Texte intégral
JEAN-MARC FOUR.- A son arrivée à la tête du patronat français il y a 5 ans, son prédécesseur, Jean Gandois, l'avait présenté comme un tueur, prêt quasiment à tout pour défendre les entreprises. Depuis, le " baron " s'est imposé à la tête d'un patronat rénové, d'une organisation rebaptisée MEDEF, très présente sur le terrain politique, forte d'une vraie stratégie de lobbying. Aujourd'hui, il se dit prêt à rempiler pour un nouveau mandat. Invité de " Questions directes ", Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF. Bonjour.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonjour.
JEAN-MARC FOUR : Vous vous dites plutôt satisfait des premières orientations du gouvernement Raffarin. A l'inverse, - on entendait Vincent Peillon dans le journal de 8 heures - la gauche fustige un gouvernement dont elle dit qu'il est en quelque sorte à la botte du MEDEF. Etes-vous, Ernest-Antoine Seillière, le vrai ministre de l'Economie du gouvernement Raffarin ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La gauche, je ne m'en occupe pas trop, c'est de la politique, et elle se contente, en effet, de critiquer le gouvernement en disant " c'est le MEDEF ", c'est franchement un peu court. On aimerait avoir quelques arguments, quelques propositions, quelques idées. Et cette tentative d'identification, vous savez, elle a fait long feu, on l'a déjà beaucoup utilisée dans la campagne électorale, on voit le résultat. Soyons sérieux. Le MEDEF représente les entreprises, il n'est pas partisan, il ne s'occupe pas de politique, il dit ce que les entreprises demandent pour pouvoir faire de l'emploi, faire de la croissance. C'est ça son métier, c'est ce qu'il fait, et c'est en ces termes-là qu'il apprécie les propositions d'un gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite.
JEAN-MARC FOUR : Compte tenu de votre audience, puisque vous saluez encore une fois les orientations du gouvernement Raffarin, compte tenu de votre audience auprès de Jean-Pierre Raffarin, n'avez-vous pas une tentation de faire passer vos idées aujourd'hui davantage, on va dire par la loi ou par les décrets par le biais de cette influence, plutôt que par le dialogue social ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas du tout. Ca, c'était, comme vous le savez, la tendance du gouvernement précédent qui ignorait systématiquement les partenaires sociaux, les méprisait, comme on l'a dit du côté des syndicats comme de notre côté, et on s'en remettait entièrement à la loi, à la circulaire, au règlement pour imposer aux entreprises, dans le détail et l'intimité de leur vie ce que l'on croyait bon pour elles. Nous avons, nous, préconisé, avec les syndicats d'ailleurs, une tout autre méthode : c'est d'en passer par le dialogue social, reconnaître aux partenaires sociaux la compétence de connaître sur le terrain et dans le détail ce que les entreprises peuvent faire pour mettre sur le marché des produits qui se vendent, c'est-à-dire créer de l'emploi. Donc, nous sommes dans cette méthode-là et, bien entendu, nous voyons que le gouvernement, lui qui a entendu le message des partenaires sociaux, compte faire appel beaucoup plus largement à la concertation, au dialogue, à la consultation, à l'information des partenaires sociaux. Ce qui nous paraît, bien entendu, une orientation bien meilleure.
JEAN-MARC FOUR : Vous dites tout de même : le gouvernement doit beaucoup oser, beaucoup agir, beaucoup tenir, ce sont vos propos. Doit-il oser davantage et doit-il oser plus vite ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, enfin, nous avons dit, nous que nous étions prêts à travailler, sans connaître bien entendu par avance le résultat des élections, soit avec une gauche qui comprendrait ou une droite qui oserait. Eh bien, les électeurs ont donné le résultat à une droite et nous demandons à ce qu'elle ose, c'est-à-dire qu'elle entreprenne la réforme par le dialogue. Il ne faut pas qu'elle s'inhibe et qu'elle pense que finalement ce serait plus prudent de ne rien faire. Nous avons un besoin urgent de réforme, on le sait, dans notre pays dans le domaine économique et social. Le gouvernement attaque, je crois assez vivement actuellement, ce que l'on appelle le domaine régalien, il s'occupe de justice, il s'occupe de police, de sécurité, sa responsabilité directe. Il faut également qu'il transforme les lois qui ont malheureusement, de façon très négative ces dernières années, enserré l'entreprise dans un réseau d'obligations et de contraintes qui ne sont pas celles de tous ceux qui nous entourent. Nous demandons simplement à ce qu'on redevienne normaux, c'est-à-dire en fait dans la norme européenne.
