Texte intégral
Ce voyage d'un peu plus d'une semaine m'a conduit à Manille puis à Palau, Phnom-Penh, Jakarta et, j'allais dire, les deux Timor puisque je suis allé à la fois au Timor oriental et au Timor occidental.
Puisque c'est l'actualité timoraise qui évidemment retient davantage l'attention, et c'est de cela sans doute que vous souhaitez que l'on parle aujourd'hui. Si j'évoque d'un mot mes autres étapes c'est parce que à peu près partout où je suis passé la question timoraise est revenue dans les conversations que j'ai pu avoir à Manille, par exemple, avec le ministre des Affaires étrangères ou le secrétaire général de la présidence de la République, à Palau dont je vais vous parler un peu plus quand même parce qu'il faut que vous sachiez de quoi il s'agit. Palau est un des Etats Pacifique, en l'occurrence un archipel d'îles, une population de 18 000 habitants qui sont néanmoins un Etat et qui accueillait le Forum des îles Pacifique. Autrefois on appelait cela le Forum du Pacifique sud mais il y a eu un peu trop d'îles du nord à y entrer et aujourd'hui c'est le Forum des îles Pacifique. J'y ai participé parce qu'après le Forum il y a une rencontre entre les Etats Pacifique et les pays bailleurs de fonds, partenaires de ces Etats Pacifique parmi lesquels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France.
La France qui est d'autant plus intéressée par ce Forum des îles Pacifique que la Nouvelle Calédonie et la Polynésie sont évidemment concernées. La Nouvelle Calédonie a d'ailleurs cette année été acceptée comme observateur dans ce Forum, ce qui jusqu'alors était refusé sous le prétexte que la Nouvelle Calédonie c'est aussi la France et que la France n'a pas, selon les Etats du Pacifique, à être présente là-bas. Ils ont accepté que la Nouvelle Calédonie soit membre du Forum ce qui, pour nous, était une bonne nouvelle, nous espérons que la Polynésie puisse aussi le devenir. Si je parle de cela, là aussi pour votre information, traditionnellement ce Forum Pacifique sud d'alors était un mauvais moment à passer pour les Français car ils s'y voyaient reprocher les essais nucléaires, qui concernaient évidemment directement cette région ; on ne parle plus des essais nucléaires, on parle encore un peu du transport des déchets nucléaires, des matériaux retraités, mais les choses, je le répète se sont bien passées.
J'ajouterai, et j'en resterai là, que plusieurs de ces pays Pacifique sont membres des ACP et donc, sont intéressés par la Convention de Lomé qui est en renégociation et c'est un des points sur lequel je me suis longuement entretenu avec un certain nombre de dirigeants de ces Etats. Si je vous dis Vanuatu, Tonga, Fidji, Micronésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée dont j'ai rencontré assez longuement le Premier ministre qui est d'autant plus intéressé qu'il a une frontière commune avec l'Irian Jaya qui est un des morceaux de l'Indonésie. Tout cela pour vous dire que, même si c'est une partie du monde qui est très lointaine, elle rejoint de cette manière aussi l'actualité. Alors j'y ai rencontré le vice-Premier ministre australien, on a évoqué aussi la question timoraise, il a lui une préoccupation, c'est que l'Australie soit moins seule sur la scène timoraise. Il aimerait que ces Etats du Pacifique qui soutiennent l'Interfet, trouvent les moyens de pouvoir être présents, même modestement, mais d'être présent à Timor Est.
Je signale d'ailleurs, et c'est là que les enjeux stratégiques peuvent être importants, qu'il y a déjà eu des contacts entre les dirigeants du CNRT de Timor Est et les Etats du Pacifique ; les dirigeants du CNTR ayant d'ailleurs dit qu'ils n'étaient pas encore sûrs que le Timor Est choisisse l'ASEAN comme intégration régionale et il se pourrait que le Timor Est demande à faire partie des Etats Pacifique, ce qui modifie évidemment la perspective et ce qui permettra alors à Timor Est d'entrer dans les pays ACP et de pouvoir bénéficier de la Convention de Lomé.
Les dirigeants de ces Etats Pacifique soutiennent Interfet mais disent tous avoir besoin de la stabilité de l'Indonésie. C'est le même point de vue que j'avais recueilli auprès des responsables philippins qui sont eux membres de l'ASEAN, qui n'avaient d'ailleurs pas accepté de voter la résolution, présentée à Genève, à la Commission des Droits de l'Homme tendant à créer une commission d'enquête.
Que ce soit aux Philippines, que se soit à Palau, que ce soit au Cambodge, où je suis allé ensuite, on soutient les Timorais dans leur mouvement vers l'indépendance, mais on redoute une déstabilisation de l'Indonésie qui aurait des conséquences négatives sur l'ensemble de la zone. Alors, maintenant, je n'insiste pas, les dépêches ont rappelé la visite que j'ai effectuée au Cambodge. Je peux quand même en dire un mot parce que c'est la première fois qu'un ministre français allait au Cambodge depuis 1996, et surtout depuis les dernières élections législatives de 1998, qui ont mis fin au bras de fer qui opposait le Funcinpec de Ranaridh au parti de M. Hun Sen. L'accueil a été très chaleureux, le roi Sihanouk m'a reçu pour me décrire une situation qu'il considère désormais stabilisée au plan de la politique intérieure, l'alliance désormais passée, qui organise une sorte de partage qui paraît satisfaisant et susceptible de durer au delà des cinq ans qui sont la durée normale du mandat à partir des élections législatives de 1998.
La question du procès des Khmers rouges a été évidemment évoquée au cours de cette discussion. Chez mes deux interlocuteurs, j'ai trouvé à la fois la volonté qu'il y ait procès, le refus de l'impunité. Mais l'un et l'autre souhaitent que la souveraineté cambodgienne ne soit pas trop tutoyée à cette occasion et espèrent que ce procès ne va pas raviver les plaies et, pourquoi pas, donner lieu à la renaissance, en quelque sorte, d'un mouvement de rébellion, ce qu'ils craignent, s'il fallait, disent-ils, aller jusqu'à l'arrestation de dirigeants, sachant que, pour l'instant, certains sont déjà emprisonnés - pour ceux-là, on comprend que la justice pourra s'appliquer sans trop de difficultés - et d'autres sont susceptibles de se livrer - pour ceux-là aussi les choses devraient aller normalement, du point de vue de la justice. Ce sera plus difficile s'il faut aller chercher, à la frontière thaïlandaise, d'autres dirigeants qui ne seraient pas forcément coopératifs.
Un projet de loi va être présenté devant le Parlement pour organiser ce procès des Khmers rouges. Le Premier ministre a souhaité recueillir l'avis des experts français, ce que nous allons faire. J'ai insisté auprès de mes interlocuteurs sur la sensibilité de l'opinion française à cette question, le refus qui est évidemment, le nôtre de toute idée d'impunité et le besoin d'une présence internationale significative pour donner de la légitimité, de la crédibilité en quelque sorte, aux décisions que les juges prendraient. Vous savez qu'il y a un débat actuellement entre le gouvernement cambodgien et les Nations unies sur la part qu'auraient, parmi les magistrats, la part internationale et la part cambodgienne. C'est là-dessus qu'il y a actuellement des débats qui continuent.
Le Cambodge. Je le répète, du point de vue de la coopération, les choses sont très soutenues. Il y a un dossier important c'est la réduction des effectifs militaires, c'est un problème qui se pose dans un pays qui retrouve la paix après avoir été en guerre depuis pratiquement 30 ans. Le jugement que je porte sur le Cambodge, que je viens de visiter, est positif. Je le répète, les Cambodgiens peuvent, pour la première fois depuis très longtemps, consacrer leur énergie à leur développement.
