Texte intégral
Je suis venu aujourd'hui à Rabat pour cette longue journée à l'invitation du Ministre d'Etat que je remercie à nouveau pour son invitation, pour son accueil et pour la façon dont il a organisé cette journée.
J'ai pu être reçu par S.M. le Roi et par le Premier ministre. J'ai pu avoir des entretiens approfondis avec M. Filali au ministère des Affaires étrangères, ainsi qu'avec le ministre de l'Economie et des Finances, le ministre de l'Aménagement du territoire, et le ministre délégué auprès du Premier ministre. De même, j'ai pu rencontrer, plus brièvement, mais en s'entretenant à chaque fois de choses importantes pour nos deux pays, le ministre de la Solidarité et de l'Emploi, le ministre de l'Education nationale, le ministre de la Justice, de l'Information et celui de l'Intérieur.
De même, nous avons écouté les rapports des deux commissaires concernant l'exposition "Le Temps du Maroc en France" et son état de préparation.
Je suis venu parce que les relations entre nos deux pays, qui sont excellentes, exceptionnelles même, sont à un moment important après l'alternance qui a été entamée au Maroc, sous l'impulsion de S.M. le Roi et sous la conduite du Premier ministre, M. Youssoufi.
Je suis venu peu de temps avant la rencontre à Paris des deux Premiers ministres pour faire le point, tout simplement, de l'ensemble de nos relations à ce moment clé, faire le point de la préparation et voir ce qui, dans notre coopération qui est très importante, doit être adapté, éventuellement, rénové, réorienté ou poursuivi, ou au contraire, inventé en partant de zéro dans d'autres cas.
Nous souhaitons être, plus que jamais, présent aux côtés du Maroc dans ce moment important de son histoire et de son histoire politique, présent en tant qu'ami, en tant que partenaire, dans la relation bilatérale, de même que dans l'autre relation très importante, qui est celle qui se noue et qui se développe entre le Maroc et l'Union européenne.
Voilà le cadre dans lequel je suis venu. Je suis très satisfait de cette journée bien remplie. Je suis venu avec une importante délégation qui comportait, en ce qui concerne les hauts fonctionnaires, tous les responsables compétents du ministère des Affaires étrangères, ainsi qu'un représentant du Trésor et le conseiller du Premier ministre, M. Lionel Jospin, pour les questions européennes. C'est dire que nous avions l'intention dans le délai d'une journée, de passer en revue tous les sujets possibles.
La situation est solide et bonne. Nous sommes animés de cette volonté qui me semblait tout à fait partagée de faire en sorte que ces relations servent encore mieux notre projet commun pour la relation franco-marocaine, et pour la relation maroco-européenne.
Voilà un bref résumé que je ne peux pas allonger car je pense que vous avez quelques questions à nous poser.
Q - Avez-vous évoqué la question de la dette marocaine ?
R - La question de la dette a été abordée, notamment dans le long entretien entre le ministre de l'Economie et des Finances et moi-même. Mais c'est une question qui a fait l'objet de discussions régulières et constantes entre les deux directions du Trésor ainsi qu'entre le ministre de l'Economie et des Finances français et son partenaire marocain.
J'ai refait le point quelques jours avant la rencontre des deux Premiers ministres. Mais ce n'était pas une rencontre faite pour décider. Ce n'était pas, aujourd'hui, une négociation. Je suis venu pour avoir une vision d'ensemble des sujets qui sont importants pour le Maroc. La France a un ensemble de propositions, de suggestions, d'idées sur ce sujet. Dans certains cas, cela coïncide. Dans d'autres cas, le Maroc a des suggestions différentes. La négociation doit se poursuivre sur ce point.
Q - Y-a-t-il une adaptation des relations à la lumière de l'alternance ?
R - Je dirais que ce n'est pas spécifiquement à la lumière de l'alternance : la coopération franco-marocaine est forte et dense depuis longtemps. C'est un processus vivant qui s'adapte. Mais il s'adapte particulièrement quand il y a des événements importants ou des évolutions significatives. J'ai, par exemple, entendu pendant le déjeuner de travail organisé par le ministre d'Etat, le ministre de l'Education nous exposer un certain nombre d'évolutions que le gouvernement actuel veut faire dans le domaine de l'éducation. Ce qui nous amènera, certainement, à adapter notre coopération. On ne peut pas offrir toujours la même chose si les demandes ne sont pas tout à fait les mêmes en matière de formation, d'enseignement du français.
