Déclaration de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur les difficultés actuelles de l'hôpital au regard de la mutation du système de santé, les grands axes de la politique hospitalière et sur la réduction du temps de travail, Paris le 19 mai 2002.

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Circonstance : Inauguration de Hôpital expo à Paris le 19 mai 2002

Texte intégral

Monsieur le président,
Vous m'avez invité à inaugurer la session 2002 d'Hôpital expo. Je vous en remercie vivement, et - vous l'avouerais-je ? - c'est avec un immense plaisir et une réelle émotion que je m'adresse à l'ensemble de la communauté hospitalière regroupée à l'initiative de la Fédération Hospitalière de France.
Le président Larcher a parlé de l'honneur de m'accueillir. Je veux reconnaître à mon tour cet honneur que vous m'avez fait par votre invitation. Hôpital expo est, en effet, LA manifestation emblématique de l'hôpital public. C'est comme cela que je l'ai toujours perçue, d'abord comme praticien hospitalier puis comme député, et à plus forte raison aujourd'hui, comme ministre.
Vos journées viennent certes un peu tôt pour que je puisse apporter toutes les réponses aux problèmes de fond que vous venez d'évoquer. Mais, ma présence devant vous, veut avant tout signifier l'importance que j'accorde, et que le gouvernement accorde, à l'hospitalisation publique et privée.
Je souhaite d'abord vous adresser des remerciements appuyés pour votre action. Ce ne sont pas des remerciements convenus. Vous l'avez souligné, Monsieur le Président, je viens de votre communauté. Je ne l'oublie pas.
Vous tous, personnels soignants ou non, directeurs, médecins, vous avez le devoir, par les missions de service public qui vous sont confiées, d'intégrer autant l'intérêt général de la population que les demandes individuelles de vos patients dans votre exercice quotidien. C'est une tâche difficile qui mérite le respect. Aussi, je veux profiter de cette tribune pour vous dire ma reconnaissance comme celle de tous les Français pour votre compétence et pour votre dévouement.
Je voudrais encore profiter de l'opportunité qui m'est donnée aujourd'hui pour évoquer plus particulièrement trois points :
D'abord, mettre les difficultés actuelles de l'hôpital en perspective, au regard des mutations de notre système de santé (I),
Puis, m'arrêter sur quelques grands axes de la politique hospitalière que j'entends mener au cours des mois et des années à venir (II),
Enfin, revenir sur la question de la réduction du temps de travail à l'hôpital (III).
I. Les difficultés que connaît l'hôpital s'inscrivent dans le cadre plus général d'une mutation de la société française et des problèmes posés à notre système de santé.
1. L'hôpital connaît indubitablement des difficultés. J'ai entendu, Monsieur le président, les "voix de la France hospitalière" que vous venez d'exprimer. J'en partage, pour l'essentiel, le diagnostic. Et je mesure bien à la fois vos espérances, mais également vos inquiétudes.
Ce serait une erreur de nous voiler la face, et notamment de croire que le premier rang de la France dans le classement des systèmes de santé établi par l'OMS situe notre pays à la première place dans le domaine de la qualité des soins à l'hôpital. Pour ce qui me concerne, je ne le ferai pas. Je sais que vous ne le faites pas non plus.
2. Pour autant, je ne suis partisan ni de la sinistrose, ni du découragement et j'estime qu'il convient de mettre en garde contre cet état d'esprit que je vois poindre ici ou là. Les forces de l'hôpital sont nombreuses, vous le savez :
* D'abord, à ce jour, l'hôpital reste pour la très grande majorité des patients, un îlot de sécurité et de qualité. C'est pour nos concitoyens un endroit où l'on sait que l'on sera pris en charge, soigné et accompagné.
* Et puis, l'hôpital a des valeurs fortes qu'il puise dans une histoire complexe marquée tout particulièrement par la grande réforme de 1958 qui constitue l'un des grands événements fondateurs de notre système de soins d'aujourd'hui.
3. En fait, les difficultés actuelles de l'hôpital s'inscrivent dans le cadre d'évolutions profondes de la société française en général, et de notre système de santé en particulier.
La société française est engagée, en ce début du XXIème siècle, nous le comprenons tous, dans une mutation profonde.
