Texte intégral
Sans remettre en cause l'esprit de solidarité qui est l'un des fondements de la Francophonie, il ne paraît plus possible, au risque de perdre toute crédibilité, de poursuivre une démarche "nombriliste". La Francophonie doit être ouverte sur le reste de l'univers tout en consolidant sa spécificité. Nous sommes à l'orée du XXIème siècle. Que sera la Francophonie à ce moment-là ? Quelle place occupera-t-elle sur la planète ? Quels seront ses objectifs ? Telles sont les questions auxquelles il convient d'apporter des lumières.
- Cette interrogation que voulait nous faire partager le Président du Comité international préparatoire à la veille du Sommet de Chaillot a conservé toute son actualité.
- Le Conseil permanent de la Francophonie, sur la suggestion de la Commission ad hoc chargée précisément d'instruire les nouvelles demandes d'adhésion, qui attestent par ailleurs la vitalité de la communauté francophone, a retenu l'idée d'inscrire cette réflexion à l'ordre du jour de la prochaine Conférence des chefs d'Etat, de Gouvernement et de délégation des pays ayant en commun l'usage du français, alors qu'au Vème Sommet, pour la première fois, aucune admission nouvelle ne sera prononcée.
- Déjà, à la première Conférence ministérielle de la Francophonie, s'était dégagée l'opportunité, devant l'alternative qui se dessine entre consolidation et approfondissement de la Francophonie ou bien ouverture et élargissement de la Communauté francophone, ce qui suppose un choix stratégique et délicat, de procéder à une analyse approfondie et prospective de l'évolution de l'espace francophone.
- Au sommet de Maurice, les chefs d'Etat et de Gouvernement conviendront sans doute qu'il y a lieu, pour renforcer la solidarité qui unit leurs pays, non seulement de développer entre eux la coopération multilatérale mais bien désormais, aussi, devant les mutations rapides et conséquentes qui agitent notre monde contemporain, de témoigner de cette solidarité dans les enceintes internationales pour ajouter une dimension nouvelle à cet espace francophone dont l'émergence dans le concert des nations peut contribuer à faire évoluer les situations de crises que traversent de nombreux pays. La Francophonie, en effet, est présente sur les cinq continents, et la plupart des pays membres peuvent voir dans leur proche environnement surgir des tensions et des conflits....
- L'espace francophone s'est constitué dans un double élan. Pour sceller à Niamey, en 1970, une première convention, il avait fallu la persévérance éclairée de quatre chefs d'Etat venant déjà d'horizons bien différents, d'Afrique, d'Europe et d'Asie, qui voulaient, puisant à leurs racines culturelles communes, jeter les bases d'un ensemble structuré pour rapprocher à travers le monde, dans un objectif partagé, des nations que l'histoire avait dispersées, car il fallait non seulement défendre un patrimoine, mais aussi faire face à la modernité.
- Ce patrimoine, qui est le socle de la Francophonie, peut aujourd'hui être de nouveau valorisé dans le respect de tous les particularismes et de toutes les identités afin de, pour reprendre une image chère au peuple mauricien, constituer une "Francophonie arc-en-ciel".
- L'étape de Niamey consacrait donc la naissance de la Francophonie et lui ouvrait une voie féconde mais limitée. Au Sommet de Paris, en 1986, est apparue pour la première fois la volonté de donner une dimension politique à la construction francophone, que le président Léopold Sédar Senghor avait toujours clairement tracée.
Pour que ce double élan s'inscrive dans une perspective à la fois constructive et harmonisée, la Francophonie doit maintenant s'assigner des objectifs déterminés.
- Le véritable défi est celui du développement que la Communauté francophone ne peut seule maîtriser alors que les paramètres économiques sont dominés par des flux dépendant de contraintes internationales, dans un contexte lui-même si évolutif et affecté par les pénuries que les moyens financiers ne suffiront pas à en résoudre les fractures.
- La Francophonie politique s'est donc attachée, en un temps très bref, à surmonter d'abord les obstacles politiques au développement en favorisant du mieux possible l'évolution engagée vers la démocratie dans de nombreux pays.
