Texte intégral
R. Sicard .-Vous êtes encore secrétaire nationale des Verts pour un mois, puisque vous avez annoncé que vous remettriez votre démission au prochain congrès de votre parti. Mais, avant de partir, vous lancez un pavé dans la mare, en proposant la création d'un grand parti de la gauche, qui réunirait les Verts, les socialistes et les communistes. C'est une idée qu'on a déjà entendu mais est-ce que ce parti, s'il existait, ce ne serait pas, finalement, qu'un PS élargi ?
- "Certains au Parti socialiste en rêvent ; ils aimeraient beaucoup que les autres composantes de la gauche se rallient à leur panache blanc. Ce n'est évidemment pas de ça qu'il est question. Simplement, je fais le constat que, dans tous les partis de la gauche, à cet instant, on s'interroge, on s'introspecte même, pour savoir comment réduire le fossé entre les Français et la vie politique et ceux qui la font. Je crois que les questions qui traversent les partis ne sont pas spécifiques à l'un ou l'autre : comment à la fois assumer des responsabilités, être élus, comment rester proches des gens et de leurs problèmes, notamment pour ceux d'entre eux qui souffrent aujourd'hui de n'avoir ni logement, ni emploi, ni sécurité sociale par exemple ? Ce sont des questions très graves et je crois que nous aurions intérêt à trouver des lieux pour en discuter avec nos amis de feue la majorité plurielle."
Mais comment faire justement, pour que ce parti ne soit pas qu'un PS élargi ? Parce que le Parti socialiste est quand même le parti dominant de la gauche, comment faire pour qu'il n'écrase pas tout ?
- "Il faut faire preuve de lucidité à cet instant. Je lance une idée qui a un petit côté iconoclaste, parce que je crois que chacun ne peut pas espérer s'en sortir seul, en rejetant sur les autres la faute de ce qui s'est passé le 21 avril. C'est malheureusement ce qui se passe dans pratiquement tous les partis. On a l'impression que, si la majorité plurielle n'a pas été assez courageuse, assez audacieuse, c'est la faute des autres. Moi, je dis "non" ; réfléchissons ensemble pour savoir commet refonder la gauche."
C'est une idée qui a déjà été lancée par F. Hollande, le patron du Parti socialiste et c'est une idée qui avait été rejetée par la plupart des Verts et aussi par les communistes.
- "Non. A l'époque, il était question de nous proposer de rallier le Parti socialiste, d'adhérer au Parti socialiste. Soyons clairs ! Moi, je veux faire preuve de lucidité : cette idée qui mérite d'être agitée, d'être débattue, est largement prématurée. Ce qui nous attend, dans les mois à venir, c'est le travail de réflexion des partis sur eux-mêmes. Et puis, viendra peut-être le moment où les uns et les autres conviendront qu'il est raisonnable de penser à autre chose."
Est-ce que c'est une formation qui pourrait prendre la forme de ce qu'est l'UMP à droite ?
- "Vous êtes insistant. C'est vrai que les principaux clivages qui traversaient les partis de droite ne passaient pas entre les partis, mais en leur sein. C'est vrai aussi à gauche. Cela dit, nous sommes bien seuls, dans le champ politique, à gauche comme à droite, à défendre l'idée que l'avenir devrait être un peut plus sobre, un peu moins gaspilleur, un peu moins dévastateur, à la fois pour les ressources de la planète et pour les êtres humains. Et si demain devait se concrétiser l'idée d'une grande formation de gauche, alors les Verts auraient une lourde responsabilité de convaincre qu'elle ne doit pas reproduire les erreurs de la gauche productiviste, de la gauche gaspilleuse du passé."
Vous disiez tout à l'heure que les causes de la défaite, il faut les chercher à l'intérieur de soi-même. Cela veut dire que vous ne faites pas partie de ceux qui disent que, finalement, tout est de la faute de L. Jospin, comme ont l'entend beaucoup en ce moment, dans la défaite ?
- "Je trouve assez pénible de voir comment ceux qui l'ont hier adoré l'accablent aujourd'hui. J'ai été membre de son Gouvernement pendant quatre ans, Y. Cochet m'a succédé pendant une cinquième année, et si un échec doit être constaté, il est de tous et pas seulement de L. Jospin. Moi, je m'en veux de ne pas avoir su le convaincre que les questions que portaient les Verts étaient des questions fondamentales. C'est-à-dire que j'étais bien seule, dans un Gouvernement qui ne partageait pas ces convictions, mais je porte ma part, comme tous."
Parlons des Verts. Le mois prochain, ce sera le congrès de votre parti. Vous allez donc donner votre démission ?