JEAN-MARC FOUR : Le premier dossier, il est d'actualité aujourd'hui, Ernest-Antoine Seillière, c'est le Smic, l'harmonisation des différents Smic nés de la loi sur les 35 heures. Le Conseil économique et social doit rendre son avis aujourd'hui. Les syndicats de salariés semblent craindre que vos idées ne conduisent à une sorte d'uniformisation par le bas.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que ça c'est une présentation qui n'est pas la bonne. En fait, le Smic n'existe plus. Il a été détruit par les 35 heures. C'est une confusion totale. Il y a 5 ou 6 niveaux de Smic différents actuellement pour le même travail...
JEAN-MARC FOUR : Mais l'idée du gouvernement, c'est d'uniformiser, de retourner à un seul Smic Ernest-Antoine Seillière.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bien entendu. C'est l'idée de tout le monde, des syndicats, du MEDEF comme bien entendu du gouvernement. Mais pour y arriver, on peut bien entendu dire : augmentons de 11,4 % tous les traitements, de façon à y parvenir. On sait qu'on détruirait, ce faisant, la compétitivité française et la plupart des emplois. Donc, personne n'y songe. Alors, il y a deux méthodes. Celle qui consiste à progressivement rattraper le Smic supérieur en quelque sorte sur des périodes qui peuvent aller de 3 à 5 ans et l'on en discute. Mais nous pensons, nous, parce que nous proposons toujours la réforme pour mettre le pays en mesure de réussir sur le plan économique et sur le plan des emplois, et nous disons : le moment est venu de faire pour les privés ce qui existe dans la Fonction publique, c'est-à-dire un Smic annualisé dans lequel on met l'ensemble des rémunérations qui constituent la rémunération du travail, non pas à l'heure, mais sur l'année. Et que l'on juge donc le Smic dans une optique annuelle. Déjà, on l'a fait sur le plan mensuel après l'avoir fait sur le plan horaire. Allons-y comme on l'a fait dans la plupart des pays qui nous entourent et comme on le fait, je le redis, dans la Fonction publique où l'on trouve ça tout-à-fait normal. Donc, ce Smic annualisé que nous proposons de mettre en discussion est un élément pour le débat de façon à pouvoir retrouver, en effet, une notion de salaire minimum qui est une signification. Aujourd'hui, elle n'en a plus.
JEAN-MARC FOUR : Parlons simple. Vous trouvez que le Smic est trop cher aujourd'hui en France ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non. Nullement. Et d'ailleurs, vous savez, le Smic, il y a deux éléments. Il y a ce que l'on peut payer en termes économiques une heure de travail peu qualifié parce que le client l'achètera à ce prix-là, c'est l'approche économique. Et puis il y a la politique des revenus, c'est-à-dire en fait ce qu'un gouvernement ou une société considère comme étant la rémunération minima pour une heure de travail. Alors, il y a des compléments de rémunération qui peuvent être mis en place comme par exemple la prime pour l'emploi qui, manifestement, est payée par le contribuable, et est un complément de rémunération pour le Smicard. Et c'est tout-à-fait normal qu'on fasse une politique des revenus. Mais ce n'est pas pour autant le prix de l'heure économique. Et nous voulons distinguer ces deux éléments. Le coup de pouce comme on dit, c'est de la politique des revenus, ce n'est pas une vision économique de ce que le client peut payer une heure de travail peut qualifié. Cette analyse-là, nous la faisons, elle est essentielle. Nous souhaiterions d'ailleurs que le Smic soit déterminé, non plus par le gouvernement qui en réalité fait de la politique en le fixant. L'expression de coup de pouce, d'ailleurs, a un côté désinvolte qui montre et marque bien le côté subjectif. Nous souhaitons nous...