- Cette évolution s'est accomplie de manière positive, à des rythmes divers, et il faudra continuer de la soutenir.
- Il reste qu'elle ne s'est pas encore accompagnée des dividendes des progrès économiques et des exemples récents, qui n'appartiennent pas à l'espace francophone, montrent bien les écueils qui subsistent et que la Communauté internationale éprouve des difficultés à surmonter.
- Il revient donc à la Communauté francophone de nouer des liens plus étroits de façon à ce que la solidarité Nord-Sud sur laquelle elle s'est édifiée soit définitivement confirmée : liens de coopération certes, mais de plus en plus liens d'échanges et de partenariat. C'est sans doute cette seconde dimension qu'il conviendra de diversifier. Sur quelle autre base, en effet imaginer d'affronter le second défi, celui de la modernité.
- Car l'accélération et la densification des échanges dans le monde, qui conduisent à éclipser la dimension du temps et de l'espace, doivent pouvoir permettre d'entraîner dans la même dynamique l'ensemble de nos pays : l'espace et le temps échappent aux variables économiques et politiques. Le pays hôte du Vème Sommet offre à cet égard une image particulièrement exemplaire. C'est là sans doute qu'il faut puiser notre inspiration : approfondissement et consolidation certes, mais aussi ouverture sur le monde et sur la modernité.
- Sur le monde grâce à une conjoncture tout à fait privilégiée de races, de religions et de traditions, assurément, mais aussi de volonté et de planification.
- Sur la modernité sans conteste, puisque Maurice est un véritable carrefour, un pont d'abord entre l'Afrique et l'Asie, mais tout aussi proche de l'Europe, grâce à des liens historiques autant que par sa position de pays ACP dans le cadre des accords de Lomé.
Cette synthèse équilibrée des avancées démocratiques et du développement économique doit constituer un encouragement pour tous les pays qui cherchent à progresser dans cette voie.
- De ce point de vue, le grand débat en cours dans les pays industrialisés sur les flux migratoires, les délocalisations et la crise de l'emploi, mériterait sans doute d'être tempéré par la prise en compte de l'impact de l'aide publique au développement qu'elle soit bi ou multilatérale : la stabilisation de tous ces flux semble liée essentiellement au progrès économique dans les pays en développement eux-mêmes.
- L'objectif demeure donc de s'efforcer d'intégrer la Francophonie dans le monde contemporain, tel qu'il se transforme sous nos yeux au quotidien, en faisant émerger une conscience francophone de l'événement, tout en tenant le plus grand compte de ces évolutions de sorte que les pays francophones du Sud ne demeurent pas à l'écard des grandes mutations du progrès.
- C'est ce que souligne la contribution du Sénégal à la préparation du Sommet de Maurice, déposée au Conseil permanent de la Francophonie.
- "La Francophonie et les peuples qui la composent, la langue française et les langues qui sont ses partenaires, les cultures qui expriment à la fois sa diversité et son unité, sont en danger réel de marginalisation, voire de disparition. Sans armes ni armées, au nom de millions de femmes et d'hommes qui veulent vivre dans un monde qui ne leur soit pas étranger mais partager le progrès et le destin de l'humanité dans le respect de leurs propres identités, la Francophonie veut faire entendre la voix du droit, de la justice, de la paix, de la différence, de la solidarité et du développement durable".
- Si la Communauté francophone souhaite assumer l'ensemble de ces objectifs, elle doit le faire non seulement dans le cadre national de chacun de ses pays membres, mais également et d'une voix ferme au plan international. Si telle est la perspective qu'elle veut s'offrir à l'horizon du XXIème siècle, la tâche est certes immense mais non illusoire. Il lui sera alors plus aisé de discerner les contours qu'elle veut adopter pour délimiter son propre espace. Convient-il, à cette fin, qu'elle le restreigne à sa composition actuelle pour y concentrer sa substance, ou bien qu'elle l'élargisse à d'autres partenaires dont la motivation serait attestée pour trouver dans de nouveaux apports une force supplémentaire ?
- Il importe en tout état de cause que le Vème Sommet éclaire ce dilemme pour que la Communauté francophone soit à même de poursuivre résolument son élan vers le 3ème millénaire.