Jakarta est une étape qui n'était pas prévue lorsque nous avons organisé ce voyage asiatique. C'est l'actualité timoraise qui m'a convaincu de l'utilité d'un passage à Jakarta et d'une visite à Timor. A Jakarta, on vit une période très intense du point de vue de la vie politique intérieure, puisque le 20 octobre, le Parlement doit choisir un nouveau président. L'actuel président M. Habibie, qui m'a reçu longuement - notre entretien a duré presque une heure et demie - va présenter au Parlement, demain, un rapport mais je crois que le délai en a été un peu retardé. Le Parlement va devoir donner "quitus" en quelque sorte ou non, au président Habibie pour le rapport qu'il présente et dont il nous a livré, par anticipation, les grandes lignes, qui se veut élogieux. Il insiste beaucoup sur le socle législatif qu'il a mis en place pour permettre à la démocratie de s'installer, en quelque sorte, en Indonésie : liberté de la presse, liberté pour les partis politiques. Il peut s'enorgueillir, d'ailleurs, de ces dernières élections générales qui ont vu la victoire relative de Mme Megawati, la fille de l'ancien président Soekarno.
Le président Habibie, mais il ne peut le faire qu'avec prudence, pourrait s'enorgueillir d'avoir accepté le référendum sur Timor, l'intervention de l'Interfet et pris acte des résultats du vote des Timorais. En terme de politique intérieure, il n'est pas sûr que ceci soit forcément payant. Vous savez que la plupart des forces politiques indonésiennes continuent d'avoir une position de regret à propos de la séparation du Timor.
Pour revenir également sur cet entretien avec M. Habibie, j'ai également évoqué Timor, le message que j'étais chargé de porter au nom de la France était que nous attendions de l'Indonésie, à la fois qu'elle respecte la volonté des Timorais, les Droits de l'Homme auxquels ceux ci ont droit, - et là, de ce point de vue, le compte n'y est pas tout à fait -, et que nous attendions aussi de l'Indonésie qu'elle puisse, en préservant sa stabilité, participer à la stabilité de cette région du monde et à son développement. C'était le message de la France, vous avez compris que c'est aussi l'espoir des pays environnants. J'ai rencontré aussi un homme dont on parle beaucoup qui est le général Wiranto, qui de toute évidence - si j'en juge par l'importance des installations où il nous a reçu, l'Etat major des Forces armées à quelques kilomètres de Jakarta - est à la tête d'une institution puissante. L'homme lui-même dégage de toute évidence une forte impression d'autorité, d'intelligence. Il est chef d'Etat-major des armées, les commentateurs lui prédisent volontiers une fonction de vice-président et, curieusement, en précisant qu'il pourrait être vice-président quelque soit le futur président. C'est dire si tout le monde s'attend à ce que l'armée continue à jouer un rôle important dans l'Indonésie nouvelle qui est en train de naître. Pourtant, le même général Wiranto nous dit que le moment est venu pour l'armée indonésienne de prendre du champ par rapport aux politiques, de s'y soumettre tout en continuant à jouer un rôle privilégié de garant de l'unité indonésienne, tout en continuant aussi, à participer à son développement. Ce qui ne me parait pas anormal compte tenu de la situation de cet immense pays où les pouvoirs intermédiaires sont encore fragiles et où l'armée a, nécessairement, une place singulière.
J'ai rencontré, enfin, M. Gus Dur, qui est un des candidats à la présidence et qui représente une sorte de fédération des familles musulmanes, qui est d'ailleurs présente au Parlement et à qui on prête quelques chances dans ces élections, mais le jeu des combinaisons possibles entre M. Gus Dur et Mme Megawati, entre Mme Megawati et le général Wiranto, M. Habibie n'ayant pas dit son dernier mot, empêche tout pronostic sérieux. Avec mes interlocuteurs et, en particulier M. Gus Dur, la question des forces centrifuges, qui, aujourd'hui, aussi bien à l'Ouest, Sumatra que de l'autre côté, à Irian Jaya sans oublier d'autres îles, où les mouvements autonomistes plus ou moins indépendantistes sont à l'oeuvre, a évidemment retenu mon attention. Mais curieusement c'est M. Gus Dur, candidat musulman à la présidence qui a été le plus soucieux d'aborder ces questions, le président Habibie non et avec le général Wiranto nous en avons également un peu parlé.
C'est avec celui-ci que j'ai le plus parlé de la situation timoraise. Sachant que l'armée a été fortement incriminée dans les événements récents et continue de l'être quant à la situation qui est faite aux réfugiés timorais. Une des questions les plus préoccupante est celle de la sécurité de la zone frontalière entre les deux Timor. J'ai évidemment demandé au général Wiranto comment il voyait la possibilité de sécuriser cette zone et quelles dispositions l'armée indonésienne entendait-elle prendre pour éviter que les milices ne continuent à entretenir l'instabilité et la violence. Il m'a répondu que selon lui la bonne solution serait des patrouilles mixtes Interfet-Indonésie.
Je vous dis tout de suite que le général Cosgrove que j'ai rencontré à Timor Est, hier matin, n'est pas convaincu par cette solution. Il craint que ceci fasse courir des risques à ses soldats. Il a évoqué le risque d'enlèvement par exemple, de capture de ses soldats et il n'est donc pas favorable à cette solution. Monseigneur Belo encore moins, que j'ai rencontré également, Monseigneur Belo m'est apparu sur une ligne de défiance absolue vis-à-vis des indonésiens. "On ne peut pas leur faire confiance". Parlant de la situation des réfugiés, il dit "ils vivent au milieu des adversaires" parce que le mot "ennemi" n'a pas été prononcé. Je peux comprendre cette position. Monseigneur Belo ne veut pas entendre parler de quelque accord que ce soit avec les Indonésiens. Par contre, il est prêt à dialoguer avec les Timorais, y compris ceux qui étaient contre l'indépendance pour essayer de faire vivre ensemble les Timorais. Il y a une différence très nette pour Monseigneur Belo entre le dialogue possible avec les Timorais et le refus de toute discussion avec les Indonésiens. Il reste actuellement deux bataillons d'Indonésiens au Timor oriental qui ne sortent pas, le général Cosgrove précisant que s'ils sortaient, ils risquaient de se faire lapider. Chaque jour, une réunion est d'ailleurs organisée entre le chef de ce détachement indonésien et le général Cosgrove.
Alors comment se présente la situation ? Dili est détruit à 90 %, reste encore quelques maisons intactes mais elles sont une infime minorité. Détruit, cela veut dire ou bien totalement effondré ou totalement brûlé - il ne reste que les murs - ou au moins pillé. Les problèmes qui se posent sont des problèmes d'eaux et une demande expresse de moyens de forage a été faite pour aller chercher l'eau dans la nappe. La vie reprend alors que la ville, m'ont dit les militaires, était totalement déserte le 25 septembre, la vie reprend, un marché a commencé à nouveau à refonctionner. La présence militaire est importante. Le Général Cosgrove considère que la sécurité est désormais à peu près établie sauf, justement, sur la zone frontalière, qu'il y a encore probablement, dit-il, quelques miliciens à Dili. On continue à être attentif, des mesures de précaution sont prises mais la question la plus difficile pour lui se pose à l'ouest de Dili et en particulier cette zone frontalière, sachant que, derrière la frontière, il y a la ville de Tamboua qui serait un peu, toutes proportions gardées, comme Kukes en Albanie au moment du Kosovo. C'est là que le plus grand nombre des réfugiés sont rassemblés.