- "J'arrive à la fin de mon mandat. Je n'abandonne pas le navire. J'ai simplement fait savoir, dès l'été, à mes amis, que je n'étais pas candidate à ma propre succession, ce qui permettait de ne pas se focaliser de façon exagérée sur les questions de personnes et de ne réfléchir qu'aux questions de fond."
Malgré tout, le congrès se prépare. Vous vous réunissez ce week-end et on sait déjà qu'il y a six motions qui sont en concurrence pour ce congrès. On a l'impression, que finalement, chez les Verts, les choses ne changent pas beaucoup et que les querelles de chapelles l'emportent toujours sur les problèmes de fond ?
- "Ces six motions correspondent à des options qui, en fait, sont assez différentes sur le fond. Certains prônent une évolution mouvementiste, proche des luttes de terrain des Verts..."
Qu'est-ce que veut dire "mouvementiste" ?
- "Mouvementiste, cela veut dire présents dans tous les mouvements sociaux pour contester le Gouvernement et pour relayer la parole des citoyens. Certains souhaiteraient que les Verts s'ancrent plus dans le champ institutionnel et prennent davantage part aux responsabilités. Il y a des différences de sensibilité..."
Mais on a quand même l'impression que les Verts, c'est quelque chose d'ingérable ?
- "Incontestablement, les Verts, c'est brouillon, c'est jeune, c'est plein d'enthousiasme, c'est plein d'énergie, ça refuse les règles que se sont données les autres partis et ce n'est pas toujours aussi efficace qu'il le faudrait. En choisissant de passer la main, j'ai aussi choisi de réunir les conditions permettant aux Verts de grandir un peu. J'espère qu'ils sauront saisir cette occasion lors de leur congrès du mois de décembre."
Qui vous parait le mieux placé pour vous succéder ? N. Mamère ?
- "N. Mamère n'est pas du tout candidat au poste de secrétaire national, il est député, il a une parole à faire entendre à l'Assemblée nationale, je crois d'ailleurs que ça lui convient très bien. Je crois qu'il faut beaucoup d'abnégation, beaucoup de sens du collectif, beaucoup de sens politique aussi pour être secrétaire national. Donc, il y a tout un tas de candidats qui pensent avoir toutes ces qualités. Je pense qu'il faudrait un mix de toutes celles-ci, et à cet égard, M.-H. Aubert me parait être un très honnête compromis."
R. Bachelot, actuel ministre de l'Environnement, dit que les Verts étaient beaucoup trop dogmatiques, sectaires et qu'il faut reprendre la plupart des projets parce qu'ils ne sont pas applicables, et notamment que vous étiez complètement coupés du monde rural. Que pensez-vous de cette thèse ?
- "Il est difficile de juger du travail de celui qui vous a précédé. Pour ma part, je me suis bien gardée de commenter le travail de R. Bachelot dans les mois qui ont suivi son arrivée au ministère de l'Environnement. R. Bachelot a éprouvé beaucoup de difficultés avec un certain nombre de lobbies qui pèsent sur la vie de politique française, notamment les chasseurs, qui la critiquent aussi fort qu'ils nous critiquaient hier. Je ne m'en réjouis pas et je constate simplement qu'il y a un problème de relations de ce ministère qui appelle en permanence à la raison, avec ceux qui ne voudraient ne rien changer à leur comportement. Pour ce qui concerne le monde rural, je constate que depuis trente ans, la situation ne fait que se dégrader, avec l'épuisement des sols, la disparition des haies, la pollution des ressources en eau potable. Il faut impérativement qu'on change de comportement et cela demande que les consommateurs disent leurs mots et ne laissent pas les agriculteurs faire seuls la politique agricole."
Mais vous, vous n'arriviez pas vraiment à dialoguer avec les agriculteurs ?
- "Bien sûr que si ! J'ai rencontré très régulièrement leurs représentants, ceux de la FNSEA..."
Mais sans vraiment s'entendre...
- "R. Bachelot va vite s'en rendre compte : soit on ne fait rien, on dit comme eux et on s'entend très bien avec la FNSEA, soit on souhaite faire évoluer les comportements et cela se passe de façon un peu crispée, un peu tendue. Comment renoncer à la liberté de faire à peu près tout ce qui leur convient, sans payer l'eau qu'ils consomment, par exemple ? C'est une des questions auxquelles elle devra répondre. Pour ma part, je suis assez déçue par le travail de R. Bachelot à cette heure. Je pense qu'elle ne mérite pas la caricature des Guignols, mais si elle n'y prend pas garde, elle va finir par y ressembler."
Vous aviez annoncé que vous alliez vous inscrire au chômage, où en êtes vous maintenant ?
