête cette année le bicentenaire et qui n'a point vieilli. Sachons tirer profit de l'expérience et du dynamisme de nos aînés.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.social.gouv.fr, le 19 novembre 2002)