Interview de M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, à Europe 1 le 1er octobre 2002, sur le vieillissement de la population, les salariés âgés, la dépendance des personnes âgées.

Prononcé le 1er octobre 2002

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Le 1er octobre, à la demande des Nations unies, c'est la Journée mondiale des personnes âgées. Puisque personne n'en parle, eh bien, parlons-en ! "La cause des personnes âgées est beaucoup plus difficile à défendre que celle des enfants". Celle qui le dit sait de quoi elle parle : est-ce que B. Chirac a raison ?
- "Tout à fait. B. Chirac a entièrement raison. Il semble que le sujet "personnes âgées" est tabou. On n'en parle pas. On ne voit pas des jeunes créer des initiatives populaires pour la personne âgée. Alors qu'il y a 13 millions de seniors en France."
25 % de la population et, dans 10 ans, il y aura davantage de plus de 60 ans que de moins de 20 ans.
- "Un Français sur trois."
Est-ce que la France perd pour autant ses ressorts et son dynamisme ?
- "Oui, car si nous n'y prenons pas garde, on va créer un clivage grave entre les jeunes et les vieux. C'est ce qu'il faut éviter. On n'a pas pris à sa juste mesure le phénomène des personnes âgées. Aucun gouvernement ne l'a pris. J'ai participé dernièrement, à Berlin, à une conférence sur le vieillissement, organisée par l'ONU et les pays de la communauté se sont rendus compte que ce phénomène n'a jamais été anticipé, n'a jamais été accompagné par des politiques publiques qui doivent coordonner les actions individuelles qui, de-ci de-là, se font dans les associations et les départements ou les villes."
Ce qui est drôle, c'est que depuis que Le Parisien a fêté les 60 ans d'un M. Drucker en grande forme, les sexagénaires n'ont ni honte d'eux-mêmes ni peur de l'avenir ?
- "Franchement, est-ce que vous pensez qu'après 60 ans, on a perdu son génie pour un artiste ? Est-ce que vous pensez qu'un peintre ne peint plus parce qu'il a passé 65 ans ? Est-ce que vous pensez qu'un chef d'entreprise n'a plus de compétences, car il a passé la barrière fatidique de 65 ans ?"
Ne vous énervez pas ! Le terme de "personnes âgées" recouvre plusieurs phases. "Les salariés qui veulent continuer à travailler pourront le faire", disait J. Chirac en campagne. Est-ce que la promesse sera tenue ?
- "Tout à fait. Je crois qu'il faut approfondir ces emplois seniors. Il faut créer ces emplois seniors. Celui qui veut prendre la retraite à 60 ans, qu'il la prenne, s'il a envie de la prendre. Mais que celui qui a envie encore d'apporter à la société, de donner à la société [puisse le faire]. Sur les 13 millions de personnes âgées, il y a certes 1 million de personnes âgées dépendantes à qui nous devons apporter toute l'attention, mais il y a 12 millions de personnes âgées qui sont en pleine forme physique, morale, intellectuelle et qui sont un plus pour la société. C'est à elles qu'il faut penser."
On dit généralement que ce sont des personnes qui sont des consommateurs, avec des ressources...
- "Ils sont une richesse économique pour un pays."
Est-ce qu'il faut se contenter d'en faire des consommateurs ?
- "Absolument pas. Il faut en faire des acteurs de la vie. Autrement, on arrivera à ce clivage. Aujourd'hui, on vit plus vieux, on vit plus longtemps, il y aura de plus en plus de gens qui vivront plus vieux et plus longtemps. Ces gens-là doivent être une chance pour la société."
Pendant la campagne - vous avez parlé des emplois seniors -, à droite, A. Juppé et J. Barrot rivalisaient avec la gauche, E. Guigou et L. Jospin, sur le retour à l'entreprise et au travail pour les plus de 55 ans. Est-ce que c'est une grande idée qui est en train, elle aussi, de tomber à l'eau ?
- "Absolument pas. Nous réfléchissons à ces emplois seniors. On aura des mesures législatives à prendre. Vous savez très bien qu'on ne peut pas créer des emplois seniors comme cela. Pour ma part, je vais les défendre."
Les spécialistes du cerveau expliquent, quand on leur pose des questions, que les préretraités sont frappés de toutes sortes de maladies nerveuses et dépressives qui sont chères pour la Sécurité sociale. Ce que la société croit gagner en les éliminant du jeu professionnel, elle le perd en médicaments et en coûts hospitaliers. Est-ce qu'il y a des remèdes ?