En matière culturelle ; j'ai entendu le ministre de la Culture faire une remarque que j'ai trouvé judicieuse, qui mérite d'être approfondie, disant que la politique culturelle de la France au Maroc était forte, vivace et très appréciée, mais que la coopération culturelle franco-marocaine était moins développée. Il y a plus d'actions directes que de projets communs. C'est une remarque intéressante qui mérite d'être approfondie.
Le ministre de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et de l'Habitat me faisait remarquer que dans le domaine de l'habitat d'une part, dans le domaine de l'aménagement du territoire d'autre part, il y avait très peu de coopération entre les deux pays, très peu d'échanges. Ce alors qu'il y a énormément de choses à apprendre, d'expériences à transmettre utilement. Je vous donne quelques exemples, sans la prétention d'être exhaustif. En matière de justice, il y a une coopération judiciaire classique qui fonctionne bien. Des coopérations nouvelles sont envisagées comportant un volet formation qui est très important et qu'il est question de développer.
Le ministre de l'Economie et des Finances a beaucoup insisté sur la nécessité d'une coopération innovante dans beaucoup de domaines et ce n'est pas qu'une façon subtile de parler de la question de la dette. De tous les intervenants, j'ai entendu des suggestions, des ouvertures. Manifestement, c'est une coopération qui va bouger, et qui va bouger dans le bon sens, entre partenaires, ce qui suppose des discussions. Et naturellement, la rencontre entre les deux Premiers ministres sera un temps fort dans ce processus.
Q - Peut-on dire que le Maroc et la France vivent aujourd'hui une certaine lune de miel après des années de crispation. Dernièrement, Mme Voynet, ministre "Vert", est venue au Maroc. On s'attend à ce qu'un ministre communiste vienne aussi pour la première fois au Maroc. Est-ce véritablement une nouvelle relation sans précédent ?
R - Sur les crispations, je n'ai pas de commentaire particulier à faire. Il me semble qu'il y a toujours eu dans les relations franco-marocaines, depuis l'indépendance de ce pays, une qualité de relation exceptionnelle même si, à certains moment, cela a coïncidé avec tel ou tel désaccord sur tel ou tel point, ou telle ou telle divergence d'opinion. C'est classique dans les relations entre deux pays.
En ce qui concerne la situation actuelle, il est tout à fait vrai qu'il y a une configuration qui est bien particulière, positive et très prometteuse. Tout le monde connaît les relations étroites et confiantes entre le président de la République française et le Roi du Maroc. Tout le monde peut constater l'entente et l'amitié et le désir de coopération qui existent entre les deux Premiers ministres et les gouvernements français et marocain. Donc à cet égard, oui, vous avez raison pour la deuxième partie de votre question. Il y a une situation dans laquelle, entre les deux pays, il y a une relation forte, large, diversifiée, qui n'est l'apanage de personne en particulier et qui est encore plus puissante, pour cette raison. Je pense que cela est prometteur et que cela débouchera sur beaucoup de choses.
Q - Avez-vous abordé le dossier de l'émigration ? Quels sont les points forts lors de vos entretiens sur ce sujet ?
R - J'ai en effet abordé ce sujet, mais là aussi dans le cadre de cette journée. De nombreux sujets ont été abordés, même brièvement, mais aucun ne peut avoir été traité à fond : il s'agit d'un moment dans un processus presque continu de discussions. Je l'ai abordé avec le Premier ministre, avec le ministre de l'Intérieur, ainsi qu'avec plusieurs autres ministres. Cela a été aussi abordé au déjeuner, notamment, par le ministre de la Solidarité sociale et de l'Emploi. J'ai dit pendant ces discussions qu'il fallait distinguer plusieurs problèmes.
