Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, à la chaîne de télévision marocaine "2M" le 1er novembre 2002, sur les relations franco-marocaines, le problème du Sahara occidental, la lutte contre le terrorisme, la position française sur l'irak, la question de la Palestine et le rôle de l'Union européenne.

Prononcé le 1er novembre 2002

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage au Maroc du 30 octobre 2002 au 1er novembre

Média : 2 M

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, c'est votre première visite au Maroc. Vous avez été reçu par Sa Majesté le Roi. J'imagine que beaucoup de sujets ont été abordés au cours de cet entretien. La première question que je voudrais vous poser d'abord, c'est : pourquoi le Maroc ? - Et j'imagine que c'est un pays stratégique qui est cher dans le cur de Paris. C'est un pays stratégique dans cette région du monde.
R - Vous connaissez les relations très anciennes, relations d'amitié entre la France et le Maroc. Vous connaissez les relations très profondes d'estime et d'amitié entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le président Jacques Chirac. Je souhaitais donc venir très rapidement au Maroc d'autant plus que nous avons un partenariat très actif sur le plan bilatéral et évidemment beaucoup d'intérêts communs sur le plan régional et sur le plan international, beaucoup de sujets à discuter dans un monde difficile et dangereux, vous l'imaginez, qu'il s'agisse de l'Iraq, qu'il s'agisse du Proche-Orient, qu'il s'agisse des perspectives régionales pour l'ensemble du Maghreb, des relations avec l'Union européenne. Nous ne manquions pas de sujets à aborder.
Q - Au niveau régional, j'imagine que vous avez parlé du dossier du Sahara. C'est un dossier qui est très cher au cur des Marocains, qui suscite une réelle cohésion nationale. Vous savez aussi que le Maroc a émis des propositions pour débloquer la situation. Des propositions qui vont dans le sens d'un accord-cadre qui permettrait une large autonomie dans ces régions du Sud. Mais malheureusement, ces propositions n'ont peut-être pas eu un écho, en tout cas pas l'écho escompté de la part de nos voisins de l'Algérie, que je cite.
R - C'est une question évidemment très importante pour la stabilité régionale et nous soutenons le processus qui est engagé dans le cadre des Nations unies : la mission qui a été confiée à M. James Baker, la résolution qui a été adoptée il y a quelques mois, et nous pensons qu'effectivement l'accord cadre constitue véritablement la solution qui doit permettre de régler ce différend si douloureux. Nous souhaitons donc travailler au cours des prochains mois pour mettre à profit, par des consultations, par des contacts, le temps qui est imparti pour essayer de faire avancer la recherche d'une solution.
Q - Vous avez évoqué tout à l'heure le contexte difficile dans laquelle se trouve votre visite, à savoir par exemple le terrorisme international. On a eu un exemple assez difficile, tout le monde l'a vécu, à savoir les otages dans le théâtre de Moscou. Le Maroc a été l'un des premiers, Sa Majesté le Roi a été l'un des premiers chefs d'Etat à avoir contacté le Président Poutine, à lui réitérer donc sa solidarité. Comment voyez-vous - surtout que le Maroc a été aussi un des pays à avoir intercepté il y a quelques mois de cela des terroristes potentiels qui allaient s'attaquer à des navires de l'Otan dans le Détroit de Gibraltar - le travail qui est fait dans ce sens-là par le Maroc ?
R - Nous sommes tous très mobilisés dans la lutte contre le terrorisme. Je pense que beaucoup a été fait au cours des derniers mois. Nous l'avons vu évidemment dans le cadre des coopérations policières, dans le cadre des coopérations judiciaires, dans les échanges de renseignements qui sont faits et qui permettent, vous venez de le mentionner, d'obtenir d'importants résultats. Il est important que cette mobilisation se poursuive, convaincus comme nous sommes, qu'au-delà de l'emploi de la force - on a vu en Afghanistan dans le cadre de la coalition qui s'est mobilisée pour essayer d'apporter une solution au problème afghan - c'est par la coopération véritablement que nous pourrons progresser. Il en va de même dans ce défi très important qui est celui de la prolifération. Dès le début, nous l'avons dit. Il faut adresser un message clair, un message ferme à Saddam Hussein et c'est, je crois, le désir de l'ensemble de la communauté internationale. Et c'est pour cela que nous avons défendu un souci de réalisme, un souci de pragmatisme, une démarche en deux temps aux Nations unies, au Conseil de sécurité. A la fois, pour définir dans un premier temps les arrangements pratiques qui permettront aux inspecteurs de revenir à Bagdad et qui leur permettront véritablement de commencer leur travail d'élimination des armes de destruction massive. Et ce n'est que si l'Iraq ne satisfait pas, si Saddam Hussein ne satisfait pas à ses obligations qu'alors le Conseil de sécurité pourra à nouveau se réunir, examiner l'ensemble des options qui sont disponibles pour que chacun puisse exercer sa responsabilité. Mais nous pensons que le recours à la force ne saurait être qu'un dernier recours. Nous pensons qu'il est important que nous soyons donc tous ensemble unis parce que c'est ce qui donne de la légitimité à l'action internationale, c'est ce qui donne de l'efficacité à l'action internationale. C'est donc dans cet esprit que nous avons travaillé à New York pour faire avancer le projet de résolution. Nous avons fait des progrès. Il reste encore un peu de travail à faire, nous espérons pouvoir conclure un accord dans les prochains jours.
