Déclarations de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la démarche franco-allemande auprès de la Croatie pour l'application des accords de Dayton et la coopération avec le Tribunal pénal international, Zaghreb le 18 mars 1998.

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Circonstance : Visite de MM. Védrine et Kinkel, ministre des affaires étrangères allemand, en Croatie le 18 mars 1998 et en Yougoslavie le 19

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Klaus Kinkel et moi-même avions déjà été ensemble à Sarajevo, il y a trois mois. Nous avions alors décidé ensemble d'aller à nouveau à Zagreb et à Belgrade. Nous effectuons maintenant ce voyage qui avait été prévu. Il vise à montrer à la fois le grand intérêt que nous portons à cette région et en même temps, la réalité d'une démarche franco-allemande commune et cohérente.
Nous venons d'avoir un entretien avec le ministre croate des Affaires étrangères et nous avons déjà parlé de façon substantielle des principaux sujets qui concernent les relations entre la Croatie et l'Europe. Nous sommes d'accord tous les deux pour reconnaître la réalité qui est que la Croatie est un pays européen, qui a des aspirations européennes, et nous reconnaissons la légitimité de ces aspirations.
Nous notons ensemble que la Croatie a fait, ces derniers mois notamment, des pas constructifs sur plusieurs plans, en particulier à propos de l'application des accords de paix et en ce qui concerne la coopération avec le Tribunal pénal international. Nous sommes disposés à accompagner la Croatie, étape après étape, dans son rapprochement, qu'elle souhaite, avec l'Europe. Mais, en même temps, nous attendons de la Croatie, des autorités croates, un certain nombre de décisions et d'engagements précis et concrets sur plusieurs plans que nous avons rappelés.
Le premier concerne la pleine et loyale application des Accords de Dayton. Nous souhaitons que la Croatie exerce une influence positive sur les Bosno-Croates, au sein de la Fédération. Nous souhaitons que la souveraineté des institutions de Bosnie-Herzégovine soit respectée. A propos de la Slavonie orientale, nous souhaitons l'adoption d'un ensemble de mesures destinées à apaiser les inquiétudes de la population serbe de cette région. Ce serait un signe positif concernant l'engagement du gouvernement. En ce qui concerne le retour des réfugiés, globalement, qui est un sujet très sensible, très douloureux et très compliqué en même temps, là aussi il y a eu des progrès : par exemple, l'accord tripartite conclu en avril 1997. Mais, nous attendons plus des autorités croates. Nous souhaitons qu'elles s'engagent publiquement en faveur du retour général de tous les réfugiés, qu'elles présentent un concept concret de retour des réfugiés, y compris pour les Serbes ayant dû quitter la Croatie.
Voilà les principaux domaines dans lesquels nous avons des attentes par rapport aux autorités croates. Nous l'avons indiqué avec beaucoup de franchise et de précision, tout en indiquant que nous étions prêts à soutenir la Croatie dans sa démarche vers l'Europe, étape après étape, au fur et à mesure de la concrétisation de ses engagements.
Je dois dire que le ministre croate des Affaires étrangères nous a répondu de façon très positive. Il nous a dit que son pays s'inscrivait dans cette perspective européenne, qu'il avait le désir d'avancer dans cette direction car chaque étape pose des problèmes compliqués à résoudre.
Nous pouvons accepter cette vision, mais il faut que ces étapes s'inscrivent dans un calendrier dynamique qui maintient un véritable mouvement vers les solutions à chacun de ces problèmes. C'est dans ce contexte que l'Allemagne et la France, Klaus Kinkel et moi-même, aborderons les questions de la Croatie et les demandes de la Croatie qui seront présentées à l'Union européenne, notamment en ce qui concerne certains programmes de coopération.
Voilà les bases sur lesquelles s'est engagée notre discussion avec le ministre. Nous allons, tout à l'heure parler avec le président et je dois dire, pour ma part - je suis sûr que Klaus partage ce point de vue -, que cette visite ici et les conversations s'engagent de façon très constructive.
Q - Monsieur le Ministre, avez-vous eu le temps d'évoquer avec vos homologues croates la situation au Kossovo ? Si oui, sont-ils inquiets des perspectives de cette crise au Kossovo ? Craignent-ils que, par exemple, la Serbie et ses relations avec les Albanais puisse avoir des répercussions sur ce qui se passe ici vis-à-vis des Croates ?