Comme vous le disiez en introduction, l'hôpital est la caisse de résonance de la société française, son " miroir fidèle ", selon votre juste expression. Alors, je voudrais m'arrêter brièvement sur quatre constatations à l'hôpital :
Il y a d'abord une certaine insatisfaction croissante des patients.
Désormais, pour nos concitoyens, les soins se consomment et le recours au soin se banalise de plus en plus. La santé devient, à certains égards, un bien comme un autre. Le patient-consommateur et nos concitoyens se sentent en droit d'exiger de plus en plus, de l'hôpital comme des autres services publics et privés auxquels ils ont affaire. La difficulté des services hospitaliers à répondre à ces demandes sont est interprétée aujourd'hui plus qu'hier, à tort ou à raison, comme autant d'insuffisances de nos hôpitaux.
Les patients exigent, ensuite, de plus en plus souvent, d'avoir des certitudes ;, en raison même de la médiatisation des exploits techniques d'une médecine dont on tend à oublier la part de l'art au bénéfice de la science seule. Les notions de risque, de probabilité et d'incertitude ont tendance à être escamotées. L'obligation de résultats supplante progressivement l'obligation de moyens. La prolifération progression des contentieux médicaux en est un signe.
Le risque majeur qui existe est certainement une altération de la qualité de la relation entre médecins et malades qui devient purement trop strictement contractuelle, au sens marchand du terme.
Il y a, en second lieu, les attentes des soignants.
Les soignants eux-mêmes aspirent désormais, comme tout un chacun, à une amélioration de leurs conditions de travail et de leur qualité de vie. Leur tolérance à la pénibilité diminue d'autant plus que leur exercice se banalise aux yeux de la société. Les contraintes ne sont plus suffisamment compensées ni au plan social, ni au plan humain. C'est la raison de ce besoin de reconnaissance qui s'exprime par des demandes financières ou statutaires récurrentes.
L'évolution la plus délétère préoccupante est sans doute celle qui révèle une démotivation voire une démobilisation nouvelles. Les spécialités pénibles sont délaissées et il devient parfois plus facile de trouver des candidats sur un poste hospitalier moins passionnant au plan de la pratique médicale mais où le travail est moins astreignant que sur un poste intéressant où l'on travaille beaucoup. Peu à peu, nous avons laissé s'abîmer l'essence même d'un métier exaltant.
Il y a ensuite, un certain manque de confiance mutuelle des entre les professionnels de santé envers et les autorités de santé.
Il ne faut pas se le cacher : la confiance entre les professionnels de santé et les autorités de santé s'est érodé au fil du temps, notamment en raison des problèmes économiques et des contraintes administratives.
Mais elle l'est aussi par le fait - je veux en témoigner - que les médecins ont été, au cours des dernières années, trop souvent pointés du doigt, stigmatisés et culpabilisés, considérés comme les responsables du dérapage des dépenses de santé.
S'est ainsi ancré en eux un profond sentiment d'injustice qui explique pour partie à la hauteur de la mobilisation et de la ténacité dont ils font preuve dans les manifestations de ces derniers mois. Il ne faut pas mésestimer ce mouvement de fond. On ne fera rien sans la confiance rétablie.
Enfin, il y a le réveil de certaines corporatismes crispations professionnelles.
Les intérêts particuliers sont prompts à s'exprimer, parfois violemment, dans notre pays. Mais il faut convenir que le réveil des crispations professionnelles en France, dans de très nombreux secteurs, découle de la gestion des conflits de ces dernières années. En ce qui concerne la santé, les demandes multiples et réitérées des différents secteurs ont le plus souvent trouvé des réponses uniquement ponctuelles et isolées, catégorie par catégorie de personnels, secteur par secteur, sans vision d'ensemble et sans aborder les problèmes de fond. Cette attitude a accentué les clivages internes de notre système de santé et l'a rigidifié.
II. Face à ces difficultés, il est grand temps de mettre en uvre une véritable réforme du système de santé et de conduire, en particulier, une politique hospitalière moderne qui permette de "réinventer" l'hôpital au cur de la cité, au cur de la société française.
Seule la mise en place d'une politique globale et cohérente, à moyen terme peut prémunir notre système de santé contre les menaces qui existent.