La France a à faire face à une pression migratoire forte. Elle a des règles, qui sont des règles de droit établies dans le cadre de la République. Elles distinguent les cas dans lesquels on peut entrer en France légalement, ou venir travailler légalement, et des cas où l'on ne peut pas. Il y a des gens qui viennent malgré tout, vous le savez bien, et nous avons à traiter un problème de présence irrégulière. Nous essayons de le traiter avec humanité. Malgré l'irrégularité de la venue sur le territoire national, dans un certain nombre de cas, nous avons finalement accepté que ces présences soient régularisées. Mais même avec cet esprit d'humanité, on ne peut pas le faire dans tous les cas. Il faut une justification. Il n'est pas souhaitable, d'ailleurs, d'entretenir de fausses espérances, débouchant sur des situations précaires. Ce n'est souhaitable ni sur le plan humain, ni sur le plan humanitaire, ni sur le plan de l'épanouissement des personnes. C'est tout le sens des lois sur l'immigration : il faut pouvoir accueillir les gens dans des conditions convenables de dignité, que cela corresponde à une situation économique et sociale où l'on peut offrir ce que les gens viennent chercher, en général quand ils immigrent, c'est à dire un travail. Avec cet ensemble de règles, il arrive malgré tout, qu'au bout du compte, certaines personnes ne puissent pas être régularisées. Nous avons à traiter cette question. Nous essayons de la traiter au mieux. Et nous essayons de perfectionner les conditions dans lesquelles ces personnes seront au bout du compte appelées à rentrer chez elles. Nous voudrions qu'elles puissent être aidées dans leur réinsertion. C'est un sujet que la France doit traiter comme d'autres pays de l'Europe : elle n'est pas la seule dans ce cas. Mais nous ne voulons pas alimenter le flux d'une migration face à laquelle nous ne pouvons pas offrir des conditions convenables d'insertion par respect des personnes.
Deuxièmement, - je distingue les deux et je le fais exprès, je le souligne car cela a pu être parfois confondu -, il y a l'idée du codéveloppement. C'est une idée que ce gouvernement a décidé de relancer. Ce n'est pas une idée tout à fait nouvelle. Le mot de codéveloppement a souvent servi dans le passé. Une grande part de la coopération qui a existé entre la France et le Maroc, comme entre la France et bien d'autres pays, était animée par cette notion. Je dis une grande part, pas entièrement. Elle est animée, en partie, par cette idée de travailler ensemble au développement du pays considéré. Nous voulons relancer cette politique. Parce qu'après tout c'est une des bonnes façons de permettre à des populations qui seraient tentées par l'immigration, parce qu'elles n'ont pas d'autres issues, une bonne façon de contribuer à ce qu'elles restent chez elles, et qu'elles puissent participer à un projet de développement économique et social concret. Nous voulons donc agir en amont, de façon préventive. Je crois que c'est dans notre intérêt et dans celui des pays partenaires, au premier rang desquels le Maroc. C'est cela, dans notre esprit, le codéveloppement. On pourrait dire qu'une grande partie de la coopération que nous menons va déjà dans ce sens. Mais il y a d'autres coopérations possibles.
Nous avons décidé d'entreprendre avec quelques pays clés, dont le vôtre, une sorte d'analyse de tous les mécanismes de coopération, pour voir ceux qui concourent à cet objectif de codéveloppement et pour voir s'il ne faut pas les renforcer. C'est une grande politique, c'est une politique générale. En même temps, il faut qu'elle soit concrète. Il faut trouver des projets qui ont cet effet là. N'importe quel projet de développement ne concourt pas à faire rester les gens dans leurs régions : tous les développements ne sont pas créateurs d'emplois, ou du type d'emplois qu'il faut. Bref, il faut aller au-delà des titres sur ce sujet.
C'est donc une politique que nous voulons développer, entre autres avec le Maroc. Nous avons fait des propositions à ce sujet C'est une discussion dans laquelle nous allons parler, nous écouter les uns les autres, et échanger des arguments.
Je ne veux pas qu'il y ait des confusion entre les deux choses, même si, dans le temps, cela se présente à peu près en même temps. Nous voulons à la fois relancer le codéveloppement et nous aurons, par ailleurs, à traiter le cas des étrangers en situation irrégulière qui devront rentrer chez eux. Ce sont deux choses distinctes. Le vrai sujet important, c'est l'objectif du codéveloppement. Voilà sous quel angle cette question a été abordée aujourd'hui et le sera naturellement à nouveau pendant la rencontre des deux Premiers ministres.
Q - Quelle est la position de la France face à la proposition du Premier ministre marocain à l'Algérie d'ouvrir un dialogue ? Est-ce qu'il y a un suivi de la part de la France sur cette question ? Comment voyez-vous les choses après la déclaration de Liamine Zéroual d'organiser des élections anticipées présidentielles ?
R - Il m'est difficile de répondre à des questions qui, dans un cas, concernent les Marocains et les Algériens, dans un autre cas, concernent les Algériens.
