Texte intégral
J'ai déjà eu le plaisir de rencontrer une partie de votre conférence, il y a quelques semaines, lors de la signature de l'accord qui vous réunissait avec vos collègues et l'ambassadeur japonais autour d'une prometteuse école doctorale commune. J'avais beaucoup apprécié ce premier contact. C'est pourquoi je me réjouis, de pouvoir, aujourd'hui, vous saluer en réunion plénière, en ce début d'année universitaire. Luc Ferry, pris actuellement, s'excuse de ne pouvoir partager avec vous cette fin de réunion. Il s'adressera à vous dans quelques instants dans les salons du 110 de la rue de Grenelle, comme vous le savez. Sachant qu'il vous parlera plus particulièrement de la politique générale universitaire et de ses aspects formation et fonctionnement, je souhaiterais pour ma part, selon la responsabilité gouvernementale particulière qui est la mienne, vous préciser de manière spécifique les grandes orientations de la politique de recherche universitaire qui est la nôtre et partager avec vous quelques réflexions. J'ai en effet déjà eu l'occasion d'exprimer les priorités globales de notre action que vous pouvez retrouver dans les articles et discours publiés sur le site ministériel.
Je voudrais en premier lieu réaffirmer ici le rôle majeur de la recherche universitaire dans notre effort national de recherche et de formation supérieure.
Chacun d'entre nous a présent à l'esprit qu'il n'y a pas de formation universitaire sans recherche. L'enseignement supérieur tient son identité de la recherche. Il n'est pas d'enseignement supérieur, si cet enseignement n'est pas activement nourri par la recherche, lieu vivant de production des savoirs, ouvert aux grands vents de la confrontation internationale des idées, creuset de construction des compétences les plus pointues, source d'innovations aussi bien sociales que technologiques.
Les Universités présentent, dans le champ de la recherche publique, des caractéristiques qui légitiment le soutien attentif de l'Etat à la recherche universitaire. Au nombre de ces qualités spécifiques des Universités, quatre me paraissent devoir être soulignées :
La première est la diversité et l'étendue du champ des compétences disponibles : sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion, lettres, sciences humaines et sociales, sciences de la matière et de la vie, mathématiques, sciences pour l'ingénieur, sciences médicales et pharmaceutiques, l'ensemble du spectre des disciplines et thématiques s'y trouve réuni, de manière équilibrée et forte. C'est tout l'intérêt de vos universités que de pouvoir, de manière souple et efficiente, nouer ce dialogue scientifique et cette coopération interdisciplinaire propre à faire avancer les projets les plus originaux et innovants sur le plan des concepts ou des méthodes. Je vous encourage à tout faire pour faciliter cette transdisciplinarité à l'intérieur de vos établissements comme entre les établissements implantés sur un même site.
La seconde caractéristique est le nombre de personnes mobilisées - j'entends ici aussi bien les enseignants-chercheurs que les personnels IATOS de soutien à la recherche. Je sais que leur qualité générale est remarquable. Ce sont actuellement, par exemple, près de 19 000 professeurs et plus de 33 500 maîtres de conférences qui contribuent, au nom de leur établissement de rattachement, à cette production scientifique, sans oublier les doctorants. Nous devons veiller à maintenir, et même accroître si cela est encore possible, cette qualité par des procédures de recrutement et de formation continue aussi exigeantes que possible et qui donnent toute sa priorité à la logique de la mobilité, source d'enrichissement pour les personnes et les institutions. Je souhaite à cet égard que des objectifs de mobilité, partagés avec l'Etat, figurent dans les contrats de développement universitaire quadriennaux.