JEAN-MARC FOUR :... Que ce soit géré par une commission privée...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Indépendante. Vous savez, en matière de régulation dans beaucoup de domaines en France, qu'il s'agisse de l'audiovisuel, des télécommunications, ce sont des autorités indépendantes d'experts qui disent ce que l'on peut faire. Nous souhaiterions que ce soit le cas et que le gouvernement fasse des coups de pouce, mais alors de façon distincte en faisant de la politique des revenus par ailleurs. On y verrait plus clair et ce serait surtout économiquement bien meilleur.
JEAN-MARC FOUR : Sur les 35 heures, on va évoquer l'assouplissement de la loi sur les 35 heures. Etes-vous prêt à une sorte de donnant-donnant ? Autrement dit, un quota supplémentaire d'heures supplémentaires supérieur à celui existant aujourd'hui mais en contrepartie, renoncer à l'allégement des charges accordées aujourd'hui à ces entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, c'est une équation que l'on fait commodément parce que, bien entendu, on cherche de l'argent du côté du gouvernement et on voudrait bien récupérer sur les aides complètement énormes, que nous n'avons jamais demandé d'ailleurs et qui ont accompagné la mise en place autoritaire des 35 heures. En réalité, nous demandons à ce qu'on puisse travailler plus dans notre pays et qu'il y ait des heures supplémentaires qui puissent être à disposition des salariés qui veulent gagner plus - et il y en a des millions - et des entreprises qui veulent travailler plus parce qu'elles ont des commandes qu'elles ne peuvent pas réaliser à cause des 35 heures. Donc, c'est un quota physique que nous demandons. Alors, la question de savoir si on allége ou pas les aides quand on donne la possibilité de travailler plus est une question qui devra, bien entendu, être négociée un jour ou l'autre mais ce n'est pas en retardant actuellement la mise en place de ce quota d'heures supplémentaires nécessaires à notre pays pour pouvoir travailler et gagner de l'argent que l'on règlera la question.
JEAN-MARC FOUR : Mais par quelle méthode ? Parce qu'on a l'impression d'assister un peu à une partie de ping-pong entre vous-même et le gouvernement sur le sujet. Par le biais du dialogue social entre les partenaires sociaux ? Ou par le biais de la loi et du décret ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, vous savez, les 35 heures ont été installées par la loi et par le décret. Et quelle que soit la qualité des partenaires sociaux, par leur dialogue, ils ne peuvent pas modifier la loi et le décret. Donc il faut nécessairement que le gouvernement prenne l'initiative politique d'une modification par la loi et le décret de façon à ce qu'on puisse justement assouplir. Et c'est quand il aura ainsi assoupli la loi que la négociation déferlera pour profiter des nouvelles libertés qui auront été données par cette initiative.
JEAN-MARC FOUR : Une dernière question, Ernest-Antoine Seillière. Ne sommes-nous pas en train d'assister, au regard de l'épisode Vivendi/Jean-Marie Messier, au regard aussi des différents scandales qui agitent les Etats-Unis, l'affaire Enron notamment, ne sommes-nous pas en train d'assister à une forme de crise du capitalisme financier aujourd'hui ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez, chaque fois qu'il y a une difficulté dans le fonctionnement de l'économie mondiale, il y a de nombreux commentateurs qui annoncent la fin du capitalisme. Celui-ci règne en maître dans le monde entier. Les entrepreneurs ne l'ont pas voulu ni souhaité, mais ils en tirent les conséquences sur le plan de leur action. Et des grandes crises comme celles qui ont agité Vivendi, dirigé par monsieur Messier, vous savez, les entrepreneurs de France se sentent totalement à l'écart de cette affaire. Des centaines de milliers d'entrepreneurs, de petite et moyenne taille que je représente ne sentent pas qu'ils ont quoique ce soit à voir avec les problèmes de cette grande entreprise mondialisée et de cet entrepreneur devenu une star mondiale. Nous sommes au contact, nous, du terrain, de centaines de milliers d'entrepreneurs qui font leur travail quotidien pour essayer de créer l'emploi. Et tous les problèmes qui agitent actuellement l'économie mondiale avec ses grands acteurs globalisés n'ont rien à voir avec eux.
