Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, surle rôle de l'orthophonie dans le champ de la santé et dans le champ social et la prise en charge d'enfant ayant des troubles d'apprentissage, Paris le 2 juin 2000.

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Circonstance : 4 ème congrès du Comité permanent de liaison des orthophonistes logopèdes à Paris le 2 juin 2000

Texte intégral


Madame la Présidente du Comité Permanent de Liaison des Orthophonistes-Logopèdes,
Monsieur le Président de la Fédération Nationale des Orthophonistes,
Mesdames, Messieurs,
Je suis tout à fait heureuse d'être présente aujourd'hui parmi vous. En effet, la France assure dans un mois la Présidence de l'Union européenne et je suis particulièrement sensible de constater que l'Europe se construit aussi grâce à des initiatives telles que la vôtre. Les Orthophonistes-Logopèdes prouvent, à nouveau, que l'Europe a besoin de cette énergie, de votre énergie afin d'avancer dans sa construction qui passe, certes, par la mise en place d'institutions fortes mais aussi par la rencontre et les échanges permanents entre les professionnels des différents pays européens. Permettez-moi donc de saluer, et de souhaiter la bienvenue, à tous ceux qui viennent des pays d'Europe de l'Est, et de plus loin, d'Amérique, du Moyen Orient, d'Afrique et d'Océanie. Félicitations aussi à toux ceux qui patiemment ont su construire cette assemblée, ce réseau dont l'objectif est, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, d'harmoniser les compétences et de partager les savoirs.
Ce dynamisme dont vous faîtes preuve tous ensemble doit effectivement être tourné vers un seul objectif : une prise en charge de qualité et efficace des personnes dont vous avez la charge.
En ce sens, les Orthophonistes-Logopèdes ont un rôle important à jouer dans le champ de la santé, mais aussi, on le verra dans le champ social.
Je le sais, d'autant plus qu'enseignante durant de nombreuses années, j'ai pu apprécier le travail des orthophonistes dans la prise en charge d'enfant ayant des troubles d'apprentissage.
Je voudrais, en réponse à votre intervention Monsieur le Président, vous apporter des informations sur deux sujets qui, je le sais, vous tiennent à cur :
la libre circulation des diplômes d'une part
l'évolution des textes sur vos compétences d'autre part.
La libre circulation d'abord
Il n'y a sans doute pas de meilleur endroit qu'un congrès européen pour évoquer le sujet de la libre circulation des diplômés au sein de l'Union. Je sais que la situation de déséquilibre actuel avec notamment nos voisins et amis belges, est une source de difficulté dans la mesure où elle interfère avec la maîtrise de la démographie de votre profession.
Comme vous le savez, les directives européennes nous conduisent à une reconnaissance des diplômes européens dans la mesure où les formations sont comparables.
Même si cette contrainte peut être aménagée à la marge, il n'en reste pas moins vrai que la libre circulation est la règle et que l'instauration de mesures compensatoires - comme les formations complémentaires - est une exception à cette règle générale qui doit rester une exception.
Dans cette affaire je suis très soucieuse de trouver un équilibre qui soit tenable sur le long terme pour ne plus connaître les changements de cap de ces dernières années.
C'est pourquoi j'ai souhaité que des mesures compensatoires, (en particulier des formations complémentaires) justes et mesurées soient proposées.
Par ailleurs, j'ai demandé à mes collaborateurs de rencontrer les autorités belges. Cette réunion qui s'est tenue il y a peu a fait apparaître des évolutions réglementaires complexes notamment sur les quotas en Belgique.
Ces évolutions sont actuellement à l'étude dans les services et nous avons par ailleurs saisi la commission européenne pour avis.
Vous serez bien entendu les premiers destinataires de ces informations dès que nous en disposerons.
L'évolution des compétences ensuite
Le premier septembre dernier, Martine Aubry et moi-même, vous avons reçus avec l'ensemble des professions paramédicales pour vous présenter les propositions que nous avions retenues du rapport piloté par Anne -Marie Brocas.
Ce rapport, vous le savez, vise à améliorer les relations entre les médecins et vous-même ainsi que l'ensemble des professions para-médicales en vous donnant plus d'autonomie et en renforçant votre responsabilité dans la participation au fonctionnement du système de santé.
Ce rapport est l'aboutissement d'un travail mené dans une étroite collaboration entre vous - les professionnels - et nous-mêmes. Il traduit notre volonté commune de faire progresser votre profession.
Je voudrais vous rappeler brièvement quels en sont les points forts et l'état d'avancement des travaux sur la mise en uvre des propositions.
I - En tout premier, lieu reconnaissance d'une autonomie et de la responsabilité de vos professions, en révisant l'arrêté de 1962 sur la prescription médicale, ce qui a été fait, en introduisant un droit de prescription dans le champ de vos compétences.
Cette reconnaissance suppose la révision de votre décret de compétence dont un avant projet devrait pouvoir vous être soumis très rapidement maintenant.