La troisième caractéristique propre aux Universités et à quelques autres établissements d'enseignement supérieur est qu'ils assument la responsabilité de préparer aux métiers de la recherche et de former par la recherche, quelques-uns des meilleurs esprits de chaque génération, passionnés par la science. Ils doivent promouvoir la qualité scientifique pour attirer ces jeunes, les conduire sur la voie de l'autonomie intellectuelle, leur donner le goût de l'effort patient et opiniâtre, et de prendre des responsabilités collectives. Les nombreux témoignages de jeunes que je reçois me montrent combien sont fortes leurs attentes quant à leurs conditions de travail, d'encadrement et de vie, et quant à une meilleure lisibilité de leurs perspectives professionnelles. La première responsabilité des établissements, et par là-même la vôtre personnellement, tient d'abord à la sélection vigilante des candidats qui doivent être conseillés dans leur orientation au moment où ils s'engagent dans ce qui représente pour la majorité d'entre eux une première activité de nature professionnelle. Cette activité comporte, comme vous le savez, un projet précis à conduire, dans un environnement structuré, sous l'autorité d'un directeur de thèse et d'un directeur de laboratoire. Elle est attestée par la signature de ce qui, je le souhaite, doit devenir la règle commune, un contrat de travail lié au financement dont ils bénéficient, par exemple dans le cadre des allocations ministérielles et des monitorats. Je souhaite que nous progressions vers une plus grande homogénéité des conditions de financements de thèse, notamment pour ce qui concerne les bourses accordées par des associations de soutien à la recherche ; et je pense en particulier aux associations dans le champ biomédical. Mes services auront très prochainement une réunion de travail avec ces associations caritatives et les associations de doctorants, pour faire avancer cette question qui pourraient conduire à ce que les associations versent aux universités le montant qu'elles avaient prévu pour le financement de la bourse, que l'Etat complète ce financement pour assurer cette homogénéité de traitement des doctorants et que les universités engagent ces derniers sur contrat à durée déterminée dans des conditions comparables aux statuts des allocataires. Je serais heureuse de recueillir votre sentiment sur un schéma de cette nature. C'est dans ce souci d'attractivité, avec l'objectif de l'excellence, que le Gouvernement propose au Parlement d'améliorer les conditions offertes aux doctorants avec le maintien de 4000 allocations de recherche dont les montants individuels seront réévalués de 5,5%. C'est dans cette même logique qu'il a proposé d'accroître les moyens financiers de la recherche universitaire, dont l'enveloppe financière s'accroît de 4,5% en AP, malgré un contexte budgétaire global difficile, ainsi que vous le savez.
Enfin, le quatrième atout exceptionnel des Universités est l'atout de la proximité et de la qualité de leur relation avec les collectivités territoriales, dont la Région est souvent la plus active dans son soutien à la recherche universitaire. Vous avez déjà, de cette relation fertile avec les Régions et les autres collectivités, sauf exception, une pratique inégalée. Vous mesurez combien ce positionnement est important au moment où le Premier Ministre et le Président de la République ouvrent le grand chantier de la décentralisation. Nous devons ensemble être force de propositions qui sauront allier l'exigence de la cohérence d'une politique nationale de recherche, et même au-delà européenne, et les avantages de la proximité. Je suis convaincue que nous saurons trouver les voies pour que le résultat que nous atteindrons soit facteur de renforcement de l'autonomie et de l'identité universitaire en même temps que de l'efficience et du rayonnement de notre potentiel scientifique et technologique.
L'une des questions principales posées est celle du mode d'association des Régions aux procédures contractuelles de développement des Universités. Ensemble, les directions de l'enseignement supérieur, de la recherche, de la technologie et la future mission universitaire qui aura un rôle exclusif d'évaluation et d'expertise scientifique, technique et pédagogique, y réfléchiront avec vous dans les mois à venir. Sans qu'à ce stade rien ne soit encore arrêté, nous réfléchissons en effet à une nouvelle organisation du ministère, qui faciliterait le processus de contractualisation avec l'objectif d'un contrat unique piloté par la direction de l'enseignement supérieur, en relation étroite avec la direction de la recherche et de la technologie et identifiant plus clairement la fonction d'évaluation et d'expertise, au sein de la mission, et la fonction de décision et de mise en oeuvre, au sein des directions.
A cette dynamique de la recherche universitaire dans vos établissements, les organismes de recherche (EPST et EPIC) répondent par leurs efforts pour partager avec elle, après avoir élaboré une politique scientifique commune, ses ressources et ses capacités spécifiques. J'attache grand prix à une coopération approfondie entre nos universités et nos organismes nationaux de recherche.
