Interview de Mme Marine Le Pen, membre du bureau politique du Front national, à "RTL" le 18 novembre 2002 sur l'Ump, le risque de conflit avec l'Irak, la succession au Front national.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Ruth ELKRIEF : Bonjour Marine Le Pen. Vous êtes conseillère régionale Nord/Pas-de-Calais du Front National, Présidente de Génération Le Pen et membre du bureau politique. L'UMP, ce grand parti de la droite, qui s'est constitué donc officiellement hier, c'est une démonstration de force ? ça vous impressionne ?

Marine LE PEN : Non pas du tout ! Ca ne m'impressionne pas du tout ; D'ailleurs le nom qu'ils se sont choisi, l'Union pour un Mouvement Populaire. J'avoue, si c'est populaire au sens de proche du peuple, ça leur va comme un tablier à une vache ! Si c'est populaire au sens de démocratie populaire, avec un parti unique, je trouve que ça leur va plutôt bien. Ce que je trouve inquiétant c'est que l'UMP est à l'évidence, comme l'a rappelé d'ailleurs M. Bayrou hier, est un parti de centre-gauche.

Ruth ELKRIEF : Un parti de centre-gauche ?...

Marine LE PEN :Bien sûr !

Ruth ELKRIEF : ... qui occupe les créneaux de la gauche, à votre avis ?

Marine LE PEN :Ecoutez, un ticket dans lequel il y a Monsieur Douste-Blazy, qui est pour le droit de vote des immigrés, et Monsieur Gaudin qui a déclaré qu'il était prêt à faire une fusion des listes avec la gauche aux prochaines Régionales, pour empêcher Jean-Marie Le Pen de gagner. C'est pour moi un parti de centre-gauche, oui.

Ruth ELKRIEF : En tout cas, Jacques Chirac qui a envoyé un message, a expliqué que ce parti avait pour mission entre autres "de combattre les forces d'intolérance, les forces de rejet, parce que la politique est d'abord une éthique". Vous vous êtes sentis visés ?

Marine LE PEN :Les forces du mal ! C'est l'axe du mal, cher à Monsieur Bush. Oui, évidemment que le principal objectif de Jacques Chirac, c'est de combattre le Front National. J'aurais préféré, et je crois que les Français préféreraient que son principal objectif soit de combattre : la pauvreté, le chômage, l'insécurité, le fiscalisme, etc.

Ruth ELKRIEF : Ce sont vos mots d'ordre effectivement. Justement, vous parlez de George Bush parce qu'aujourd'hui, évidemment on le sait, les inspecteurs partent pour l'Irak ; on a entendu Jean-Marie il y a quelques jours, qui parlait de George Bush aussi, et qu'il a comparé à Hitler. Il a expliqué que George Bush était un impérialiste, qu'il voulait le pétrole de l'Irak, qu'il voulait le pétrole du Proche Orient. "Si Hitler avait commis le quart de cela, il aurait été traîné au banc de la conscience universelle". C'est pareil pour vous George Bush/Hitler ?

Marine LE PEN :Non mais je crois que Jean-Marie Le Pen a comparé Bush au Hitler de 39. Celui qui avait des visées hégémoniques, et il a voulu frapper les esprits avec un exemple que tout le monde connaît, pour démontrer où peut mener ce type de politique.

Ruth ELKRIEF : C'est une gaffe quand même ! Parce que depuis quelques mois, on a le sentiment que le Front National veut essayer de se donner une image plus banale, plus tranquille, plus avenante, et ça passe par vous notamment, et ça franchement, comparer George Bush à Hitler.

Marine LE PEN :Non mais écoutez, le fait de prévenir les Français qu'une puissance lorsqu'elle a une volonté hégémonique peut entraîner des conséquences extrêmement graves et qu'il faut de temps en temps se remémorer l'Histoire, je ne vois pas en quoi c'est une gaffe ! il ne faudrait pas non plus qu'on n'ait plus le droit de dire quoi que ce soit si vous voulez ! le rôle d'un homme politique, c'est de prévenir, et je crois que Monsieur Bush peut entraîner le monde dans des affres graves, et il est temps de le dire !
Ruth ELKRIEF : Concrètement, ça veut dire que quand vous voyez le monde, vous, vous êtes du côté de Saddam Hussein -un dictateur avéré- contre George Bush, élu démocratiquement, par un pays démocratique...

Marine LE PEN :Oui vous savez, des dictateurs avérés, il y en a énormément dans le monde ! voilà !

Ruth ELKRIEF : Enfin, celui-là en est un !

Marine LE PEN : Non mais écoutez, ce que je ne veux pas, c'est que Monsieur Bush se comporte comme le gendarme du monde ! Ca n'est pas à lui de décider, notamment en se fondant sur des mensonges, de détruire tel ou tel gouvernement, et - au passage - de détruire sa population civile ! je trouve ça extrêmement grave !

Ruth ELKRIEF : Mais, Marine Le Pen, être contre l'Amérique c'est une chose, mais être aussi clairement "pour" Saddam Hussein, vous êtes les seuls franchement ! On sait que Jean-Marie Le Pen était allé à Bagdad en 1991... On se demande d'ailleurs s'il y va... Il y va bientôt peut-être aussi maintenant ?... Non ?

Marine LE PEN :Je ne sais pas...

Ruth ELKRIEF : Il n'a pas exclu cette possibilité...

Marine LE PEN :Il n'a pas exclu cette possibilité...

Ruth ELKRIEF : Vous pouvez nous le confirmer ?