Les réfugiés ont été, de toute évidence, poussés vers le Timor occidental par l'armée et la milice. On a même recueilli des témoignages où l'on disait aux gens "partez parce que la milice arrive". Toute comparaison serait imprudente avec la situation au Kosovo. Mais, sur le terrain, on retrouve un peu la même situation qu'entre les militaires serbes et les paramilitaires ou les bandes qui commettaient les mauvais coups c'est-à-dire que les militaires indonésiens n'auraient pas commis d'ailleurs. Il semble bien que les militaires sont partis d'abord, poussant donc devant eux les populations laissant aux miliciens le soin d'incendier, de détruire et de piller car un pillage aussi systématique en aussi peu de temps signifiait quand même une bonne préméditation.
Les réfugiés maintenant. Il y a en a une bonne partie qui reste dans les montagnes à Timor oriental et qui attendent pour redescendre de savoir que la sécurité est rétablie. C'est un problème. D'ailleurs, on en a parlé avec le général Cosgrove, qui dit "la sécurité est rétablie" mais, tant que le message n'est pas passé aux populations réfugiées, le souvenir qu'elles ont des violences commises par les miliciens ne les incitent pas à revenir chez elle sans assurance. Les ONG présentes vont jusqu'à dire qu'il faudrait qu'on puisse aller les chercher en quelque sorte. Ce qui signifie, c'est vrai aussi, les moyens militaires dont ne disposent peut être pas le général Cosgrove.
S'il s'agissait d'aller chercher les réfugiés et de les faire revenir, il est fort possible qu'il y ait là besoin de moyens supplémentaires. C'est en tout cas la conviction que nous avons, là aussi c'est aussi le point de vue des ONG, que nous avons rencontrées. La plupart des réfugiés qui sont au Timor occidental - hormis sans doute la fraction de Timorais qui eux étaient contre l'indépendance et qui vont faire le choix de revenir en Indonésie, à Timor occidental, et qui sont vraiment minoritaires - sont des personnes qui ont été déplacées. Difficile de dire les violences qu'ils ont subies dans le cadre de ce transport forcé. Il a suffi que l'armée leur disent "partez" pour qu'ils partent, ils ont été embarqués sur des bateaux, sur des camions et ils ont donc pour une part été envoyés directement à l'autre bout de Timor occidental à Kupang, une ville assez importante - 200 000 habitants -. Et c'est là, dans les endroits habituels si je puis dire, c'est-à-dire les gymnases, les stades qu'on a rassemblé les réfugiés. Le camp que nous avons visité en compte environ 15 000. Tous les témoignages que l'on a recueillis auprès d'eux étaient en faveur du retour. Les Indonésiens sont-ils prêts à les laisser partir ? C'est la première question. C'est ce que disent les autorités à Jakarta. Le HCR est-il autorisé à entrer dans ces camps ? C'est ce que disent les autorités à Jakarta. Sur le terrain, les représentants du HCR ou de la Croix-Rouge que nous avons rencontrés à Kupang, disent que cet accès aux réfugiés demeure difficile, que la présence des miliciens notamment dans les camps autour de Tamboua, est très forte et de toute évidence les réfugiés continuent à vivre dans la crainte, ce qui rend difficile l'enregistrement des candidats au départ. Nous avons un témoignage selon lequel les listes des candidats au départ établies en commun entre les Indonésiens et le HCR aurait pu être ensuite utilisées par les milices pour faire de l'intimidation sur les candidats au départ ou a contrario essayer de les enrôler.
J'en arrive à la conclusion que le plus urgent c'est évidemment que ces réfugiés rentrent chez eux. On peut le dire avec d'autant plus de certitude que le HCR dit être prêt à Dili à les accueillir et qu'on a prévu les camps de ravitaillement et la distribution des matériels, des matériaux dont ils vont avoir besoin pour retaper même sommairement leur maison avant la saison des pluies qui va être là dans trois semaines.
Je crois que c'est donc sur les autorités indonésiennes qu'il faut maintenir la pression pour qu'elles laissent partir les réfugiés et aident en particulier à la sécurité de leur transport. Il faut sans doute aussi que des moyens de transport supplémentaires soient mis en oeuvre. Et c'est là - j'ai évoqué cette hypothèse au Conseil des ministres ce matin - qu'il faut voir ce que la France, de son côté, peut éventuellement apporter comme contribution au transport de ces réfugiés. Faut-il que ce soient des moyens civils ? Les bateaux de transport ne manquent pas dans cette région du globe. Est-ce que les moyens de transport militaires maritimes peuvent être mobilisés ?
Je rappelle enfin que la France a mobilisé des crédits à la fois en faveur du HCR, de la Croix-Rouge, mais aussi qu'elle intervient au travers de Echo, l'agence humanitaire européenne, et que - je conclus là sur ce point - l'hôpital militaire qui a été déployé par la France, et que nous avons visité, fonctionne dans des conditions jugées satisfaisantes mais précaires. Quand on y opère, c'est le plus souvent pour extraire des balles que les victimes portent depuis quelques semaines. Hier, quand nous sommes passés, il y avait un opéré, un autre était en train de se faire enlever une balle mais, là encore, je vous le dis, les blessures remontaient à une quinzaine de jours. Il y a donc cette activité, dirigée directement vers les victimes des affrontements, et puis aussi la fonction normale d'un hôpital. On a commencé à y accoucher et il y avait une population civile en consultation, l'hôpital de Dili étant fermé. Il n'y a pas que les médecins français d'ailleurs. Mais les médecins français font un très bon travail. Il y a quelques ONG : Médecins du monde est là. Voilà comment se présente à peu près la situation.
Q - Deux questions : vous avez dit que le commandant Cosgrove s'était plaint qu'il avait juste assez de militaires. Cela veut dire qu'il n'y en avait pas assez pour faire ce genre de choses. Est-ce que la France serait disposée à envoyer des soldats, en plus du contingent ?
Par rapport à cette aide pour transporter ceux qui avaient été déportés du côté occidental de Timor, vous avez dit que la question avait été posée ce matin au Conseil des ministres. Une décision va-t-elle être prise ?
R - Les Français actuellement sont environ 300. Notre présence va être renforcée par l'arrivée du Sirocco, bateau parti de Toulon il y a quelques semaines et qui doit être actuellement à Darwin, ce qui va porter la présence française à environ 500 hommes, il y a quelques femmes également. J'observe que les autres contingents ne sont pas encore complétés. Je veux dire que, par rapport aux engagements pris par tel ou tel pays, il reste encore un peu de marge. Autrement dit, si je devais simplifier, je dirais qu'il y a à peu près 5 000 hommes et femmes sur place sur 8 500 qui étaient attendus. Il reste encore cette montée en puissance. C'est après qu'il faudra apprécier s'il y a besoin de moyens supplémentaires. Ce qu'il faut souhaite, c'est que les engagements pris par les uns et les autres puissent se concrétiser le plus vite possible. Il est souhaitable qu'il y ait des Asiatiques - des "régionaux", si je puis dire - présents, c'est important. Si l'on devait augmenter la présence d'Interfet, ce serait bien que cela soit une présence "asiatique", plutôt, qu'une présence "occidentale". J'y mets des guillemets, parce que, quand on pense à la présence occidentale, c'est surtout de l'Australie dont il s'agit. Mais je pense que cela serait important. Peut être faut-il que la communauté internationale aide certains pays qui voudraient intervenir mais qui n'en ont pas les moyens. S'agissant des transports, j'ai simplement évoqué, je le répète, la situation et dit que la France sera probablement sollicitée pour participer à ce transport. Il n'y a pas eu débat encore moins réponse. Disons que la question est à l'étude.
Q - Est-ce que la situation n'est pas bloquée du côté des forces asiatiques jusqu'à l'élection présidentielle en Indonésie ? La situation est grave pour les réfugiés. Il en reste 250 000 à Kupang. Vous avez vu les conditions dans lesquelles ils vivent.
