Point de presse conjoint de MM. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et Farouk Charaa, ministre syrien des affaires étrangères, sur la situation du Proche-Orient et la position de la France pour parvenir à la paix et à la stabilité, Damas, le 6 juillet 2002.

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Circonstance : Voyage officiel de M. Dominique Galouzeau de Villepin au Proche-Orient du 5 au 7 juillet 2002

Texte intégral

Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le Ministre de vous remercier, ainsi que le président Bachar El-Assad et les autorités syriennes, pour la chaleur et l'amitié de votre l'accueil.
Je suis très heureux de poursuivre à Damas cette tournée régionale, un an après la visite d'Etat à Paris du président Bachar El Assad. Cette visite a donné une nouvelle impulsion à notre relation. La Syrie, riche de son histoire, forte de son influence sur le devenir de cette région, demeure en effet un partenaire incontournable au Proche-Orient pour la France et l'Europe. Nous souhaitons donc développer cette relation.
J'ai évoqué, au premier chef, avec mes interlocuteurs, la situation régionale, dont, vous le savez, la dégradation est pour nous une source de grande préoccupation. Nous sommes d'accord pour déclarer qu'il y a urgence à relancer les efforts de paix, et ce, sur tous les volets. Nous partageons aussi la conviction que seule une solution politique, aboutissant à une solution à la fois globale et juste, établie sur le respect des droits de chacun, pourra permettre de parvenir à une paix durable. Il existe aujourd'hui sur la scène internationale une large convergence sur les éléments qui sont à prendre en compte pour parvenir à un règlement durable : tout d'abord la lutte contre le terrorisme, mais aussi l'arrêt de la colonisation, la fin de l'occupation, et la création, aux côtés de l'Etat d'Israël, d'un Etat palestinien viable, démocratique, souverain. C'est sur cette convergence, telle qu'elle résulte de l'initiative arabe de paix adoptée à Beyrouth, de la déclaration du Conseil européen de Séville, il y a quelques semaines, ainsi que du discours du président Bush, qu'il faut maintenant bâtir, afin de transformer notre vision commune en réalité.
S'il appartient aux parties elles-mêmes de définir les termes d'un règlement de la communauté internationale, tous les membres de cette communauté ont le devoir d'aider les parties à assumer le "risque de la paix" et à reprendre bien sûr les négociations.
Nous pensons qu'au-delà de la concertation indispensable entre les différentes parties, l'idée de conférence internationale est aujourd'hui le meilleur moyen, le meilleur cadre, pour progresser dans cette voie, sur l'ensemble des volets, y compris les volets syrien et libanais, sur la base, notamment, des résolutions 242 et 338, ainsi que des principes de la Conférence de Madrid : la terre contre la paix.
La France et l'Union européenne, qui ont un intérêt fondamental à la stabilité et à la prospérité de cette région - vous connaissez notre proximité par l'histoire, par le coeur, par la géographie - ont vocation à prendre toute leur part dans la recherche de cette solution. J'ai fait part à mes interlocuteurs de la détermination du président de la République, M. Jacques Chirac, à mettre toute l'influence de la France au service de cet objectif. Mais une solution politique ne pourra intervenir que si la voie de la violence est écartée par tous. Dans cet esprit, il est indispensable que chacun adopte une attitude de stricte retenue au Sud Liban. J'ai fait part de l'inquiétude que nous inspire la persistance d'incidents le long de la ligne bleue. La résolution 425 a été appliquée. La ligne bleue doit être respectée par toutes les parties. Personne n'a aujourd'hui intérêt à une escalade dont les conséquences humaines, économiques et politiques seraient dévastatrices. Chacun doit faire preuve d'un esprit de responsabilité.
S'agissant du volet palestinien, le terrorisme ne saurait constituer une réponse à l'occupation. Il est essentiel de lutter contre les groupes terroristes qui alimentent le cycle de la violence et des représailles. Il n'y a pas de bon ou de mauvais terrorisme dans notre esprit. La Syrie a démontré, depuis le 11 septembre, sa détermination à lutter contre le terrorisme global. Elle a, lors du sommet tripartite de Charm el Cheikh, condamné toutes les formes de violence. C'est en effet, nous semble-t-il, la bonne approche aujourd'hui.
Je suis aussi ici pour redire au président Bachar El Assad le souhait du président de la République de soutenir les réformes que la Syrie a engagées pour faire face aux défis de la mondialisation. Notre coopération, riche et active, se porte au service de ces réformes. Nous entendons la développer dans les domaines économique et culturel ou universitaire, mais aussi politique ou de justice. La France souhaite aussi que les négociations qui sont engagées entre la Syrie et l'Union européenne pour chercher à conclure un accord d'association puissent rapidement aboutir. Ce sera en effet un élément bénéfique pour les deux parties.
