Texte intégral
Demain, le ministre des affaires sociales présentera un projet de décret provisoire élevant à 180 le nombre d'heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées par les salariés. Le patronat se dit satisfait. Et la CFDT ?
François Chérèque. Le patronat avait placé la barre assez haut, en exigeant la remise en cause de la loi Aubry, et, au départ le gouvernement nous avait présenté un projet comprenant l'extension des heures de nuit ou le forfait " en jours " pour les VRP, une extension du compte épargne-temps. Cela ne s'est pas fait et c'est positif. Mais pour ce qui concerne le contingent d'heure supplémentaire, question décisive pour inciter ou pas aux 35 heures effectives, la balance penche du côté du Medef.
Au final quel jugement portez-vous sur les décisions du gouvernement ?
Je fais trois reproches à ce qu'on nous présente :
D'abord l'abandon de la démarche qui consiste à laisser négocier avant de décider. À partir du moment où le gouvernement fixe le nombre d'heures supplémentaires par décret, la négociation perd du sens. Alors que le bilan des négociations collectives démontre clairement que le dialogue social fonctionnait bien en matière de réduction du temps de travail, on va casser cette dynamique.
Deuxièmement, on avait annoncé que les salariés pourraient " gagner plus en travaillant plus ". C'est faux. Non seulement on ne leur donne pas le choix, puisque ce sont les employeurs qui pourront directement augmenter les heures supplémentaires dans les entreprises, mais les salariés ne gagneront pas plus. Le cas le plus flagrant est celui des salariés qui sont encore à 39 heures. Ils n'auront pas de rémunération supplémentaire, et ils vont perdre 7 jours de repos compensateurs, soit une semaine et demi de congés.
Enfin, on risque de figer les inégalités entre ceux qui sont déjà passés à 35 heures et les autres, dont la RTT dépendra du bon vouloir de leurs patrons. Des patrons, qui non seulement ne seront plus incités à réduire la durée du travail, mais à qui on vient de donner les moyens de ne pas le faire. Résultat, on aura deux cas de figure : des entreprises à 35 heures, avec la tentation pour les employeurs de revenir sur les accords : je leur recommande d'y réfléchir à deux fois car cela amènera des conflits ; et les autres, restées à 39 heures, dans lesquelles les salariés se rendront compte assez vite qu'ils n'ont rien gagné.
Pourtant vous allez pouvoir négocier dans les branches ?
Nous voulions faire du sur-mesure, pour permettre à tous les salariés de réduire le temps de travail. On nous impose un prêt à porter réglementaire. Oui, nous allons devoir nous battre pendant 18 mois, mais nous ne sommes pas à armes égales. Les patrons ont à la disposition des outils pour ne pas négocier. A part des patrons très progressistes, je ne vois pas l'intérêt pour eux d'entrer dans un processus de négociation sur le temps de travail.
Sur le Smic, il semble que vous ayez été écoutés ?
Le patronat voulait, là aussi remettre le Smic en question, ou au moins imposer des délais inacceptables pour sa réunification. La décision du gouvernement consiste à réunifier au niveau le plus élevé des différents Smic, dans un délai raisonnable, celui de la loi Aubry. Avec un réel effort, en particulier pour les Smicards les moins bien lotis et ceux qui travaillent à temps partiels. Pour eux, qui sont ce qu'on appelle les " travailleurs pauvres ", c'est la perspective d'une augmentation d'environ 15 à 17 % sur trois ans. Il reste à traiter le problèmes du niveau des rémunérations dans les branches professionnelles pour arriver à ce que des salariés ne demeurent pas au Smic toute leur vie.
C'est le premier test social du gouvernement, pensez-vous que François Fillon l'a réussi ?
Sa position sur le Smic montre qu'il n'est pas insensible à la question sociale, c'est un bon signe. Pour ce qui concerne les heures supplémentaires, le déséquilibre est manifeste en faveur des employeurs. Résultat, le gouvernement, dont on sent bien qu'il cherche à incarner une position d'équilibre, ne réussit pas à donner aux partenaires sociaux les moyens d'un dialogue à égalité.
Le gouvernement veut revoir le droit du licenciement, comment doit-il s'y prendre ?
Sûrement pas par une loi. Le gouvernement doit renvoyer à une négociation entre partenaires sociaux dans différents domaines qui concernent l'emploi, la formation professionnelle, la prévention des licenciements, l'accompagnement des chômeurs et l'emploi des jeunes. Mais pour cela, il faut qu'il évite de tout décider avant !