R - Sur le chiffre d'ailleurs, moi je vous livre simplement ceux que l'on m'a donnés. A Jakarta, le ministre du bien-être social qui, au sein du gouvernement indonésien, est chargé de la question des réfugiés, lui m'a dit 265.000. C'est le chiffre affiché par les Indonésiens. Le HCR dit 230.000. La Croix Rouge parle de 200.000. Autrement dit c'est quand même cet ordre-là de grandeur. Ce qui est tout à fait considérable. Sur le point de savoir si l'actualité politique à Jakarta retentit sur les solutions à apporter à Timor, oui et non.
J'attends du vote du Parlement le signal fort adressé aux milices et peut-être à certains militaires après tout, les soldats perdus, tous les pays ayant une armée ont connu cette situation ou presque. Un signal fort adressé à ceux qui seraient tentés de mener une bataille de retardement contre l'indépendance que le point de non-retour est dépassé et que l'indépendance désormais est irréversible. C'est cela que le vote du Parlement peut signifier et il est important qu'il intervienne bien sûr le plus vite possible. Et je regrette que nous ayons appris, peut-être, un report relatif. J'ai entendu, par exemple, qu'une demande pourrait être présentée par le Parlement à laquelle nous n'avions pas pensé ; c'est une décision des Portugais mettant fin à l'autorité juridique qu'ils continuent officiellement d'exercer, puisque les Portugais sont partis de Timor en 1975.
Le président Habibie d'ailleurs insiste en disant si l'Indonésie a occupé le Timor Oriental, c'est à la demande des Américains et des Australiens après le départ des Portugais, mais l'Indonésie n'avait aucun intérêt stratégique à aller à Timor Oriental. Peut-être que depuis, certains y ont trouvé des intérêts personnels.
Et il est vrai que depuis, le Portugal n'a pas porté les modifications constitutionnelles ou législatives qui mettraient fin à ce lien avec Timor Est. Mais parmi les conditions que le Parlement indonésien mettraient à son vote, il y aurait cette régularisation en quelque sorte de la part des Portugais.
Q - (inaudible)
R - Le choix des instruments juridiques me paraît tout à fait secondaire. L'important semble-t-il, c'est que ceci aille vite de façon à ce qu'il n'y ait pas de bonne ou de mauvaise raison de retarder le retour des réfugiés. Parce que c'est cela le point qui nous paraît tout à fait essentiel.
Q - Un problème de droit se pose. Il y a des résolutions. Les Nations unies n'ont jamais reconnu l'annexion de cette "27ème province" indonésienne. Se pose un problème de droit international. Si le Portugal modifie sa constitution, il va à l'encontre les résolutions des Nations unies, c'est la prime à l'agresseur.
R - Je ne préjuge pas de la réponse qui va être apportée par les Portugais. Je vous livre simplement cette demande dont nous avons été informée. Là encore, je vous dis les conditions puisque le texte était en discussion devant le Parlement. Moi j'ai appris cela à l'occasion du dîner que l'ambassadeur avait organisé et je l'ai appris de la bouche du Président du groupe parlementaire Golkar à l'Assemblée nationale. Donc, cela veut dire que c'est quand même un interlocuteur à peu près crédible. Il est par ailleurs le président de la Commission des Droits de l'Homme indonésien. Il se trouve qu'il est un des élus de Timor. C'est-à-dire qu'il s'intéresse d'un peu plus près que d'autres à cette question.
Q - Vous avez rencontré Mgr Belo. Est-ce qu'il vous a paru traumatisé par ce qu'il a vu à Dili, au Timor ?
R - Traumatisé, certainement non. J'ai eu en face de moi un homme déterminé, soucieux du sort des réfugiés, soucieux de voir le Timor Oriental pouvoir très vite gérer sa liberté. Ce qui signifie évidemment une aide internationale dont il va falloir que nous nous préoccupions et dont nous devons nous préoccuper tous parce que ce nouveau pays va devoir se reconstruire, se doter d'institutions, en commençant par une administration provisoire des Nations unies puisque c'est de cela dont on parle. Je pense que, là aussi, il faudrait que cela aille vite, en faisant en sorte, avec là aussi sans doute un problème de police, qui va nécessairement se poser, mais surtout des besoins économiques. C'est cela qui préoccupe actuellement Mgr Belo. Mais j'ai vu quelqu'un de déterminé, de solide, sachant d'ailleurs le rôle important que l'église et la hiérarchie catholique jouent en quelque sorte, ont joué, et vont jouer, j'en suis convaincu, dans le Timor oriental de demain. Il y a d'ailleurs déjà un réseau constitué autour des prêtres et des paroissiens, pour essayer justement de soustraire à l'influence des milices telle ou telle famille timoraise qu'on commence à faire revenir. Nous avons croisé des Timorais sur l'aéroport de Dili, qui revenaient, avec l'appui du réseau des églises catholiques.
Q - Le départ a été compris par la population ou pas ?
R - Je n'ai vraiment pas eu le temps de demander à la population ce qu'elle en avait pensé. Il m'a reçu dans la maison qu'il occupe, la sienne ayant été brûlée. C'est une maison d'emprunt, en quelque sorte, dans laquelle il accueille ses visiteurs.
Q - Vous faisiez allusion tout à l'heure à la nécessité de maintenir une pression sur les autorités indonésiennes. Dans cette perspective, de quels moyens de pression la France est-elle prête à user ?
R - Il y a une voie normale : c'est que notre ambassadeur à Jakarta, qui m'accompagnait à Dili et à Kupang, se voit confier d'abord le soin de rendre compte d'abord de ce que nous avons vu aux autorités indonésiennes, et saisisse l'occasion pour dire que, selon nous, la solution la plus urgente c'est le retour des réfugiés. Je n'ai pas encore arrêté tout à fait la stratégie, mais je peux aussi imaginer en parler avec l'ambassadeur d'Indonésie à Paris.
Q - Les programmes de coopération qui sont éventuellement déjà en cours avec l'Indonésie ne pourraient pas être suspendus à un certain nombre de conditions ?
R - Il y a suspension. Actuellement, il faut que les choses soient claires, un conseil Affaires générales du mois de septembre a déjà suspendu la coopération avec l'Indonésie pour quatre mois et décidé un embargo sur les armes et les munitions. Voilà la situation. C'était une décision un peu nouvelle car habituellement il faut une nouvelle décision pour reprendre la coopération, là il a été dit que c'était suspendu pour quatre mois. C'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une nouvelle décision pour que la coopération reprenne dans quatre mois. J'ai dit à mes interlocuteurs indonésiens que la reprise ou non de la coopération par l'Europe et la France en particulier est subordonnée à la manière dont les Indonésiens gèrent la crise timoraise, vont organiser le retour des réfugiés. J'ai dit aussi, à cause du poids de l'Indonésie dans cette région du monde, que nous espérions que les conditions politiques, c'est-à-dire que les choses se passent bien à la fois pour Timor et pour les réfugiés, nous permettent rapidement de reprendre la coopération.