JEAN-MARC FOUR : Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, merci.
(Source http://www.medef.fr, le 9 juillet 2002)
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonjour.
JEAN-MARC FOUR : Vous vous dites plutôt satisfait des premières orientations du gouvernement Raffarin. A l'inverse, - on entendait Vincent Peillon dans le journal de 8 heures - la gauche fustige un gouvernement dont elle dit qu'il est en quelque sorte à la botte du MEDEF. Etes-vous, Ernest-Antoine Seillière, le vrai ministre de l'Economie du gouvernement Raffarin ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La gauche, je ne m'en occupe pas trop, c'est de la politique, et elle se contente, en effet, de critiquer le gouvernement en disant " c'est le MEDEF ", c'est franchement un peu court. On aimerait avoir quelques arguments, quelques propositions, quelques idées. Et cette tentative d'identification, vous savez, elle a fait long feu, on l'a déjà beaucoup utilisée dans la campagne électorale, on voit le résultat. Soyons sérieux. Le MEDEF représente les entreprises, il n'est pas partisan, il ne s'occupe pas de politique, il dit ce que les entreprises demandent pour pouvoir faire de l'emploi, faire de la croissance. C'est ça son métier, c'est ce qu'il fait, et c'est en ces termes-là qu'il apprécie les propositions d'un gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite.
JEAN-MARC FOUR : Compte tenu de votre audience, puisque vous saluez encore une fois les orientations du gouvernement Raffarin, compte tenu de votre audience auprès de Jean-Pierre Raffarin, n'avez-vous pas une tentation de faire passer vos idées aujourd'hui davantage, on va dire par la loi ou par les décrets par le biais de cette influence, plutôt que par le dialogue social ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas du tout. Ca, c'était, comme vous le savez, la tendance du gouvernement précédent qui ignorait systématiquement les partenaires sociaux, les méprisait, comme on l'a dit du côté des syndicats comme de notre côté, et on s'en remettait entièrement à la loi, à la circulaire, au règlement pour imposer aux entreprises, dans le détail et l'intimité de leur vie ce que l'on croyait bon pour elles. Nous avons, nous, préconisé, avec les syndicats d'ailleurs, une tout autre méthode : c'est d'en passer par le dialogue social, reconnaître aux partenaires sociaux la compétence de connaître sur le terrain et dans le détail ce que les entreprises peuvent faire pour mettre sur le marché des produits qui se vendent, c'est-à-dire créer de l'emploi. Donc, nous sommes dans cette méthode-là et, bien entendu, nous voyons que le gouvernement, lui qui a entendu le message des partenaires sociaux, compte faire appel beaucoup plus largement à la concertation, au dialogue, à la consultation, à l'information des partenaires sociaux. Ce qui nous paraît, bien entendu, une orientation bien meilleure.
JEAN-MARC FOUR : Vous dites tout de même : le gouvernement doit beaucoup oser, beaucoup agir, beaucoup tenir, ce sont vos propos. Doit-il oser davantage et doit-il oser plus vite ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, enfin, nous avons dit, nous que nous étions prêts à travailler, sans connaître bien entendu par avance le résultat des élections, soit avec une gauche qui comprendrait ou une droite qui oserait. Eh bien, les électeurs ont donné le résultat à une droite et nous demandons à ce qu'elle ose, c'est-à-dire qu'elle entreprenne la réforme par le dialogue. Il ne faut pas qu'elle s'inhibe et qu'elle pense que finalement ce serait plus prudent de ne rien faire. Nous avons un besoin urgent de réforme, on le sait, dans notre pays dans le domaine économique et social. Le gouvernement attaque, je crois assez vivement actuellement, ce que l'on appelle le domaine régalien, il s'occupe de justice, il s'occupe de police, de sécurité, sa responsabilité directe. Il faut également qu'il transforme les lois qui ont malheureusement, de façon très négative ces dernières années, enserré l'entreprise dans un réseau d'obligations et de contraintes qui ne sont pas celles de tous ceux qui nous entourent. Nous demandons simplement à ce qu'on redevienne normaux, c'est-à-dire en fait dans la norme européenne.