Vous comprendrez qu'à ce stade, après moins d'une semaine passée avenue de Ségur, je ne puisse développer aujourd'hui devant vous, de façon exhaustive, les détails et les modalités de l'action que j'entends conduire pour et avec le monde hospitalier au cours des années à venir.
Je n'ai notamment pas encore eu le temps d'écouter ce que les professionnels, les partenaires sociaux, les assurés et les patients souhaitent me dire. Or le temps de l'écoute, et du dialogue préalable à la décision est capital. Je souhaite prendre ce temps. C'est d'ailleurs pourquoi je vais inviter, à compter des prochains jours, vos organisations représentatives à me rencontrer et je vais également continuer à me déplacer sur le terrain, comme je l'ai déjà fait, notamment la semaine dernière au centre hospitalier de Pontoise.
Cela ne m'empêche pas de saisir l'opportunité que vous m'offrez pour évoquer certains principes de base qui me guideront dans la définition de la politique hospitalière :
- le décloisonnement
- la régionalisation
- et l'excellence.
1. Notre politique hospitalière sera donc une politique sera une politique de décloisonnement.
Le décloisonnement est nécessaire au sein de l'hôpital tout d'abord.
Il faut pour cela rendre à tous les professionnels qui travaillent à l'hôpital des espaces de liberté et de responsabilité. Il faut faire la chasse aux contraintes inutiles et stimuler l'initiative. Rien n'assure mieux l'efficacité que le sentiment que chacun éprouve de peser sur le cours des choses.
Le décloisonnement est également nécessaire entre hospitalisation publique et privée.
Cela signifie poursuivre le développement des complémentarités entre le secteur public et privé. Cette diversité est un formidable atout qui doit être préservé : elle ouvre un libre choix aux patients, encourage l'émulation, favorise l'innovation... Elle exige certaines règles, comme le strict respect du principe d'égalité de traitement entre l'hôpital et les cliniques dans toutes les mesures prises par le législateur et les pouvoirs publics.
Les contraintes économiques, les effets de la démographie médicale et paramédicale, l'accroissement des normes sanitaires, mais aussi la volonté commune d'améliorer l'offre de soins favorisent et même rendent indispensables les partenariats entre les deux secteurs.
Le décloisonnement porte enfin nécessairement entre la ville et l'hôpital.
Le développement des réseaux de soins me tient particulièrement à cur. Il peut se révéler un moyen extrêmement efficace pour améliorer la prise en charge de certains patients.
De nombreux réseaux existent déjà, ou se mettent en place. Un effort particulier d'évaluation de ces initiatives sera entrepris. Nous en tirerons les conséquences et leurs financements sera facilité. J'y reviendrai plus en détail dans les semaines à venir.
2. En second lieu, notre politique hospitalière sera aussi une politique de régionalisation et de proximité.
Cette politique sera portée, comme vous le souhaitez, Monsieur le président, par des structures régionales rénovées, les Agences Régionales de Santé.
Le succès des Agences Régionales de l'Hospitalisation, associé aux limites qu'elles ont pu rencontrer dans leur fonctionnement, nous conduit à l'idée qu'il faut franchir une nouvelle étape :
- afin d'accentuer la proximité des décisions en matière de santé et de traduire dans les faits la " France d'en bas ".
- afin d'assurer une plus grande cohérence à la prise en compte des problèmes de santé publique ;
- afin de marier définitivement la ville et l'hôpital.
Je réaffirme donc, ici, la volonté du gouvernement de s'atteler rapidement à cette évolution, conformément aux engagements du Président de la République, dans le cadre de la mise en uvre d'une "nouvelle gouvernance" de la santé et de l'assurance maladie.
3. Le troisième principe de l'action du Gouvernement en matière hospitalière, sera l'excellence des soins.
L'excellence des soins, cela signifie, bien sûr, un effort accru dans le domaine de la recherche médicale. Nous avons, de ce point de vue, pris des retards qui me préoccupent. Et j'ai à cur de contribuer à rendre à la recherche médicale française sa fierté, et de faire à nouveau d'elle la priorité nationale qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être.
L'excellence à l'hôpital passe aussi par une rénovation et une modernisation de nos infrastructures et de nos équipements hospitaliers. Quelques grandes opérations ont certes pu être réalisées au fil des dernières années. Mais, derrière ces exceptions, le tableau est plutôt sombre ! Notre infrastructure hospitalière, qui était dans les années 1960 et 1970 une fierté nationale, a vieilli. Et elle a souvent mal vieilli. Nos hôpitaux souffrent depuis plusieurs années d'un sous-investissement.