R - Nous avons effectivement parlé de la situation au Kossovo, mais assez rapidement, parce que l'essentiel des conversations portaient sur les problèmes qui se posent directement en Croatie, par rapport à la Croatie ou entre la Croatie et l'Europe. C'était l'essentiel de notre débat. Mais, nous en avons dit quelques mots. Les dirigeants croates sont naturellement préoccupés. Naturellement, ils souhaitent que la situation dans l'ensemble de la région se stabilise plutôt que l'inverse. Mais, ils ne m'ont pas paru craindre des répercussions directes. Naturellement, ils souhaitent, comme tout le monde, que l'on trouve des solutions qui arrêtent l'engrenage dangereux qui est à l'oeuvre.
Q - A quelle échéance les accords Phare pourraient enfin s'appliquer à la Croatie... ? Qu'attendez-vous concrètement pour débloquer ces programmes ?
R - Les décisions concernant le programme Phare doivent être prises, non pas par la France et l'Allemagne isolément, mais par l'Union européenne en tant que telle. C'est lié à ce que nous avons dit tous les deux, Klaus Kinkel et moi, c'est-à-dire des engagements concrets, précis, que la Croatie donne des solutions aux problèmes que nous avons identifiés comme ceux qui se posent encore. Donc, c'est à la Croatie de faire une démonstration complémentaire par rapport aux pas positifs qui ont déjà été accomplis, pour montrer sa volonté précise sur l'application complète des Accords de Dayton, sur l'affaire de la Slavonie, sur l'affaire des réfugiés...
C'est par rapport à cela et en fonction des progrès accomplis que nous serons en mesure de plaider au sein de l'Union européenne pour que l'on rétablisse l'application de ces Accords. Donc, on ne peut pas dire à l'avance ce sera à telle date. De part les conditions, ce n'est pas un élément arithmétique, c'est une appréciation politique sur la tendance qui est suivie et sur la bonne foi, la conviction d'aller de l'avant. Voilà ce que nous apprécierons. Je crois que dans le dialogue que nous avons eu, tout à l'heure, avec M. Granic, nous nous sommes bien compris là-dessus.
Q - Pour continuer sur le Kossovo, qu'attendez-vous de votre rencontre avec le président Milosevic demain ?
R - Je rappelle à cette occasion que le voyage que nous effectuons, Klaus Kinkel et moi, à Zagreb puis à Belgrade a été décidé il y a deux ou trois mois. Ce n'est pas un voyage qui a été décidé à chaud en réponse à la situation de crise qui s'est ouverte au Kossovo.
Néanmoins, nous étions tout à fait conscients tous les deux, tout à fait inquiets de la dégradation de la situation puisque nous avions écrit en novembre au président Milosevic pour lui dire : "la situation se dégrade, le statu quo n'est plus tenable et nous pensons que vous devez accepter un statut d'autonomie substantiel pour le Kossovo". Cela, datait du mois de novembre.
Aujourd'hui, ce voyage a pris naturellement un sens différent puisque nous sommes en pleine crise. Mais, nous sommes d'abord évidemment tous les deux sur la même position qui est celle de novembre, à laquelle sont venus s'ajouter les engagements que nous avons pris ensemble au sein du Groupe de contact à Londres, au cours de la semaine dernière, et nous exprimons par notre démarche et par nos entretiens qui se dérouleront demain à la fois la position forte et les attentes précises de la France et de l'Allemagne et celles de tout le Groupe de contact auquel se sont joints par la suite, d'ailleurs, l'ensemble des pays voisins de l'ex-Yougoslavie et l'ensemble des pays participant à la Conférence européenne. Vous voyez donc l'importance considérable des pays qui sont d'accord avec cette ligne et qui sont pressants en ce qui concerne l'arrêt de la répression, de l'ouverture d'un dialogue sans préalable et de la recherche d'une autonomie substantielle. Donc, nous sommes porteurs d'une position qui dépasse la position franco-allemande de départ qui était déjà quelque chose de très significatif.
Q - Je voudrais vous parler de l'Union européenne. Lorsque des pays comme la Hongrie ou la Pologne par exemple ont su qu'ils pouvaient un jour entrer dans l'Union européenne, ils ont fait des progrès considérables sur le plan démocratique, économique, à tel point qu'aujourd'hui ils sont carrément aux portes de l'Europe. Pensez-vous que la Croatie est loin d'un tel état d'esprit et est-ce que vous essayez de faire comprendre à ses dirigeants que ce serait une voie à utiliser, comme les Hongrois ou les Polonais ?
R - Je pense qu'il y a des responsables croates qui sont dans cet état d'esprit et qu'il y a peut-être d'autres forces en Croatie qui ne partagent pas encore cette vision. C'est à nous d'encourager ceux qui sont dans cet état d'esprit.
D'autre part, les pays auxquels vous faites allusion ont entamé la solution des problèmes qui se posaient à eux bien avant que l'Union européenne donne des signes précis. Donc, il ne faut pas lier les deux trop étroitement./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2001)