Sur l'annonce faite par le président Liamine Zéroual, nous ne pouvons que prendre note de ce qui se passe. Mais c'est une affaire algérienne. Nous n'avons aucun commentaire à faire sur ce point, ni sur sa décision, ni sur les raisons qui ont pu l'inspirer. Sauf à rappeler le souhait permanent que nous exprimons périodiquement, de voir l'Algérie sortir enfin des difficultés qu'elle traverse depuis longtemps et pouvoir s'attaquer aux problèmes normaux du développement sur tous les plans, en sortant des tragédies. Voilà, c'est un souhait constant de notre part, mais nous n'avons pas à aller au-delà dans le commentaire.
En ce qui concerne les relations maroco-algériennes, nous souhaitons naturellement, en tant que pays voisin proche et ami, et compte tenu des liens multiples que nous pouvons avoir, que ces relations puissent s'améliorer, se normaliser. Chaque fois que nous voyons une ouverture faite dans ce sens, et dans la période récente de la part du Premier ministre marocain, nous ne pouvons que souhaiter qu'elle rencontre un écho. Mais nous ne pouvons pas nous substituer aux deux pays intéressés. Ce que j'exprime est un souhait.
Q - Sur la base de l'excellence des relations actuelles franco-marocaines, peut-on s'attendre à ce que la France fasse un geste lors de la réunion des deux Premiers ministres en France, un geste financier, plus conséquent que par le passé, pour l'Agence de développement du Nord ?
R - Je ne peux et ne veux pas anticiper sur les décisions qui peuvent être prises à l'issue de la réunion de Paris. C'est une vraie réunion. Je veux dire par là que les décisions ne sont pas prises avant. C'est une réunion que l'on prépare en essayant de faire l'inventaire de toutes les questions à traiter, comme je l'ai fait aujourd'hui. On essaie de faire l'inventaire des solutions ou des avancées possibles. Nous l'abordons avec la volonté de traiter les relations franco-marocaines à la hauteur de l'enjeu que j'ai évoqué tout à l'heure. Mais je ne peux pas aller au-delà. La réunion n'a pas eu lieu. Vous aurez la réponse à cette question à l'issue de la réunion de Paris.
L'ambassadeur me disait que l'effort fait par la France en trois ans sur cette Agence est de 2 milliards. Vous pensiez à l'avenir, mais n'oubliez pas cet effort qui vient d'avoir lieu.
Q - Vous avez évoqué lors de vos entretiens le dossier de l'Année du Maroc en France. Où en sont les préparatifs ?
R - Nous y attachons une grande importance. C'est une magnifique occasion de faire mieux connaître le Maroc moderne et réel, d'aujourd'hui et de demain. Mais sur les préparatifs, je pense que les Commissaires pourraient vous répondre
Q - (Quelques mots sur la politique des visas de la France).
R - C.est une question que je n'ai pas particulièrement traitée aujourd'hui, mais une question sur laquelle je me suis engagé depuis que je suis ministre. Ce que je peux vous dire, c'est que le nombre total des visas accordés par rapport à l'année précédente a augmenté de près de 60%. Nous sommes en présence d'une tendance forte d'augmentation. Nous allons bientôt atteindre le chiffre de 100 000 visas, sans que cela soit un chiffre officiel.
Nous avons entamé deux actions. La première, je viens de l'indiquer. Nous avons aussi des réglementations à respecter. Mais les indications montrent clairement qu'il y a un vrai changement. D'autre part, nous avons engagé un programme d'humanisation pour ce qui concerne les conditions d'accueil des demandeurs de visas. Cela prendra encore un peu de temps. Ici, peut être, on ne ressent pas encore entièrement les effets. Voilà les deux directions dans lesquelles nous travaillons.
Q - ( sur la situation au Proche-Orient)
R - La situation au Proche-Orient est, comme vous avez pu le constater, dans l'impasse. Nous n'avons cessé de déplorer que le processus de paix soit menacé. Nous soutenons les efforts américains tant qu'il y a des espoirs significatifs de déblocage. Mais nous ne pouvons pas nous borner à cette perspective. Ce qui nous a amené à réfléchir, notamment avec les Egyptiens, pas seulement avec eux mais notamment avec eux, à une initiative qui pourrait être prise le moment venu si les efforts américains étaient vraiment dans une impasse complète. A ce moment là, il faudrait éviter à tout prix de se trouver sans perspectives. C'est une situation qui serait encore plus désespérante que celle d'aujourd'hui. Nous travaillons à l'idée présentée par le président Chirac et le président Moubarak, qui serait celle d'une conférence des sauveurs de paix : un rassemblement destiné à relancer les choses et à ne pas baisser les bras. Nous n'en sommes pas là. Nous mettons à profit ce temps pour, justement, préciser cette idée.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)
J'ai pu être reçu par S.M. le Roi et par le Premier ministre. J'ai pu avoir des entretiens approfondis avec M. Filali au ministère des Affaires étrangères, ainsi qu'avec le ministre de l'Economie et des Finances, le ministre de l'Aménagement du territoire, et le ministre délégué auprès du Premier ministre. De même, j'ai pu rencontrer, plus brièvement, mais en s'entretenant à chaque fois de choses importantes pour nos deux pays, le ministre de la Solidarité et de l'Emploi, le ministre de l'Education nationale, le ministre de la Justice, de l'Information et celui de l'Intérieur.