Q - Monsieur le Ministre, avez-vous, pendant vos entretiens, évoqué la dégradation de la situation des droits de l'Homme ces derniers mois ? Je pense aux procès d'opposants, et notamment celui de Riyad Turk. Et avez-vous évoqué aussi les atteintes à la liberté de la presse, comme le non-renouvellement de l'accréditation du correspondant de l'AFP et la détention d'un journaliste de Al-Hayat depuis plusieurs mois ?
R - Comme vous le savez, la France et l'Union européenne sont très attentives à la question du respect des Droits de l'Homme. Les condamnations qui ont pu intervenir ont suscité une préoccupation en Europe et ces questions sont naturellement abordées dans le cadre de notre dialogue politique entre Syriens et Européens. Il est souhaitable, nous le pensons, y compris dans l'intérêt de la Syrie elle-même, que ces inquiétudes puissent être rapidement prises en compte.
Q - Vous avez appelé à la tenue d'une conférence internationale pour la paix. Est-ce que vous pensez qu'il faut un mécanisme précis pour une telle conférence ou avez-vous une vision plus générale de ce thème ?
R - Face à la situation tragique que connaît actuellement le Proche-Orient, il y a un impératif d'action qui s'impose aujourd'hui à toute la communauté internationale. J'ai noté le faisceau d'éléments avec lequel nous devions compter et je crois que l'engagement très fort, très important, des pays arabes depuis le début de l'année est à souligner. C'est un rôle central aujourd'hui dans la perspective de la recherche de la paix. De la même façon, les Européens se sont mobilisés au Conseil européen de Séville, et le président Bush a lui-même apporté son propre regard sur les problèmes de la région. Je crois que notre rôle c'est d'essayer, par tous les moyens, de faire avancer ce qui peut aujourd'hui nous permettre collectivement de progresser. Et il y a des éléments sur la table : la réforme de l'Autorité palestinienne, et les Palestiniens montrent rapidement à quel point ils sont soucieux d'essayer d'avancer dans ce domaine. La perspective d'élections est un élément important. Certes, il est difficile, aujourd'hui, d'imaginer dans le contexte de l'occupation israélienne que ces élections puissent facilement se tenir mais il faut - la volonté est affirmée par tous -, il faut trouver des moyens d'organiser ces élections. C'est important pour la crédibilité même de l'interlocuteur palestinien. Nous avons besoin, à côté de l'Etat d'Israël, d'avoir cet interlocuteur qui puisse permettre de crédibiliser, rapidement, un Etat palestinien. Alors, à partir de là, la conférence internationale est un outil, un cadre, qui nous paraît aujourd'hui le mieux à même de répondre. A condition bien sûr d'organiser ce cadre de façon à ce qu'il puisse être efficace. Il faut d'abord s'entendre clairement - je crois qu'il y a un consensus aujourd'hui - sur l'objectif : c'est bien la création rapidement d'un Etat palestinien. Il faut, deuxièmement, s'entendre sur les termes de référence, et là encore il y a un consensus sur la scène internationale : les résolutions des Nations unies 242 et 338, les accords de Madrid... Il y a là les éléments de principe qui doivent être admis par tous. Au-delà de ces termes de référence, il faut un calendrier. Il est évident que l'on ne peut pas s'engager dans un processus de conférence qui ne pourrait pas aboutir rapidement. L'urgence est une donnée clef de la situation internationale. Dans le monde de l'après-11 septembre, si nous ne sommes pas en initiative, si nous ne sommes pas en situation d'accélérer la recherche d'une solution politique, il est évident que le vide ainsi créé sera utilisé par d'autres, évidemment non pas dans la logique de la paix mais dans la logique du terrorisme et de la destruction. Et je crois que cette conviction, que nous partageons, est un élément supplémentaire qui doit nous convaincre que, pour la stabilité de la région, il ne faut pas poursuivre uniquement une politique de sécurité qui ne peut pas, toute seule, nous permettre d'aboutir. Il faut aussi, évidemment, un objectif de paix capable de mobiliser l'ensemble des peuples de la région. Il y a là un élément central et la conférence internationale est un outil très important pour ce faire.
Q - Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous dire la réaction française sur l'échec des pourparlers iraquiens avec les Nations unies et sur les propos tenus dans la presse américaine sur un projet d'attaque militaire de l'Iraq par mer, par air et par terre ?