- "Le remède, c'est l'activité physique, l'activité intellectuelle. C'est le meilleur remède pour accompagner, anticiper, prévenir le vieillissement."
Pour vous, il y a au moins deux axes ou deux pistes : le travail pour qui le souhaite et le peut et la prévention. Qu'est-ce que c'est la prévention, et dans quel domaines ?
- "Prévenir, c'est au niveau des personnes dépendantes notamment. Il y a 1 million de personnes âgées dépendantes."
Dans les hôpitaux ou des maisons de retraites spécialisées...
- "Elles sont ou à domicile ou dans des établissements. Il y a 10.300 établissements. Je crois que prévenir, c'est apporter toute l'attention que l'on doit apporter au niveau de la médicalisation, au niveau de la professionnalisation et du suivi des personnes âgées..."
De la nutrition ?
- "De la nutrition, du suivi des soins que la personne âgée dépendante doit recevoir."
Pour le grand âge, vous conservez l'initiative du précédent gouvernement : l'APA, c'est-à-dire l'allocation personnalisée d'autonomie. Cela touche beaucoup de personnes ?
- "Nous conservons l'APA, car c'est une bonne mesure. Le problème et le seul problème, c'est que nos prédécesseurs l'ont prévue, mais ils n'ont pas prévu le financement. Aujourd'hui, on recherche les financements. Oui, l'APA touche 800.000 personnes, autant que le RMI. Nos prédécesseurs avaient prévu 800.000 personnes à l'horizon 2004. Toutes les évaluations prouvent qu'aujourd'hui, dans les départements, il y a déjà 700.000 dossiers d'APA déposés."
Au total, c'est combien ?
-"L'APA, c'est 4 milliards d'euros. Sur le budget 2003, il va manquer 1 milliard d 'euros."
L'état des hôpitaux, aujourd'hui ?
- "Sur 600.000 lits, 200.000 lits ne sont plus adaptés, c'est-à-dire qu'ils ne correspondent pas au souhait et au service que l'on doit donner à la personne âgée."
Dans une note que j'ai lue, qui vient de chez vous, vous dites que l'une des priorités est lutter contre la maltraitance ? Qu'est-ce que cela veut dire ? On maltraite les vieux ou les personnes dépendantes ?
- "Il ne faut pas généraliser. Je dis tout simplement qu'effectivement, dans de trop nombreux établissements, on n'apporte pas le soin et l'attention que l'on doit apporter à la personne âgée. L'APA est un service supplémentaire et ce service supplémentaire doit être rendu. C'est la raison pour laquelle je souhaite intensifier les contrôles dans les établissements."
De quelle façon ?
- "En ayant plus de contrôleurs. Aujourd'hui, lorsqu'on s'adresse dans les départements aux DDASS pour faire effectuer un contrôle, on vous dit que : "oui, mais on n'arrive pas à contrôler l'ensemble de nos établissements, parce que nous manquons de contrôleurs". Là aussi, il va peut-être falloir intensifier ces contrôles."
B. Chirac lançait, hier, avec son fidèle A. Jacquet, la sixième opération "Plus de vie", pour des projets. En plus de cela, les bénévoles réclament des dons pour acheter des mini-bus, des fauteuils roulants... Pourquoi des dons et pas l'Etat, c'est-à-dire vous ?
- "Tout simplement, on rejoint ce que je disais au début : parce que l'Etat n'a jamais anticipé sur ce problème du vieillissement. Il ne l'a jamais accompagné par une politique publique digne des personnes âgées."
Il faudrait, dit-elle, 4,5 millions euros pour financer de nouveaux projets indispensables. Moins de 3.000 fois ce que l'Etat et les banques vont donner bientôt à France Télécom ! Encore un effort, monsieur Falco !
- "Il est temps que l'Etat se donne les moyens d'accompagner cette politique des personnes âgées et je vais me battre pour essayer d'avoir ces moyens-là."
D'autant que les gens ne demandent pas, comme Faust, l'impossible à l'Etat, Méphisto, c'est-à-dire l'immortalité, mais qu'ils vous demandent les conditions sociales d'une longévité en bonne santé...
- "C'est très important dans un pays, si on veut travailler à l'unité du pays : on ne peut pas laisser le tiers des citoyens au bord de la route, tout simplement parce qu'ils ont passé la barrière fatidique des 65 ans."
Bon courage.
- "J'en ai !"
Vous êtes un des ministres actifs mais peu connu, du moins ici, mais pas dans le Var !
- "L'essentiel, c'est que je sois bien connu dans le Var !"
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er octobre 2002)