JEAN-MARC FOUR : Le premier dossier, il est d'actualité aujourd'hui, Ernest-Antoine Seillière, c'est le Smic, l'harmonisation des différents Smic nés de la loi sur les 35 heures. Le Conseil économique et social doit rendre son avis aujourd'hui. Les syndicats de salariés semblent craindre que vos idées ne conduisent à une sorte d'uniformisation par le bas.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que ça c'est une présentation qui n'est pas la bonne. En fait, le Smic n'existe plus. Il a été détruit par les 35 heures. C'est une confusion totale. Il y a 5 ou 6 niveaux de Smic différents actuellement pour le même travail...
JEAN-MARC FOUR : Mais l'idée du gouvernement, c'est d'uniformiser, de retourner à un seul Smic Ernest-Antoine Seillière.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bien entendu. C'est l'idée de tout le monde, des syndicats, du MEDEF comme bien entendu du gouvernement. Mais pour y arriver, on peut bien entendu dire : augmentons de 11,4 % tous les traitements, de façon à y parvenir. On sait qu'on détruirait, ce faisant, la compétitivité française et la plupart des emplois. Donc, personne n'y songe. Alors, il y a deux méthodes. Celle qui consiste à progressivement rattraper le Smic supérieur en quelque sorte sur des périodes qui peuvent aller de 3 à 5 ans et l'on en discute. Mais nous pensons, nous, parce que nous proposons toujours la réforme pour mettre le pays en mesure de réussir sur le plan économique et sur le plan des emplois, et nous disons : le moment est venu de faire pour les privés ce qui existe dans la Fonction publique, c'est-à-dire un Smic annualisé dans lequel on met l'ensemble des rémunérations qui constituent la rémunération du travail, non pas à l'heure, mais sur l'année. Et que l'on juge donc le Smic dans une optique annuelle. Déjà, on l'a fait sur le plan mensuel après l'avoir fait sur le plan horaire. Allons-y comme on l'a fait dans la plupart des pays qui nous entourent et comme on le fait, je le redis, dans la Fonction publique où l'on trouve ça tout-à-fait normal. Donc, ce Smic annualisé que nous proposons de mettre en discussion est un élément pour le débat de façon à pouvoir retrouver, en effet, une notion de salaire minimum qui est une signification. Aujourd'hui, elle n'en a plus.
JEAN-MARC FOUR : Parlons simple. Vous trouvez que le Smic est trop cher aujourd'hui en France ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non. Nullement. Et d'ailleurs, vous savez, le Smic, il y a deux éléments. Il y a ce que l'on peut payer en termes économiques une heure de travail peu qualifié parce que le client l'achètera à ce prix-là, c'est l'approche économique. Et puis il y a la politique des revenus, c'est-à-dire en fait ce qu'un gouvernement ou une société considère comme étant la rémunération minima pour une heure de travail. Alors, il y a des compléments de rémunération qui peuvent être mis en place comme par exemple la prime pour l'emploi qui, manifestement, est payée par le contribuable, et est un complément de rémunération pour le Smicard. Et c'est tout-à-fait normal qu'on fasse une politique des revenus. Mais ce n'est pas pour autant le prix de l'heure économique. Et nous voulons distinguer ces deux éléments. Le coup de pouce comme on dit, c'est de la politique des revenus, ce n'est pas une vision économique de ce que le client peut payer une heure de travail peut qualifié. Cette analyse-là, nous la faisons, elle est essentielle. Nous souhaiterions d'ailleurs que le Smic soit déterminé, non plus par le gouvernement qui en réalité fait de la politique en le fixant. L'expression de coup de pouce, d'ailleurs, a un côté désinvolte qui montre et marque bien le côté subjectif. Nous souhaitons nous...