R - Vous me permettrez d'abord de ne pas commenter les rumeurs. De façon récurrente, il y a ces idées d'une intervention américaine ; nous en avons parlé et nous en parlons avec nos amis américains. Nous l'avons fait récemment lors de la visite du président Bush et je l'ai fait aussi avec le secrétaire d'Etat américain, M. Colin Powell. Il est clair qu'il n'y a pas aujourd'hui de projet militaire en ce sens. Nous suivons néanmoins, et nous suivons avec beaucoup d'attention, les différentes discussions qui sont en cours et nous encourageons le Secrétaire général des Nations unies à poursuivre ses efforts. Le retour des inspecteurs, vous le savez, est pour nous une nécessité. C'est extrêmement important pour la stabilité de la région et nous estimons que l'Iraq serait bien avisé d'autoriser le retour des inspecteurs dans son pays. J'ai naturellement exprimé à mes interlocuteurs syriens la préoccupation française devant la dégradation continue de la situation, dégradation qui résulte du présent statu quo et des risques que cela comporte évidemment pour la stabilité régionale comme pour la situation humanitaire à l'intérieur de l'Iraq.
Q - Peut-on attendre du président Chirac, après sa réélection largement victorieuse, une position plus démarquée de la position américaine, similaire à celle du général de Gaulle après l'attaque israélienne contre les pays arabes en 1967.
R - Le vrai courage aujourd'hui sur la scène internationale, c'est d'accepter de prendre le risque de la paix. Et c'est la responsabilité aujourd'hui de toute la communauté internationale. Ce risque de la paix est une nécessité pour la région et chacun voit aujourd'hui les drames tragiques auxquels elle est confrontée. Mais c'est aussi une nécessité pour le monde. Nous le vivons en France, en Europe très directement. Les problèmes de cette région nous concernent. Chacun voit bien que ce qui se passe ici, chez vous, au Proche-Orient, a des répercussions chez nous. La sécurité des uns ne peut pas exister sans la sécurité des autres. C'est dire que la sécurité n'est pas possible sans la paix. Dans ce contexte, il faut à la fois beaucoup d'humilité et beaucoup de volonté.
C'est pour cela que la position française souligne les convergences sur la scène internationale, à la fois convergences entre les pays arabes, entre les pays européens et la position exprimée par les Américains. Ceci ne veut pas dire que nous soyons tous d'accord. Ceci veut dire qu'il faut jouer, au-delà des convergences, des complémentarités. Nous avons une conviction, très forte en Europe, très forte en France : c'est qu'il ne peut pas y avoir de sécurité sans une relance de la perspective politique, sans la recherche d'une solution politique qui est susceptible d'apporter la stabilité à la région. Et il faut donc jouer des complémentarités entre les diplomaties et les capacités des uns et des autres. Il faut faire avancer ce qui peut l'être à partir de la vision définie par les Américains, et il faut parallèlement poursuivre cette ambition politique indispensable. On ne peut pas faire l'un et oublier l'autre. L'urgence que connaît la région aujourd'hui doit nous placer tous en situation d'initiative. Ceci veut dire que nous ne devons jamais perdre de vue la réalité des choses et que cette réalité doit nous conduire en permanence à nous adapter. Le pragmatisme est une des grandes clefs, une des grandes leçons, indispensables dans le monde de l'après-11 septembre. Il y a pour chacun une exigence de résultat. C'est pour cela que nous ne croyons pas que la communauté internationale puisse laisser passer des mois sans se préoccuper concrètement des résultats sur le terrain. Il y a un devoir d'inquiétude et un devoir de résultat pour la communauté internationale. La France aujourd'hui veut assumer pleinement ses responsabilités en liaison avec l'Union européenne, en liaison avec ses amis arabes, en liaison avec les Américains. Ce devoir pèse lourd sur chacune de nos épaules ; il nous appartient de l'assumer pleinement.
Q - Quels sont les points de convergence entre les visions française et syrienne de ce qui se passe au Moyen-Orient et quels sont les points de divergence s'ils existent ?
R - Je crois que le ministre Charaa a été clair. Il y a une inquiétude commune. Il y a le sentiment de l'urgence qui pèse sur nos deux diplomaties. Il y a la conviction indispensable de faire preuve de pragmatisme, d'avancer, de souligner les concertations, d'utiliser tous les moyens disponibles, y compris, pour ce qui nous concerne, la conférence internationale qui est un outil important. Je crois que ce pragmatisme réduit considérablement les différences d'approche qui pourraient exister entre nous. Chacun est conscient qu'au bout du compte, nos opinions publiques, la communauté internationale, nous jugeront chacun sur les résultats et non pas sur nos intentions. Cela fait peser très lourd ce devoir dont je parlais tout à l'heure, et je crois pouvoir dire au terme de cette journée qu'il y a, de ce point de vue, une grande communauté dans l'esprit de responsabilité et la volonté de faire avancer les choses entre la France et la Syrie.