(Source http://www.cfdt.fr, le 9 septembre 2002)
François Chérèque. Le patronat avait placé la barre assez haut, en exigeant la remise en cause de la loi Aubry, et, au départ le gouvernement nous avait présenté un projet comprenant l'extension des heures de nuit ou le forfait " en jours " pour les VRP, une extension du compte épargne-temps. Cela ne s'est pas fait et c'est positif. Mais pour ce qui concerne le contingent d'heure supplémentaire, question décisive pour inciter ou pas aux 35 heures effectives, la balance penche du côté du Medef.
Au final quel jugement portez-vous sur les décisions du gouvernement ?
Je fais trois reproches à ce qu'on nous présente :
D'abord l'abandon de la démarche qui consiste à laisser négocier avant de décider. À partir du moment où le gouvernement fixe le nombre d'heures supplémentaires par décret, la négociation perd du sens. Alors que le bilan des négociations collectives démontre clairement que le dialogue social fonctionnait bien en matière de réduction du temps de travail, on va casser cette dynamique.
Deuxièmement, on avait annoncé que les salariés pourraient " gagner plus en travaillant plus ". C'est faux. Non seulement on ne leur donne pas le choix, puisque ce sont les employeurs qui pourront directement augmenter les heures supplémentaires dans les entreprises, mais les salariés ne gagneront pas plus. Le cas le plus flagrant est celui des salariés qui sont encore à 39 heures. Ils n'auront pas de rémunération supplémentaire, et ils vont perdre 7 jours de repos compensateurs, soit une semaine et demi de congés.
Enfin, on risque de figer les inégalités entre ceux qui sont déjà passés à 35 heures et les autres, dont la RTT dépendra du bon vouloir de leurs patrons. Des patrons, qui non seulement ne seront plus incités à réduire la durée du travail, mais à qui on vient de donner les moyens de ne pas le faire. Résultat, on aura deux cas de figure : des entreprises à 35 heures, avec la tentation pour les employeurs de revenir sur les accords : je leur recommande d'y réfléchir à deux fois car cela amènera des conflits ; et les autres, restées à 39 heures, dans lesquelles les salariés se rendront compte assez vite qu'ils n'ont rien gagné.
Pourtant vous allez pouvoir négocier dans les branches ?
Nous voulions faire du sur-mesure, pour permettre à tous les salariés de réduire le temps de travail. On nous impose un prêt à porter réglementaire. Oui, nous allons devoir nous battre pendant 18 mois, mais nous ne sommes pas à armes égales. Les patrons ont à la disposition des outils pour ne pas négocier. A part des patrons très progressistes, je ne vois pas l'intérêt pour eux d'entrer dans un processus de négociation sur le temps de travail.
Sur le Smic, il semble que vous ayez été écoutés ?
Le patronat voulait, là aussi remettre le Smic en question, ou au moins imposer des délais inacceptables pour sa réunification. La décision du gouvernement consiste à réunifier au niveau le plus élevé des différents Smic, dans un délai raisonnable, celui de la loi Aubry. Avec un réel effort, en particulier pour les Smicards les moins bien lotis et ceux qui travaillent à temps partiels. Pour eux, qui sont ce qu'on appelle les " travailleurs pauvres ", c'est la perspective d'une augmentation d'environ 15 à 17 % sur trois ans. Il reste à traiter le problèmes du niveau des rémunérations dans les branches professionnelles pour arriver à ce que des salariés ne demeurent pas au Smic toute leur vie.
C'est le premier test social du gouvernement, pensez-vous que François Fillon l'a réussi ?
Sa position sur le Smic montre qu'il n'est pas insensible à la question sociale, c'est un bon signe. Pour ce qui concerne les heures supplémentaires, le déséquilibre est manifeste en faveur des employeurs. Résultat, le gouvernement, dont on sent bien qu'il cherche à incarner une position d'équilibre, ne réussit pas à donner aux partenaires sociaux les moyens d'un dialogue à égalité.
Le gouvernement veut revoir le droit du licenciement, comment doit-il s'y prendre ?
Sûrement pas par une loi. Le gouvernement doit renvoyer à une négociation entre partenaires sociaux dans différents domaines qui concernent l'emploi, la formation professionnelle, la prévention des licenciements, l'accompagnement des chômeurs et l'emploi des jeunes. Mais pour cela, il faut qu'il évite de tout décider avant !
(Source http://www.cfdt.fr, le 9 septembre 2002)