Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à l'agence de presse syrienne "Sana" le 11 novembre 1999, sur l'action de la France pour la relance des négociations entre Israël et la Syrie sur le Golan, sur la question du retrait d'Israël du Liban sud et sur les relations entre la France et la Syrie.

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Circonstance : Voyage de M. Hubert Védrine du 11 au 13 novembre 1999 en Syrie, au Liban et en Egypte

Média : Agence de presse - http://www.pme-commerce-artisanat.gouv.fr - Presse étrangère - Sana

Texte intégral

Q - Où en sont parvenus les efforts français déployés en faveur d'une relance des négociations sur les volets syrien et libanais ?
R - Les efforts français sont constants. Vous avez fait référence aux contacts très nombreux à Paris et notre action est effectivement permanente, aussi bien à Paris que dans la région où je suis aujourd'hui. Nous pensons que l'arrivée au pouvoir de M. Barak représente une opportunité et nous pensons que, dès lors que c'est l'intérêt fondamental d'Israël de régler la question du Golan et que cela correspond aussi à un intérêt fondamental syrien, les problèmes devraient pouvoir être surmontés : aussi bien les préalables que les problèmes qui seront traités après, dans le cours de la négociation. Et je constate qu'il y a encore du travail à faire pour réunir les conditions de cette relance. Pour notre part, nous ferons tout ce que nous pouvons. La question du Sud-Liban, doit être réglée dans un contexte durable pour être résolue.
Q - Pour atteindre ces objectifs, y a-t-il une initiative ou des idées françaises en coordination avec Washington pour une relance des négociations à travers la tournée que vous effectuez actuellement ?
R - D'abord nous travaillons, en effet, en complémentarité avec la diplomatie américaine et nous nous informons mutuellement. Chaque diplomatie a son style propre mais notre objectif est le même. Et nous partageons les éléments principaux de l'analyse et le fait qu'il y ait une fenêtre d'opportunités. Nous constatons que les Syriens et les Israéliens n'ont pas la même conception sur la question de la reprise des négociations, donc nous avançons, grâce à nos conversations, des idées pour rapprocher les positions. Mais, nous ne sommes pas négociateurs : nous ne pouvons pas être des médiateurs. Et nous ne voulons pas nous substituer, nous agissons pour faciliter les choses.
Q - Si le processus de paix, à la lumière de ce que vous dites et avec ces différentes appréciations, se fonde sur la résolution 242 et sur, fondamentalement, le principe de l'échange des territoires contre la paix, pourquoi Barak ne reprend-il pas les négociations au point où elles s'étaient arrêtées ?
R - Le fait que les résolutions soient la base de référence des négociations en général, est un principe évident. Quant à la position israélienne, je ne peux pas vous répondre à la place de M. Barak. Simplement je sais qu'ils n'ont pas la même analyse du point d'arrivée que les dirigeants syriens. Je ne peux pas répondre à leur place, je ne peux que constater les deux interprétations. Nous souhaitons que ce préalable ne devienne pas un blocage.
Q - Il y a une conclusion selon laquelle Barak joue le rôle français et européen, joue la carte du rôle français pour la reprise des négociations, pour perdre du temps afin que l'administration américaine puisse entrer dans la période des élections et que les efforts déployés pendant ce laps de temps n'aboutissent à aucun résultat. Qu'en pensez-vous Monsieur le Ministre ?
R - Je pense que c'est une interprétation inexacte. M. Barak souhaiterait pouvoir régler les choses lui-même étant donné qu'il y a des blocages, que les choses sont compliquées, et il n'est pas hostile au rôle de pays européens, et notamment de la France, et je ne le ressens absolument pas comme une volonté de gagner du temps. Tout le monde sait que la discussion principale se fera entre les Syriens et les Israéliens ; les Européens ne peuvent pas le faire à leur place de même que les Américains. Je crois simplement que les Américains et les Européens se préoccupent de cette question en ce moment parce qu'il y a un blocage qui est préoccupant, parce qu'il y a un moment opportun à saisir et peut être que ce ne sera pas toujours comme cela.
Q - C'est pour cela que les choses ne vont pas bouger sans les efforts européens et américains.
R - En tout cas, je peux vous dire qu'ils sont complémentaires et coordonnés.
Q - Les nouvelles ont filtré dans la presse israélienne sur l'élargissement de la mission de l'arrangement d'avril 1996 qui accompagnerait un retrait unilatéral d'Israël du Sud-Liban avec un déploiement de forces françaises sur les frontières libano-israéliennes. Quels seraient les problèmes... ?
R - Je crois que c'est un malentendu. Ce que la France a fait en avril 1996 était très utile. Le Comité de surveillance n'a pas réglé le problème mais il a évité une aggravation, et le président Chirac a proposé il y a quelques années que la France puisse apporter une garantie pour la mise en oeuvre d'un accord. Cela ne joue pas dans le cadre d'un retrait unilatéral.
Q - Comment voyez-vous le développement des relations entre la Syrie et la France ? Est-ce qu'elles sont à la hauteur des ambitions que vous avez ou sont-elles encore en deçà de ce qu'on peut espérer ?
R - Ce sont des relations qui sont très intenses sur le plan politique mais qui sont globalement moins fortes que ce que l'on pourrait souhaiter, notamment sur le plan économique, culturel, etc.. Je suis convaincu que le jour où il y aura une situation de paix, cela donnera un certain coup de fouet, une meilleure stimulation, aux relations entre la Syrie et la France et entre la Syrie et l'Europe, globalement. Cela ne nous empêche pas, d'ici là de développer, le mieux possible nos relations bilatérales, mais dans l'autre perspective dont je parlais, cela irait encore plus loin.
Q - Que pensez-vous de la visite du Dr Bachar el-Assad à Paris ?
R - C'est très simple. Pour le président et pour le gouvernement français, c'est intéressant d'avoir dans chacun des pays de la région des contacts, non seulement avec le président, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, mais avec les personnalités principales dans chaque pays. Si on veut bien comprendre la situation, si on veut jouer un rôle politique, il faut avoir une vision plus complète. Donc cette visite du Dr Bachar el-Assad à Paris, qui était envisagée depuis plusieurs mois d'ailleurs, a eu lieu et le président était très satisfait. Et pour lui et pour nous, c'est un très bon complément à notre connaissance de la situation.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 1999)