- "Pendant encore un mois, je suis secrétaire nationale des Verts et j'entends assumer complètement mes responsabilités. Après, viendra le temps du retour à la vie civile et cela ne regardera que moi et mes proches."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 octobre 2002)
- "Certains au Parti socialiste en rêvent ; ils aimeraient beaucoup que les autres composantes de la gauche se rallient à leur panache blanc. Ce n'est évidemment pas de ça qu'il est question. Simplement, je fais le constat que, dans tous les partis de la gauche, à cet instant, on s'interroge, on s'introspecte même, pour savoir comment réduire le fossé entre les Français et la vie politique et ceux qui la font. Je crois que les questions qui traversent les partis ne sont pas spécifiques à l'un ou l'autre : comment à la fois assumer des responsabilités, être élus, comment rester proches des gens et de leurs problèmes, notamment pour ceux d'entre eux qui souffrent aujourd'hui de n'avoir ni logement, ni emploi, ni sécurité sociale par exemple ? Ce sont des questions très graves et je crois que nous aurions intérêt à trouver des lieux pour en discuter avec nos amis de feue la majorité plurielle."
Mais comment faire justement, pour que ce parti ne soit pas qu'un PS élargi ? Parce que le Parti socialiste est quand même le parti dominant de la gauche, comment faire pour qu'il n'écrase pas tout ?
- "Il faut faire preuve de lucidité à cet instant. Je lance une idée qui a un petit côté iconoclaste, parce que je crois que chacun ne peut pas espérer s'en sortir seul, en rejetant sur les autres la faute de ce qui s'est passé le 21 avril. C'est malheureusement ce qui se passe dans pratiquement tous les partis. On a l'impression que, si la majorité plurielle n'a pas été assez courageuse, assez audacieuse, c'est la faute des autres. Moi, je dis "non" ; réfléchissons ensemble pour savoir commet refonder la gauche."
C'est une idée qui a déjà été lancée par F. Hollande, le patron du Parti socialiste et c'est une idée qui avait été rejetée par la plupart des Verts et aussi par les communistes.
- "Non. A l'époque, il était question de nous proposer de rallier le Parti socialiste, d'adhérer au Parti socialiste. Soyons clairs ! Moi, je veux faire preuve de lucidité : cette idée qui mérite d'être agitée, d'être débattue, est largement prématurée. Ce qui nous attend, dans les mois à venir, c'est le travail de réflexion des partis sur eux-mêmes. Et puis, viendra peut-être le moment où les uns et les autres conviendront qu'il est raisonnable de penser à autre chose."
Est-ce que c'est une formation qui pourrait prendre la forme de ce qu'est l'UMP à droite ?
- "Vous êtes insistant. C'est vrai que les principaux clivages qui traversaient les partis de droite ne passaient pas entre les partis, mais en leur sein. C'est vrai aussi à gauche. Cela dit, nous sommes bien seuls, dans le champ politique, à gauche comme à droite, à défendre l'idée que l'avenir devrait être un peut plus sobre, un peu moins gaspilleur, un peu moins dévastateur, à la fois pour les ressources de la planète et pour les êtres humains. Et si demain devait se concrétiser l'idée d'une grande formation de gauche, alors les Verts auraient une lourde responsabilité de convaincre qu'elle ne doit pas reproduire les erreurs de la gauche productiviste, de la gauche gaspilleuse du passé."
Vous disiez tout à l'heure que les causes de la défaite, il faut les chercher à l'intérieur de soi-même. Cela veut dire que vous ne faites pas partie de ceux qui disent que, finalement, tout est de la faute de L. Jospin, comme ont l'entend beaucoup en ce moment, dans la défaite ?
- "Je trouve assez pénible de voir comment ceux qui l'ont hier adoré l'accablent aujourd'hui. J'ai été membre de son Gouvernement pendant quatre ans, Y. Cochet m'a succédé pendant une cinquième année, et si un échec doit être constaté, il est de tous et pas seulement de L. Jospin. Moi, je m'en veux de ne pas avoir su le convaincre que les questions que portaient les Verts étaient des questions fondamentales. C'est-à-dire que j'étais bien seule, dans un Gouvernement qui ne partageait pas ces convictions, mais je porte ma part, comme tous."
Parlons des Verts. Le mois prochain, ce sera le congrès de votre parti. Vous allez donc donner votre démission ?
- "J'arrive à la fin de mon mandat. Je n'abandonne pas le navire. J'ai simplement fait savoir, dès l'été, à mes amis, que je n'étais pas candidate à ma propre succession, ce qui permettait de ne pas se focaliser de façon exagérée sur les questions de personnes et de ne réfléchir qu'aux questions de fond."