De même, nous avons écouté les rapports des deux commissaires concernant l'exposition "Le Temps du Maroc en France" et son état de préparation.
Je suis venu parce que les relations entre nos deux pays, qui sont excellentes, exceptionnelles même, sont à un moment important après l'alternance qui a été entamée au Maroc, sous l'impulsion de S.M. le Roi et sous la conduite du Premier ministre, M. Youssoufi.
Je suis venu peu de temps avant la rencontre à Paris des deux Premiers ministres pour faire le point, tout simplement, de l'ensemble de nos relations à ce moment clé, faire le point de la préparation et voir ce qui, dans notre coopération qui est très importante, doit être adapté, éventuellement, rénové, réorienté ou poursuivi, ou au contraire, inventé en partant de zéro dans d'autres cas.
Nous souhaitons être, plus que jamais, présent aux côtés du Maroc dans ce moment important de son histoire et de son histoire politique, présent en tant qu'ami, en tant que partenaire, dans la relation bilatérale, de même que dans l'autre relation très importante, qui est celle qui se noue et qui se développe entre le Maroc et l'Union européenne.
Voilà le cadre dans lequel je suis venu. Je suis très satisfait de cette journée bien remplie. Je suis venu avec une importante délégation qui comportait, en ce qui concerne les hauts fonctionnaires, tous les responsables compétents du ministère des Affaires étrangères, ainsi qu'un représentant du Trésor et le conseiller du Premier ministre, M. Lionel Jospin, pour les questions européennes. C'est dire que nous avions l'intention dans le délai d'une journée, de passer en revue tous les sujets possibles.
La situation est solide et bonne. Nous sommes animés de cette volonté qui me semblait tout à fait partagée de faire en sorte que ces relations servent encore mieux notre projet commun pour la relation franco-marocaine, et pour la relation maroco-européenne.
Voilà un bref résumé que je ne peux pas allonger car je pense que vous avez quelques questions à nous poser.
Q - Avez-vous évoqué la question de la dette marocaine ?
R - La question de la dette a été abordée, notamment dans le long entretien entre le ministre de l'Economie et des Finances et moi-même. Mais c'est une question qui a fait l'objet de discussions régulières et constantes entre les deux directions du Trésor ainsi qu'entre le ministre de l'Economie et des Finances français et son partenaire marocain.
J'ai refait le point quelques jours avant la rencontre des deux Premiers ministres. Mais ce n'était pas une rencontre faite pour décider. Ce n'était pas, aujourd'hui, une négociation. Je suis venu pour avoir une vision d'ensemble des sujets qui sont importants pour le Maroc. La France a un ensemble de propositions, de suggestions, d'idées sur ce sujet. Dans certains cas, cela coïncide. Dans d'autres cas, le Maroc a des suggestions différentes. La négociation doit se poursuivre sur ce point.
Q - Y-a-t-il une adaptation des relations à la lumière de l'alternance ?
R - Je dirais que ce n'est pas spécifiquement à la lumière de l'alternance : la coopération franco-marocaine est forte et dense depuis longtemps. C'est un processus vivant qui s'adapte. Mais il s'adapte particulièrement quand il y a des événements importants ou des évolutions significatives. J'ai, par exemple, entendu pendant le déjeuner de travail organisé par le ministre d'Etat, le ministre de l'Education nous exposer un certain nombre d'évolutions que le gouvernement actuel veut faire dans le domaine de l'éducation. Ce qui nous amènera, certainement, à adapter notre coopération. On ne peut pas offrir toujours la même chose si les demandes ne sont pas tout à fait les mêmes en matière de formation, d'enseignement du français.