Marine LE PEN :Mme Elkrief, ne faites pas comme Monsieur Bush qui dit: tous ceux qui ne sont pas pour nous, sont contre nous... Voilà ! Je crois que c'est très simpliste comme démarche !

Ruth ELKRIEF : Non mais ce qui est frappant c'est que, tout de même, vous êtes les seuls sur l'échiquier politique français a être aussi clairement du côté de l'Irak !

Marine LE PEN :Pas du tout ! nous ne sommes pas les seuls. Il y en a d'autres. Je crois d'ailleurs que monsieur Chevènement avait pris des positions sur ce sujet qui étaient très claires. Bon, il n'y a pas que le Front National, mais c'est vrai que nous avons été à la pointe de la défense, notamment des populations civiles de l'Irak. Parce que rien ne justifie que l'on affame et que l'on tue un million d'enfants en dix ans ! rien ne justifie cela !

Ruth ELKRIEF : Concrètement, si les inspecteurs reviennent avec un constat sur un réarmement clair et net de l'Irak, il n'y a aucune raison néanmoins de faire la guerre ?

Marine LE PEN : Mais écoutez, ça fait huit ans. Pendant huit ans, ils sont allés en Irak, ils n'ont jamais rien trouvé ! Ils nous disent aujourd'hui, en tout cas les Etats-Unis disent aujourd'hui que s'ils n'ont rien trouvé, c'est que ça devait être bien caché ! Je trouve qu'il y a de quoi sourire, à défaut d'en pleurer ! Par conséquent je pense qu'ils ne trouveront rien. Maintenant, nous ne sommes pas évidemment à l'abri d'une manipulation américaine, comme ils l'ont déjà utilisée en 1990, et qui tendrait à nous faire croire des choses qui n'existent pas !

Ruth ELKRIEF : George Bush, le grand Satan donc pour le Front National...

Marine LE PEN :Non n'exagérons rien...

Ruth ELKRIEF : Parlons de vous, Marine Le Pen. Depuis plusieurs mois, on parle beaucoup de votre talent médiatique, de votre bonne image, votre père lui-même dit : "Elle est moins attaquable que moi. Elle pourrait être présidente. Elle pourrait être comparée à Martine Aubry, à Ségolène Royal, etc". Et du coup, il a été obligé de préciser que c'était Bruno Golnish qui restait son successeur. Ca fait un peu de rififi quand même...

Marine LE PEN :Non pas du tout ; il l'a dit depuis longtemps que Bruno Golnish le remplacerait s'il lui arrivait quelque chose ; il n'a pas changé d'avis.

Ruth ELKRIEF : Enfin il a été obligé de repréciser. Vous connaissez bien la politique : quand on se met à repréciser les choses clairement, c'est qu'il y a un doute !

Marine LE PEN :Non, écoutez il a dit très clairement que, dans l'armée de Napoléon, chacun avait un bâton de maréchal dans sa giberne. Ce qui veut dire qu'il y a beaucoup de cadres au Front National, d'hommes et de femmes d'ailleurs, qui mériteraient d'arriver au premier plan et, voilà, il leur souhaite toute la chance possible pour défendre les idées du Front. C'est ça le plus important. Ce sont les idées, c'est pas tant les hommes et les femmes vous savez.

Ruth ELKRIEF : Vous n'avez pas le sentiment qu'il met comme ça deux fers au feu, comme tous les présidents de partis à la limite, deux possibilités, et puis vous en faites partie.

Marine LE PEN : Non ce n'est pas l'impression que j'ai. Je crois qu'il a été très clair.

Ruth ELKRIEF : Et vous ? quelle est votre ambition, votre envie ?

Marine LE PEN :Mon ambition c'est de porter Jean-Marie Le Pen à la tête de la France en 2007 ! C'est ma seule ambition. Par conséquent, ces histoires de succession m'intéressent assez peu. Il a indiqué qu'il resterait encore pendant cinq ans. Vous savez, ce sera difficile lorsqu'il partira. Ce sera difficile affectivement et politiquement. Par conséquent, laissez-nous profiter encore de sa présence. Et surtout de la chance historique que nous avons, d'arriver au pouvoir dans cinq ans.

Ruth ELKRIEF : Parlons encore de vous: votre profil, c'est une jeune mère, divorcée, qui se remarie, qui dit que la loi Veil sur l'avortement n'est pas insupportable, qu'il faut au contraire peut-être la garder. C'est pour donner une image jeune, moderne et branchée au Front National ?

Marine LE PEN :Non, je suis moi-même, Mme Elkrief, et j'entends le rester ! Ca n'est pas un problème de communication, c'est ma nature profonde, ce sont mes idées profondes.

Ruth ELKRIEF : Vous êtes pour l'avortement, nettement et clairement ?

Marine LE PEN :Oui, ce n'est pas le problème d'être "pour l'avortement". Je crois que j'ai eu l'occasion de le dire, je trouve que l'avortement est quelque chose de terrible en général, aussi pour les femmes qui le font... seulement je pense qu'il faut mettre en place une politique d'incitation pour garder les enfants, plutôt qu'une politique coercitive.

Ruth ELKRIEF : Les catholiques traditionalistes de votre parti. Ca leur hérisse les cheveux sur le crâne, hein...

Marine LE PEN :Oui, vous savez nous avons chacun nos sensibilités. Il y a moins de différences entre moi et monsieur Bernard Anthony qu'entre Monsieur Mariani ou Monsieur Dupont-Aignan et Monsieur Douste-Blazy ou Monsieur Jego.
(source http://www.le-pen.info, le 19 novembre 2002)