Et si les conditions politiques sont satisfaisantes, nous sommes prêts à être les avocats ou les interprètes des Indonésiens au sein des grandes instances multinationales, on pense au Fonds monétaire international ou à la Banque mondiale, qui ont des programmes d'aide à l'Indonésie, eux aussi suspendus. Nous n'avons pas le temps d'en parler aujourd'hui mais il n'est pas inintéressant de rappeler quand même que l'Indonésie sort d'une crise financière très grave qui n'est d'ailleurs pas tout à fait terminée. C'est le moins qu'on puisse dire. Retenez donc que la coopération est suspendue malgré tout et que nous sommes évidemment bien décidés à utiliser aussi ce moyen de pression.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 1999)
Puisque c'est l'actualité timoraise qui évidemment retient davantage l'attention, et c'est de cela sans doute que vous souhaitez que l'on parle aujourd'hui. Si j'évoque d'un mot mes autres étapes c'est parce que à peu près partout où je suis passé la question timoraise est revenue dans les conversations que j'ai pu avoir à Manille, par exemple, avec le ministre des Affaires étrangères ou le secrétaire général de la présidence de la République, à Palau dont je vais vous parler un peu plus quand même parce qu'il faut que vous sachiez de quoi il s'agit. Palau est un des Etats Pacifique, en l'occurrence un archipel d'îles, une population de 18 000 habitants qui sont néanmoins un Etat et qui accueillait le Forum des îles Pacifique. Autrefois on appelait cela le Forum du Pacifique sud mais il y a eu un peu trop d'îles du nord à y entrer et aujourd'hui c'est le Forum des îles Pacifique. J'y ai participé parce qu'après le Forum il y a une rencontre entre les Etats Pacifique et les pays bailleurs de fonds, partenaires de ces Etats Pacifique parmi lesquels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France.
La France qui est d'autant plus intéressée par ce Forum des îles Pacifique que la Nouvelle Calédonie et la Polynésie sont évidemment concernées. La Nouvelle Calédonie a d'ailleurs cette année été acceptée comme observateur dans ce Forum, ce qui jusqu'alors était refusé sous le prétexte que la Nouvelle Calédonie c'est aussi la France et que la France n'a pas, selon les Etats du Pacifique, à être présente là-bas. Ils ont accepté que la Nouvelle Calédonie soit membre du Forum ce qui, pour nous, était une bonne nouvelle, nous espérons que la Polynésie puisse aussi le devenir. Si je parle de cela, là aussi pour votre information, traditionnellement ce Forum Pacifique sud d'alors était un mauvais moment à passer pour les Français car ils s'y voyaient reprocher les essais nucléaires, qui concernaient évidemment directement cette région ; on ne parle plus des essais nucléaires, on parle encore un peu du transport des déchets nucléaires, des matériaux retraités, mais les choses, je le répète se sont bien passées.
J'ajouterai, et j'en resterai là, que plusieurs de ces pays Pacifique sont membres des ACP et donc, sont intéressés par la Convention de Lomé qui est en renégociation et c'est un des points sur lequel je me suis longuement entretenu avec un certain nombre de dirigeants de ces Etats. Si je vous dis Vanuatu, Tonga, Fidji, Micronésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée dont j'ai rencontré assez longuement le Premier ministre qui est d'autant plus intéressé qu'il a une frontière commune avec l'Irian Jaya qui est un des morceaux de l'Indonésie. Tout cela pour vous dire que, même si c'est une partie du monde qui est très lointaine, elle rejoint de cette manière aussi l'actualité. Alors j'y ai rencontré le vice-Premier ministre australien, on a évoqué aussi la question timoraise, il a lui une préoccupation, c'est que l'Australie soit moins seule sur la scène timoraise. Il aimerait que ces Etats du Pacifique qui soutiennent l'Interfet, trouvent les moyens de pouvoir être présents, même modestement, mais d'être présent à Timor Est.
Je signale d'ailleurs, et c'est là que les enjeux stratégiques peuvent être importants, qu'il y a déjà eu des contacts entre les dirigeants du CNRT de Timor Est et les Etats du Pacifique ; les dirigeants du CNTR ayant d'ailleurs dit qu'ils n'étaient pas encore sûrs que le Timor Est choisisse l'ASEAN comme intégration régionale et il se pourrait que le Timor Est demande à faire partie des Etats Pacifique, ce qui modifie évidemment la perspective et ce qui permettra alors à Timor Est d'entrer dans les pays ACP et de pouvoir bénéficier de la Convention de Lomé.
Les dirigeants de ces Etats Pacifique soutiennent Interfet mais disent tous avoir besoin de la stabilité de l'Indonésie. C'est le même point de vue que j'avais recueilli auprès des responsables philippins qui sont eux membres de l'ASEAN, qui n'avaient d'ailleurs pas accepté de voter la résolution, présentée à Genève, à la Commission des Droits de l'Homme tendant à créer une commission d'enquête.
Que ce soit aux Philippines, que se soit à Palau, que ce soit au Cambodge, où je suis allé ensuite, on soutient les Timorais dans leur mouvement vers l'indépendance, mais on redoute une déstabilisation de l'Indonésie qui aurait des conséquences négatives sur l'ensemble de la zone. Alors, maintenant, je n'insiste pas, les dépêches ont rappelé la visite que j'ai effectuée au Cambodge. Je peux quand même en dire un mot parce que c'est la première fois qu'un ministre français allait au Cambodge depuis 1996, et surtout depuis les dernières élections législatives de 1998, qui ont mis fin au bras de fer qui opposait le Funcinpec de Ranaridh au parti de M. Hun Sen. L'accueil a été très chaleureux, le roi Sihanouk m'a reçu pour me décrire une situation qu'il considère désormais stabilisée au plan de la politique intérieure, l'alliance désormais passée, qui organise une sorte de partage qui paraît satisfaisant et susceptible de durer au delà des cinq ans qui sont la durée normale du mandat à partir des élections législatives de 1998.
La question du procès des Khmers rouges a été évidemment évoquée au cours de cette discussion. Chez mes deux interlocuteurs, j'ai trouvé à la fois la volonté qu'il y ait procès, le refus de l'impunité. Mais l'un et l'autre souhaitent que la souveraineté cambodgienne ne soit pas trop tutoyée à cette occasion et espèrent que ce procès ne va pas raviver les plaies et, pourquoi pas, donner lieu à la renaissance, en quelque sorte, d'un mouvement de rébellion, ce qu'ils craignent, s'il fallait, disent-ils, aller jusqu'à l'arrestation de dirigeants, sachant que, pour l'instant, certains sont déjà emprisonnés - pour ceux-là, on comprend que la justice pourra s'appliquer sans trop de difficultés - et d'autres sont susceptibles de se livrer - pour ceux-là aussi les choses devraient aller normalement, du point de vue de la justice. Ce sera plus difficile s'il faut aller chercher, à la frontière thaïlandaise, d'autres dirigeants qui ne seraient pas forcément coopératifs.
Un projet de loi va être présenté devant le Parlement pour organiser ce procès des Khmers rouges. Le Premier ministre a souhaité recueillir l'avis des experts français, ce que nous allons faire. J'ai insisté auprès de mes interlocuteurs sur la sensibilité de l'opinion française à cette question, le refus qui est évidemment, le nôtre de toute idée d'impunité et le besoin d'une présence internationale significative pour donner de la légitimité, de la crédibilité en quelque sorte, aux décisions que les juges prendraient. Vous savez qu'il y a un débat actuellement entre le gouvernement cambodgien et les Nations unies sur la part qu'auraient, parmi les magistrats, la part internationale et la part cambodgienne. C'est là-dessus qu'il y a actuellement des débats qui continuent.
Le Cambodge. Je le répète, du point de vue de la coopération, les choses sont très soutenues. Il y a un dossier important c'est la réduction des effectifs militaires, c'est un problème qui se pose dans un pays qui retrouve la paix après avoir été en guerre depuis pratiquement 30 ans. Le jugement que je porte sur le Cambodge, que je viens de visiter, est positif. Je le répète, les Cambodgiens peuvent, pour la première fois depuis très longtemps, consacrer leur énergie à leur développement.