En matière culturelle ; j'ai entendu le ministre de la Culture faire une remarque que j'ai trouvé judicieuse, qui mérite d'être approfondie, disant que la politique culturelle de la France au Maroc était forte, vivace et très appréciée, mais que la coopération culturelle franco-marocaine était moins développée. Il y a plus d'actions directes que de projets communs. C'est une remarque intéressante qui mérite d'être approfondie.
Le ministre de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et de l'Habitat me faisait remarquer que dans le domaine de l'habitat d'une part, dans le domaine de l'aménagement du territoire d'autre part, il y avait très peu de coopération entre les deux pays, très peu d'échanges. Ce alors qu'il y a énormément de choses à apprendre, d'expériences à transmettre utilement. Je vous donne quelques exemples, sans la prétention d'être exhaustif. En matière de justice, il y a une coopération judiciaire classique qui fonctionne bien. Des coopérations nouvelles sont envisagées comportant un volet formation qui est très important et qu'il est question de développer.
Le ministre de l'Economie et des Finances a beaucoup insisté sur la nécessité d'une coopération innovante dans beaucoup de domaines et ce n'est pas qu'une façon subtile de parler de la question de la dette. De tous les intervenants, j'ai entendu des suggestions, des ouvertures. Manifestement, c'est une coopération qui va bouger, et qui va bouger dans le bon sens, entre partenaires, ce qui suppose des discussions. Et naturellement, la rencontre entre les deux Premiers ministres sera un temps fort dans ce processus.
Q - Peut-on dire que le Maroc et la France vivent aujourd'hui une certaine lune de miel après des années de crispation. Dernièrement, Mme Voynet, ministre "Vert", est venue au Maroc. On s'attend à ce qu'un ministre communiste vienne aussi pour la première fois au Maroc. Est-ce véritablement une nouvelle relation sans précédent ?
R - Sur les crispations, je n'ai pas de commentaire particulier à faire. Il me semble qu'il y a toujours eu dans les relations franco-marocaines, depuis l'indépendance de ce pays, une qualité de relation exceptionnelle même si, à certains moment, cela a coïncidé avec tel ou tel désaccord sur tel ou tel point, ou telle ou telle divergence d'opinion. C'est classique dans les relations entre deux pays.
En ce qui concerne la situation actuelle, il est tout à fait vrai qu'il y a une configuration qui est bien particulière, positive et très prometteuse. Tout le monde connaît les relations étroites et confiantes entre le président de la République française et le Roi du Maroc. Tout le monde peut constater l'entente et l'amitié et le désir de coopération qui existent entre les deux Premiers ministres et les gouvernements français et marocain. Donc à cet égard, oui, vous avez raison pour la deuxième partie de votre question. Il y a une situation dans laquelle, entre les deux pays, il y a une relation forte, large, diversifiée, qui n'est l'apanage de personne en particulier et qui est encore plus puissante, pour cette raison. Je pense que cela est prometteur et que cela débouchera sur beaucoup de choses.
Q - Avez-vous abordé le dossier de l'émigration ? Quels sont les points forts lors de vos entretiens sur ce sujet ?
R - J'ai en effet abordé ce sujet, mais là aussi dans le cadre de cette journée. De nombreux sujets ont été abordés, même brièvement, mais aucun ne peut avoir été traité à fond : il s'agit d'un moment dans un processus presque continu de discussions. Je l'ai abordé avec le Premier ministre, avec le ministre de l'Intérieur, ainsi qu'avec plusieurs autres ministres. Cela a été aussi abordé au déjeuner, notamment, par le ministre de la Solidarité sociale et de l'Emploi. J'ai dit pendant ces discussions qu'il fallait distinguer plusieurs problèmes.