JEAN-MARC FOUR :... Que ce soit géré par une commission privée...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Indépendante. Vous savez, en matière de régulation dans beaucoup de domaines en France, qu'il s'agisse de l'audiovisuel, des télécommunications, ce sont des autorités indépendantes d'experts qui disent ce que l'on peut faire. Nous souhaiterions que ce soit le cas et que le gouvernement fasse des coups de pouce, mais alors de façon distincte en faisant de la politique des revenus par ailleurs. On y verrait plus clair et ce serait surtout économiquement bien meilleur.
JEAN-MARC FOUR : Sur les 35 heures, on va évoquer l'assouplissement de la loi sur les 35 heures. Etes-vous prêt à une sorte de donnant-donnant ? Autrement dit, un quota supplémentaire d'heures supplémentaires supérieur à celui existant aujourd'hui mais en contrepartie, renoncer à l'allégement des charges accordées aujourd'hui à ces entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, c'est une équation que l'on fait commodément parce que, bien entendu, on cherche de l'argent du côté du gouvernement et on voudrait bien récupérer sur les aides complètement énormes, que nous n'avons jamais demandé d'ailleurs et qui ont accompagné la mise en place autoritaire des 35 heures. En réalité, nous demandons à ce qu'on puisse travailler plus dans notre pays et qu'il y ait des heures supplémentaires qui puissent être à disposition des salariés qui veulent gagner plus - et il y en a des millions - et des entreprises qui veulent travailler plus parce qu'elles ont des commandes qu'elles ne peuvent pas réaliser à cause des 35 heures. Donc, c'est un quota physique que nous demandons. Alors, la question de savoir si on allége ou pas les aides quand on donne la possibilité de travailler plus est une question qui devra, bien entendu, être négociée un jour ou l'autre mais ce n'est pas en retardant actuellement la mise en place de ce quota d'heures supplémentaires nécessaires à notre pays pour pouvoir travailler et gagner de l'argent que l'on règlera la question.
JEAN-MARC FOUR : Mais par quelle méthode ? Parce qu'on a l'impression d'assister un peu à une partie de ping-pong entre vous-même et le gouvernement sur le sujet. Par le biais du dialogue social entre les partenaires sociaux ? Ou par le biais de la loi et du décret ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, vous savez, les 35 heures ont été installées par la loi et par le décret. Et quelle que soit la qualité des partenaires sociaux, par leur dialogue, ils ne peuvent pas modifier la loi et le décret. Donc il faut nécessairement que le gouvernement prenne l'initiative politique d'une modification par la loi et le décret de façon à ce qu'on puisse justement assouplir. Et c'est quand il aura ainsi assoupli la loi que la négociation déferlera pour profiter des nouvelles libertés qui auront été données par cette initiative.
JEAN-MARC FOUR : Une dernière question, Ernest-Antoine Seillière. Ne sommes-nous pas en train d'assister, au regard de l'épisode Vivendi/Jean-Marie Messier, au regard aussi des différents scandales qui agitent les Etats-Unis, l'affaire Enron notamment, ne sommes-nous pas en train d'assister à une forme de crise du capitalisme financier aujourd'hui ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez, chaque fois qu'il y a une difficulté dans le fonctionnement de l'économie mondiale, il y a de nombreux commentateurs qui annoncent la fin du capitalisme. Celui-ci règne en maître dans le monde entier. Les entrepreneurs ne l'ont pas voulu ni souhaité, mais ils en tirent les conséquences sur le plan de leur action. Et des grandes crises comme celles qui ont agité Vivendi, dirigé par monsieur Messier, vous savez, les entrepreneurs de France se sentent totalement à l'écart de cette affaire. Des centaines de milliers d'entrepreneurs, de petite et moyenne taille que je représente ne sentent pas qu'ils ont quoique ce soit à voir avec les problèmes de cette grande entreprise mondialisée et de cet entrepreneur devenu une star mondiale. Nous sommes au contact, nous, du terrain, de centaines de milliers d'entrepreneurs qui font leur travail quotidien pour essayer de créer l'emploi. Et tous les problèmes qui agitent actuellement l'économie mondiale avec ses grands acteurs globalisés n'ont rien à voir avec eux.
JEAN-MARC FOUR : Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, merci.
(Source http://www.medef.fr, le 9 juillet 2002)