Q - Dans le cadre de la détermination des gouvernements israélien et américain à changer la direction palestinienne, si de nouvelles élections intervenaient et aboutissaient à la réélection du président Arafat, y aurait-il de grandes dissensions entre l'Union européenne et les Etats-Unis ?
R - Vous connaissez de ce point de vue la position de la France, largement partagée par l'Union européenne, qui est qu'il appartient aux Palestiniens de décider eux-mêmes de leurs représentants.
Q - (Inaudible)
R - Cela fait partie bien sûr des grands sujets qu'il faut déterminer avant, mais je pense que nous avons aujourd'hui sur la scène internationale des outils disponibles dans ce domaine, et des outils politiques. Le Quartet par exemple, est certainement un élément moteur dans le cadre de la concertation internationale telle qu'elle doit se dérouler avec les Nations unies, les Etats-Unis, l'Union européenne et la Russie. Du côté des pays arabes, le travail de la Ligue arabe, des membres du comité de suivi de la Ligue arabe, constitue aussi un groupe de pays qui peut jouer un rôle moteur. Dans le cadre de la conférence internationale, notre sentiment, c'est que l'ensemble des parties de la région doit être évidemment inclus, et pas seulement les deux pays les plus directement concernés mais l'ensemble des Etats arabes qui ont vocation, intérêt, à participer à cette conférence. Donc nous pensons qu'il s'agit de créer les conditions pour l'accord le plus large de la communauté internationale pour la paix, avec le souci de garanties effectives qui pourraient être données par cette communauté de façon à véritablement enraciner la paix et bien marquer la volonté de cette communauté de deux Etats vivant en paix et en sécurité, côte à côte dans la région.
Q - Que peuvent faire la France et l'Union européenne pour arrêter la violence exercée contre le peuple palestinien ?
R - Notre conviction est partagée par l'ensemble de la communauté internationale. Les déclarations des uns et des autres, et j'ai en tête la déclaration de Charm el Cheikh, marquent clairement la volonté de lutter contre le terrorisme. Les efforts que nous engageons les uns et les autres pour la paix ne peuvent s'accommoder de telles pratiques. Il n'y a pas dans notre esprit un bon et un mauvais terrorisme. Il y a la volonté de travailler et d'oeuvrer pour la paix. Notre conviction dans ce contexte est qu'il faut marquer clairement et résolument la distinction entre ceux qui poursuivent la paix et ceux qui, au contraire, refusent de le faire pour privilégier d'autres moyens.
Q - (Inaudible).
R - Nous avons ensemble, par les discussions de Séville, marqué clairement notre refus de l'occupation, notre refus de la colonisation. Il y a un engrenage de la violence qui ne peut servir à aucun moment la sécurité. C'est parce que nous le savons et c'est parce que nous l'avons nous-mêmes vécu en Europe que nous sommes si convaincus de la nécessité de poursuivre les efforts de paix. Nous parlons d'expérience. Toute notre histoire en témoigne et une bonne paix n'est jamais fondée sur un rapport de force mais sur un rapport de mémoire. Nous l'avons vécu au XXème siècle. Une bonne paix, c'est celle qui prend en compte le respect, l'estime et la place conférés à l'autre dans sa dignité. C'est dire que nous ne devons pas imaginer qu'une bonne paix puisse être conclue à la sauvette, quand l'un ou l'autre dispose d'un avantage sur un coin de table. Une bonne paix, nous savons à quoi elle ressemble aujourd'hui. Nous savons tous sur quelle base elle peut être créée. Et nous l'avons dit, nous les Européens : la création d'un Etat palestinien sur la base des frontières de 1967. Nous devons tirer les leçons de tant de décennies de larmes, de mort et de souffrance. Nous savons parfaitement aujourd'hui à quoi peuvent ressembler la paix et la stabilité du Proche-Orient. Sachons tirer les leçons des épreuves de la souffrance. Sachons faire vivre notre mémoire. Et c'est pour cela que nous invitons chacun aujourd'hui sur la scène internationale à prendre ses responsabilités, dans cette exigence de résultat et d'action qui doit nous conduire à agir plus que jamais au service de la paix
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juillet 2002)