Jakarta est une étape qui n'était pas prévue lorsque nous avons organisé ce voyage asiatique. C'est l'actualité timoraise qui m'a convaincu de l'utilité d'un passage à Jakarta et d'une visite à Timor. A Jakarta, on vit une période très intense du point de vue de la vie politique intérieure, puisque le 20 octobre, le Parlement doit choisir un nouveau président. L'actuel président M. Habibie, qui m'a reçu longuement - notre entretien a duré presque une heure et demie - va présenter au Parlement, demain, un rapport mais je crois que le délai en a été un peu retardé. Le Parlement va devoir donner "quitus" en quelque sorte ou non, au président Habibie pour le rapport qu'il présente et dont il nous a livré, par anticipation, les grandes lignes, qui se veut élogieux. Il insiste beaucoup sur le socle législatif qu'il a mis en place pour permettre à la démocratie de s'installer, en quelque sorte, en Indonésie : liberté de la presse, liberté pour les partis politiques. Il peut s'enorgueillir, d'ailleurs, de ces dernières élections générales qui ont vu la victoire relative de Mme Megawati, la fille de l'ancien président Soekarno.
Le président Habibie, mais il ne peut le faire qu'avec prudence, pourrait s'enorgueillir d'avoir accepté le référendum sur Timor, l'intervention de l'Interfet et pris acte des résultats du vote des Timorais. En terme de politique intérieure, il n'est pas sûr que ceci soit forcément payant. Vous savez que la plupart des forces politiques indonésiennes continuent d'avoir une position de regret à propos de la séparation du Timor.
Pour revenir également sur cet entretien avec M. Habibie, j'ai également évoqué Timor, le message que j'étais chargé de porter au nom de la France était que nous attendions de l'Indonésie, à la fois qu'elle respecte la volonté des Timorais, les Droits de l'Homme auxquels ceux ci ont droit, - et là, de ce point de vue, le compte n'y est pas tout à fait -, et que nous attendions aussi de l'Indonésie qu'elle puisse, en préservant sa stabilité, participer à la stabilité de cette région du monde et à son développement. C'était le message de la France, vous avez compris que c'est aussi l'espoir des pays environnants. J'ai rencontré aussi un homme dont on parle beaucoup qui est le général Wiranto, qui de toute évidence - si j'en juge par l'importance des installations où il nous a reçu, l'Etat major des Forces armées à quelques kilomètres de Jakarta - est à la tête d'une institution puissante. L'homme lui-même dégage de toute évidence une forte impression d'autorité, d'intelligence. Il est chef d'Etat-major des armées, les commentateurs lui prédisent volontiers une fonction de vice-président et, curieusement, en précisant qu'il pourrait être vice-président quelque soit le futur président. C'est dire si tout le monde s'attend à ce que l'armée continue à jouer un rôle important dans l'Indonésie nouvelle qui est en train de naître. Pourtant, le même général Wiranto nous dit que le moment est venu pour l'armée indonésienne de prendre du champ par rapport aux politiques, de s'y soumettre tout en continuant à jouer un rôle privilégié de garant de l'unité indonésienne, tout en continuant aussi, à participer à son développement. Ce qui ne me parait pas anormal compte tenu de la situation de cet immense pays où les pouvoirs intermédiaires sont encore fragiles et où l'armée a, nécessairement, une place singulière.
J'ai rencontré, enfin, M. Gus Dur, qui est un des candidats à la présidence et qui représente une sorte de fédération des familles musulmanes, qui est d'ailleurs présente au Parlement et à qui on prête quelques chances dans ces élections, mais le jeu des combinaisons possibles entre M. Gus Dur et Mme Megawati, entre Mme Megawati et le général Wiranto, M. Habibie n'ayant pas dit son dernier mot, empêche tout pronostic sérieux. Avec mes interlocuteurs et, en particulier M. Gus Dur, la question des forces centrifuges, qui, aujourd'hui, aussi bien à l'Ouest, Sumatra que de l'autre côté, à Irian Jaya sans oublier d'autres îles, où les mouvements autonomistes plus ou moins indépendantistes sont à l'oeuvre, a évidemment retenu mon attention. Mais curieusement c'est M. Gus Dur, candidat musulman à la présidence qui a été le plus soucieux d'aborder ces questions, le président Habibie non et avec le général Wiranto nous en avons également un peu parlé.
C'est avec celui-ci que j'ai le plus parlé de la situation timoraise. Sachant que l'armée a été fortement incriminée dans les événements récents et continue de l'être quant à la situation qui est faite aux réfugiés timorais. Une des questions les plus préoccupante est celle de la sécurité de la zone frontalière entre les deux Timor. J'ai évidemment demandé au général Wiranto comment il voyait la possibilité de sécuriser cette zone et quelles dispositions l'armée indonésienne entendait-elle prendre pour éviter que les milices ne continuent à entretenir l'instabilité et la violence. Il m'a répondu que selon lui la bonne solution serait des patrouilles mixtes Interfet-Indonésie.
Je vous dis tout de suite que le général Cosgrove que j'ai rencontré à Timor Est, hier matin, n'est pas convaincu par cette solution. Il craint que ceci fasse courir des risques à ses soldats. Il a évoqué le risque d'enlèvement par exemple, de capture de ses soldats et il n'est donc pas favorable à cette solution. Monseigneur Belo encore moins, que j'ai rencontré également, Monseigneur Belo m'est apparu sur une ligne de défiance absolue vis-à-vis des indonésiens. "On ne peut pas leur faire confiance". Parlant de la situation des réfugiés, il dit "ils vivent au milieu des adversaires" parce que le mot "ennemi" n'a pas été prononcé. Je peux comprendre cette position. Monseigneur Belo ne veut pas entendre parler de quelque accord que ce soit avec les Indonésiens. Par contre, il est prêt à dialoguer avec les Timorais, y compris ceux qui étaient contre l'indépendance pour essayer de faire vivre ensemble les Timorais. Il y a une différence très nette pour Monseigneur Belo entre le dialogue possible avec les Timorais et le refus de toute discussion avec les Indonésiens. Il reste actuellement deux bataillons d'Indonésiens au Timor oriental qui ne sortent pas, le général Cosgrove précisant que s'ils sortaient, ils risquaient de se faire lapider. Chaque jour, une réunion est d'ailleurs organisée entre le chef de ce détachement indonésien et le général Cosgrove.
Alors comment se présente la situation ? Dili est détruit à 90 %, reste encore quelques maisons intactes mais elles sont une infime minorité. Détruit, cela veut dire ou bien totalement effondré ou totalement brûlé - il ne reste que les murs - ou au moins pillé. Les problèmes qui se posent sont des problèmes d'eaux et une demande expresse de moyens de forage a été faite pour aller chercher l'eau dans la nappe. La vie reprend alors que la ville, m'ont dit les militaires, était totalement déserte le 25 septembre, la vie reprend, un marché a commencé à nouveau à refonctionner. La présence militaire est importante. Le Général Cosgrove considère que la sécurité est désormais à peu près établie sauf, justement, sur la zone frontalière, qu'il y a encore probablement, dit-il, quelques miliciens à Dili. On continue à être attentif, des mesures de précaution sont prises mais la question la plus difficile pour lui se pose à l'ouest de Dili et en particulier cette zone frontalière, sachant que, derrière la frontière, il y a la ville de Tamboua qui serait un peu, toutes proportions gardées, comme Kukes en Albanie au moment du Kosovo. C'est là que le plus grand nombre des réfugiés sont rassemblés.