Q - Qu'en est-il de l'option, s'il existe une autre option que vous avez préconisée, celle de réunir, enfin une réunion au niveau ministériel cette fois-ci au Conseil de sécurité ?
R - C'est une proposition que nous avons faite et qui reste bien sûr sur la table. Nous sommes disponibles pour cette réunion. Je crois que l'objectif est clair, c'est le retour des inspecteurs très rapidement. Et nous devons tous affirmer notre détermination à aboutir dans ce sens. Nous pensons que les circonstances internationales sont aujourd'hui une chance parce qu'elles nous permettent véritablement de travailler dans l'unité de cette communauté internationale, dans l'unité du Conseil de sécurité. Il est évident que nous serons beaucoup plus forts, beaucoup mieux entendus si cette résolution est votée à l'unanimité du Conseil de sécurité.
Q - Monsieur le Ministre ne pensez-vous pas que, mettez-vous à la place de la communauté arabe, de la communauté musulmane qui se sent d'une manière ou d'une autre frustrée quand elle voit cette usage de la force, de la pression qui est exercée contre un pays, en l'occurrence l'Iraq et parallèlement, ce qui se passe dans les territoires occupés, cette répression, cette force qui est exercée à l'encontre des civils palestiniens où là par contre, malheureusement, on serait peut-être tenté de dire "motus et bouche cousue".
R - Nous l'avons dit depuis le début. La voix de la France s'est élevée fortement et il ne saurait y avoir deux poids deux mesures. Il est très important, vous l'évoquez dans ce dossier du Proche-Orient qui, à bien des égards, apparaît aujourd'hui, depuis tant d'années, tant de décennies comme une injustice, il est important que la communauté internationale se mobilise. Nous le disons avec beaucoup de conviction. Il n'y a pas de solution possible à la question du Proche-Orient par le biais d'une seule politique de sécurité. La force seule est toujours une force vaine. Il faut une perspective politique, il faut une mobilisation, un espoir pour ces peuples. Cet espoir est très important pour le peuple palestinien qui depuis tant d'années veut une terre, qui depuis tant d'années veut la sécurité. C'est important aussi pour le peuple israélien qui connaît la recrudescence d'attentats suicides, d'attentats terroristes. Il est important aujourd'hui d'essayer de trouver une véritable solution. C'est dans cet esprit que nous voulons travailler. C'est dans cet esprit que le Quartette a multiplié les initiatives mais il faut aller plus loin. Nous sommes aujourd'hui devant cette échéance très importante de devoir régler des crises qui ont duré trop longtemps alors même que nous voyons qu'elles sont souvent interdépendantes et qu'elles se dégradent. Nous avons donc une urgence.
Q - Pensez-vous justement que l'Union Européenne puisse avoir une voix dans cette région du monde par rapport à la voix qui est omniprésente, celle des Etats-Unis ?
R - J'en suis convaincu. Nous sommes convaincus que le monde ne peut connaître de stabilité que si l'Europe y apporte tout son poids. Une Europe forte est indispensable au monde comme il faut des pôles de stabilité, des pôles de sécurité à travers le monde où chacun prenne sa responsabilité. L'Europe a donc un rôle privilégié d'autant que la proximité géographique, que l'histoire, que l'engagement politique, l'engagement économique sont évidemment extrêmement forts de la part de l'Europe dans cette région. Donc, je pense que, ensemble, si chacun se mobilise, nous pouvons trouver des voies. Il faut de l'audace, il faut de l'imagination, il faut du courage, il faut de la persévérance.
Q - Une dernière question Monsieur le Ministre. Vous avez évoqué il y a un instant lors de la conférence de presse la prochaine visite aussi bien du chef du gouvernement français que celle du président de la République française au Maroc. Qu'en sera-t-il ; est-ce qu'il va y avoir du nouveau à annoncer ?
R - Nous aurons en 2003 et dans les prochains mois un calendrier politique très chargé, des rendez-vous très importants dans la relation franco-marocaine. Nous voulons développer, approfondir, renouveler ce partenariat. Nous voulons nous mobiliser sur de grands projets. Et vous savez bien évidemment quelles sont les priorités de Sa Majesté, quelles sont les priorités du gouvernement : le développement économique, le développement social. Nous voulons apporter notre contribution dans tous ces domaines ; dans le domaine de l'éducation, dans les grands chantiers sociaux. Nous sommes là pour appuyer et pour contribuer au succès de tous ces efforts.
Q - Merci Monsieur de Villepin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2002)