Malgré tout, le congrès se prépare. Vous vous réunissez ce week-end et on sait déjà qu'il y a six motions qui sont en concurrence pour ce congrès. On a l'impression, que finalement, chez les Verts, les choses ne changent pas beaucoup et que les querelles de chapelles l'emportent toujours sur les problèmes de fond ?
- "Ces six motions correspondent à des options qui, en fait, sont assez différentes sur le fond. Certains prônent une évolution mouvementiste, proche des luttes de terrain des Verts..."
Qu'est-ce que veut dire "mouvementiste" ?
- "Mouvementiste, cela veut dire présents dans tous les mouvements sociaux pour contester le Gouvernement et pour relayer la parole des citoyens. Certains souhaiteraient que les Verts s'ancrent plus dans le champ institutionnel et prennent davantage part aux responsabilités. Il y a des différences de sensibilité..."
Mais on a quand même l'impression que les Verts, c'est quelque chose d'ingérable ?
- "Incontestablement, les Verts, c'est brouillon, c'est jeune, c'est plein d'enthousiasme, c'est plein d'énergie, ça refuse les règles que se sont données les autres partis et ce n'est pas toujours aussi efficace qu'il le faudrait. En choisissant de passer la main, j'ai aussi choisi de réunir les conditions permettant aux Verts de grandir un peu. J'espère qu'ils sauront saisir cette occasion lors de leur congrès du mois de décembre."
Qui vous parait le mieux placé pour vous succéder ? N. Mamère ?
- "N. Mamère n'est pas du tout candidat au poste de secrétaire national, il est député, il a une parole à faire entendre à l'Assemblée nationale, je crois d'ailleurs que ça lui convient très bien. Je crois qu'il faut beaucoup d'abnégation, beaucoup de sens du collectif, beaucoup de sens politique aussi pour être secrétaire national. Donc, il y a tout un tas de candidats qui pensent avoir toutes ces qualités. Je pense qu'il faudrait un mix de toutes celles-ci, et à cet égard, M.-H. Aubert me parait être un très honnête compromis."
R. Bachelot, actuel ministre de l'Environnement, dit que les Verts étaient beaucoup trop dogmatiques, sectaires et qu'il faut reprendre la plupart des projets parce qu'ils ne sont pas applicables, et notamment que vous étiez complètement coupés du monde rural. Que pensez-vous de cette thèse ?
- "Il est difficile de juger du travail de celui qui vous a précédé. Pour ma part, je me suis bien gardée de commenter le travail de R. Bachelot dans les mois qui ont suivi son arrivée au ministère de l'Environnement. R. Bachelot a éprouvé beaucoup de difficultés avec un certain nombre de lobbies qui pèsent sur la vie de politique française, notamment les chasseurs, qui la critiquent aussi fort qu'ils nous critiquaient hier. Je ne m'en réjouis pas et je constate simplement qu'il y a un problème de relations de ce ministère qui appelle en permanence à la raison, avec ceux qui ne voudraient ne rien changer à leur comportement. Pour ce qui concerne le monde rural, je constate que depuis trente ans, la situation ne fait que se dégrader, avec l'épuisement des sols, la disparition des haies, la pollution des ressources en eau potable. Il faut impérativement qu'on change de comportement et cela demande que les consommateurs disent leurs mots et ne laissent pas les agriculteurs faire seuls la politique agricole."
Mais vous, vous n'arriviez pas vraiment à dialoguer avec les agriculteurs ?
- "Bien sûr que si ! J'ai rencontré très régulièrement leurs représentants, ceux de la FNSEA..."
Mais sans vraiment s'entendre...
- "R. Bachelot va vite s'en rendre compte : soit on ne fait rien, on dit comme eux et on s'entend très bien avec la FNSEA, soit on souhaite faire évoluer les comportements et cela se passe de façon un peu crispée, un peu tendue. Comment renoncer à la liberté de faire à peu près tout ce qui leur convient, sans payer l'eau qu'ils consomment, par exemple ? C'est une des questions auxquelles elle devra répondre. Pour ma part, je suis assez déçue par le travail de R. Bachelot à cette heure. Je pense qu'elle ne mérite pas la caricature des Guignols, mais si elle n'y prend pas garde, elle va finir par y ressembler."
Vous aviez annoncé que vous alliez vous inscrire au chômage, où en êtes vous maintenant ?
- "Pendant encore un mois, je suis secrétaire nationale des Verts et j'entends assumer complètement mes responsabilités. Après, viendra le temps du retour à la vie civile et cela ne regardera que moi et mes proches."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 octobre 2002)