Les réfugiés ont été, de toute évidence, poussés vers le Timor occidental par l'armée et la milice. On a même recueilli des témoignages où l'on disait aux gens "partez parce que la milice arrive". Toute comparaison serait imprudente avec la situation au Kosovo. Mais, sur le terrain, on retrouve un peu la même situation qu'entre les militaires serbes et les paramilitaires ou les bandes qui commettaient les mauvais coups c'est-à-dire que les militaires indonésiens n'auraient pas commis d'ailleurs. Il semble bien que les militaires sont partis d'abord, poussant donc devant eux les populations laissant aux miliciens le soin d'incendier, de détruire et de piller car un pillage aussi systématique en aussi peu de temps signifiait quand même une bonne préméditation.
Les réfugiés maintenant. Il y a en a une bonne partie qui reste dans les montagnes à Timor oriental et qui attendent pour redescendre de savoir que la sécurité est rétablie. C'est un problème. D'ailleurs, on en a parlé avec le général Cosgrove, qui dit "la sécurité est rétablie" mais, tant que le message n'est pas passé aux populations réfugiées, le souvenir qu'elles ont des violences commises par les miliciens ne les incitent pas à revenir chez elle sans assurance. Les ONG présentes vont jusqu'à dire qu'il faudrait qu'on puisse aller les chercher en quelque sorte. Ce qui signifie, c'est vrai aussi, les moyens militaires dont ne disposent peut être pas le général Cosgrove.
S'il s'agissait d'aller chercher les réfugiés et de les faire revenir, il est fort possible qu'il y ait là besoin de moyens supplémentaires. C'est en tout cas la conviction que nous avons, là aussi c'est aussi le point de vue des ONG, que nous avons rencontrées. La plupart des réfugiés qui sont au Timor occidental - hormis sans doute la fraction de Timorais qui eux étaient contre l'indépendance et qui vont faire le choix de revenir en Indonésie, à Timor occidental, et qui sont vraiment minoritaires - sont des personnes qui ont été déplacées. Difficile de dire les violences qu'ils ont subies dans le cadre de ce transport forcé. Il a suffi que l'armée leur disent "partez" pour qu'ils partent, ils ont été embarqués sur des bateaux, sur des camions et ils ont donc pour une part été envoyés directement à l'autre bout de Timor occidental à Kupang, une ville assez importante - 200 000 habitants -. Et c'est là, dans les endroits habituels si je puis dire, c'est-à-dire les gymnases, les stades qu'on a rassemblé les réfugiés. Le camp que nous avons visité en compte environ 15 000. Tous les témoignages que l'on a recueillis auprès d'eux étaient en faveur du retour. Les Indonésiens sont-ils prêts à les laisser partir ? C'est la première question. C'est ce que disent les autorités à Jakarta. Le HCR est-il autorisé à entrer dans ces camps ? C'est ce que disent les autorités à Jakarta. Sur le terrain, les représentants du HCR ou de la Croix-Rouge que nous avons rencontrés à Kupang, disent que cet accès aux réfugiés demeure difficile, que la présence des miliciens notamment dans les camps autour de Tamboua, est très forte et de toute évidence les réfugiés continuent à vivre dans la crainte, ce qui rend difficile l'enregistrement des candidats au départ. Nous avons un témoignage selon lequel les listes des candidats au départ établies en commun entre les Indonésiens et le HCR aurait pu être ensuite utilisées par les milices pour faire de l'intimidation sur les candidats au départ ou a contrario essayer de les enrôler.
J'en arrive à la conclusion que le plus urgent c'est évidemment que ces réfugiés rentrent chez eux. On peut le dire avec d'autant plus de certitude que le HCR dit être prêt à Dili à les accueillir et qu'on a prévu les camps de ravitaillement et la distribution des matériels, des matériaux dont ils vont avoir besoin pour retaper même sommairement leur maison avant la saison des pluies qui va être là dans trois semaines.
Je crois que c'est donc sur les autorités indonésiennes qu'il faut maintenir la pression pour qu'elles laissent partir les réfugiés et aident en particulier à la sécurité de leur transport. Il faut sans doute aussi que des moyens de transport supplémentaires soient mis en oeuvre. Et c'est là - j'ai évoqué cette hypothèse au Conseil des ministres ce matin - qu'il faut voir ce que la France, de son côté, peut éventuellement apporter comme contribution au transport de ces réfugiés. Faut-il que ce soient des moyens civils ? Les bateaux de transport ne manquent pas dans cette région du globe. Est-ce que les moyens de transport militaires maritimes peuvent être mobilisés ?
Je rappelle enfin que la France a mobilisé des crédits à la fois en faveur du HCR, de la Croix-Rouge, mais aussi qu'elle intervient au travers de Echo, l'agence humanitaire européenne, et que - je conclus là sur ce point - l'hôpital militaire qui a été déployé par la France, et que nous avons visité, fonctionne dans des conditions jugées satisfaisantes mais précaires. Quand on y opère, c'est le plus souvent pour extraire des balles que les victimes portent depuis quelques semaines. Hier, quand nous sommes passés, il y avait un opéré, un autre était en train de se faire enlever une balle mais, là encore, je vous le dis, les blessures remontaient à une quinzaine de jours. Il y a donc cette activité, dirigée directement vers les victimes des affrontements, et puis aussi la fonction normale d'un hôpital. On a commencé à y accoucher et il y avait une population civile en consultation, l'hôpital de Dili étant fermé. Il n'y a pas que les médecins français d'ailleurs. Mais les médecins français font un très bon travail. Il y a quelques ONG : Médecins du monde est là. Voilà comment se présente à peu près la situation.
Q - Deux questions : vous avez dit que le commandant Cosgrove s'était plaint qu'il avait juste assez de militaires. Cela veut dire qu'il n'y en avait pas assez pour faire ce genre de choses. Est-ce que la France serait disposée à envoyer des soldats, en plus du contingent ?
Par rapport à cette aide pour transporter ceux qui avaient été déportés du côté occidental de Timor, vous avez dit que la question avait été posée ce matin au Conseil des ministres. Une décision va-t-elle être prise ?
R - Les Français actuellement sont environ 300. Notre présence va être renforcée par l'arrivée du Sirocco, bateau parti de Toulon il y a quelques semaines et qui doit être actuellement à Darwin, ce qui va porter la présence française à environ 500 hommes, il y a quelques femmes également. J'observe que les autres contingents ne sont pas encore complétés. Je veux dire que, par rapport aux engagements pris par tel ou tel pays, il reste encore un peu de marge. Autrement dit, si je devais simplifier, je dirais qu'il y a à peu près 5 000 hommes et femmes sur place sur 8 500 qui étaient attendus. Il reste encore cette montée en puissance. C'est après qu'il faudra apprécier s'il y a besoin de moyens supplémentaires. Ce qu'il faut souhaite, c'est que les engagements pris par les uns et les autres puissent se concrétiser le plus vite possible. Il est souhaitable qu'il y ait des Asiatiques - des "régionaux", si je puis dire - présents, c'est important. Si l'on devait augmenter la présence d'Interfet, ce serait bien que cela soit une présence "asiatique", plutôt, qu'une présence "occidentale". J'y mets des guillemets, parce que, quand on pense à la présence occidentale, c'est surtout de l'Australie dont il s'agit. Mais je pense que cela serait important. Peut être faut-il que la communauté internationale aide certains pays qui voudraient intervenir mais qui n'en ont pas les moyens. S'agissant des transports, j'ai simplement évoqué, je le répète, la situation et dit que la France sera probablement sollicitée pour participer à ce transport. Il n'y a pas eu débat encore moins réponse. Disons que la question est à l'étude.
Q - Est-ce que la situation n'est pas bloquée du côté des forces asiatiques jusqu'à l'élection présidentielle en Indonésie ? La situation est grave pour les réfugiés. Il en reste 250 000 à Kupang. Vous avez vu les conditions dans lesquelles ils vivent.