La France a à faire face à une pression migratoire forte. Elle a des règles, qui sont des règles de droit établies dans le cadre de la République. Elles distinguent les cas dans lesquels on peut entrer en France légalement, ou venir travailler légalement, et des cas où l'on ne peut pas. Il y a des gens qui viennent malgré tout, vous le savez bien, et nous avons à traiter un problème de présence irrégulière. Nous essayons de le traiter avec humanité. Malgré l'irrégularité de la venue sur le territoire national, dans un certain nombre de cas, nous avons finalement accepté que ces présences soient régularisées. Mais même avec cet esprit d'humanité, on ne peut pas le faire dans tous les cas. Il faut une justification. Il n'est pas souhaitable, d'ailleurs, d'entretenir de fausses espérances, débouchant sur des situations précaires. Ce n'est souhaitable ni sur le plan humain, ni sur le plan humanitaire, ni sur le plan de l'épanouissement des personnes. C'est tout le sens des lois sur l'immigration : il faut pouvoir accueillir les gens dans des conditions convenables de dignité, que cela corresponde à une situation économique et sociale où l'on peut offrir ce que les gens viennent chercher, en général quand ils immigrent, c'est à dire un travail. Avec cet ensemble de règles, il arrive malgré tout, qu'au bout du compte, certaines personnes ne puissent pas être régularisées. Nous avons à traiter cette question. Nous essayons de la traiter au mieux. Et nous essayons de perfectionner les conditions dans lesquelles ces personnes seront au bout du compte appelées à rentrer chez elles. Nous voudrions qu'elles puissent être aidées dans leur réinsertion. C'est un sujet que la France doit traiter comme d'autres pays de l'Europe : elle n'est pas la seule dans ce cas. Mais nous ne voulons pas alimenter le flux d'une migration face à laquelle nous ne pouvons pas offrir des conditions convenables d'insertion par respect des personnes.
Deuxièmement, - je distingue les deux et je le fais exprès, je le souligne car cela a pu être parfois confondu -, il y a l'idée du codéveloppement. C'est une idée que ce gouvernement a décidé de relancer. Ce n'est pas une idée tout à fait nouvelle. Le mot de codéveloppement a souvent servi dans le passé. Une grande part de la coopération qui a existé entre la France et le Maroc, comme entre la France et bien d'autres pays, était animée par cette notion. Je dis une grande part, pas entièrement. Elle est animée, en partie, par cette idée de travailler ensemble au développement du pays considéré. Nous voulons relancer cette politique. Parce qu'après tout c'est une des bonnes façons de permettre à des populations qui seraient tentées par l'immigration, parce qu'elles n'ont pas d'autres issues, une bonne façon de contribuer à ce qu'elles restent chez elles, et qu'elles puissent participer à un projet de développement économique et social concret. Nous voulons donc agir en amont, de façon préventive. Je crois que c'est dans notre intérêt et dans celui des pays partenaires, au premier rang desquels le Maroc. C'est cela, dans notre esprit, le codéveloppement. On pourrait dire qu'une grande partie de la coopération que nous menons va déjà dans ce sens. Mais il y a d'autres coopérations possibles.
Nous avons décidé d'entreprendre avec quelques pays clés, dont le vôtre, une sorte d'analyse de tous les mécanismes de coopération, pour voir ceux qui concourent à cet objectif de codéveloppement et pour voir s'il ne faut pas les renforcer. C'est une grande politique, c'est une politique générale. En même temps, il faut qu'elle soit concrète. Il faut trouver des projets qui ont cet effet là. N'importe quel projet de développement ne concourt pas à faire rester les gens dans leurs régions : tous les développements ne sont pas créateurs d'emplois, ou du type d'emplois qu'il faut. Bref, il faut aller au-delà des titres sur ce sujet.
C'est donc une politique que nous voulons développer, entre autres avec le Maroc. Nous avons fait des propositions à ce sujet C'est une discussion dans laquelle nous allons parler, nous écouter les uns les autres, et échanger des arguments.
Je ne veux pas qu'il y ait des confusion entre les deux choses, même si, dans le temps, cela se présente à peu près en même temps. Nous voulons à la fois relancer le codéveloppement et nous aurons, par ailleurs, à traiter le cas des étrangers en situation irrégulière qui devront rentrer chez eux. Ce sont deux choses distinctes. Le vrai sujet important, c'est l'objectif du codéveloppement. Voilà sous quel angle cette question a été abordée aujourd'hui et le sera naturellement à nouveau pendant la rencontre des deux Premiers ministres.
Q - Quelle est la position de la France face à la proposition du Premier ministre marocain à l'Algérie d'ouvrir un dialogue ? Est-ce qu'il y a un suivi de la part de la France sur cette question ? Comment voyez-vous les choses après la déclaration de Liamine Zéroual d'organiser des élections anticipées présidentielles ?
R - Il m'est difficile de répondre à des questions qui, dans un cas, concernent les Marocains et les Algériens, dans un autre cas, concernent les Algériens.