II - Ensuite, développement de règles de bonnes pratiques et déontologiques
Les règles de bonnes pratiques pourront être élaborées, en s'appuyant sur l'expertise de l'ANAES, à partir de l'office des professions paramédicales. Cet office qui a fait l'objet d'un rapport conduit par Philippe Nauche, que vous avez rencontré, sera créé par voie législative dans le cadre du texte sur la modernisation du système de santé.
III - Enfin, la modification de la composition du conseil supérieur des professions paramédicales préconisée par le rapport pour assurer une meilleure représentativité des professionnels est en passe d'être réalisée.
Ainsi a été supprimée la participation de personnes qualifiées désignées par le ministre au profit de la désignation de membres par les syndicats représentatifs. Dans le même ordre d'idée, les voix délibérantes de l'administration ont été supprimées. Cette modification a été réalisée par le décret du 9 septembre 1999 et l'arrêté du 9 mars 2000.
L'arrêté de nomination des représentants sera publié aussitôt que les organisations professionnelles auront fait parvenir l'ensemble des noms requis.
Comme vous le voyez, nous sommes au cur d'un chantier considérable quant à l'évolution de votre profession.
Cette évolution, n'est pas virtuelle, Monsieur le président, elle est en voie d'être ancrée dans les textes qui régissent votre profession. Les rendez-vous législatifs qui nous attendent et les textes réglementaires le confirmeront.
Je viens au sujet qui nous rassemble.
Comme vous l'avez souligné, j'accorde en effet une grande importance aux troubles d'apprentissage du langage oral et écrit, facteurs de souffrance et d'exclusion sociale. C'est effectivement une de mes priorités. Comme l'a remarquablement mis en lumière, de manière documentée, volontariste et remarquée, le Haut Comité de santé publique, les troubles d'apprentissage sont un véritable problème de santé publique, même s'il persiste des incertitudes quant à l'étiologie, à la sémiologie et la définition de ces troubles. S'ils sont restés trop longtemps méconnus, c'est qu'en grande partie, ils faisaient l'objet, et font encore parfois l'objet, de controverses tant sur leur origine que sur les modalités de dépistage et de prise en charge. Et s'il est nécessaire encore et toujours d'approfondir la recherche et les études dans ce domaine, je pense qu'il est temps de regarder en face la réalité quotidienne des enfants et des familles confrontés à ce problème. Le repérage, le dépistage, la prise en charge précoce tant éducative que sanitaire sont l'affaire de tous les professionnels informés et vigilants en contact avec les enfants et leurs familles.
Il y a peu de domaines du développement de l'enfant qui aient autant retenu l'attention au cours de ce siècle, et plus particulièrement encore depuis une trentaine d'années.
Quelle mère en effet n'a pas craint devant une suspicion de dyslexie ou d'un enfant qui s'est mis à parler tardivement ?
Qui ne se souvient d'une courte mais inquiétante période de bégaiement, de stagnation langagière, de découragement lexical ?
L'attention particulière portée aujourd'hui au langage oral et écrit s'explique autant par les polémiques scientifiques ou pédagogiques existantes, que par la volonté affirmée des familles de porter leur préoccupation sur la place publique, mais aussi par l'importance évidente de la maîtrise du langage comme élément de réussite scolaire, d'intégration sociale et d'insertion professionnelle comme pré-requis de reconnaissance et d'identification.
Il convient de constater et de reconnaître qu'au quotidien de l'école, qu'au quotidien de la vie familiale et sociale, des enfants, des jeunes sont confrontés au défi majeur de l'acquisition de la lecture, de l'écriture mais aussi au maniement de la langue orale. Ce défi, quand il n'est pas relevé, surmonté, génère très souvent des retards cumulés et des déficits constatés qui vont bien au-delà des apprentissages scolaires. On peut parler de souffrance de culpabilisation de ces enfants mais aussi de leurs familles. On peut parler aussi de l'impuissance et de la perplexité des enseignants. Ne pas (ou peu) savoir lire et écrire, ne pas (ou peu) savoir parler, c'est nécessairement être en échec scolaire et social mais aussi vivre et faire vivre un échec.
C'est se poser en interpellation culpabilisante du système éducatif scolaire et familial. Pourquoi, comment ces codes langagiés, ne se transmettent-ils pas ?
Je tiens à affirmer la volonté gouvernementale dans ce domaine - qui s'inscrit certes dans le cadre de la politique de santé mais aussi de l'inclusion, de la réussite sociale et donc de la lutte contre les exclusions.
Aussi, le Gouvernement s'est engagé à aborder ce problème de manière lucide, déterminée, avec la volonté de parvenir à des processus durables qui viennent réellement en aide à ceux qui souffrent de ce problème. Un groupe de travail réunissant les professionnels de l'éducation, les professionnels de la santé, avec les associations de familles, les professionnels du soins et de la rééducation, dont les représentants des orthophonistes, ont ces jours derniers remis un rapport au Gouvernement.
Avec Jack Lang, Ministre de l'Education nationale, nous avons mis en place des procédures de coopération concrètes pour aboutir. Nous étudions ce rapport afin de prendre très rapidement, et ensemble, les mesures nécessaires.