R - Sur le chiffre d'ailleurs, moi je vous livre simplement ceux que l'on m'a donnés. A Jakarta, le ministre du bien-être social qui, au sein du gouvernement indonésien, est chargé de la question des réfugiés, lui m'a dit 265.000. C'est le chiffre affiché par les Indonésiens. Le HCR dit 230.000. La Croix Rouge parle de 200.000. Autrement dit c'est quand même cet ordre-là de grandeur. Ce qui est tout à fait considérable. Sur le point de savoir si l'actualité politique à Jakarta retentit sur les solutions à apporter à Timor, oui et non.
J'attends du vote du Parlement le signal fort adressé aux milices et peut-être à certains militaires après tout, les soldats perdus, tous les pays ayant une armée ont connu cette situation ou presque. Un signal fort adressé à ceux qui seraient tentés de mener une bataille de retardement contre l'indépendance que le point de non-retour est dépassé et que l'indépendance désormais est irréversible. C'est cela que le vote du Parlement peut signifier et il est important qu'il intervienne bien sûr le plus vite possible. Et je regrette que nous ayons appris, peut-être, un report relatif. J'ai entendu, par exemple, qu'une demande pourrait être présentée par le Parlement à laquelle nous n'avions pas pensé ; c'est une décision des Portugais mettant fin à l'autorité juridique qu'ils continuent officiellement d'exercer, puisque les Portugais sont partis de Timor en 1975.
Le président Habibie d'ailleurs insiste en disant si l'Indonésie a occupé le Timor Oriental, c'est à la demande des Américains et des Australiens après le départ des Portugais, mais l'Indonésie n'avait aucun intérêt stratégique à aller à Timor Oriental. Peut-être que depuis, certains y ont trouvé des intérêts personnels.
Et il est vrai que depuis, le Portugal n'a pas porté les modifications constitutionnelles ou législatives qui mettraient fin à ce lien avec Timor Est. Mais parmi les conditions que le Parlement indonésien mettraient à son vote, il y aurait cette régularisation en quelque sorte de la part des Portugais.
Q - (inaudible)
R - Le choix des instruments juridiques me paraît tout à fait secondaire. L'important semble-t-il, c'est que ceci aille vite de façon à ce qu'il n'y ait pas de bonne ou de mauvaise raison de retarder le retour des réfugiés. Parce que c'est cela le point qui nous paraît tout à fait essentiel.
Q - Un problème de droit se pose. Il y a des résolutions. Les Nations unies n'ont jamais reconnu l'annexion de cette "27ème province" indonésienne. Se pose un problème de droit international. Si le Portugal modifie sa constitution, il va à l'encontre les résolutions des Nations unies, c'est la prime à l'agresseur.
R - Je ne préjuge pas de la réponse qui va être apportée par les Portugais. Je vous livre simplement cette demande dont nous avons été informée. Là encore, je vous dis les conditions puisque le texte était en discussion devant le Parlement. Moi j'ai appris cela à l'occasion du dîner que l'ambassadeur avait organisé et je l'ai appris de la bouche du Président du groupe parlementaire Golkar à l'Assemblée nationale. Donc, cela veut dire que c'est quand même un interlocuteur à peu près crédible. Il est par ailleurs le président de la Commission des Droits de l'Homme indonésien. Il se trouve qu'il est un des élus de Timor. C'est-à-dire qu'il s'intéresse d'un peu plus près que d'autres à cette question.
Q - Vous avez rencontré Mgr Belo. Est-ce qu'il vous a paru traumatisé par ce qu'il a vu à Dili, au Timor ?
R - Traumatisé, certainement non. J'ai eu en face de moi un homme déterminé, soucieux du sort des réfugiés, soucieux de voir le Timor Oriental pouvoir très vite gérer sa liberté. Ce qui signifie évidemment une aide internationale dont il va falloir que nous nous préoccupions et dont nous devons nous préoccuper tous parce que ce nouveau pays va devoir se reconstruire, se doter d'institutions, en commençant par une administration provisoire des Nations unies puisque c'est de cela dont on parle. Je pense que, là aussi, il faudrait que cela aille vite, en faisant en sorte, avec là aussi sans doute un problème de police, qui va nécessairement se poser, mais surtout des besoins économiques. C'est cela qui préoccupe actuellement Mgr Belo. Mais j'ai vu quelqu'un de déterminé, de solide, sachant d'ailleurs le rôle important que l'église et la hiérarchie catholique jouent en quelque sorte, ont joué, et vont jouer, j'en suis convaincu, dans le Timor oriental de demain. Il y a d'ailleurs déjà un réseau constitué autour des prêtres et des paroissiens, pour essayer justement de soustraire à l'influence des milices telle ou telle famille timoraise qu'on commence à faire revenir. Nous avons croisé des Timorais sur l'aéroport de Dili, qui revenaient, avec l'appui du réseau des églises catholiques.
Q - Le départ a été compris par la population ou pas ?
R - Je n'ai vraiment pas eu le temps de demander à la population ce qu'elle en avait pensé. Il m'a reçu dans la maison qu'il occupe, la sienne ayant été brûlée. C'est une maison d'emprunt, en quelque sorte, dans laquelle il accueille ses visiteurs.
Q - Vous faisiez allusion tout à l'heure à la nécessité de maintenir une pression sur les autorités indonésiennes. Dans cette perspective, de quels moyens de pression la France est-elle prête à user ?
R - Il y a une voie normale : c'est que notre ambassadeur à Jakarta, qui m'accompagnait à Dili et à Kupang, se voit confier d'abord le soin de rendre compte d'abord de ce que nous avons vu aux autorités indonésiennes, et saisisse l'occasion pour dire que, selon nous, la solution la plus urgente c'est le retour des réfugiés. Je n'ai pas encore arrêté tout à fait la stratégie, mais je peux aussi imaginer en parler avec l'ambassadeur d'Indonésie à Paris.
Q - Les programmes de coopération qui sont éventuellement déjà en cours avec l'Indonésie ne pourraient pas être suspendus à un certain nombre de conditions ?
R - Il y a suspension. Actuellement, il faut que les choses soient claires, un conseil Affaires générales du mois de septembre a déjà suspendu la coopération avec l'Indonésie pour quatre mois et décidé un embargo sur les armes et les munitions. Voilà la situation. C'était une décision un peu nouvelle car habituellement il faut une nouvelle décision pour reprendre la coopération, là il a été dit que c'était suspendu pour quatre mois. C'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une nouvelle décision pour que la coopération reprenne dans quatre mois. J'ai dit à mes interlocuteurs indonésiens que la reprise ou non de la coopération par l'Europe et la France en particulier est subordonnée à la manière dont les Indonésiens gèrent la crise timoraise, vont organiser le retour des réfugiés. J'ai dit aussi, à cause du poids de l'Indonésie dans cette région du monde, que nous espérions que les conditions politiques, c'est-à-dire que les choses se passent bien à la fois pour Timor et pour les réfugiés, nous permettent rapidement de reprendre la coopération.
Et si les conditions politiques sont satisfaisantes, nous sommes prêts à être les avocats ou les interprètes des Indonésiens au sein des grandes instances multinationales, on pense au Fonds monétaire international ou à la Banque mondiale, qui ont des programmes d'aide à l'Indonésie, eux aussi suspendus. Nous n'avons pas le temps d'en parler aujourd'hui mais il n'est pas inintéressant de rappeler quand même que l'Indonésie sort d'une crise financière très grave qui n'est d'ailleurs pas tout à fait terminée. C'est le moins qu'on puisse dire. Retenez donc que la coopération est suspendue malgré tout et que nous sommes évidemment bien décidés à utiliser aussi ce moyen de pression.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 1999)