Sur l'annonce faite par le président Liamine Zéroual, nous ne pouvons que prendre note de ce qui se passe. Mais c'est une affaire algérienne. Nous n'avons aucun commentaire à faire sur ce point, ni sur sa décision, ni sur les raisons qui ont pu l'inspirer. Sauf à rappeler le souhait permanent que nous exprimons périodiquement, de voir l'Algérie sortir enfin des difficultés qu'elle traverse depuis longtemps et pouvoir s'attaquer aux problèmes normaux du développement sur tous les plans, en sortant des tragédies. Voilà, c'est un souhait constant de notre part, mais nous n'avons pas à aller au-delà dans le commentaire.
En ce qui concerne les relations maroco-algériennes, nous souhaitons naturellement, en tant que pays voisin proche et ami, et compte tenu des liens multiples que nous pouvons avoir, que ces relations puissent s'améliorer, se normaliser. Chaque fois que nous voyons une ouverture faite dans ce sens, et dans la période récente de la part du Premier ministre marocain, nous ne pouvons que souhaiter qu'elle rencontre un écho. Mais nous ne pouvons pas nous substituer aux deux pays intéressés. Ce que j'exprime est un souhait.
Q - Sur la base de l'excellence des relations actuelles franco-marocaines, peut-on s'attendre à ce que la France fasse un geste lors de la réunion des deux Premiers ministres en France, un geste financier, plus conséquent que par le passé, pour l'Agence de développement du Nord ?
R - Je ne peux et ne veux pas anticiper sur les décisions qui peuvent être prises à l'issue de la réunion de Paris. C'est une vraie réunion. Je veux dire par là que les décisions ne sont pas prises avant. C'est une réunion que l'on prépare en essayant de faire l'inventaire de toutes les questions à traiter, comme je l'ai fait aujourd'hui. On essaie de faire l'inventaire des solutions ou des avancées possibles. Nous l'abordons avec la volonté de traiter les relations franco-marocaines à la hauteur de l'enjeu que j'ai évoqué tout à l'heure. Mais je ne peux pas aller au-delà. La réunion n'a pas eu lieu. Vous aurez la réponse à cette question à l'issue de la réunion de Paris.
L'ambassadeur me disait que l'effort fait par la France en trois ans sur cette Agence est de 2 milliards. Vous pensiez à l'avenir, mais n'oubliez pas cet effort qui vient d'avoir lieu.
Q - Vous avez évoqué lors de vos entretiens le dossier de l'Année du Maroc en France. Où en sont les préparatifs ?
R - Nous y attachons une grande importance. C'est une magnifique occasion de faire mieux connaître le Maroc moderne et réel, d'aujourd'hui et de demain. Mais sur les préparatifs, je pense que les Commissaires pourraient vous répondre
Q - (Quelques mots sur la politique des visas de la France).
R - C.est une question que je n'ai pas particulièrement traitée aujourd'hui, mais une question sur laquelle je me suis engagé depuis que je suis ministre. Ce que je peux vous dire, c'est que le nombre total des visas accordés par rapport à l'année précédente a augmenté de près de 60%. Nous sommes en présence d'une tendance forte d'augmentation. Nous allons bientôt atteindre le chiffre de 100 000 visas, sans que cela soit un chiffre officiel.
Nous avons entamé deux actions. La première, je viens de l'indiquer. Nous avons aussi des réglementations à respecter. Mais les indications montrent clairement qu'il y a un vrai changement. D'autre part, nous avons engagé un programme d'humanisation pour ce qui concerne les conditions d'accueil des demandeurs de visas. Cela prendra encore un peu de temps. Ici, peut être, on ne ressent pas encore entièrement les effets. Voilà les deux directions dans lesquelles nous travaillons.
Q - ( sur la situation au Proche-Orient)
R - La situation au Proche-Orient est, comme vous avez pu le constater, dans l'impasse. Nous n'avons cessé de déplorer que le processus de paix soit menacé. Nous soutenons les efforts américains tant qu'il y a des espoirs significatifs de déblocage. Mais nous ne pouvons pas nous borner à cette perspective. Ce qui nous a amené à réfléchir, notamment avec les Egyptiens, pas seulement avec eux mais notamment avec eux, à une initiative qui pourrait être prise le moment venu si les efforts américains étaient vraiment dans une impasse complète. A ce moment là, il faudrait éviter à tout prix de se trouver sans perspectives. C'est une situation qui serait encore plus désespérante que celle d'aujourd'hui. Nous travaillons à l'idée présentée par le président Chirac et le président Moubarak, qui serait celle d'une conférence des sauveurs de paix : un rassemblement destiné à relancer les choses et à ne pas baisser les bras. Nous n'en sommes pas là. Nous mettons à profit ce temps pour, justement, préciser cette idée.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)