A mon sens et en fonction de mes expériences de longue haleine celles-ci s'orienteront vers les objectifs suivants :
développer dès le plus jeune âge une attention, des actions de sensibilisation, de repérage et de prévention des enfants à risque, qui présentent des difficultés,
systématiser le dépistage précoce de ces troubles, par un travail commun avec les professionnels de la petite enfance, avec les parents, les nourrices
mieux diagnostiquer les troubles,
assurer une prise en charge et un suivi de qualité sur l'ensemble du territoire pour garantir cette égalité de chance qui sous-tend la politique de ce Gouvernement notamment en matière d'offre sanitaire.
Cette démarche reposera sur la mobilisation de l'ensemble des professionnels, tant de l'éducation que du monde de la santé, mais aussi des familles et des structures de garde. Elle s'inscrit pleinement au sein de la politique de santé menée par le Gouvernement, et dont les quatre objectifs fondamentaux sont, je vous le rappelle :
d'assurer une égalité d'accès au système de santé de tous les citoyens,
de réduire les inégalités devant la maladie ou la prise en charge,
de garantir la qualité des services proposés,
et enfin d'assurer le respect de l'homme au sein du système de santé.
Vous avez rappelé le rôle qu'entendent jouer les orthophonistes-logopèdes dans le domaine de la prévention. Cette orientation est une des mes préoccupations majeures. En effet, trop longtemps tourné presqu'exlusivement vers le curatif, tant au niveau de la formation des professionnels que dans l'organisation de l'offre de soins, notre système de santé doit aujourd'hui fortement évoluer. En effet, toutes les données épidémiologiques montrent l'importance de la mortalité et morbidité évitables, le plus souvent liées à des comportements individuels ou collectifs mais aussi morbidité liée à des pathologies dont nous avons aujourd'hui des moyens fiables de dépistage. Lors des Etats généraux de la santé, nos concitoyens ont par ailleurs largement exprimé leur volonté de voir se développer le champ de la prévention et de l'éducation pour la santé.
Nous avons donc lancé, avec Martine Aubry, la réflexion non seulement sur la place que doit occuper l'éducation pour la santé et la prévention en France mais aussi aux moyens qui doivent lui être consacrés. Il s'agit d'organiser efficacement en France les conditions d'un développement harmonieux, et de qualité, du champ de la prévention et de l'éducation pour la santé. Le projet de loi de modernisation du système de santé en préparation actuellement comporte tout un chapitre consacré à ce champ.
Car il s'agit, par la recherche, l'évaluation, la formation, la diffusion des bonnes pratiques, de renforcer et de développer les compétences de la nation dans ce domaine, tout en s'appuyant sur les capacités des différents acteurs, des usagers eux-mêmes, à s'y investir.
Mais cette démarche s'inscrit aussi dans la lutte contre les exclusions. Et je considère que la prise en charge des troubles d'apprentissage participe aussi à cette lutte contre l'exclusion. En ce sens, la pratique de l'orthophonie, votre pratique, doit s'inscrire dans une dynamique sociale. De ce fait, pour être efficace, votre pratique ne doit pas être isolée mais faire partie d'un réseau de compétences mises au service de l'enfant. Plusieurs initiatives en France sont en train de naître autour de cette problématique. Ma volonté est de les soutenir. La mise en réseau de compétences tant éducatives, sanitaires que sociales, en s'appuyant sur les besoins des enfants et de leurs familles, doit devenir l'exemple à suivre. Il ne s'agit plus aujourd'hui de s'enfermer dans un discours basé sur des compétences particulières. Vous l'avez justement dit, Monsieur le Président. Il faut rendre hommage à toutes les orthophonistes-logopèdes qui ont su, avec les médecins de famille, les médecins de PMI, les médecins scolaires, les travailleurs sociaux, et les équipes éducatives, trouver les solutions les plus adaptées à la prise en charge de ces enfants, tout en respectant, en les valorisant, les champs de compétence des uns et des autres, les parents, les enseignants.
Je suis certaine Madame la Présidente, que les travaux sur le thème de votre colloque " Le langage : qualité et efficacité en orthophonie " pourront faire avancer et la réflexion et les pratiques. En effet, seule une évaluation rigoureuse, mettant au centre des préoccupations, l'enfant ou la personne suivie, sera de nature, outre la valorisation de votre profession, à encourager les professionnels de santé et la population en général à reconnaître les capacités des orthophonistes-logopèdes à lutter contre ce facteur majeur d'exclusion social que constituent les troubles du langage tant écrit qu'oral.
Pour terminer, je souhaite que l'on n'oublie pas que ces problèmes de langage concernent aussi les enfants déficients auditifs, sujet qui me tient à cur. Ces enfants, quel que soit le choix du mode de communication fait par leurs parents, doivent pouvoir accéder à la compréhension de la langue française afin d'aborder l'écrit, facteur d'insertion sociale, de développement de leur connaissances et garantie de communication et de compréhension d'une société oraliste.
Je vous souhaite bon travail, et vous remercie par avance de bien vouloir me faire part des conclusions de vos travaux au cours de ces trois jours.
Je vous remercie.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 8 juin 2000)