Préoccupé par cette évolution, le Président de la République s'est engagé à lancer un grand programme quinquennal d'investissement pour la santé. Nous le ferons. J'y suis déterminé et nous allons nous atteler très vite à en définir les grands contours.
Ce programme devra nécessairement prendre en compte les transformations profondes de notre système hospitalier qui sont liées aux progrès de la médecine et des techniques de soins.
Il sera également guidé par le souci exprimé par le Président de la République dans son discours du 14 février dernier au "Centre national des professions de santé", souci de faire évoluer les moyens de l'hôpital selon les besoins des malades, et de répartir avec intelligence les ressources hospitalières afin de pouvoir incorporer de nouveaux progrès.
L'excellence à l'hôpital public et privé, c'est aussi l'évaluation et l'accréditation. D'importants progrès ont été réalisés grâce à l'action de l'ANAES. Mais un long chemin reste à parcourir. C'est pourquoi un nouvel élan doit être donné au processus d'accréditation et d'évaluation des structures de soins, à tous les niveaux du système de soins. J'y reviendrai plus longuement dans les semaines à venir.
III. J'ai toujours fait dans ma vie professionnelle, le choix de l'écoute, du dialogue, de la clarté et du bon sens. Ma nomination à la tête du grand ministère de la santé voulu par le Président de la République et par le Premier ministre me conforte dans ce choix quels que soient les problèmes que l'on me demande de résoudre et l'importance des enjeux auxquels mon ministère est confronté.
Parmi ces enjeux et ces problèmes, je suis bien conscient de l'extrême importance de la question de la réduction du temps de travail à l'hôpital. Permettez-moi de m'arrêter sur ce point pendant quelques instants afin de répondre le plus clairement possible aux interrogations que j'ai vu poindre depuis quelques jours.
A cet égard, nous avons deux impératifs.
Premier impératif : respecter la loi. La réduction du temps de travail à l'hôpital procède d'une loi votée par le Parlement et le Gouvernement appliquera cette loi, comme toutes les autres lois de la République. J'affirme donc qu'il n'est pas question de revenir sur le principe de l'application des 35 heures à l'hôpital.
Deuxième impératif : garantir aux français le plus haut niveau de sécurité sanitaire à l'hôpital. Or, vous savez comme moi, que l'application des 35 heures dans le secteur hospitalier s'avère difficile dans un certain nombre de cas. Les conditions dans lesquelles la réduction du temps de travail a été décidée et mise en uvre ajoutent souvent aux difficultés préexistantes de notre système hospitalier, je pense singulièrement aux pénuries de personnels soignants, notamment dans certaines spécialités.
Dans ces conditions, il me paraît indispensable d'étudier attentivement les conditions d'application des 35 heures à l'hôpital, c'est-à-dire sur ce qui a été réalisé jusqu'à présent tant pour les personnels soignants que pour les personnels non soignants. C'est un préalable absolu avant de se prononcer sur les mesures susceptibles de réduire les vives tensions existantes et de proposer les aménagements envisageables dans l'hypothèse où la sécurité de la santé des Français hospitalisés pourrait être menacée.
Nous aborderons ces questions, conjointement, avec le Ministre des Affaires sociales, du Travail et le Solidarité, le Ministre de la Fonction Publique, ainsi que le Ministre de l'Economie et des finances.
Ni dogme, ni idéologie, mais le seul bon sens pratique guidé par le devoir de sauvegarder la qualité des soins dans le respect mutuel des patients, des soignants et des pouvoirs publics. Telle est ma philosophie de l'action publique. Telle est la méthode que je vous propose.
Chers amis,
Ma volonté est d'agir vite mais d'agir dans le cadre d'une vision à moyen terme d'un système de santé modernisé et renouvelé, d'un système de santé qui redonne confiance et reconnaissance aux professionnels qui y exercent.
Pour cette tâche commune qui nous concerne tous, j'espère pouvoir compter sur vous. Vous pouvez compter sur moi.
Je vous remercie.

(source http://www.sante.gouv.fr, le 1 juillet 2002)