A cet égard, je veux souligner la possibilité pour la première fois en France, à l'image de ce qui se fait dans tous les grands pays scientifiques, de recrutement de manière souple, par les EPST, EPIC en partenariat étroit avec vous et les entreprises de 400 jeunes chercheurs post-doctorants, d'origine française ou étrangère, dans toutes les disciplines et à tout moment dans l'année, sur contrat à durée déterminée d'un maximum de 18 mois et d'un montant d'environ 2 150 euros brut par mois. Cette mesure, apte à accompagner la mise en oeuvre concrète de projets scientifiques et professionnels ambitieux des jeunes chercheurs comme des institutions, imposera une implication forte des établissements, pour en assurer la pleine réussite. Elle vise aussi à accroître l'attractivité du territoire vis-à-vis des étudiants étrangers les plus brillants et à limiter la "fuite durable des cerveaux", selon l'expression consacrée.
Dans la conduite de la recherche, la nécessité de garantir, en même temps que l'efficacité de l'emploi des moyens, l'équité de traitement des projets et la cohérence de l'action impose que ce soit au niveau national que ces responsabilités s'exercent.
Je pense ici principalement à l'évaluation, à la coordination de notre approche des instances européennes, aux instruments et plate-formes à caractère national.
Je voudrais faire appel à votre expertise sur ces sujets qui me paraissent aujourd'hui mériter une particulière attention.
Le premier est celui de l'évaluation. Nous avons déjà souligné qu'il existe un lien direct entre la qualité de la recherche et celle de l'enseignement supérieur. Dans un cas comme dans l'autre l'évaluation est un facteur clé de progrès et de bonne allocation des ressources. Nous devons, pour l'analyse des projets et des dossiers, nous appuyer sur une expertise transparente que chacun de vous et de vos collègues êtes en droit d'attendre. Nous devons utiliser aux mieux les capacités d'analyse et d'évaluation des structures spécialisées représentatives existantes, quitte à examiner comment en améliorer encore le potentiel. Je souhaite engager avec vous, comme avec les EPST et EPIC ainsi qu'avec les structures d'expertises, un dialogue sur ces sujets. Nous aurons très prochainement à y revenir pour engager cette réflexion.
Le second sujet sur lequel je vous propose d'engager notre réflexion pour action porte sur les synergies à établir entre les Universités d'une même Région ou d'un ensemble de Régions contiguës, des synergies entre les EPST au plan national, de celles à développer entre les Universités et les EPST, ou celles entre ces Etablissements ou Organismes et les Régions. Je vous propose d'engager la réflexion sur les objectifs à retenir, sur la nature des actions à proposer, et sur leurs modalités.
Le troisième sujet, enfin, porte sur la question de la construction de l'espace européen de la recherche. Son évolution prévisible pose, entre autres questions, celle d'une relation renforcée entre les Universités. Chacune, avec son histoire, ses spécificités, sa vision, est aujourd'hui confrontée à davantage d'interrogations que de certitudes sur sa place dans l'avenir de ce paysage universitaire européen. S'il est toutefois une certitude, c'est celle du constat avéré que la conjonction de forces, sur une base volontaire et réfléchie, est un facteur de progrès et de développement.
Le grand espoir que fait naître l'harmonisation européenne des niveaux de formation supérieure, licence, mastère et doctorat, doit être accompagnée par une extension importante des partenariats effectifs dans le domaine de la recherche. Les Ecoles Doctorales trouveront dans cette évolution un rôle à la mesure des espoirs que nous y plaçons. Cette évolution vers un partage clair des rôles entre mastère de recherche et écoles doctorales a été clairement définie par Luc Ferry lors de sa récente conférence de presse. Les éléments opérationnels seront rapidement précisés par les directeurs de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mesdames et Messieurs les Présidentes et Présidents, j'ai souhaité vous témoigner ma confiance en exprimant aujourd'hui devant votre Conférence mon analyse des forces qui sont les nôtres et de celles de vos partenaires. Ces forces sont importantes. Elles auront plus d'effet si elles se conjuguent harmonieusement. L'organisation de votre Conférence vous permet d'engager la réflexion sur les trois sujets que j'ai évoqué, l'évaluation, la conception des synergies entre établissements et autres acteurs institutionnels et la formation doctorale en Europe.
Je vous remercie de votre attention. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions avec l'aide de mes principaux collaborateurs
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 21 octobre 2002)