Texte intégral
J.-J. Bourdin.-Regardons l'actualité venue des Etats-Unis avec ses élections législatives à mi-mandat. Nous n'avons pas encore tous les résultats mais G. Bush remporterait une victoire avec une majorité probable - même certaine - à la Chambre des représentants, et une majorité probable au Sénat. Qu'est-ce que cela peut changer ?
- "Il faut attendre évidemment confirmation de ces résultats. Mais il est clair que si G. Bush emporte la majorité à la fois à la Chambre des représentants où il l'a déjà, et au Sénat, cela lui donne les mains libres pour la guerre préventive que les Etats-Unis envisagent de faire à l'Irak. Je dirais que ce n'est pas forcément une bonne nouvelle."
Le Conseil de sécurité de l'ONU attend de recevoir le dernier projet de résolution américain sur le désarmement irakien. Ce projet prévoirait des inspections plus sévères que celles prévues pour les inspections de l'ONU entre 1991 et 1998. Est-ce qu'il faut résister à cela ?
- "Il faut éviter toute provocation. Ceux qui connaissent bien le dossier irakien savent qu'en 1998, c'est à partir d'une provocation organisée par les Etats-Unis que les inspecteurs ont été rappelés, et qu'ils l'ont été par les Etats-Unis avant les bombardements sur Bagdad."
Mais ont-ils pu faire leur travail à cette époque-là, en Irak ?
- "Dans l'ensemble, oui. Les rapports en font foi, ainsi que les déclarations de H. Blix ou de S. Ritter. Les inspecteurs ont pu faire leur travail et ils ont détruit l'essentiel du potentiel militaire irakien. On ne fera croire à personne, aujourd'hui, que l'Irak soit une véritable menace, parce que ce n'est pas vrai, parce qu'aucun lien n'a été établi entre les activités d'Al-Qaida et l'Irak, qui se tient à l'écart des activités terroristes depuis au moins la fin des années 1980. Par conséquent, nous sommes en présence d'une ambition géopolitique, d'une ambition pétrolière, d'une ambition de domination qu'il faut relier à ce qu'est le monde dans lequel nous vivons, qu'il faut relier à la globalisation financière qui n'avance que parce qu'il y a la puissance militaire des Etats-Unis, [avec] des budgets de défense qui sont de véritables budgets de guerre - près de 400 milliards de dollars -, des armes extrêmement perfectionnées qui autorisent les Etats-Unis à mener des guerres presse-bouton, des guerres électroniques, avec des missiles guidées par satellite. Mais disons que cette puissance a des limites car les Etats-Unis ne peuvent pas dominer le monde entier, et même pas le monde arabo-musulman. Donc, dans l'intérêt des Etats-Unis, je crois que la France les incite à la prudence, leur demande de respecter les règles du droit international."
Est-ce que la France doit aller jusqu'au veto, éventuellement ?
- "Moi, je le pense mais je pense que ce devrait être un double veto si les Etats-Unis avaient des exigences inadmissibles. Je ne dis pas en tout état de cause. Mais si les Etats-Unis avaient des exigences inadmissibles, s'ils voulaient faire acter dans une résolution qu'ils pourraient se passer d'une autorisation du Conseil de sécurité pour déclarer cette guerre qui sera ravageuse, je pense qu'à ce moment, la France et la Russie - si la Russie tient le coup, mais la France aussi car si nous avons un siège permanent au Conseil de sécurité, avec droit de veto, c'est aussi pour, le cas échéant, nous en servir -, je crois que nous devons avoir le courage d'aller jusque là. Je dois dire que j'approuve jusqu'à présent la politique du président courage... hum... Chirac, qui a montré beaucoup de détermination."
Président "Courage", d'après votre lapsus ?
- "Oui, il a fallu du courage, effectivement, pour tenir bon face aux pressions multipliées. Je sais gré au président de la République d'avoir fait entendre la voix de la France. On a démontré que, finalement, la France par elle-même pouvait être un aiguillon vis-à-vis de la Russie, de la Chine, alors que l'Europe - on nous rebat souvent les oreilles avec la notions d' "Europe puissance" mais regardez où était monsieur Blair, regardez où était monsieur Aznar, regardez où était monsieur Berlusconi ! Il n'y a que monsieur Schröder qui, entre parenthèses, a gagné les élections sur le thème du refus de la guerre préventive à l'Irak. Donc, je crois que la France a joué un rôle très positif. Revenant du Maghreb, j'ai pu mesurer l'écho très important que cette politique a pu avoir. On m'a même raconté que dans un restaurant de Casablanca, quand la nouvelle a été donnée par la radio, qui était branchée, que les Etats-Unis avaient accepté la position de la France, en tout cas sur la réunion d'un Conseil de sécurité au cas où l'Irak n'accepterait pas ses obligations, la salle s'est levée et a applaudi. La personne qui me l'a raconté était témoin. Cela fait plaisir. Ne boudons pas notre plaisir."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 novembre 2002)